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Chapitre 4 : Les représentations sociales

8. Les représentations linguistiques

La sociolinguistique n'a pas cessé de s'intéresser aux représentations sociales en les plaçant au centre de ses recherches. En effet, le travail sur les représentations so- ciales ne semble pas facile car le phénomène représentationnel recouvre un champ très vaste qui englobe les représentations linguistiques, langagières ou sociolinguistiques, discours sur les différentes langues, rapports subjectifs à la langue, attitudes linguis- tiques normes subjectives, jugements sur les langues, imaginaire linguistique etc. Une terminologie très variée provenant d'un certain positionnement du chercheur, de sa for- mation, de ces affinités scientifiques, d'une certaine tentative de se démarquer.

Les termes « représentation sociale » et « représentation linguistique » renvoient à deux conceptions différentes : la première renvoie à son caractère social alors que la se- conde, renvoie à une spécification de ce qu’est le fondement des représentations so- ciales, et à une indication sur le terme même de représentation correspondant à une réa- lité autre que celle définie dans le cadre de la psychologie sociale.

Dans une première direction, les gens se font toujours une idée d’un objet social. Cette idée influence les rapports qu’ils entretiennent avec cet objet. Et parce que « le langage représente un certain type d’institution sociale » (Perrot, 1953 : 116), il n’échappe pas à cette règle : les gens s’en font une idée. Le langage est un objet des représentations so-

ciales, les idées et les croyances qui l’entourent ont des conséquences sur les individus. « Les apprenants potentiels ont souvent une image des langues qui pourrait les empê- cher d’essayer de les apprendre» (Castellotti et Moore, 2002 : 6). Nous parlons ici des représentations à propos de la langue, des images perçues par les gens à l’égard de leur langue et des langues des autres afin d’illustrer l’attitude et le contenu des représenta- tions. Ainsi, Calvet (1998 : 17), explique que « du côté des représentations se trouve la façon dont les locuteurs pensent les usages, comment ils se situent par rapport aux autres locuteurs, aux autres usages, et comment ils situent leur langue par rapport aux autres langues en présence ». Du côté de Pétard (1999), il nous explique que « la façon dont les locuteurs pensent leurs usages » implique des fonctions de savoir et d’orientation de la représentation. D’une part, elle permet de comprendre et d’expliquer la réalité en intégrant celle-ci dans un cadre qui soit en cohérence avec les normes et les valeurs du groupe, et d’autre part, d’orienter leurs comportements et les pratiques dans ce même cadre commun. « La façon dont les locuteurs se situent par rapport aux autres locuteurs, aux autres usages, et comment ils situent leur langue par rapport aux autres langues en présence », elle renvoie à la fonction identitaire, « les représentations so- ciales concourent à définir l’identité d’un groupe et rendent possible le maintien de sa spécificité. Elles permettent ainsi de situer les individus et les groupes dans le champ social » (Pétard, 1999 : 166). Enfin, « la façon dont les locuteurs se situent par rapport aux autres locuteurs, aux autres usages », fait référence à la fonction justificative entre représentation, comportements et pratiques, en expliquant le choix de conduite au dé- triment d’une autre.

Moore (2004 : 9) définit les représentations linguistiques comme « les images et les conceptions que les acteurs sociaux se font d’une langue, de ce que sont ses normes, ses caractéristiques, son statut au regard d’autres langues ». L’apport des études relatives à la représentation linguistique touche l’identité et le positionnement des acteurs à l’égard de l’étrangéité.

Le fait de considérer les représentations linguistiques comme des représentations so- ciales de la langue domine les différentes approches de la sociolinguistique. Ici, les re- présentations linguistiques appartiennent au domaine des représentations sociales. S’il existe donc un rapport de hiérarchie entre une représentation sociale et une représenta- tion linguistique, le qualificatif de « linguistique » provient alors du seul objet de la re-

présentation, qui est la langue, tandis que le qualificatif de « social » permet d’englober l’ensemble des objets de représentations collectives (Canut, 1998 : 42).

