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Chapitre I : La lutte contre le bruit en France, approche technique et normative

1 La politique de lutte contre le bruit durant les trente dernières années

1.3 La politique de lutte contre le bruit depuis les années 90

1.3.1 La loi Royal, un nouveau tournant de la lutte contre le bruit

Instituée le 31 décembre 1992, cette loi fixe les dispositions à appliquer afin de « prévenir,

supprimer ou limiter l’émission ou la propagation sans nécessité ou par manque de précaution des bruits ou des vibrations de nature à présenter des dangers, à causer un trouble excessif aux personnes, à nuire à leur santé ou à porter atteinte à l’environnement » 97

La loi-cadre du bruit exprime la volonté de réduire les effets du bruit. Elle constitue un cadrage unificateur et simplificateur de l’ensemble des règlements et dispositions mis en place antérieurement. Elle permet de renforcer, de rassembler et de structurer la réglementation déjà existante mais aussi de combler les vides juridiques dans certaines situations. Les modalités d’application de la loi sont assurées par un nombre important de décrets et d’arrêtés d’application concernant les véhicules (échappements/silencieux), les discothèques et musiques, les sports mécaniques, les études d’impact, les loisirs et sports, l’aviation légère, les infrastructures de transports terrestres (voies routières, voies ferrées, classement des voies, modalité de classement), l’aviation et aide aux riverains, les bâtiments ( publics, scolaires, de santé et de sport), les bruits de voisinages, etc. Selon les intérêts que nous visons dans notre travail, nous nous limiterons à analyser les grands axes de cette la loi et nous ciblerons les prescriptions se rapportant à l’urbanisme, aux infrastructures de transport routier, aux compétences communales et à la protection des riverains.

A Un droit général aux infrastructures de transports, à l’urbanisme, et à la construction et à la protection des riverains

Ces dispositions sont explicites dans les Titres 2-3 relatifs aux infrastructures de transports,

urbanisme et construction et protection des riverains.

La prise en compte des nuisances sonores dans la conception, l’étude et la réalisation des aménagements et des infrastructures de transports terrestres a été mentionnée dans l’article 12 de la loi Bruit. Cet article a été suivi, trois ans plus tard, de la publication de deux textes d’application : le décret n ° 95-22 du 9 janvier 1995 relatif à la limitation du bruit des

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aménagements et infrastructures de transports terrestres et l’arrêté du 5 mai 1995 relatif au bruit routier. Le principe fondamental de l’arrêté repose sur l’obligation, pour les infrastructures routières et autoroutières, de diminuer le seuil légal d’émission, en façade de logements et de bâtiments publics. L’exposition des riverains au bruit ne doit pas dépasser les seuils mesurés en façade d’habitations de 60 décibels le jour et 55 la nuit. L’arrêté apporte pour cela des modifications significatives sur la base des indicateurs diurnes et nocturnes.

Pour assurer la protection du voisinage, la loi prévoit la limitation de la transmission du bruit à travers les divers travaux d’isolation phonique (écrans bruit, mises en souterrain, revêtement de chaussée antibruit…). Le maître d’ouvrage de l’infrastructure assume la charge financière de l’ensemble des travaux de réduction des nuisances engendrées par la construction de cette nouvelle infrastructure.

Pour les infrastructures existantes et nécessitant des modifications importantes, des mesures de rattrapage ont été prévues : le décret n °95-22 précise que « quelle que soit l’antériorité de

l’infrastructure, toute modification ou transformation susceptible de créer un niveau de bruit supérieur à 2 dB (A) au niveau précédent conduit à des obligations de ramener le bruit routier à 60 ou à 65 dB (A) selon les cas. ». Les travaux prévus doivent figurer dans les documents

d’urbanisme et faire l’objet d’une enquête publique.

