• Aucun résultat trouvé

Regards comparatifs : évolutions politico-culturelles de l’idée de protection de la nature au Canada, en France et en Colombie

PREMIERE PARTIE

Carte 1. Terrain d’étude – Parc marin du Saguenay-Saint-Laurent – Québec (PMSSL)

3. Regards comparatifs : évolutions politico-culturelles de l’idée de protection de la nature au Canada, en France et en Colombie

Les significations que l’on donne à la nature sont le produit d’une construction sociale, culturelle et politique. L’idée que l’homme se fait de la nature motive ainsi les divers rapports, usages et soins que l’on y attache. Les espaces naturels protégés sont dans ce sens des laboratoires d’observation intéressants, capables de rendre compte ou pas de la diversité des rapports qui coexistent avec la nature à protéger. Pour rejoindre la pensée d’Agustín Berque26, « La société perçoit son milieu en fonction de l’usage qu’elle en fait ; réciproquement, elle

l’utilise en fonction de la perception qu’elle en a » (in Héritier 2006a, p. 20). De ce fait, on peut

affirmer qu’un parc national est toujours le produit d’une « culture nationale de la nature » (Blanc 2013, p. 159). Nous présenterons trois approches culturelles différentes qui font écho aux idéologies politiques des pays étudiés ici : le Canada, la France et la Colombie. Nous tenterons de montrer de manière générale l’évolution des idées liées à la protection et à la conservation des espaces naturels. Ces généralités nous permettront par la suite de mieux comprendre les spécificités des parcs nationaux naturels analysés dans cette étude au sein de ces constructions politico-culturelles.

3.1. Le Canada et les contradictions entre protection et exploitation de la nature au profit du tourisme ?

Comme nous l’avons déjà vu dans la première partie de ce chapitre, l’Amérique du Nord a été le berceau de l’idée de protection et de conservation de la nature. Deux perceptions culturelles se rejoignent ici (Glon 2006) : une première, plutôt négative, où la « nature sauvage » est perçue comme étant dangereuse, source de frayeur et de crainte. Cette approche culturelle favorisa de fait l’abandon des vastes étendues pratiquement délaissées par les colons. Puis, une seconde approche plus positive, où la capacité de domination et d’appropriation de cette « nature sauvage » par l’homme, est mise en valeur : « Vaincre la peur au titre de l’exorcisme

passe par la maîtrise des forêts, la volonté d’y mettre de l’ordre en les exploitant, puis en les cultivant » (Ibid., p. 247). Cette approche sera à l’origine d’une logique d’exploitation et de

mise en valeur des ressources naturelles, cette dernière se développa principalement avec le tourisme.

26 BERQUE A. (2000), Médiance, De milieux en paysages, Paris, Éditions Belin : Collection Géographiques Reclus, 156 p. [1re édition, 1990].

Au Canada, la fin du XIXe siècle et le début du XXe siècle ont été marqués par la « découverte » et la « redécouverte » de paysages et de hauts-lieux naturels (Debarbieux 1995) au travers de leur pratique touristique. La « découverte » touristique du territoire canadien a été favorisée par la création des voies ferroviaires à l’intérieur du pays. Ces nouvelles routes d’accès « à l’intérieur » ont permis à la population canadienne de privilégier des paysages et des lieux exceptionnels auparavant méconnus. De ce fait, le mouvement de découverte a été très vite accompagné de la construction nationale d’une « imagerie promotionnelle » (Héritier 2006b, p. 280) développée au travers de valeurs esthétiques et reliée à une multiplicité de clichés iconographiques. L’imagerie naturaliste de l’époque a servi ainsi à donner une reconnaissance nationale et internationale à la Wilderness canadienne, reconnaissance qui a, entre autres, favorisé l’idée de construction de la nature en tant que monument et patrimoine identitaire. De plus, la valorisation esthétique de ces images, la multiplication des parcs nationaux et l’augmentation d’un tourisme de nature, ont servi de support à ce que Eric Kaufmann27 appelle la création d’une stratégie de « naturalisation de la nation » (in Blanc, 2013, p.35) de la part des gouvernements nord-américains. En effet, la valorisation de ces lieux naturels repose sur l’immortalisation des paysages pittoresques peints sur des toiles par des artistes. Ils serviront ensuite de stratégie commerciale et publicitaire pour attirer un tourisme d’élite, puis un tourisme de masse. Un apport majeur a donc été donné par le mouvement pictural canadien des années 1870, qui a rejoint le mouvement culturel et nationaliste du moment. Ils ont fait de la nature le support culturel et identitaire central de leur mouvement. Ce mariage entre nature, culture et identité se traduira concrètement quelques années plus tard par la création de l’institution « Parcs Canada » en 1911, premier service des parcs nationaux du monde qui deviendra « l’Agence parcs Canada 28» en 1998. Le projet artistique et politique de sept artistes canadiens, le « Groupe des sept », reconnu officiellement en 1920, répond aussi à cet idéal. Pour eux, l’objectif consistait à créer un art pictural, une peinture typiquement canadienne qui puisse traduire les caractéristiques profondes de la région (Lasserre 1998 ; Glon 2006 ; Héritier 2011).

