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PREMIERE PARTIE

Carte 7. Terrain d’étude, Parc national naturel Amacayacu – PNNA

2.2. L’application du pouvoir dans les territoires naturels de protection

2.2.1. Configurations spatiales du pouvoir dans les territoires naturels protégés à l’échelle nationale

Le territoire naturel protégé est traversé par des niveaux de pouvoir hétérogènes : regardons comment ces pouvoirs se matérialisent dans l’organisation et dans la configuration spatiale de ces territoires complexes. Comme abordé déjà, nous retiendrons ici les concepts clés de la géographie politique classique de Ratzel qui nous semblent utiles pour le décryptage spatial contemporain des parcs nationaux dont : la localisation, le zonage, la frontière, ainsi que le binôme centre – périphérie.

2.2.1.1. Localisation, zonage et frontière : trois dimensions géographiques permettant la structuration du pouvoir dans les aires protégées

En premier lieu, la localisation d’une aire protégée résulte d’un choix stratégique qui répond spatialement à différents intérêts d’ordre politique (appropriation, domination, gestion, contrôle), d’ordre géopolitique (contrôle de la frontière, présence nationale), d’ordre naturaliste (protection des espèces et des écosystèmes fragiles, conservation du patrimoine naturel, des paysages et des sites), d’ordre économique (exploitation des ressources naturelles), ou encore d’ordre culturel (conservation des savoir-faire culturels, développement local, mise en valeur des cultures locales). En second lieu, le zonage, en tant que stratégie d’organisation et de contrôle de l’espace, matérialise les intérêts du pouvoir politique sur le territoire naturel protégé et les territoires de vie adjacents. Il permet de hiérarchiser le territoire protégé en fonction des usages distincts, des interdictions ponctuelles, des priorités de conservation ou de développement économique, ainsi que de la présence ou non de groupes humains, voire même de leur disposition en fonction de leur appartenance culturelle. Cette disposition résulte de la superposition territoriale entre le parc national et les territoires de vie qui existaient auparavant, mais aussi, des configurations politiques de jadis105. En conséquence, le zonage interne aux territoires naturels de protection sert également à subdiviser l’espace avec des frontières internes qui imposent une ségrégation spatiale multi fonctionnelle. Dans le contexte particulier de parcs nationaux habités, cette ségrégation multi fonctionnelle interroge principalement tout ce qui concerne les zones de droits d’usage collectifs (ZDUC) des populations locales

105 Le cas particulier du parc amazonien de la Guyane est un exemple de ce type de zonage. Il est le résultat de l’histoire coloniale du Département dont un zonage d’accès règlementé (ZAR) a été créé dès 1930 afin de « protéger-isoler » les populations amérindiennes dans le sud de la Guyane.

traditionnelles. Cette configuration spatiale est particulièrement constatée pour le cas français du parc amazonien de la Guyane, où les ZDUC permettent de reconnaître à l’échelle micro-locale les droits des « communautés d’habitants qui tirent traditionnellement leur moyens de

subsistance de la forêt » ; elles sont considérées pour certains acteurs comme « l’amorce d’un processus de reconnaissance des peuples autochtones de la part de l’État français […] » (Parc

amazonien de la Guyane 2013, 23). L’architecture de ces frontières internes dépend directement des négociations et des choix politiques provenant des échelles nationale, régionale, puis locale. Ces choix spatiaux deviennent souvent sources de conflit qui touchent à la légitimité territoriale, culturelle et économique des populations locales. L’affrontement des échelles, nationale, régionale et locale, ainsi que des niveaux scalaires internes à celles-ci au sein même du territoire protégé, est donc un phénomène récurrent dans ce cadre.