Cependant, l’expression représentation linguistique peut également se dessiner comme une manifestation linguistique d’une représentation sociale. C’est-à-dire, qu’il ne s’agit plus ici d’une représentation de la langue, mais d’une représentation dans la langue. La langue ne constitue plus, dès lors, l’objet de la représentation, mais son vecteur d’expression. Cette double acception est placée dans une relation de complémentarité. « En effet, une représentation sociale de l’objet langue peut être véhiculé, tout comme d’autre types de représentations sociales, par une manifestation linguistique de la repré- sentation » (Canut, 1998 : 43).

Le discours comme forme s’élaborant de façon interactive constitue le lieu de rencontre entre représentation sociale de la langue et la manifestation linguistique de la représen- tation sociale. La nature de la représentation de la langue n’est accessible que par la forme linguistique de la représentation. C’est un rapport entre l’objet et l’outil d’expression.

L’interaction verbale est l’espace au sein duquel s’élaborent simultanément les repré- sentations linguistiques, les représentations sociales, le sujet et le social. L’importance ici, est le processus linguistique d’émergence de la représentation sociale dans le champ discursif. Une représentation linguistique s’élabore et s’organise de façon cohérente au- tour d’un principe commun qui apparaît dans le caractère fondamentalement interactif de la représentation sociale.

Une représentation linguistique renvoie à un ensemble de connaissances socialement partagées et élaborées relatives à la langue. Ce partage est impératif pour que le groupe concerné puisse établir une communication. La communication s’apparente à un proces- sus interactif d’actions conjointement construites (Vion, 1992) d’une part, et d’action mutuelle (Kerbrat-Orecchioni, 1990) d’autre part. Les individus en situation de commu- nication s’influencent les uns les autres, et agissent ensemble sur la réalité engagée dans la communication. Selon Winkin, « la communication est conçue comme un système à multiples canaux auquel l’acteur social participe à tout instant, qu’il le veuille ou non : par ses gestes, son regard, son silence, sinon son absence… En sa qualité de membre d’une certaine culture, il fait partie de la communication, comme un musicien fait partie de l’orchestre. Mais, dans ce vaste orchestre culturel, il n’y a ni chef, ni partition. Cha-

cun joue en s’accordant sur l’autre » (1981 : 7-8). La communication englobe dès lors les interactions. Les inter-actants participent dans le déroulement de l’interaction à une négociation constante relative à leur statut, leur face, leur implication, les savoirs parta- gés, le sens des unités mises en circulation, les objectifs visés, etc.

La conceptualisation de la communication comme interaction, privilégie l’intersubjectivité. Si l’interaction constitue un espace de co-actions au travers des- quelles les individus se définissent mutuellement comme partenaires, agissent les uns sur les autres, et co-construisent une réalité commune, elle renvoie en effet à l’élaboration du social. Cette construction s’exprime à travers le maintien des relations sociales. Selon l’école de Palo Alto, toute communication porte sur un contenu et établit une relation. L’échange nécessite une négociation d’acceptation mutuelle de chaque in- ter-actant selon leurs positions respectives et leur volonté commune de coopération. Flahaut dit qu’« il n’est pas de parole qui ne soit émise d’une place et convoque l’interlocuteur à une place corrélative » (1978 : 58). L’interaction contribue ainsi à la construction de la personnalité des interlocuteurs.

