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PREMIERE PARTIE

STRATÉGIES DE POUVOIR

3. Territoires socioculturels de protection ou Parcs nationaux naturels anthropisés (PNNa) ?

4.1. Territoires, lieux et territorialités : des rapports pluriels à l’espace et au territoire naturel protégé

Dans les paragraphes 1 et 2 de ce chapitre, nous avons mis l’accent sur le Territoire en tant que construction politique de l’État, comme « […] une portion d’espace dotée des

frontières et dominée par un pouvoir dont les compétences dépendent de l’échelle à laquelle pouvoir et territoire sont définis » (Arnauld de Sartre et Gagnol 2012, 4). Nous aborderons

maintenant le territoire au travers de sa dimension subjective et objective (Di Méo 1990), dont sa spatialité symbolique (Debarbieux 1995), mais aussi au travers de sa dimension sociale comme le résultat d’une construction individuelle et collective. L’accent sera également mis sur son caractère mouvant et évolutif, voire interactif, ainsi que sur les territorialités multiples qui dérivent de ce processus. En tant que résultat de la modernité et des réactions locales à cette modernité, le territoire peut être aussi envisagé comme un lieu de confluence des flux et des réseaux transnationaux et internationaux, ces derniers mettant en question la notion même de territoire pour certains géographes (Badie 1995).

Dans le cas particulier des parcs nationaux habités, leur construction sociale est intimement liée à la dimension subjective. De ce fait, en tant que construction subjective, « […]

le territoire est toujours quelque part entre la réalité et sa représentation, réelle, et tout autant imaginaire » (Gumuchian 1989, 35). Il apparaît comme « […] une vision du monde avant d’être une organisation ; il ressort plus de la représentation que de la fonction, mais cela ne signifie pas qu’il soit démuni de structures et de réalité. Il y a des configurations propres, variables selon les sociétés et les civilisations, mais sa réalité ressort plus de l’analyse culturelle, historique et politique que proprement économique » (Joël Bonnemaison 2004, 130). La

représentation en tant qu’outil d’analyse géographique permet de comprendre les divers sens et significations multiculturelles donnés aux territoires par les individus et les groupes sociaux.

Autant que la représentation, il y a aussi l’appropriation ou mieux, les appropriations multiples que l’on construit avec l’espace et les territoires. Ainsi, la territorialité « […] désigne

le processus d’appropriation de l’espace par un individu ou un groupe social. Cette appropriation, au sens large du terme, s’opère selon des modalités très différentes : elle peut être multiple, discontinue, éphémère, indirecte, symbolique, etc. Elle n’implique pas un territoire nécessairement borné ; il peut être réticulaire, archipélagique, topologique, et mieux correspondre, ainsi, à la diversité tant des modes d’appropriation de l’espace que des acteurs se l’appropriant » (Arnauld de Sartre et Gagnol 2012, 4). L’appropriation et la réappropriation

socioculturels (Jolivet et Léna, 2000), et par-là, à la question de revendications identitaires portées de nos jours par la modernité au sein des territoires, tels les territoires protégés. Il s’agirait ainsi de saisir la confluence des territorialités multiples qui se superposent, se complémentent ou se rejettent dans l’espace naturel protégé. La dynamique des flux et des réseaux territorialisés donnant lieu aux maillages territoriaux interagissant à toutes les échelles et dimensions territoriales qui composent le territoire naturel protégé.

Dans cet ordre d’idées, tenir compte de la territorialité dans un contexte de modernité au sein des parcs nationaux habités signifie « […] prendre en compte la diversité d’acteurs et des

niveaux scalaires ainsi que l’articulation des territoires par les acteurs et les nouvelles formes d’organisation spatiales » (Ibid., p.5). Il s’agit donc des territorialités multiculturelles, parmi

lesquelles, les territorialités autochtones et traditionnelles (Gagnon, 2012 ; Desbiens et Rivard, 2012), dont la conception réticulaire de l’espace guide le rythme des rapports socioculturels et territoriaux (Bonnemaison, 1989 ; Bruce et al., 2008). De même, les territorialités plurielles (Cottereau, 2012) résultent aujourd’hui des réappropriations et des négociations politico-spatiales des territoires culturels. Il en est de même pour les territorialités créoles et Noirs marron (Collomb et Jolivet, 2008), pour qui l’histoire coloniale, le métissage et la déterritorialisation moderne nourrissent les représentations et les rapports actuels au territoire. Enfin, on peut parler aussi des territorialités subalternes et clandestines des migrants, trafiquants ou commerçants, ou encore, des territorialités temporaires, construites dans un laps de temps déterminé par des acteurs de passage tels que les militaires, les chercheurs, les instituteurs, les gestionnaires, les politiciens, les businessmen, etc. Toutes constituent des territorialités légitimes car individuelles et/ou socialement partagées. Elles font partie des territoires naturels de protection, à partir desquels de nouvelles territorialités et réseaux territoriaux apparaissent, favorisant par la suite des territorialités multiculturelles multiples et plurielles. La territorialité apparaît ainsi comme « la transformation et la réinterprétation sociale et humaine de l’espace » (Di Méo 2000, 43).

