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Chapitre I : La lutte contre le bruit en France, approche technique et normative

1 La politique de lutte contre le bruit durant les trente dernières années

1.1 Les prémices de la politique de lutte contre le bruit

En France, le bruit est devenu une préoccupation publique dans les années soixante. Les enquêtes effectuées auprès de la population ont révélé une croissance notable de la sensibilité au bruit dans les villes. Avant 1948, 23% seulement des personnes interrogées se déclaraient gênées par le bruit ; en 1961, le pourcentage atteignait déjà 50%.

En l’absence d’un ministère de l’Environnement, les premières actions ont été menées par les administrations centrales. Les recherches dans le domaine de la lutte contre le bruit sont confiées à de nombreuses commissions du Ministère de l’Industrie et de la recherche (Délégation générale à la recherche scientifique et technique), du Travail et de la Santé (Sous-direction de l’hygiène publique, Sous-direction de l’hygiène et de la sécurité du travail), de l’Intérieur, des Transports, de l’Equipement (Direction de l’aménagement foncier et de l’urbanisme [D.A.F.U.], Direction de la construction, Direction des routes et de la circulation routière).

L’arrêté du 3 août 1957, relatif à la mesure du bruit produit par un véhicule automobile, baisse de 90 à 85 phones le niveau maximum du bruit pour les voitures particulières et fixe, pour la première fois, les conditions de fonctionnement des véhicules pendant la mesure des bruits.

L’approche adoptée est alors principalement fondée sur des techniques de résorption du bruit à la source, c'est-à-dire sur le véhicule et ses différents organes. L’article R70 du Code de la route pose comme principe que « Les véhicules automobiles ne doivent pas émettre de bruits susceptibles de causer une gêne aux usagers de la route ou aux riverains. Notamment, les moteurs doivent être munis d’un dispositif d’échappement silencieux, en bon état de fonctionnement et ne pouvant être interrompu par le conducteur en cours de route. L’échappement libre est interdit, ainsi que toute opération tendant à supprimer ou à réduire l’efficacité du dispositif d’échappement silencieux.»

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Le début des années 70 est marqué par une prise de conscience collective du problème du bruit. L’insatisfaction sociale à l’égard de l’environnement sonore s’est traduite par l’augmentation permanente des plaintes, surtout contre le bruit des transports. Pour la seule période du 1er janvier au 30 juin 1974, le Bureau des nuisances de la préfecture de Paris a enregistré 2 907 plaintes, dont 2 104 pour les bruits soit 72% de l’ensemble des plaintes déposées.

Dès la création du ministère de l’Environnement en 1971, le Service des problèmes de Bruit (SPB) a tenté d’apporter des solutions techniques et juridiques aux divers problèmes liés au bruit : l’arrêté du 13 avril 1972 relatif au bruit des véhicules automobiles a imposé une réduction sonore pour les voitures, les cyclomoteurs et les motos ainsi que pour les poids lourds et les autobus.

Du point de vue de l’évaluation de ces avancées, peu de textes traitent de l’efficacité de cette réglementation. Mais dès 1973, A. Alexandre et J.-P. Barde remettent en question l’efficacité de cette réglementation : « Elle en évite peut être l’augmentation, mais elle ne constitue en aucun cas l’instrument politique approprié pour obtenir un meilleur environnement, dans la mesure où elle ne fait qu’entériner la technologie la plus mauvaise et la moins novatrice. »72

A la même période, les Services Techniques des Routes et Autoroutes (SETRA) élaborent un premier Guide du bruit des routes urbaines et de ses implications. Ce guide, conçu pour les ingénieurs chargés des projets de routes urbaines, tente de normaliser les méthodes de réduction du bruit routier. L’étude mentionne l’importance de l’intervention des domaines opérationnels tels que l’urbanisme et la construction mais aussi les savoirs comme la sociologie et la psychologie pour réduire la gêne : « Il semble […] que l’action sur l’infrastructure routière ne soit pas la seule à retenir pour combattre cette gêne, et que doivent s’y ajouter des actions sur l’exploitation des routes et, chaque fois qu’on peut, sur leurs abords, par les règles de construction et d’urbanisme à y prévoir. »73 On réalise donc, dès les années 70, l’importance que l’urbanisme pourrait avoir dans la réduction de la gêne.

72 Alexandre A, Barde J.P., 1973, Le temps du bruit, Flammarion, Paris p 133.

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Cependant, cette notion reste limitée, du moins dans cette étude, à l’exposition du bruit et donc à des atténuations mesurables et objectivables comme l’indique le tableau suivant :

Action sur la transmission du bruit Atténuation (dBA)

Ecran pare-bruit 9à12

Distance (à 25 m du bord de la chaussée) 4

Fenêtre ordinaire ouverte 7

Fenêtre ordinaire entrebâillée 12

Fenêtre ordinaire fermée 22

Fenêtre fermée et calfeutrée 27

Doubles vitrages scellés, écartés de 5 cm 31à37

Mur aveugle léger (150 Kg/m2) 40

Mur aveugle lourd (300/ Kg/m2) 50

Source : Services Techniques des Routes et Autoroutes S.E.R.T.A (1972), «Guide du bruit des routes urbaines et de ses implications techniques », p. 48

Tab. 1- Quelques atténuations usuelles du bruit.