2.2.1.2. Le binôme centre-périphérie : un zonage particulier du pouvoir dans la conservation

Ce type de configuration spatiale privilégie une zone centrale de protection naturelle prioritaire et une zone périphérique de « transition » spatiale. La zone centrale, bureaucratique et hiérarchique, est le « cœur » du pouvoir étatique et donne forme au territoire protégé. Elle cherche à concentrer les efforts de gestion, de conservation, de contrôle, de recherche et de tourisme au travers de la mise en place d’un cadre réglementaire strict au sein des frontières établies. En contraste, la zone périphérique (ZP) est une zone ambiguë, hybride et complexe. Elle répond à différentes conceptions et objectifs tant politiques, qu’économiques ou culturels, qui motivent sa mise en place. D’un côté, la ZP peut servir à l’élargissement des compétences institutionnelles sur des territoires autres que l’espace naturel protégé. Dans ce cas-là, elle est légalement instaurée comme une zone à part entière du parc national à travers différentes appellations, telles que zone périphérique, zone de libre adhésion, aire de coordination, zone

de transition, zone d’atténuation ou encore zone tampon. Ces zones tampons sont définies

comme des « zones situées entre le noyau des aires protégées et le paysage terrestre ou marin environnant, qui protège le réseau d’influences extérieures potentiellement négatives, et qui sont essentiellement des zones de transition 106» (Dudley 2008, 94). Elles sont cependant analysées aussi par certains auteurs comme une stratégie d’appropriation territoriale indirecte : « […] le développement de zones tampons recommandées par l’IUCN pour la gestion des parcs

nationaux constitue de plus un moyen pour étendre les superficies domaniales, ou à tout le

106 Source : BENNETT, G. et MULONGOY K.J. 2006. Review of experience with ecological networks, corridors and

moins, pour justifier l’interventionnisme d’État au-delà des périmètres hérités » (Neuman,

1998 in Giraut et al., 2004, 11). De ce fait, cette zone périphérique appelle aujourd’hui à une configuration spatiale différenciée et à la mise en place d’un cadre de gestion particulier. Sur ces zonages périphériques, le statut administratif et la réglementation territoriale sont généralement plus souples, permettant certaines pratiques et usages qui sont interdits en zone centrale ; cette relative souplesse favorise des objectifs autres que la simple protection de la nature, comme par exemple, le développement économique dont touristique des territoires. Dans les parcs nationaux où ce type d’organisation spatiale est privilégié, cette zone « semi-ouverte » sert aussi d’espace de rencontre et de transition entre le territoire de protection naturelle maximale et les territoires habités voisins. Or, dans les parcs nationaux étudiés dans cette contribution, nous verrons que ces zones périphériques présentent une densité anthropique importante. En effet, certaines populations vivent à la limite entre la zone cœur et la zone périphérique et non pas à la limite entre la zone périphérique et les territoires habités. Parfois elles résident directement en zone centrale, ce qui produit une superposition spatiale entre les zones habitées et les zones protégées.

D’autre part, il peut exister aussi une zone périphérique « non intégrée » officiellement au moment de la création du parc national, mais pour autant présente et active. Il s’agit ici d’espaces de négociations et d’échanges entre les gestionnaires du parc national et les acteurs locaux qui y habitent et qui participent directement ou indirectement, ou pas du tout, aux processus de conservation. C’est le cas de certains parcs nationaux d’Amérique latine, voire d’Afrique, qui, par leur contexte socioculturel, historique et géographique, bénéficient d’un multiculturalisme endogène composé par des groupes socioculturels amérindiens, noirs marron et paysans. Cette spécificité induit une gestion particulière de ces parcs nationaux superposés sur de multiples territoires socioculturels. Le cas colombien étudié constitue un bon exemple de ce type de zonage. Notons que sous une forme ou sous une autre, ces zones périphériques habitées et leur superposition sur l’espace protégé, s’avèrent d’un grand intérêt pour notre étude. Elles concentrent une nébuleuse d’intérêts, d’acteurs et de pouvoirs généralement hétérogènes. De ce fait, nous porterons un intérêt particulier sur ces zones en tant qu’espaces de rencontres culturelles et de confrontations de pouvoir(s).

2.2.2. Poids de la dimension culturelle dans la reconfiguration de rapports de

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