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Chapitre 4 : Les représentations sociales

6. Deux théories pour l’étude des représentations

6.1. La théorie du noyau central

Depuis Moscovici, tous les auteurs s’accordent pour dire que les représentations sociales sont définies comme un ensemble organisé constituant un système régi d’une structure et d’un contenu. Par système, nous entendons, un ensemble d’éléments inter- dépendants qui s’articulent et interagissent entre eux, mais également en rapport avec leur environnement. « C’est à travers sa structure cohérente que met en œuvre un groupe social donné. Une représentation se définit par deux composantes : d’une part, son organisation à travers les relations entretenues entre ses éléments constitutifs. D’autre part, la signification qui ne se réduit pas à la somme des significations de cha- cun de ses éléments pris isolément » (Rouquette, Rateau, 1998 : 30). Par conséquent, ces éléments prennent leurs places selon des relations d’interdépendance dans le sys- tème représentationnel dont émerge la signification.

« Les représentations sociales apparaissent comme le processus d’une élaboration psy- chique et sociale du réel. Il s’agit à travers l’actualisation de leur contenu d’approcher leur organisation et leur mode de fonctionnement pour comprendre l’appropriation des objets de la réalité sociale par les groupes » (Valence, 2010 : 45).

Abric (1976), pour sa part, formule l’idée que cette organisation interne d’une représen- tation sociale correspond à une modalité particulière, spécifique. En précisant que les éléments de la représentation sociale sont organisés selon un ordre hiérarchique autour d’un noyau central, constitué d’un ou de quelques éléments qui donnent à la représenta- tion sa signification.

« Ainsi définie, la représentation est donc constituée d’un ensemble d’informations, de croyances, d’opinions et d’attitudes à propos d’un objet donné. De plus, cet ensemble d’éléments constitutifs est organisé et structuré. L’analyse d’une représentation, la com- préhension de son fonctionnement nécessitent donc obligatoirement un double repé- rage : celui de son contenu et celui de sa structure. Autrement dit, les éléments constitu- tifs d’une représentation sont hiérarchisés, affectés d’une pondération et ils entretien-

nent entre eux des relations qui en déterminent la signification, et la place qu’ils occu- pent dans le système représentationnel » (Abric, 1976 : 19).

L’idée du noyau et de centralité n’est pas neuve en psychologie sociale. On les trouve présentes chez Heidler (1927) « noyau unitaire ». Pour sa part, Moscovici (1961) les adapte pour sa recherche et introduit cette idée à propos de la genèse d’une représenta- tion. Selon lui, cette genèse s’effectue progressivement par opérations et étapes.

« Les individus sélectionnent quelques éléments au détriment d’autres (objectivation qui permet le passage d’une théorie scientifique à un « modèle figuratif » ou « noyau figura- tif »), les incorporent à leur système de normes et de valeurs. Ces éléments acquièrent ainsi un statut d’évidences et se constituent en noyau stable duquel s’organisent les autres éléments de la représentation » (Abdel-fattah, 2006 : 157).

Abric dans son propos, inspiré par le concept du noyau, tente dans sa recherche à dépas- ser le cadre génétique de Moscovici qui limite le noyau « figuratif » à sa fonction géné- ratrice. Il lui assigne un rôle capital pour la signification et la cohérence de toute repré- sentation. Ainsi, par sa méthode de recherche proposée, Abric renouvelle les recherches sur les représentations sociales et propose de les étudier autrement. Son procédé devient expérimental et fondé sur l’idée que l’individu ne réagit pas directement à la réalité mais à sa représentation, (réalité représentée). Il se fixe comme premier objectif d’étudier les relations entre comportements et représentations. Il part de l’idée que les comportements sont déterminés par les représentations que l’individu se fait de la situa- tion, et son interprétation correspond à des normes et à des valeurs acquises et appro- priées.

Abric (1994) attaque aussi le contenu et la nature des représentations, en ajou- tant un second objectif à ses recherches :

« Une même variable peut générer des représentations différentes, et donc avoir pour des sujets différents des significations différentes en fonction du contexte social, idéologique et culturel dans lequel ils se trouvent ».

