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Encadré 2 : Evaluation hédonique et économique dans le jugement des objets : indices expérimentaux

3.3 Discussion portant sur l’expérience 2

Une procédure similaire à celle de Dubois et Beauvois (2011) a été utilisée pour tester notre hypothèse théorique. Trois hypothèses ont été formulées et sont toutes supportées par les résultats.

Premièrement, l’analyse factorielle a montré que le jugement d’une montre à l’aide d’adjectifs est bien structuré par deux dimensions dont les contenus sont parfaitement adossés aux deux informations ayant servi à présenter la montre aux sujets : 1) la plus ou moins forte valeur marchande (31.48%) qui oppose des adjectifs tels que Luxueux, Hors de prix vs. Pas chère, Bas de gamme, etc., 2) la plus ou moins forte agréabilité (30.52%) qui oppose des adjectifs tels que Jolie, Sympa vs. Moche, Nulle, etc. La structure bidimensionnelle explique au total 62% de la variance, un taux supérieur à celui constaté par Dubois et Beauvois (2011), ce qui valide notre première hypothèse. Précisons que le fait que nos VI étaient cette fois inter-sujets réduit la probabilité que les sujets étaient clairvoyants des contrastes attendus dans l’évaluations des adjectifs.

Deuxièmement, la solution factorielle comporte en proportions quasi équivalentes, d’une part des adjectifs positifs (11) vs. négatifs (12), et d’autre part des adjectifs représentant la dimension d’AG (13) vs. de VM (10), ce qui valide notre seconde hypothèse.

Troisièmement, l’analyse de variance a confirmé que l’information portant sur l’agréabilité de la montre impactait davantage l’utilisation des adjectifs AG que celle des adjectifs VM, alors que l’information portant sur la valeur marchande de la montre impactait davantage l’utilisation des adjectifs VM que celle des adjectifs AG. En effet, chaque information donnait lieu à des jugements plus extrémisés pour les adjectifs communiquant le type de valeur correspondant (AG vs. VM) que pour les adjectifs donnant le type de valeur non correspondant à l’information.

Cependant, les résultats de l’analyse de variance ont aussi révélé 1) qu’une montre agréable était jugée plus chère avec les adjectifs donnant la VM qu’une montre désagréable et, corollairement, 2) qu’une montre présentée comme chère était jugée plus agréable avec les adjectifs donnant l’AG qu’une pas chère. Ce résultat peut se comprendre avec la conception évaluative. En effet, tout comme dans l’expérience 1, il suggère que les sujets, en tant qu’agents sociaux évaluateurs, ont appris à aimer davantage les objets véhiculant une forte utilité sociale, et à faire fonctionner une théorie implicite selon laquelle ce qui est agréable est cher.

Les résultats de cette expérience 2 vont dans le même sens que ceux de l’expérience 1. Ils nous permettent de disposer d’une liste structurée d’adjectifs évaluatifs, pertinents pour juger les objets, et connus par le type de valeur sociale qu’ils communiquent.

4 Conclusion générale

Nous avons élaboré une liste d’adjectifs évaluatifs et pertinents pour juger des objets. On s’attendait à ce que ces adjectifs, lorsqu’ils sont utilisés pour juger des objets de consommation, soient structurés par deux dimensions analogues à la DS et à l’US. Les deux expériences rapportées dans ce chapitre apportent des résultats validant cette hypothèse.

Dans l’expérience 1, le protocole de Gallay (1992 ; voir aussi Cambon, 2005) a été utilisé. L’analyse des correspondances a fait émerger les deux dimensions avec un taux de variance expliquée très élevé (88%). Dans cette solution, la prépondérance de la dimension en rapport à la DS (cf. l’agréabilité) suggère, comme l’explique la conception évaluative à

propos de l’évaluation sociale des personnes, que les agents sociaux internalisent la valeur US en valeur DS : ils ont appris à aimer les objets sociaux qui véhiculent une forte valeur marchande.

Dans l’expérience 2, nous avons utilisé un protocole similaire à celui que Dubois et Beauvois (2011) ont employé pour étudier les jugements d’animaux domestiques. Les objectifs de cette expérience étaient 1) de faire émerger la même structure bidimensionnelle au moyen d’une analyse factorielle, 2) de réduire la possibilité que les sujets soient clairvoyants des contrastes attendus dans l’évaluation des adjectifs et 3) de disposer d’une liste structurée d’adjectifs positifs vs. négatifs donnant l’AG vs. la VM des objets. Ces trois objectifs sont satisfaits et les résultats confirment ceux de l’expérience 1.

