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SECONDE PARTIE

2.1. Comment l’aventure a commencé : accès aux territoires et financement des terrains

L’accès et le financement de chaque terrain d’étude ont été très différents. Engagée et obstinée dans l’importance de la comparaison de trois parcs nationaux particuliers, la question du financement se posa à plusieurs reprises ; l’abandon d’un des trois terrains a été même envisagé à un moment donné de la recherche.

Mes premières années de thèse ont été financées grâce à l’allocation de recherche que j’ai obtenue (2009-2012) au sein du laboratoire SET (Société Environnement Territoire) de l’UPPA. Or, cette entrée économique apparaissait largement insuffisante pour parvenir à financer mes terrains d’étude à l’étranger tout en assurant les conditions de logement et du quotidien sur Pau. Malgré cela, j’ai décidé de partir pendant l’été 2011144 sur mon premier

142 « Once a proposition has been confirmed by two or more independent measurement processes, the uncertainty

of its interpretation is greatly reduced. The most persuasive evidence comes through a triangulation of measurement processes ». WEBB, E. J., CAMPBELL, D. T., SCHWARTZ, R. D., and SECHREST, L. (1966).

Unobtrusive Measures: Nonreactive Measures in the Social Sciences. Chicago: Rand McNally.

143 Pour les populations locales j’ai été considérée comme une femme blanche en raison de la clarté de ma peau et de la couleur de mes yeux.

terrain d’étude, le Parc marin du Saguenay-Saint-Laurent (PMSSL) au Québec-Canada, en assurant le financement total d’un séjour de cinq mois avec mes économies. L’accès au terrain a été possible grâce à une rencontre inattendue lors d’un colloque franco-québécois autour de l’adaptation au changement climatique (Paris en juin 2010145). Pendant trois jours j’ai pu échanger avec un représentant du ministère du Développement durable, de l’environnement et des parcs (MDDEP), aujourd’hui ministère du Développement durable, environnement et lutte contre les changements climatiques (MDDELCC)146. Il a été intéressé par mon travail, devenant mon interlocuteur auprès de divers responsables du MDDEP. Au même temps, j’avais pris contact avec deux professeurs de l’Université du Québec à Trois-Rivières, Sylvie Miaux, docteure en géographie de l’UPPA, et Marie Lequin, spécialiste dans le secteur des loisirs et du tourisme, bonne connaisseuse du Parc marin du Saguenay-Saint-Laurent. Elles ont été mon soutien institutionnel et académique au Québec, ce qui a facilité d’une part mes démarches administratives de visa auprès du gouvernement canadien et d’autre part, la recherche documentaire.

De même, j’ai eu un contact avec Marie Lavoie, professeur d’économie de l’Université de York à Toronto. Nous nous sommes rencontrées pendant un colloque international en Guyane en 2011, quelques mois avant mon départ. Elle m’a hébergée au Québec et a été un contact clé pour comprendre les « codes » québécois. Après des échanges multiples avec les chargés de projet et les gestionnaires du MDDEP, il s’en suivra toutes les démarches relatives à l’obtention du visa, puis à l’élaboration d’une grille d’entretien avec les personnes que je souhaitais interviewer. Une fois à Québec, j’ai fait la rencontre de Rodofl Balej au MDDEP, coordonnateur de la stratégie québécoise des aires marines protégées depuis 2002. Il m’a expliqué les enjeux et les particularités de gestion de cette aire marine protégée et m’a mis en contact avec différents acteurs clés du processus de création de cette première aire marine du Québec. Parmi eux, Marc Pagé, de Parcs Canada, secrétaire du comité de coordination du parc marin (1998-2005) et chargé de relations partenariales. Il s’est chargé de mon accueil et de me présenter à l’équipe de Parcs Canada et de la Sépaq (Québec) à Tadoussac. De même, grâce à lui, j’ai pu rencontrer facilement les membres du Conseil de bande de la Première nation innu

Essipit, dont Réginal Moreau, directeur de ce conseil, qui m’a permis et facilité l’accès au

territoire innu de la réserve.

