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Chapitre 3 : Culture, identité et socialisa tion

8. Adaptation socioculturelle et stratégies

Selon Le Petit Robert, le concept de l’adaptation socioculturelle est défini comme « un ensemble d’actions à atteindre », et dans un sens approprié à l’acculturation, elle vise les changements qui s’opèrent chez les individus ou les groupes, en réaction aux influences environnementales. Elle résulte d’un processus d’acculturation qui connaît plusieurs stratégies selon l’objectif à atteindre. Taboada- Léonetti précise la notion de « stratégie » et reprend la définition du Larousse « un en- semble de dispositions prises des acteurs pour atteindre un but donné ». Mais en même temps, elle se sert de la théorie des jeux pour définir la stratégie comme « un ensemble de décisions prises en fonction d’hypothèses faites sur les comportements des parte- naires » (1990 : 49).

L’avantage cette dernière définition se reporte à l’interaction dans laquelle l’individu possède une certaine liberté d’action sur les possibles déterminismes sociaux et existen- tiels ; ainsi qu’à l’option du choix comme indétermination face aux formes des proces- sus stratégiques.

Les stratégies ne sont que les conséquences de l’élaboration individuelle et collective des acteurs, dans leur activité interactive d’ajustement en fonction des situations et des enjeux qu’elles suscitent. Taboada-Léonetti ajoute que « la notion de stratégie se situe à l’articulation du système social et de l’individu, du social et du psychologique ; elle permet de lire, dans les comportements individuels ou collectifs, les diverses manières dont les acteurs « font avec » les déterminants sociaux, et en fonction de quels para- mètres familiaux ou psychologiques. La diversité relative des comportements, en ré- ponse à des situations sociales similaires, met en évidence le caractère interactionnel et complexe du processus » (1994 : 184-185). Cette notion de stratégie d’adaptation se li- mite dans notre étude à deux modèles : le modèle d’acculturation psychologique de Ber- ry (1980) et le modèle des stratégies identitaires de Camilleri (1990).

8.1. Le modèle des stratégies d’acculturation selon Berry

Bien qu’en principe, l’acculturation soit réciproque pour les individus et les groupes de cultures différentes, il existe généralement un groupe dominant qui jouit d’une influence plus forte que l’autre groupe dominé, souvent rapproché aux migrants et leurs générations descendantes. (Berry et Sam, 1997). Les individus dans une situation d’acculturation recourent à des stratégies d’adaptation à la nouvelle société. Ses straté- gies se jouent à deux niveaux : le nivaux attitudinal qui est relié au positionnement de l’individu dans l’espace de deux cultures, d’origine et de la société d’accueil ; le second nivaux est comportemental qui concerne les changements des comportements indivi- duels et des conduites sociales dans la société d’accueil. (Sabatier et Berry, 1994).

Le modèle de Berry distingue deux questions. La première : faut-il maintenir sa culture et son identité d’origine ? La seconde : faut-il valoriser des contacts avec les membres de la société d’accueil et participer à la vie en société ? Le croisement de ces deux ques- tions nous permet d’obtenir quatre classifications de choix devant l’immigré dans sa stratégie d’acculturation, qui vont être représentées dans le tableau suivant :

Le modèle de Berry est bidimensionnel et met en évidence le fait que les contacts entre groupes culturels différents causent un changement à deux nivaux : le premier (le ni- veau groupal / culturel) se définit par les caractéristiques des cultures, la nature des con- tacts et les interactions. Tandis que le second niveau suit les mutations que les modalités d’acculturation changent les individus psychologiquement. D’où, l’apparition d’un nou-

veau cadre où les individus s’adapteront aux niveaux psychologique et socioculturel. En général, c’est le groupe dominé qui subira le plus ces changements culturels - biolo- giques, physiques, culturels, sociaux, politiques et économiques – par rapport au groupe dominant avantagé par une grande influence.

En outre, certains facteurs prédisent une plus grande adaptation psychologique tandis que d’autres influencent particulièrement sur l’adaptation socioculturelle. Les facteurs peuvent être favorables ou contraignants. Ces facteurs existent et déterminent l’individu avant l’acculturation. Ils sont liés à l’âge, le sexe, le statut, le projet migratoire, la dis- tance culturelle et la personnalité. D’autres facteurs interviennent au cours de l’acculturation, ils sont liés à la phase temporelle, la stratégie d’acculturation, le soutien social, les préjugés et les discriminations.

Doit-on valoriser son modèle culturel et ses identités d’origine ?

OUI NON

Doit-on valoriser le contact et le maintien des rapports avec la société d’accueil ?

