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Pour Edward Soja, la territorialité est « un phénomène de comportement associé à l’organisation

de l’espace en sphères d’influence ou en territoires clairement délimités, qui prennent des caractères distinctifs et peuvent être considérés au moins partiellement comme exclusifs par leurs occupants ou ceux qui les définissent… L’homme est un animal territorial et la territorialité affecte le comportement humain à toutes les échelles de l’activité sociale. »196.

Par « L’homme est un animal territorial », le géographe et spécialiste de la planification urbaine, décrit l’attachement, l’appropriation, l’identité et la défense qui caractérisent l’attitude animale à l’égard de son territoire.

5.4.1 Territorialité animale instinctive

L’analyse des comportements défensifs des animaux à l’égard de leur territoire a permis à de nombreux spécialistes tels que C. Darwin, P. Jaisson, G. Di Méo ou encore M. Roncayolo d’enrichir la réflexion sur la territorialité. En effet, l’animal se démarque par l’appropriation d’un espace donné. Il délimite ses frontières (l’intérieur et l’extérieur à travers un marquage territorial) et les défend contre tout danger menaçant (menace, agressivité, combats…). La défense du territoire se traduit alors chez les animaux par une attitude que M. Roncayolo décrit comme

195 Di Méo G., 1998, Géographie sociale et territoires, op.cit p37

196 Soja E., 1971, The Political Organization of Space, (Washington, DC: Association of American Geographers, Resource Paper No. 8, 34 Blackwell

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« négative à l’égard d’autres individus ». L’animal s’identifie ainsi à ce territoire. Le défendre c’est défendre son être contre tout envahisseur mais aussi imposer son respect dans la loi du plus fort (loi de la jungle). Mais qu’en est-il de la territorialité de l’homme ?

Certes, l’analyse des comportements animaliers a contribué pour une large partie à l’explication de la territorialité chez l’homme, mais celle-ci demeure tout de même distincte par des caractéristiques spécifiques propres à l’espèce humaine.

5.4.2 Territorialité humaine significative

Tout d’abord, la relation entre l’homme et son territoire est plus significative et moins instinctive : contrairement aux animaux, fortement définis par leurs milieux naturels, l’homme « a réussi à

créer une relation à l’environnement qui n’est que très accessoirement structurée par sa propre constitution biologique. »197. Ce qui attache l’homme à son territoire n’est pas instinctif ou biologique. La relation entre l’homme et son territoire fait intervenir, nous le rappelons, d’autres aspects liés à la vie sociale et collective, à la culture, aux représentations, aux croyances, aux idéologies… Nous pouvons dire alors que l’homme est beaucoup plus lié à un ensemble de valeurs qu’à un espace physique.

5.4.3 "L’agressivité" dans les conflits, quand la territorialité humaine dépasse ses limites…

L’homme appartient de fait à une société civilisée et organisée par un système d’institutions qui assurent ces valeurs. Mais quelles sont les limites de la territorialité humaine ? Ou autrement dit, que sépare la territorialité humaine de la territorialité animale ?

La suprématie de l’humain est caractérisée par la dominance du culturel sur le naturel, de l’acquis sur l’inné, et du spirituel sur le matériel. Ces valeurs permettent à l’homme d’avoir un comportement défensif différent de l’animal et ce faisant par un système politique, juridique, traditionnel (pour certaines sociétés tribales)… Mais comment peut-on expliquer alors "l’agressivité territoriale" à l’égard de son égo ? Notre civilisation, notre culture et toutes ces

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valeurs qu’elle implique n’empêchent pourtant pas les guerres et les génocides qui ont marqué et qui marquent toujours notre histoire.

Certains philosophes comme Jacques Roncière, éthologues et biologistes tels que Rémi Chauvin, Henri Laborit, Konrad Lorenz, ou primatologues comme Diane Fossey, Jane Goodall ou Shirley Strum, justifient la violence comme un comportement génétique et pulsionnel. L’approche socio-biologiste adoptée par ces spécialistes considère que « l’humain est une espèce animale parmi

d’autres. Les distinctions métaphysiques… sont devenus obsolètes pour caractériser l’humain »198

Pour cette théorie, l’homme comme l’animal éprouve le besoin d’exister, de durer et de se reproduire. Afin de répondre à ces besoins de survie, sa formation génétique lui permet d’adopter un certain nombre de comportements sociaux. Il s’agit d’un instinct d’expansion de lui-même et de sa sphère d’influence. Cette sphère d’influence qui permet la survie de l’être vivant à travers les propriétés matérielles de subsistance est le territoire. C’est alors que la signification du territoire est réduite à un espace de stabilité dans lequel l’individu ou la société s’assure les moyens de vivre en s’adaptant à son environnement. Il lui permet de remplir ses fonctions vitales : repos, nutrition, etc.

La perte de ce territoire entraînerait une certaine impuissance, une instabilité et un problème éventuel de satisfaction des besoins. Sous le risque de cette menace, l’être vivant est prêt à se battre voire même à mourir. Konrad Lorenz explique dans ce contexte que le territoire qu’un animal possède existe en fonction de sa combativité, qui varie d’un lieu à un autre suivant les facteurs locaux qui peuvent l’inhiber199. L’agressivité permet à ces êtres vivants de défendre leurs territoires, de les reconquérir ou même d’être à la quête de nouveaux territoires. Pour les bio- sociologues, la pulsion agressive est un mécanisme de lutte territoriale permettant de préserver l’existence des animaux (combat), et des humains (guerre).

A notre avis, l’homme ne peut être réduit à un animal. Nous ne pouvons pas réduire les conflits territoriaux à un problème de satisfaction de besoins vitaux. La relation qui nous lie au territoire n’est pas uniquement matérielle. Et la question des territoires n’est pas, pour l’homme, une question de manger, de dormir ou de se reproduire…C’est une question de valeurs identitaires.

198 Entretien avec Jacques Roncières, « Violence et transformation génétique de l’humain : une approche sociobiologique » in Le philosophoire, n°13, hiver 2001.

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6 Territoire, territorialité et conflits environnementaux, le bruit