L’intervention de l’urbanisme dans la limitation des nuisances sonores renforce le caractère novateur de l’approche globale par rapport aux visions sectorielles antérieures. La prévention des nuisances passe en premier lieu par la prise en compte du bruit dans l’élaboration des documents d’urbanisme et dans les décisions concernant l’utilisation du sol. A cet égard, la loi fixe l’obligation de définir les niveaux sonores à tenir en compte lors de la construction de bâtiments dans les secteurs les plus exposés aux bruits des transports. Le bruit routier doit être mentionné dans les documents cartographiques et le règlement du Plan d’Occupation des Sols. L’inscription des différents niveaux sonores d’une voie de circulation dans le certificat d’urbanisme doit également permettre de garantir à la fois les intérêts de l’acheteur et du constructeur.

Les infrastructures existantes font également l’objet d’une classification basée essentiellement sur des données du trafic : débit, vitesse, allure et type de circulation, caractéristiques géométriques : (largeur et profil) et la fréquence de l’exposition au bruit (diurne ou nocturne). « Le classement

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des voies par arrêté en fonction de leur trafic et leur niveau sonore conduira prochainement à une certaine maîtrise de l’urbanisation à proximité des infrastructures »98.

Théoriquement, les dispositions mises en place dans le cadre de la loi assurent efficacement l’amélioration des conditions de lutte contre le bruit. Mais les lois ne peuvent toutefois pas assurer leur respect dans la pratique. Les normes édictées par la loi ne peuvent être effectivement respectées en l’absence des mesures de contrôle et de coercition.

B Le bruit, un vaste champ de compétences

Pour assurer la réalisation de ses objectifs, la loi prévoit des moyens de mise en œuvre et de contrôle. Elle renforce, à cet effet, le cadre professionnel concerné par les nuisances : environnement, agriculture, industrie, équipement, transports, santé, jeunesse et sports, etc. En outre, le décret n° 95-409 du 18 avril 199599 octroie d’autres responsabilités aux agents de police judiciaire, à la gendarmerie, à la police nationale, aux inspecteurs de la salubrité des services communaux de l’hygiène et de la santé ainsi qu’aux agents des collectivités locales. La principale préoccupation de ces services de contrôle est de relever les infractions, régler les conflits et veiller au respect des règles de voisinage et de riveraineté.

Cependant, l’implication des nombreuses compétences ne conduit-elle pas, à nouveau, à l’incohérence des actions ? L’intervention de ces services, chacun selon sa propre logique, ses propres préoccupations et intérêts, ne risque-t-elle pas de remettre en cause l’approche globale préconisée par la loi ?

L’un des problèmes majeurs remettant en cause la pertinence du contenu ambitieux de la loi est l’incohérence. Si le contenu de la loi se veut cohérent et global, son application est sujette à une ambiguïté constante en matière de partage des responsabilités entre les divers acteurs impliqués par la question. L’importance du problème et de ses implications entraîne des confusions quant à la répartition des compétences. L’organisation sectorielle compartimentée des services de l’Etat en charge de la lutte contre le bruit conjuguée à la multitude des intervenants aux intérêts souvent contradictoires (services de l’urbanisme, de transports, de l’environnement, de la construction,

98 Arrêté du 5 mai d’application du décret 95-21 du 9 janvier 1995

99 Décret n° 95-409 du 18 avril 1995 relatif aux agents de l’Etat et des communes commissionnées et assermentés pour procéder à la recherche et à la constatation des infractions aux dispositions relatives de lutte contre le bruit.

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associations, habitants…) entraîne des vicissitudes, voire même des blocages freinant sérieusement le respect de la loi. Le bruit reste, au-delà de la loi, une question sectorielle.

Il s’ajoute à ces préoccupations le manque de mobilisation qui ne facilite pas l’application de la loi en fragilisant la force juridique qui lui est dévolue. Les carences citées antérieurement tendent, d’une façon ou d’une autre, à accroître les faits contradictoires aux décisions.

C L’urbanisme contre le bruit

Bien que la place de l’urbanisme dans la lutte contre le bruit ait été évoquée antérieurement de manière succincte, il semblerait plus opportun d’aborder de manière plus détaillée les mesures entreprises dans ce domaine. Notre objectif est ici de mettre l’accent sur la responsabilité de l’urbanisme par rapport à la question du bruit et de présenter les mesures réglementaires adoptées.