27 KAUFMANN, Eric. « “Naturalizing the Nation": The Rise of Naturalistic Nationalism in the United States and Canada ». Comparative Studies in Society and History vol.40 n°4, 1998, p. 666-695.

28 Parcs Canada se doit « d’assurer la protection et la mise en valeur des parcs nationaux, des lieux historiques

nationaux et des autres lieux patrimoniaux du Canada pour la génération présente et les générations futures […]. Par la réalisation de sa mission à l’égard des parcs nationaux, des lieux historiques nationaux et des autres lieux patrimoniaux du Canada et des programmes connexes, [Parcs Canada] reflète les valeurs et l’identité du pays et contribue à accroître la fierté des Canadiens dans leur pays[…] » (Canada 1998). (http://www.pc.gc.ca).

La représentation artistique de cette nature « typiquement canadienne » a cherché à promouvoir un sentiment nationaliste « homogène et unifié » sur l’ensemble du territoire canadien. Elle a servi aussi à sensibiliser le public (national et étranger) pour faire évoluer les représentations négatives portées jadis par une représentation de type coloniale, dont une nature sauvage et dangereuse. Or, la volonté d’une « unité nationaliste canadienne » se verra rapidement confrontée aux résistances culturelles des Premières Nations autochtones ainsi que des nationalistes franco-canadiens, puis des Québécois, pour lesquels l’idée d’unicité canadienne n’était pas tout à fait partagée (Lasserre 1998). Cependant, le projet de « naturalisation de la nation canadienne » donna rapidement des résultats grâce, entre autres, à la mise en valeur de la « Wilderness experience » (Héritier 2003) comme stratégie d’appropriation sensorielle de la nature par les visiteurs. Ainsi, faire l’expérience de la

wilderness, « vivre la nature », devient une partie intégrante de l’identification canadienne. Au

niveau international, la valorisation de la Wilderness experience prendra une dimension mondiale dès les années 1972 grâce au programme « Patrimoine mondial de l’humanité de l’UNESCO ». Par la labélisation des lieux naturels exceptionnels, il développe en conséquence un tourisme de nature UNESCO sur des lieux labélisés, parmi lesquels les parcs nationaux canadiens. Le succès touristique de ces parcs nationaux deviendra rapidement une des causes de la surfréquentation de ces aires protégées et de leurs hauts lieux touristiques (Héritier 2003 ; Héritier et Moumaneix 2007).

En effet, l’accroissement de la fréquentation des parcs nationaux canadiens dès les années 1960 a provoqué une augmentation des aménagements touristiques ainsi que l’apparition de nouveaux services et loisirs. Ces aménagements facilitent d’une part l’accessibilité aux sites et induisent une augmentation de la durée des séjours dans les espaces naturels protégés. D’autre part, ils cherchent à garantir la durabilité des activités et la qualité des prestations touristiques pour tous les types de public. Cette problématique provoque en conséquence une remise en question des premières mesures de protection de la nature mises en place par l’agence Parcs Canada, notamment à cause des impacts anthropiques provoqués sur les sites classés. Du coup, la loi de 1930 relative aux parcs nationaux canadiens a été remplacée par une nouvelle loi en 1988. Ce texte visait à définir une politique de gestion plus rigoureuse centrée sur le principe de protection de l’intégrité écologique, dont l’activité touristique devait tenir compte. Le texte de loi canadien sera renforcé par des modifications ponctuelles pendant les années 2000 : un zonage multiple visant à réduire les pressions anthropiques sur certains lieux clés, des

dispositifs de gestion plus adaptés à chaque espace protégé et un contrôle majeur des activités réalisées au sein de ces aires protégées.

Pour le cas particulier de la province de Québec, le premier parc national a été créé en 189529. Au début, la désignation « parc » visait à assurer une exploitation durable des ressources forestières et faunistiques plutôt qu’une protection totale du territoire. Par la suite, la loi sur les parcs de 1977 créait deux catégories de parcs nationaux : le PN de « recréation » et le PN de « conservation ». L’objectif était d’établir l’équilibre entre le principe de conservation et le besoin de mise en valeur du patrimoine au travers du tourisme et des loisirs. Le ministère de l’Environnement du Québec (MENVIQ) est créé en 1979. Divers changements de nom et de mandats l’ont suivi. Il est devenu en 2005 le ministère du Développement durable, de l'Environnement et des Parcs (MDDEP), et depuis 2014, le ministère du Développement durable, de l'Environnement et de la Lutte contre les Changements climatiques (MDDELCC)30 . Pendant les années quatre-vingt il fut chargé de la mise en place du réseau des parcs nationaux québécois et de l’encadrement de leur gestion. D’un autre côté, la Société des établissements de

plein air du Québec (SEPAQ) créée en 198531 est depuis 1999 chargée de l’administration, de la mise en valeur, de l’accessibilité et de l’exploitation (activités et services touristiques) des patrimoines naturels du territoire québécois.