Cette approche structurale implique que pour rendre compte d’une représenta- tion, il est nécessaire de repérer non seulement les éléments qui la constituent, mais aus-

si les relations qui organisent ensemble ces éléments. Dès lors, il est impératif de mener dans toute étude de représentation, des méthodes de recherche qui dégagent ces élé- ments constitutifs et leur organisation.

6.1.1. Le noyau central

Le noyau central est défini comme « toute représentation organisée autour d’un noyau central. Ce noyau central est l’élément fondamental de la représentation car c’est lui qui détermine à la fois la signification et l’organisation de la représentation.» (Abric, 1994 : 21).

Le noyau central assure deux fonctions :

- Une fonction génératrice

« Il est l’élément par lequel se crée, ou se transforme, la signification des autres élé- ments constitutifs de la représentation. Il est ce par quoi ces éléments prennent un sens, une valeur ; » (Abric, 1994 : 22).

- Une fonction organisatrice

« C’est le noyau central qui détermine la nature des liens qui unissent entre eux les élé- ments de la représentation. Il est en ce sens l’élément unificateur et stabilisateur de la représentation » (Abric, 1994 : 22).

Tout élément de la représentation est dépendant du noyau central et la signification est émergeante des relations entretenues par ces composants. Le noyau central est donc l’élément le plus stable de la représentation, celui qui résiste aux changements contex- tuels auxquels il se rapporte. En effet, toute modification du noyau central entraîne une transformation radicale de la représentation.

Identifier le noyau central permet également l’identification des individus à un groupe social. « Partager la représentation, c’est donc, pour les membres d’un groupe, partager un ensemble de croyances organisées autour d’un noyau commun. En ce sens, le noyau a bien une fonction consensuelle » (Moliner, 1994 : 45), Pour Abric « c’est par lui … que se définit l’homogénéité d’un groupe social » (1994 : 78).

L’idée importante dans la théorie de noyau central est la détermination de la significa- tion :

« Autrement dit, la centralité d’un élément (le fait qu’un élément soit dans le noyau central de la représentation) ne peut pas être exclusivement rapporté à une dimension quantitative. Ce n’est pas parce qu’un élément est quantitativement important (ou si l’on préfère : saillant) dans la représentation qu’il est central. Ce qui importe, c’est sa dimension qualitative, c'est-à-dire le fait que cet élément donne sens à l’ensemble de la représentation » (Abric, 1994 : 73- 74).

6.1.2. Les éléments périphériques

À l’intérieur d’une représentation sociale, il y a les éléments périphériques qui se construisent et s’organisent autour du noyau central par implication. Ils sont des élé- ments qui sont appelés, d’une part, par le contexte situationnel, et d’autre part, détermi- nés par le noyau central. Ces éléments périphériques expriment des opinions, des des- criptions et des croyances relatives à l’objet de la représentation et jouent un rôle de conciliateur « ils constituent l’interface entre le noyau central et la situation concrète dans laquelle s’élabore ou fonctionne la représentation » (Abric, 1994 : 25). Ces élé- ments périphériques vont « assurer de façon instantanée le fonctionnement de la repré- sentation comme grille de décryptage d’une situation » (Flament, 1989 : 209).

Flament (1989) propose de considérer les éléments périphériques comme un script. C’est-à-dire un scénario, qui a la valeur descriptive et prescriptive. Les éléments péri- phériques vont fournir un nombre d’informations et de règles aux individus qui vont leur permettre de comprendre chacun des aspects d’une situation, de les prévoir, et de tenir à leur propos des discours et des conduites appropriés. Le rôle des éléments péri- phériques apparaît essentiel dans les fonctions qui leurs sont attribuées par les individus dans la mise en œuvre de la représentation sociale, ils sont, selon Flament (1989), au nombre de trois :

-­‐ Ils prescrivent les comportements et les prises de position : dans une situa- tion donnée, les éléments périphériques vont informer le sujet sur ce qu’il faut faire ou dire.

-­‐ Ils attribuent aux représentations et aux conduites dans leurs actualisations un caractère de personnalisation selon le contexte et l’appropriation indivi- duelle. Une même représentation peut donner lieu à des appartenances diffé- rentes qui correspondent à une variabilité des systèmes périphériques.

-­‐ Les éléments périphériques jouent le rôle du « garde corps », du « pare- chocs » pour le noyau central.