Le Code de l’urbanisme dans son article R123-18 stipule, pour les anciens outils réglementaires d’urbanisme (POS), la délimitation dans les documents graphiques des parties de zones où la nécessité de protection contre les nuisances justifie l’interdiction ou la soumission à des conditions spéciales, les constructions ou installations de toute nature. L’article 123-21-a mentionne que le règlement d’urbanisme détermine l’affectation dominante de sols et la nature des activités pouvant être interdites ou soumises à des conditions particulières dans une zone donnée. Lors de l’élaboration du POS, les principales sources de bruit urbain (infrastructures de transport, activités industrielles, commerciales ou artisanales, équipements de loisirs) sont prises en compte. La localisation des équipements nécessitant une certaine tranquillité tels que les hôpitaux et les écoles compte également parmi les tâches attribuées à cet instrument.

En somme, le POS devait permettre aux collectivités locales de prévenir et gérer les nuisances en agissant sur l’émission sonore par un aménagement adéquat, et sur la propagation sonore à travers l’évolution des formes urbaines et architecturales. Le rôle de l’urbanisme dépasse les techniques d’isolation acoustique pour reconsidérer les principes d’organisation spatiale de la ville.

Pour le permis de construire, l’article R111-2 du Code de l’urbanisme souligne qu’il peut être refusé ou n’être accordé que sous réserve de l’observation de prescriptions particulières dans le cas où les constructions envisagées sont de nature à porter atteinte à la salubrité publique. L’article

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R111-3 restreint également la délivrance du permis de construire lorsque la localisation des constructions est susceptible de les exposer à des nuisances sonores graves. Pour l’implantation de locaux d’activités susceptibles d’occasionner du bruit, les analyses des nuisances prévisibles des éléments bruyants sont nécessaires. La position géographique de ces locaux par rapport aux zones à protéger est prévue afin de mieux insérer le projet dans son environnement sonore. Pour les voies de circulation, il est question de rechercher le meilleur tracé en termes d’impact acoustique direct, de garantir les mesures de protection les plus appropriées (butte de terre, écran ou mur antibruit) et d’améliorer leur intégration dans les projets d’aménagement. La collectivité locale, maître d’ouvrage des voies communales et des lignes de transport en commun, détermine, selon ses potentialités et moyens, la politique à adopter afin de respecter les dispositions juridiques promulguées. La mise en œuvre de ces prescriptions est effectuée dans la plupart des cas, suivant une logique d’échelonnement progressif.

« La prise en compte par étape des conditions réelles d’évolution de la circulation, du bruit des véhicules et des qualités des revêtements de chaussées ou, au contraire, préférer une politique qui, après un bilan financier et économique, visera un traitement plus définitif de l’infrastructure.»100

Reste à mentionner qu’une situation de confusion persiste toujours entre les compétences en matière d’urbanisme et de construction. Les mesures d’insonorisation et les traitements acoustiques sont imputés à l’action urbanistique alors qu’elles reposent principalement sur les matériaux de construction. Ceci est justifié par deux faits : la réglementation est toujours relative à l’urbanisme malgré son contenu qui traite de la construction et de l’habitation ; et la perception des autorités publiques qui perçoivent l’urbanisme et la construction d’un seul tenant. Dès lors, nous pouvons constater que la prise en compte du bruit routier dans l’urbanisme est principalement fondée sur le zonage. Celui-ci se limite à une représentation graphique des espaces. Il obéit donc à une logique strictement foncière. Une logique qui ne tient pas compte assez souvent du vécu des territoires donc des habitants. La gêne reste toujours l’aspect omis du bruit pourtant inscrite dans sa définition.

100 Levèque J., 1996, « Les voies nouvelles et la protection des riverains contre le bruit », contribution au colloque Acoustique, aménagement urbain, architecture, Echo bruit n °16.

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