En outre, le territoire est aussi composé par des lieux. Le lieu, concept fondamental de la géographie reste néanmoins un élément complexe et abstrait faute d’une clarification sémantique totale, mais aussi, à cause de l’ampleur du champ qu’il peut délimiter125. De façon générale, le lieu peut être représenté et perçu d’un point de vue physique et matériel, et donc, concret, grâce à sa dimension géomorphologique et à sa métrique topographique. De même, le

125 Sur les diverses interprétations du lieu en géographie voir « Lieu », Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés (Lévy et Lussault, 2013), p 606-616.

lieu peut aussi être représenté d’un point de vue subjectif, et donc, abstrait ; représentation attachée à la dimension symbolique que lui donne l’individu (ou groupe d’individus), et qui va de pair avec les relations construites dans le temps entre l’individu et le(s) lieu(x). Nous retiendrons ici le lieu comme « […] un objet d’étude pour les interactions [socioculturelles] au

contact entre les différentes composantes d’une société […] le lieu c’est un objet, mais un opérateur actif que l’on peut utilement étudier comme une réalité singulière structurée par des habitudes et des rythmes, ayant une histoire, des pratiques et un devenir » (Lévy 2013a : 613).

Pour certains géographes « Un géosymbole peut se définir comme un lieu, un itinéraire, une

étendue qui, pour des raisons religieuses, politiques ou culturelles prend aux yeux de certains peuples et groupes ethniques, une dimension symbolique qui les conforte dans leur identité […] les symboles prennent d’autant plus de force qu’ils s’incarnent dans des lieux » (Joël

Bonnemaison 1981, 256). Les lieux du territoire sont chargés de dimensions matérielles mais aussi idéelles, des significations et des symboles. C’est la capacité symbolique des lieux qui fait exister le territoire dans les représentations sociétales et individuelles des acteurs et des groupes sociaux (Debarbieux, 1996).

Dans la même perspective symbolique, Bernard Debarbieux nous montre le lieu comme une figure de rhétorique du territoire, avec l’évocation implicite du territoire par l’un des lieux qui le composent (Debarbieux, 1995). Il propose trois types des lieux symboliques de base : tout d’abord, le lieu attribut est une image, un signe, où le territoire est représenté par un des lieux les plus notoires de celui-ci. Ensuite, le lieu générique constitue une allégorie (abstraction de la mémoire collective) du groupement social qui donne corps et raison d’être à ce même territoire. Enfin, le lieu de condensation sociale et territoriale exprime le système de valeurs d’une société. De par sa charge symbolique, le lieu peut se subdiviser en des catégories particulières et multiples, spécifiques aux divers rapports socioculturels des individus et des groupes (lieu sacré, haut lieu, lieu de clandestinité, lieu de rassemblement, etc.). Dans ces termes, « […] le lieu est une condition de réalisation et de structuration du territoire, car il lui

confère une image et des points d’ancrage de son enracinement mémoriel ; il est aussi parce qu’il permet au groupe qui territorialise d’avoir une existence collective et des sites de mise en scène, le lieu symbole » (ibid., p. 108).

Dans cet ordre d’idées, le PNNa en tant que territoire socioculturel et territoire naturel de protection, est composé d’un grand nombre de lieux : d’une part, les lieux symboliques (les lieux culturels, les lieux sacrés, les lieux de chasse, entre autres), d’autre part, les lieux naturels sensibles et/ou exceptionnels tels, les niches écologiques, les lieux sanctuaires, les lieux

corridors, etc. De même, en tant que territoire protégé, y compris les zonages et les limites internes au parc, le PNNa est aussi composé des nouveaux lieux de gestion et de gouvernance. Ces lieux proviennent de l’administration, de la prohibition, du développement touristique, de la négociation, etc. La valeur donnée à chacun de ces lieux est intimement liée au rapport individuel et du groupe envers ces territoires. Or, ces rapports peuvent s’avérer conflictuels quand il y a une superposition des lieux, et donc, l’un risque de masquer l’autre. Par exemple : un lieu touristique qui masquerait un haut-lieu culturel, ou un lieu de chasse. Ce phénomène pourrait avoir des conséquences sur l’acceptation sociale des populations locales envers le territoire protégé, mais aussi, sur la représentation faite jadis du territoire culturel. Voire même, de nouveaux lieux tels ceux de la clandestinité et de l’illégalité apparaitraient.

Analyser le PNNa implique donc tenir compte de l’existence de cette multiplicité des lieux, du maillage territorial qu’ils composent et des dimensions socioculturelles qui y sont attachées. De même, il nous faut comprendre leur transformation, leur déplacement, leur superposition et/ou leur oubli.

4.2. Transformations socio-spatiales au sein des parcs nationaux habités : de la

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