OUI Intégration Assimilation

NON Séparation/Ségrégation Marginalisation Fig. 16 : Classification des choix dans la stratégie d’acculturation (selon Berry, 1980)

8.2. Les stratégies identitaires selon Camilleri

La construction de l’identité chez l’individu comme pour les groupes sociaux re- lève de stratégies développées relativement aux contextes et situations qui peuvent se présenter. Plusieurs auteurs ont abordé ces stratégies pour comprendre certains phéno- mènes sociaux. La stratégie renvoie à des jeux d’acteurs qui, en se construisant dans un espace social, donnent une définition d’eux-mêmes vis-à-vis des autres pour se séparer, se distinguer ou se faire reconnaître en tant qu’éléments différents. La stratégie identi- taire découle d’une conception de soi et résulte d’une interaction entre individus ou groupes. Les stratégies identitaires apparaissent comme le résultat de l’élaboration indi- viduelle et collective et sont exprimées dans une dynamique d’ajustement et de réajus- tement perpétuelle. Dans cette optique, il ne peut y avoir d’identité collective sans les processus sociaux qui renvoient plusieurs individus à un même sentiment

d’appartenance. Les stratégies identitaires s’appréhendent ainsi en relation étroite avec l’approche des « minorités » dont les comportements dans une société tendent à les dis- tinguer pour leur donner une particularité réelle.

On peut retenir trois éléments dans la définition des stratégies identitaires :

- les acteurs individuels ou collectifs (exemple immigré) - la situation et les enjeux qui la structurent

- les buts poursuivis par les acteurs

En fonction des acteurs, de la situation et des buts poursuivis, les stratégies identitaires révèlent deux fonctions :

- ontologique, qui répond à une préoccupation de sens et de valeurs personnelles.

- pragmatique qui correspond à la manière dont l’individu intègre dans sa configuration identitaire l’influence du social et s’adapte à la réalité concrète.

Il existe trois types de stratégies permettant de rétablir un sentiment de valeur :

1. L’identité dépendante où le membre du groupe culturel minoritaire tend à accepter les

attitudes négatives de la société d’accueil à l’égard de ce groupe. L’identité dépendante prend deux formes :

a) L’identité négative : l’individu intériorise le jugement dépréciatif en définissant

son identité d’une manière négative

b) L’identité négative déplacée : l’individu tente d’éviter de s’enfermer dans une

identité négative sans la remettre en question et cherche à s’assimiler au groupe dominant en transférant l’injonction dévalorisante sur les autres membres de son groupe d’origine.

2. L’identité par distinction : l’individu prend conscience de sa singularité, mais il

n’intériorise pas la dévalorisation grâce à une prise de distance.

3. L’identité réactionnelle : l’individu réagit à la dévalorisation par le repli communautaire selon trois formes :

a) L’identité défense : les membres de la minorité se servent de leur identité cultu- relle d’origine comme un bouclier pour se protéger face à la dévalorisation. b) L’identité polémique : Ils se distinguent du groupe dominant en sur affirmant

c) L’identité de principe : c’est une conduite paradoxale où le groupe minoritaire continue à revendiquer son appartenance au groupe d’origine malgré le fait qu’il rejette presque toutes les valeurs du groupe d’appartenance, et adoptent dans le temps les valeurs de la société d’accueil bien qu’ils refusent la filiation à ce groupe.

D’après Camilleri (1990) et comme le montre le tableau ci-dessous, les formes de stra- tégies identitaires relèvent toutes d’un mécanisme de défense susceptible d’entraîner des consé- quences négatives. Il en va de la disjonction entre le réel et la conception de l’identité. Plus la société est hostile, plus elle risque d’engendrer des réactions de repli identitaire. Individus en si- tuations d’acculturation rencontrent dévalorisations et déstructurations.

Stratégies pour rétablir le sentiment

de valeur de Soi Stratégie pour rétablir une unité de sens

Identité indé- pendante

« Identité négative »

Intériorisation du jugement dépréciatif

Cohérence simple (résolution de la con- tradiction par la sup- pression de l’un des termes)

Sur valorisation ontologique Investissement plus ou moins exclusif

dans le système d’origine. « Identité négative déplacée »

Évocation de l’identité négative en s’assimilant au groupe favorisé et en transférant l’injonction dévalorisante sur les autres membres de son groupe

d’origine.

Valorisation dominante de la fonction pragmatique mais avec conservation

d’un minimum ontologique, alter- nance conjecturelle des codes.

« Identité par distinction » Prise de conscience de sa singularité mais non intériorisation de la dévalori-

sation évitée par prise de distance.

Survalorisation de la fonction prag- matique

Investissement plus ou moins exclusif dans le système d’accueil, primauté

du désir d’adaptation à l’environnement (opportunisme com-

plet) « Identité défense »

L’identité comme refus, comme bou- clier pour se protéger des autres.

Cohérence complexe (Élabora- tion d’une formation tenant compte de tous les éléments en opposi- tion)

Indifférence à la logique rationnelle Bricolage identitaire, résolution du conflit pour Soi et non en Soi, selon

une logique affective et non ration- nelle.

Identité réac- tionnelle

« Identité polémique » Sur-affirmation des caractères stigmati-

sés en opposition.

Logique rationnelle Réappropriation, dissociation, articu- lation organique des contraires, valo- risation de l’esprit aux dépends de la

lettre, etc. Stratégie

de modéra- tion des conflits.

Stratégies problématiques ne permet- tant pas un évitement des conflits Pondération différentielle des valeurs

en opposition, etc. « Identité de principe ou volontariste »

conduite paradoxale des revendications d’appartenance au groupe d’origine alors que rejet de ses valeurs dans les

actes.