En 1976, un autre Guide du bruit et des transports terrestres est élaboré par le CETUR74. Le contenu de cette étude s’inscrit dans la même logique que l’étude précédente : présenter les principaux fondements techniques de la protection acoustique et proposer des solutions pratiques à adopter. Le guide est paru en plusieurs fascicules : les aspects de la gêne (1976), recommandations techniques pour les ouvrages de protection phoniques (1978), méthodes de prévision des niveaux sonores (1980), bruits et formes urbaines (1981), actions sur la construction (1982). Les dispositions réglementaires mises en place à cette période pour encadrer l’usage de ces méthodes, consolident cette approche acoustique : la loi n°76.629 du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature, l’arrêté du 13 avril 1972 relatif au bruit émis par les voitures, le décret du 7 juillet 1977 relatif aux zones de protection dans les Plans d’Occupations des Sols, l’arrêté du 6 octobre 1978 fixant les servitudes acoustiques pour les constructions nouvelles.

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Sur le plan opérationnel, ces textes ont constitué une référence technique pour les actions sur les infrastructures routières et sur les logements. De fait, l’installation des écrans antibruit le long des voies rapides a connu un record sans précédent : 220 000 m2 d’écrans antibruit ont été réalisés en 15 ans (de 1972 à 1987) pour un coût représentant à l’époque entre 75 et 200 dollars le mètre carré. D’autres opérations d’enfouissement, de revêtement et d’isolation des habitations sont engagées au-delà de leur coût financier onéreux.

Le 14 juin 1969 paraît le premier décret relatif à l’isolation acoustique des habitations. Ses arrêtés d’application (isolation acoustique, aération…) définissent les niveaux acoustiques maximaux admissibles dans les logements selon la source du bruit. Au début des années 7075, le "Label confort acoustique" est crée pour permettre l’isolation des logements HLM grâce à un supplément de prêt à la construction de 6,5% en plus du prêt principal.

En ce qui concerne le rapport bruit/occupation des sols, les actions sont envisagées en termes de zonage. On tiendra ici à citer l’article R.110-05-A du Code de l’urbanisme76 (J-O du 17 février 1972) qui fixe les distances à observer pour les constructions d’immeubles à usage d’habitation par rapport à l’axe des autoroutes, des grands itinéraires routiers et routes à forte circulation.

L’institution des servitudes et des zones non aedificandi de part et d’autre des grandes voies de communication est imposée pour un double objectif : d’un côté, préserver l’intérêt de la circulation permettant une éventuelle extension de l’infrastructure et d’un autre côté, atténuer les nuisances engendrées par le bruit et protéger les riverains.

L’obtention du permis de construire est donc conditionnée à un éloignement de : - 50 m de part et d’autre de l’axe des autoroutes ;

- 35 m de part et d’autre de l’axe des grands itinéraires ainsi que de l’axe des routes assimilées ou des voies inscrites sur une liste publiée par décret.77

75 Journal officiel du 17 février 1972 et bulletin officiel du Ministère de l’équipement et du logement n°144

76 Art 5 du décret n°61-1298 du 30 novembre 1961 portant règlement national d’urbanisme.

77 Cette liste comprend l’ensemble des voies à grande circulation en vertu de l’article R.110-26 du Code de l’urbanisme. (Décret n°62-1259 du 24-octobre1962).

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Cet article s’applique uniquement aux immeubles à usage d’habitation. Pour les constructions destinées à d’autres usages, les retraits de 50 et 35 mètres sont réduits respectivement à 40 et 25 mètres.78

Après la mise en place de la loi de 1976 relative à la protection de la nature, l’arrêté du 6 octobre 1978 "relatif à l’isolement acoustique des bâtiments d’habitation contre les bruits de l’espace extérieur" a imposé l’isolation acoustique aux constructions neuves situées dans une bande de 200 m de part et d’autres de certaines voies. La solution des servitudes non aedificandi a été délaissée en faveur de solutions plus opérationnelles pour permettre l’économie des espaces fonciers. Aussi, cet arrêté a permis, pour la première fois, l’utilisation de la cartographie du bruit : les mesures d’insonorisation sont effectuées sur la base d’une classification des infrastructures routières en catégories : autoroutes, boulevards et certaines routes à grande circulation. Cette classification devait être intégrée dans les Plans d’Occupation des Sols.

Outre ces dispositions réglementaires, la réduction du bruit dépend directement d’un savoir-faire en matière d’aménagement et d’urbanisme. Lors de l’élaboration des plans masse, l’un des critères les plus importants était de trouver une meilleure disposition des bâtiments pour qu’ils se protègent les uns les autres. Les bâtiments inertes au bruit constituent de cette façon des écrans pour les immeubles d’habitat.