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Chapitre 4 : Les représentations sociales

3. Qu’est-ce qu’une représentation sociale ?

Le verbe représenter vient du latin « repraesentare » qui signifie rendre présent. Représenter consiste « à rendre quelque chose ou quelqu’un présent sous la forme d’un substitut ou en recourant à un artifice » (Dictionnaire du trésor de la langue française). Nous tirons de cette définition que tout ce qui renvoie ou évoque un objet réel ou ima- ginaire relève des représentations. Ainsi, la clé de voûte est que la propriété essentielle des représentations repose sur la «Reproduction, restitution de traits fondamentaux de quelque chose ou de quelqu’un » (ibid).

Au sens large du terme, la représentation est une activité cognitive, sa fonction est de rendre présent à l’esprit un objet ou un événement. Mais en ajoutant l’adjectif « social » aux représentations, nous nous trouvons devant un jargon scientifique, introduit par Moscovici. C’est en ce sens, pour marquer sa différence par rapport aux autres représen- tations qui se trouvent à l’échelle de la subjectivité et de l’objectivité, entre ces deux tendances, que les représentations individuelles appartiennent à la psychologie, ou les représentations collectives sont propres à la sociologie.

Les représentations sociales se positionnent donc, dans l’espace sémantique et concep- tuel entre ces deux extrema, les représentations individuelles et les représentations col- lectives. Les premières partent du principe que l’individu et ses représentations indivi- duelles sont à la base de toute réalité sociale et correspondent à la maxime « expliquer un phénomène social, c’est toujours en faire la conséquence d’actions individuelles. » (Boudon, Bourricaud, 1985 : 287)

Les seconds, soutenus par les objectivistes se positionnent à l’opposé des premiers. Ils considèrent que la société en tant qu’entité supérieure impose sa pensée aux individus, par ces outils institutionnels. Moscovici dans sa conceptualisation des représentations sociales et ses rapports à la réalité sociale, essaie d’aller au-delà de cette dichotomie entre subjective / objective, qui est bien marquée dans la position du Durkheim.

« Durkheim interprète le résultat externe unitaire de nombreux processus psychiques subjectifs comme résultat d’un processus psychique unitaire qui se déroule dans la conscience collective objective. Les deux réalités sont différentes en ce que la seconde paraît agir de l’extérieur et de manière coercitive sur la première[… ] Nous pouvons donc comprendre que Durkheim oppose vigoureusement la sociologie à la psychologie individuelle » (Moscovici ; 1988 : 132).

Moscovici qui inscrit son œuvre principale initialement dans un cadre marqué par la pensée de Durkheim, insère sa théorie des représentations sociales dans le courant de pensée qui s’intéresse aux liens entre l’individuel et le collectif. Il considère que les re- présentations sociales sont l’univers qui connecte ces deux modes de voir les choses, psychologique et sociologique. D’ailleurs, il a même remarqué que le père de la socio- logie française, malgré sa position opposée à la doctrine de « l’individualisme méthodo- logique » a fait recours à des analyses psychologiques dans sa sociologie pour décrire des phénomènes sociaux.

« Quoi qu’il en soit, la psychologie apparaît comme un lubrifiant puisant de ses théories de la religion, de la cohésion sociale et de la morale » (Moscovici, 1976 : 134)

Pour sa part, Moscovici se base dans sa théorisation sur les apports conceptuels de ces deux positions et les fusionne ensemble. Sa théorie part du postulat que le caractère de la pensée profane de l’homme de la rue est soutenu par une détermination sociohisto-

rique. Ainsi, le social est à la base du mécanisme du raisonnement psychologique de l’individu et de sa vision du monde.

« Seulement voila : si la réalité des représentations sociales est facile à saisir, le concept ne l’est pas. Il y a bien des raisons à cela. Des raisons historiques en grande partie, c’est pourquoi il faut laisser aux historiens le soin de les décou- vrir. Les raisons non historiques se réduisent toutes à une seule : sa position « mixte », au carrefour d’une série de concepts sociologiques et d’une série de concepts psychologiques. C’est à ce carrefour que nous avons à nous situer. La démarche a, certes, quelque chose de pédant, mais nous n’en voyons pas d’autre pour dégager de son glorieux passé un tel concept, de le réactualiser et com- prendre sa spécificité » (Moscovici, 1976 : 39-40).