La SEPAQ est ainsi responsable des activités touristiques dans les réseaux des parcs nationaux et des réserves faunistiques du Québec. Or, depuis la loi sur les parcs de 1977, la catégorie « parcs nationaux de récréation » vécut un succès constant du tourisme. Les effets néfastes des actions anthropiques sur les sites protégés ont poussé le gouvernement du Québec à apporter des modifications importantes à la loi sur les parcs en 2001, visant à renforcer la mission de conservation (QUÉBEC 2002). En conséquence, le réseau des parcs nationaux québécois compte désormais une seule catégorie « parc national de conservation ». Trois principes fondamentaux doivent être respectés dans ce réseau : un impact minimal acceptable sur le patrimoine32, la découverte et la vulgarisation du territoire protégé, et l’accessibilité au patrimoine dans le respect de la conservation. Dorénavant, « […] les parcs nationaux québécois

29 Le parc de la Montagne-Tremblante (aujourd'hui le parc national du Mont-Tremblant).

30 Ministère du Développement durable, Environnement et Lutte contre les changements climatiques : http://www.mddelcc.gouv.qc.ca/

31 Loi sur la Société des établissements de plein air du Québec (L.R.Q., chapitre S-13.01). http://www.sepaq.com/

32 Sur ce point, à l’échelle nationale, le Canada a mis en place le concept d’intégrité écologique. Ce concept est aussi appliqué au Québec au travers de la Sépaq par le « Programme de suivi de l’intégrité écologique (PSIE) ». Pour Parcs Canada, « […] un parc national est intègre sur le plan écologique lorsqu’il abrite des populations

saines d’espèces végétales et animales qui sont représentatives de la région naturelle que le parc est censé protéger, et lorsque les processus écologiques qui soutiennent les écosystèmes du parc, tels que le cycle de feu, sont en place et se déroulent normalement ».

doivent assurer la conservation et la protection permanente de territoires représentatifs des régions naturelles du Québec ou de sites naturels à caractère exceptionnel, notamment en raison de leur diversité biologique »33. Le tourisme éducatif prend ainsi une nouvelle dimension parmi les stratégies de gestion du réseau (QUÉBEC 2003), la randonnée pédestre et les centres d’interprétation devenant des outils pédagogiques centraux. Le but de cette approche est de

« proposer aux visiteurs une diversité d’occasions d’éveiller tous leurs sens […] favoriser le plaisir, la contemplation et la réflexion […] » (Rioux et Guay 2003). Si la dimension

pédagogique devient un atout des parcs nationaux canadiens et québécois aujourd’hui, la surfréquentation des sites reste néanmoins un enjeu à gérer à moyen et long terme.

Visant à réduire cette surfréquentation touristique les parcs nationaux québécois répondent donc à un modèle de gestion par zonage. Cinq zones principales sont privilégiées : la zone d’accueil et de service, la zone dite d’ambiance, la zone de récréation intensive, la zone de préservation, et enfin, la zone de préservation extrême. Tout d’abord, la zone d’accueil et de service, où les restrictions à l’aménagement sont les moins importantes, présente un grand nombre de services touristiques (campings, jeux, services sanitaires, etc.). La zone d’ambiance correspond à une zone du parc où il demeure possible de pratiquer des sports pour permettre la découverte de la nature mais avec un impact faible sur le milieu (la randonnée pédestre ou encore la raquette). Généralement, les aménagements sont de moindre envergure que dans la zone de service. La zone de récréation intensive est la partie du territoire affectée à la pratique des activités touristiques de plein air. Pour sa part, la zone de préservation abrite des espèces végétales et animales particulières, rares ou fragiles. La présence anthropique y est réduite et fortement encadrée. Mis à part quelques belvédères, les aménagements sont inexistants. Finalement, la zone de préservation extrême correspond à la partie de territoire d’un parc affectée à la préservation du milieu dans son intégralité.

Actuellement, le Québec compte un réseau de vingt-six parcs nationaux (Carte 2), dont un parc marin34, cogéré entre le gouvernement du Canada et le gouvernement de Québec. Parmi les vingt-six espaces protégés, trois parcs nordiques sont gérés par l’Administration régionale Kativik (ARK) — Première Nation Inuit — depuis 2002.

33Loi sur les parcs, Section I, définition du « parc » (QUÉBEC 2001)

Source : http://www.mddelcc.gouv.qc.ca

Sur la carte on peut observer les diverses Aires protégées du Québec. En rouge, les parcs nationaux ; en violet le premier parc marin provincial ; en vert, les projets de parc nationale et en beige les territoires réservés pour fins de parc.

Outline

Documents relatifs