Les résultats nous permettent de conclure que les adjectifs servant à juger les objets communiquent bien deux dimensions analogues à celles qui structurent les traits dans les jugements personnologiques. Cette analogie ne peut se comprendre qu’avec la conception évaluative. En effet, les deux dimensions trouvées dans les objets correspondent bien à deux modes d’évaluation des objets : l’évaluation hédonique (l’agréabilité) et l’évaluation économique (la valeur marchande). Cela suggère que les agents sociaux ont appris à utiliser le langage pour exprimer la connaissance évaluative et désigner la valeur sociale de tout objet avec les mêmes dimensions : la DS vs. l’US des personnes avec les traits de personnalité, l’AG vs. la VM des objets avec les adjectifs courants propres à leur caractérisation.

Forts de cette conclusion, et de la liste d’adjectifs désormais à notre disposition, nous allons maintenant présenter six expériences que nous avons conduites pour montrer que les deux dimensions de la valeur sociale correspondent à deux modes de connaissance évaluative pouvant être induits à travers des pratiques évaluatives faites tantôt sur des personnes, tantôt sur des objets, et généralisés à la description, tantôt de personnes, tantôt d’objets.

Introduction des six expériences portant

sur la généralisation des modes de

connaissance

Ce chapitre a pour but d’expliquer la logique expérimentale qui a été suivie dans les six expériences (expérience 3 à 8) qui seront présentées dans les chapitres suivants. Leur objectif est de montrer que les deux dimensions de la valeur sociale (la désirabilité sociale des personnes ou l’agréabilité des objets vs. l’utilité sociale des personnes ou la valeur marchande des objets) correspondent à deux modes de connaissance évaluative pouvant être 1) induits à partir de pratiques d’évaluation faites soit sur des personnes, soit sur des objets, et ensuite 2) généralisés à la description soit d’objets (après induction sur des personnes), soit de personnes (après induction sur des objets). Par ailleurs, conformément à la théorie de la double connaissance (Dubois et Beauvois, 2002), nous avons également cherché à montrer que ces deux modes évaluatifs sont bien indépendants du mode de connaissance descriptive, et donc que le mode de connaissance descriptive peut lui aussi être induit (à partir de pratiques descriptives) et généralisé (en entraînant des conséquences différentes sur les descriptions). Comme nous allons le préciser plus loin, les conséquences attendues sur les descriptions concernent le choix d’adjectifs appariés à chacun des trois modes d’induction (mode DS, mode US, mode descriptif ou DE).

Nous allons commencer par expliquer la logique expérimentale sur laquelle les six expériences ont reposée (le paradigme des tâches indépendantes), puis nous décrirons les objectifs relatifs à chacune des six expériences.

1 Le paradigme des tâches indépendantes

Notre objectif était donc d’amener dans un premier temps des sujets à réaliser des pratiques (évaluatives ou descriptives) sur des objets ou des personnes, ceci afin de les induire à un mode de connaissance donné, et dans un second temps, de mesurer le degré auquel ils mobilisaient le mode préalablement induit pour caractériser des objets ou des personnes avec des adjectifs appariés à chacun des modes induits. Dès lors, le paradigme des tâches indépendantes nous a semblé adapté à cet objectif.

Ce paradigme consiste en effet à demander aux sujets de participer à deux tâches successives. On les informe que les deux recherches n’ont aucun lien entre elles alors qu’en réalité, la réalisation de la première tâche est censée avoir un impact sur les réponses que vont donner les sujets dans la seconde tâche. On s’assure généralement au moment du débriefing que les sujets n’ont pas été clairvoyants de l’hypothèse qui relie les deux tâches. Traditionnellement, ce paradigme est utilisé par les chercheurs étudiant les effets d’amorçage sémantique dans le jugement (Higgins, 1996).

Après avoir présenté l’une des recherches princeps menée avec ce paradigme, et après avoir évoqué certains travaux l’ayant utilisé pour montrer des effets proches de la généralisation que nous étudions, nous expliquerons l’adaptation que nous avons faite de ce paradigme pour étudier la généralisation des modes de connaissance dans nos six prochaines expériences.

1.1 La recherche princeps menée avec le paradigme