Le point de départ est l’idée d’abandonner cette distinction entre le sujet et l’objet, idée dérivée du behaviorisme. La théorie des représentations sociales postule « qu’il n’y a pas de coupure entre l’univers extérieur et l’univers intérieur de l’individu (ou du groupe). Le sujet et l’objet ne sont pas foncièrement distincts » (Moscovici, 1969 : 9). Cet objet extérieur est conçu, au moins partiellement par l’individu ou le groupe, à tra- vers leur positionnement social, croyances, valeurs, attitudes, pratiques et conception des choses. Cela veut dire que le stimulus et la réponse sont unis par leur relation de dé- pendance dans la perception des choses. Un objet n’existe pas en lui-même, et une vi- sion du monde n’est pas le simple reflet de l’objet extérieur exercé par une perception faite de la part d’un sujet, mais inversement, c’est au sujet que revient l’origine de cette vision du monde.

« Le stimulus et la réponse sont indissociables : ils se forment ensemble. Une ré- ponse n’est pas strictement une réaction à un stimulus, jusqu’à un certain point cette réponse est à l’origine du stimulus, c'est-à-dire que ce dernier est déterminé en grande partie par la réponse » (Abric, 1994 : 12).

Cette nouvelle position exclue le concept de « réalité objective » et le remplace par celui de « réalité représentée ». Cette réalité objective devient représentée du fait qu’elle est appropriée par l’individu ou le groupe, reconstituée et remodelée dans son système co- gnitif selon ses rapports effectifs et symboliques entretenus avec et à l’intérieur de la société. Cette réalité représentée constitue en soi la réalité même. Cela nous amène à la conception d’Abric (1994) qui souligne que que les représentations sociales sont « une

vision fonctionnelle du monde » (1994 :13), entretenant un rapport de dépendance entre sujet-objet, à travers un système de référence propre à l’individu ou au groupe concerné, dans l’élaboration du sens aux conduites et pratiques sociales et à la compréhension du monde qui lui permet de s’y adapter, de s’y définir une place.

« La représentation fonctionne comme un système d’interprétation de la réalité qui régit les relations des individus à leur environnement physique et social, elle va déterminer leurs comportements ou leurs pratiques » (ibid).

De là, on peut déduire qu’« une représentation sociale est le produit et le processus d’une activité mentale par laquelle un individu ou un groupe reconstitue le réel auquel il est confronté et lui attribue une signification » (ibid ).

Abric ajoute que : « la représentation est un guide pour l’action, elle oriente les actions et les relations sociales. Elle est un système de pré-codage de la réalité car elle déter- mine un ensemble d’anticipations et d’attentes » (ibid).

Nous retenons de cette définition que les représentations sociales sont un système d’interprétation de la réalité, caractérisé par son dynamisme de processus et ses compo- sants de contenu. Ce système qui génère des significations, ne peut qu’être sociocogni- tif, car il se repose sur une dualité de composition. La première est liée aux processus cognitifs d’un sujet actif. La deuxième est la mise en œuvre de ces processus cognitifs dépendant directement de la détermination sociohistorique dans laquelle elles s’élaborent. Cette dimension sociale dans le processus cognitif d’un sujet actif est la base qui génère les représentations sociales.

La signification qui est une des attributions fondamentales des représentations sociales est toujours contextualisée. D’une part, par le discours qui porte dans son actualisation les représentations sociales, d’autre part, par le contexte socioculturel général auquel le sujet fait référence pour la réalité en question dans l’interaction.

En ce qui concerne le contenu, il peut être varié et composé aussi bien des opinions, des images, des croyances, des stéréotypes et des attitudes. C’est « un ensemble organisé et hiérarchisé des jugements, des attitudes et des informations qu’un groupe social donné élabore à propos d’un objet », (Abric, 2003 :11). Cet ensemble de contenu correspond à trois dimensions propres aux représentations sociales (Moscovici, 1961) : une dimen- sion structurale ; la signification est générée selon une organisation précise entre les éléments composants de l’ensemble du contenu des représentations sociales. Une repré-

sentation sociale « est une grille de lecture de la réalité, socialement construite, des groupes différents élaborent à leur manière cette grille, en fonction notamment de leur intérêts » (Roussiau et Bonardi, 2001 : 16).

De cette grille de lecture émerge une dimension attitudinale (évaluation de la significa- tion et prise de position vis-à-vis de l’objet de représentation), une troisième dimension importante influence le contenu d’une représentation sociale correspondant au niveau qualitatif et quantitatif de l’information détenue par l’individu en provenance de son groupe d’appartenance à propos d’un objet donné.

Il est important de signaler qu’à cause de l’interdisciplinarité que l’étude des représenta- tions sociales implique et la nature transdisciplinaire qui se manifestait dès les premiers travaux, nous rejoindrons Doise dans son propos concernant la difficulté de dégager une définition commune à tous les auteurs. Cette difficulté tiendrait, selon Moscovici, à sa « position « mixte » au carrefour d’une série de concepts sociologiques et d’une série de concepts psychologiques » (1976 : 39).