145http://www.gisclimat.fr/seminaires-ACC

Pour le parc amazonien de la Guyane (PAG), la démarche a été toute autre. Afin de trouver un soutien scientifique au niveau régional et local, je me suis adressée dans un premier moment vers deux chercheurs-anthropologues du CNRS et de l’IRD travaillant en Guyane depuis plusieurs décennies, Françoise et Pierre Grenand. Ils travaillent sur le bassin versant de l’Oyapock - frontière entre la Guyane et le Brésil - avec les amérindiens Wayãmpi. Leurs connaissances sur le milieu naturel et la diversité culturelle s’avéraient indispensables à ce moment-là pour comprendre les spécificités du territoire et ainsi pouvoir ajuster mon projet au contexte guyanais. Tenant compte des conditions difficiles d’accessibilité et des coûts de vie élevés dans les communes de l’intérieur, j’avais prévu de passer seulement trois mois sur le terrain. Or, les retours de Françoise Grenand sur mon projet m’ont guère été encourageants, car pour elle, un travail de terrain comme le mien méritait minimum six moins d’observation sur place pour pouvoir saisir la diversité d’enjeux du territoire protégé et des populations locales. Ce premier retour a été vécu comme un échec. Ne comptant pas avec l’appui sollicité du côté de l’Oyapock, je me suis donc tourné directement vers les gestionnaires du Parc amazonien. La démarche a été celle d’envoyer mon projet de thèse par mail au directeur du PAG et au directeur adjoint, ainsi qu’au service Patrimoine naturels et culturels dans l’espoir de recevoir une réponse quelconque de l’un d’entre eux. Plusieurs mois se sont écoulés avant d’avoir une première réponse à ma demande, ce qui m’avait poussé à envisager l’abandon de ce terrain en 2011. Finalement, dans l’attente, j’ai eu une réponse favorable à mon projet de la part du service Patrimoine naturels et culturels qui s’intéressait à la question de la gestion participative et adaptative dans les espaces naturels protégés habités. De ce fait, grâce à la possibilité de participer à un colloque international organisé par l’université des Antilles et de la Guyane en mars 2011147, j’ai pu faire un premier voyage à Cayenne où j’ai pu rencontrer les gestionnaires du parc pour parler de vive voix.

À Cayenne, au bureau administratif central du parc amazonien, j’ai fait la connaissance de Cécile Guitet, chef du Service Patrimoine, Nicolas Surugue, responsable R&D et écologie, et Marion Trannoy, chargée de sciences humaines. C’est grâce à eux que la réalisation de mon travail de recherche148 a été possible. Ils ont été mes interlocuteurs auprès du directeur du parc, Frédéric Mortier, du conseil administratif et du conseil scientifique, réticents à l’époque à ce projet de recherche en raison d’un contexte local tendu, préalable à l’enquête publique pour

147 J’ai bénéficié d’un financement complet (billets d’avion – hôtel) de la part des organisateurs du colloque ce qui m’a permis de participer à celui-ci et de rester une semaine à Cayenne. Ordre de mission du 28/02/2011 au18/03/2011.

l’acceptation ou non de la charte. Cette première rencontre nous a servi à préciser des questions de type administratif, logistique et scientifique : la définition du secteur de travail (Délégation territorial du Maroni – frontière avec le Surinam) mais aussi la mise en place d’une convention de collaboration de recherche entre le parc amazonien et mon laboratoire de rattachement (SET) permettant de financer le terrain d’étude149 (cf. Annexe 3). Dans cette convention le PAG s’engageait à financer quatre mois de terrain sur la Délégation Territoriale du Maroni (DTM) avec une somme totale de sept mille deux cents euros. Également, il assura l’appui logistique et technique sur les territoires du Maroni et le suivi de la convention. C’est ainsi que j’ai pu finalement partir en octobre 2011150. Pendant cette période, l’accès aux divers territoires a été multiple. À Cayenne, c’est l’équipe du service patrimoine qui m’a mis en contact avec l’ancien chef de la délégation territorial du Maroni (DTM), Denis Langaney. Il m’a présenté l’équipe de la DTM situé à Maripasoula. J’y ai rencontré les chefs d’antenne du pays Aluku, Hervé Tolinga à Papaïchton et du pays amérindien, Kupi Aloiké à Taluen, ainsi que Laurence Duprat151, chargée de développement local et du tourisme, qui devint mon interlocuteur et support principal sur le Maroni. L’accès aux divers villages du pays amérindien a été fait par l’intermédiaire d’habitants rencontrés tout au long du séjour ou par initiative personnelle. C’est le cas du village Antecume Pata, où je suis allée parler directement avec le chef du village, André Cognat, pour demander la permission d’aller faire des entretiens et de rester deux semaines.

En résumé, ce premier séjour sur le littoral a été favorable pour la rencontre des divers acteurs. Parmi eux, des chercheurs de l’IRD à Cayenne : l’ethnobotaniste Marie Fleury, le géographe Fréderic Piantoni et l’archéologue Gérald Migeon. Ils connaissent bien les populations du Maroni et certains ont participé aux divers avant-projets de création du parc amazonien. Ils sont devenus un soutien scientifique pendant la réalisation de mon terrain, leurs conseils et leurs informations ont été de grande importance. De même, pour tenir compte de la vocation écotouristique du PAG à moyen et à long terme, j’ai voulu rencontrer certaines entreprises de tourisme installées sur le littoral, à Cayenne. Le but était d’avoir un premier regard sur cette activité et étudier la façon dont elle était envisagée pour ces acteurs sur le sud guyanais. Ainsi, j’ai échangé avec des représentants de la compagnie des Guides de Guyane (Frédéric Auclair) et de l’entreprise Couleurs Amazone (Philippe Gilabert). Enfin, dans une

149 Billets d’avion France-Guyane aller-retour, déplacements internes Cayenne-Maripasoula, déplacements entre communautés en taxi pirogue (pays aluku, pays amérindien), logements, nourriture, logistique.

