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Chapitre III : Les dimensions objective et subjective du bruit

4 Le territoire au cœur de la question

4.3 Une notion ouverte qui donne lieu à des interprétations …

Ces dimensions n’ont pas toujours fait partie des composants du territoire. La signification attribuée à ce concept était assujettie aux idéologies dominantes.

4.3.1 Renan et la théorie de la nation

Au XIXème siècle, l’idéologie d’Ernest Renan lie le territoire à l’espace géographique puisque l’identité est fondée, selon lui, davantage sur le critère de citoyenneté présente que sur les valeurs et origines individuelles ou collectives183. Cette théorie permet, selon l’auteur, de dépasser les clivages identitaires du passé et d’adhérer à une nation unie actuelle.

Mais le contexte dans lequel nous vivons est différent de l’époque durant laquelle a vécu le philologue. Le début du XIXème fut marqué par la révolution industrielle et par un grand mouvement migratoire. Le développement d’une telle théorie était nécessaire pour permettre une meilleure intégration possible aux nouveaux habitants issus de différentes origines.

4.3.2 Pour la signification spatiale du territoire en faveur de la mondialisation

La vision de Renan est prolongée par la réflexion d’Ingrid Ernest qui favorise l’appartenance au territoire sur l’appartenance au groupe. Dans son article « Les politiques urbaines durables entre universalisme et identités », l’auteur met l’accent sur la nécessité d’un nouveau système de valeurs équilibré et adapté au contexte de la mondialisation afin d’assurer la durabilité des villes. Elle ajoute que « l’universalisme déracine culturellement mais enracine spatialement »184.

Si on accepte cette idée, la notion de territoire serait réduite à la signification d’espace. L’appartenance territoriale révélerait simplement une appartenance à un espace donné et cela au-delà des facteurs socioculturels quelle incarne. Mais l’idée selon laquelle notre identité serait

183 Renan E., 1883, Qu’est ce qu’une nation ?, réédité en 1992 Presses Pocket, Paris.

184Ernest I., 2002, « Les politiques urbaines durables entre universalisme et identités », Cultures urbaines et

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entièrement construite à partir du lieu dans lequel nous vivons pourrait nous induire à une grande perplexité. Si on prend l’exemple de l’émigration dans les métropoles, nous pouvons dire que l’identité des émigrants serait entièrement fondée à partir de leur nouvel espace de vie : le pays d’accueil.

Or, ces nouveaux citoyens préservent toujours des valeurs identitaires acquises dans leur pays d’origine. Ceci explique en grande partie la richesse des cultures, des pratiques et des modes de vie dans les grandes villes.

4.3.3 Le territoire dans l’approche phénoménologique

Un autre courant de pensées privilégie cette fois-ci l’homme, sa culture et son vécu. L’approche territoriale humaniste tend en effet, à expliquer les comportements individuels et sociaux non pas par rapport à un ensemble de causalités extérieures à l’être humain mais par rapport à lui même. Les considérations économiques, sociales, historiques… sont alors expliquées par rapport à l’homme. L’individu occupe, selon E. Husserl, une position centrale à partir de laquelle tout phénomène peut être expliqué. Cette théorie est à la base du développement de la méthode philosophique de la phénoménologie dès le début du XIXème siècle (Hegel, Marx, Brentano, Husserl, Freud, Heidegger, Lacan).

La phénoménologie est définie comme étant la « Méthode philosophique qui se propose, par la

description des choses elles-mêmes, en dehors de toute construction conceptuelle [...] »185 . Cette philosophie se concentre donc sur la chose vécue pour elle-même, en suspension de tout jugement. Pour Binswanger, dans sa phénoménologie, l'homme est " phénomène " : il est cet être déterminé à cet instant précis, cet " étant " qui résulte autant de l'objet-événement vécu que de la manière avec laquelle il le vit.

Comprendre sa manière de vivre, c'est se comprendre soi-même et, par là, approcher la compréhension des choses universelles. La phénoménologie de Merleau-Ponty, quant à elle, est plutôt une phénoménologie existentielle : dans son ouvrage « La phénoménologie de la perception » (1945), il montre comment le corps, sensible et mobile, est profondément impliqué

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dans l’acte de connaissance. Pour lui, il est impossible de mettre l’expérience privée entre parenthèses, car elle précède toute pensée sur le monde et est le sens ultime de l’être. Les phénomènes relatifs à l’homme ne peuvent donc être expliqués que par leur relation avec l’homme. Le territoire est, pour cette théorie, entièrement lié à l’homme et à son vécu : la terre est le territoire de l’homme.

Certes, le territoire est défini par rapport à l’homme, mais cette définition reste incomplète en l’absence d’autres composantes indispensables pour établir le lien entre cet homme et son environnement (y compris l’espace). Pour notre part, la relation entre l’homme et la terre dépasse ce qu’appelle E. Dardell186 " la géographicité de l’homme" où l’espace est subordonné à l’homme. Le territoire ne se réduit pas à une notion géographique caractérisant les rapports homme/terre. La complicité entre l’homme et l’espace suppose des rapports interactifs de l’homme vers la terre mais aussi de la terre vers l’homme. Il s’ajoute à cela des aspects liés directement ou indirectement à l’homme mais indispensables à la signification du territoire tels que le temps (le passé, le présent et le futur du territoire). Nous ne pouvons pas tout attribuer à l’homme et nous ne pouvons pas construire une approche phénoménologique stricto sensu du territoire.

A travers ces courants de pensées, nous constatons que le territoire est une notion ouverte qui ne peut être enfermée dans des conceptualisations idéologiques limitées. En somme, notre conception du territoire est telle que la pense Di Méo, une «expression globale du spatial, du social et du

vécu, comme une temporalité plus ou moins fragile, comme la rencontre du signifiant et du signifié, du matériel et de l’idéel. »187

Cette rencontre du matériel et de l’idéel dont parle Di Méo, est à la source des valeurs émotionnelles exprimées à l’égard du territoire. Notre intérêt ici est de savoir dans quelle mesure, le lieu dans lequel nous vivons participe à faire de nous ce que nous sommes. Ou, autrement dit, dans quelle mesure les lieux participent-ils à la construction identitaire de ceux qui les occupent ?

186 Dardell E., 1952, L’homme et la terre, nature de la réalité géographique, PUF, Paris

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