L’ethnométhodologie pour sa part prend dans ses propos, la construction de la réalité commune au travers de l’interaction. Elle s’apparente avec la phénoménologie sociale de Schütz qui s’attache à décrire le caractère routinier des actes quotidiens tels qu’ils sont réalisés par les individus. Cette routine prend racine dans des procédures d’interprétation, parmi lesquelles celle de l’idéalisation : les acteurs ont la possibilité d’interagir et d’échanger des significations sans qu’ils aient au préalable à évaluer l’adéquation des démarches établies dans la gestion des activités quotidiennes, où le sens est associé au mot. Ce processus d’idéalisation partagée par des savoirs communs repose sur un double mécanisme : l’interchangeabilité des points de vue, et la conformi- té des systèmes de pertinences. Cette capacité d’interprétation commune permet aux in- ter-actants de gérer leurs échanges quotidiens partants du postulat qu’ils partagent une même réalité. Garfinkel (1967) définit l’ethno-méthode comme étant un savoir de sens commun permettant aux acteurs de réaliser au mieux les différents actes auxquels ils doivent faire face dans leur vie quotidienne. Le sujet n’est pas soumis à l’ordre social, mais participe quotidiennement à ce que signifie cet ordre. L’interaction verbale devient dès lors un outil fondamental du social. Elle permet aux inter-actants non seulement de reproduire un système préétabli - à ce propos Garfinkel ne nie pas l’idée de la réalité ob- jective - mais aussi de le réinventer de façon permanente.

Le sens commun ou le savoir banale se construit à travers l’espace donné par l’interaction sociale. On trouve que le sens, tel qu’il est transmis par les acteurs, s’y construit, et ce, dans sa double acceptation : sens donné à la situation dans laquelle sont placés les inter-actants, et sens du message véhiculé dans le cadre de cette situation. Ce- pendant, le fait de s’accorder sur un sens commun, signifie que l’on partage les mêmes présupposés culturels, ainsi, « en s’entendant sur la situation qui est la leur, les partici- pants à l’interaction sont tributaires d’une tradition culturelle dont ils tirent parti tout en la renouvelant : en coordonnant leurs actions par la reconnaissance intersubjective de prétentions à la validité susceptible d’être critiquées, les participants à l’interaction s’appuient sur leur appartenance à des groupes sociaux, tout en y renforçant leur inté- gration » (Habermas, 1987 : 435).

L’unicité de l’interaction est garantie par la spécificité de la situation, d’adaptation des rôles nouveaux, et donc des rapports de places dynamiques. Cependant, ce caractère unique de toute interaction résulte de la reproduction de significations préétablies, et participe en cela à la reproduction et à la modification éventuelle des valeurs culturelles dont les acteurs ont hérité et qu’ils transmettent à leur tour par voie de conséquences, à la reproduction et à la justification de l’ordre social. Habermas souligne que « du point de vue fonctionnel de l’intercompréhension, l’activité communicationnelle sert à trans- mettre et à renouveler le savoir culturel : du point de vue de la coordination de l’action, elle remplit les fonctions de l’intégration sociale et de la création de solidarité ; du point de vue de la socialisation, enfin, l’activité communicationnelle a pour fonction de for- mer des identités personnelles. (…) À ces processus de la reproduction culturelle, de l’intégration sociale et de la socialisation, correspondent des composantes structurelles du monde vécu : la culture, la société et la personne ». (1987 : 435).

L’interaction verbale représente un espace au sein duquel les individus réinventent quo- tidiennement les valeurs de leur culture et l’ordre social dans lequel ils tendent à évo- luer, elle constitue également l’espace au sein duquel se développent et se produisent les représentations sociales, qui à leur tour, autorisent les individus à s’assurer une maîtrise de l’environnement, culturel et social. La fonctionnalité d’une représentation renvoie, ici donc, aux trois aspects interdépendants définis comme caractérisant cette notion : leur élaboration dans et par la communication (Trognon et Larrue, 1988), la construc- tion et la reconstruction de la réalité (Jodelet, 1989), l’intégration et la maîtrise des ac- teurs quant à leur environnement (Abric, 1994).

Pour Py, « le discours est plus spécifiquement le lieu où les représentations sociales se constituent, se façonnent, se modifient ou se désagrègent » (2004 : 6). De plus, Gajo in- siste sur le fait que « la représentation comme une production ou une construction liée à des enjeux langagiers contingents » (1997 : 9). L’accent est mis ici sur le processus lin- guistique d’émergence de la représentation dans le champ discursif.