150 Ordre de mission du 23/10/2011 au 12/05/2012. La période initiale de quatre mois a été prolongée afin de pouvoir finir mon travail de terrain dans le pays amérindien.

perspective plus « naturaliste », j’ai interviewé également Maël Dewynter (conservateur de la Réserve des Nouragues), Damien Hanriot (alors chargé de l’écomusée municipal d'Approuague-kaw dans la commune de Régina) et Laurent Garnier, chargé de mission environnement au parc naturel régional de la Guyane. Finalement, grâce au colloque j’ai pu aussi avoir accès au Conseil Général et au Conseil Régional où j’ai fait connaissance avec certains acteurs, interviewés par la suite pendant la période de terrain.

Pour la Colombie, l’accès au terrain a été possible grâce à mon expérience déjà évoquée comme garde-parc bénévole dans le PNNA en 2004. À cette époque, j’ai eu la possibilité de travailler directement avec les gestionnaires et les gardes-parcs ainsi qu’avec les populations locales, plus particulièrement celle de Mocagua. Cette première visite m’a permis d’identifier les acteurs clés qui participaient du projet territorial de conservation et de mise en valeur de l’écotourisme communautaire avant la prise en charge des services écotouristiques du territoire protégé par l’entreprise privée. À ce propos, j’ai pu voir l’état de détérioration des installations du centre d’accueil ainsi que les travaux multiples réalisés par les gardes-parcs (gardiennage, services d’accueil, écotourisme, maintenance, etc.). De même, j’ai été alors témoin de l’émergence de premiers projets individuels de tourisme à l’intérieur des communautés résidentes ainsi que de l’évolution des relations sociales qui existaient entre le parc et les communautés (tant du parc que de la zone tampon).

Je suis retournée une deuxième fois en 2010, suite à un séjour de trois mois au pays. Cette fois-ci, j’ai visité le terrain avec une double démarche, celle du touriste, car j’étais accompagnée par des Européens, mais aussi celle du chercheur. À cette occasion, j’ai pu interviewer des nouveaux acteurs intégrés au projet du parc. Parmi eux, on trouvait les responsables de la prestation de services écotouristiques gérés par l’entreprise privée, des employés locaux, des gardes parcs et des responsables des projets touristiques dans la communauté de Mocagua. De même, j’ai pu observer les transformations majeures au sein des installations et du service proposé aux touristes par l’entreprise en charge (cf. chapitre 6), ainsi que les changements sociaux à l’intérieur des communautés et entre les divers acteurs concernés (Parc, communautés, entreprise privée). Pendant ce court séjour en Colombie, la rencontre avec les responsables de l’Unité administrative spéciale des parcs nationaux naturels (UAESPNN) du ministère de l’Environnement à Bogotá a été facilitée. Il en fut de même avec Jean Claude Bessudo, directeur de l’entreprise touristique Aviatur, responsable de la prestation de services écotouristiques sur cinq parcs nationaux à ce moment-là.

Finalement je suis retournée sur le terrain une troisième fois en janvier 2013, cette fois-ci en tant que chercheuse, mais dans le cadre du service de gardes-parcs (catégorie recherche). La demande d’accès au territoire protégé en tant que chercheuse implique une démarche administrative longue et bureaucratique ; la présence des communautés amérindiennes sur le territoire protégé complique les démarches. En effet, les populations amérindiennes de la Colombie ont un statut particulier (constitution de 1991 - conventions internationales) qui limite l’accès à leurs territoires de vie quand il s’agit de la recherche scientifique. Si l’on compare avec la Guyane française ou le Québec, l’accès « administratif » a été plus difficile dans mon propre pays. Ainsi, mon projet de recherche a été envoyé quelques mois avant mon départ à la directrice du parc national naturel Amacayacu, Eliana Martinez, ainsi qu’au ministère de l’Intérieur, afin d’obtenir l’acceptation du gouvernement colombien pour travailler avec les populations Ticuna présentes dans le PNNA

En janvier 2012, j’avais bénéficié d’une aide à la recherche de l’Institut des Amériques - Ida152, pôle sud-ouest, destinée à financer mon dernier terrain d’étude en Colombie. Le montant de l’aide accordée a été de mille euros. Ne comptant plus avec ma bourse doctorale depuis septembre 2012, j’ai finalement sollicité une contribution de recherche auprès de mon laboratoire d’attachement SET à l’UPPA. Celui-ci a collaboré à hauteur de cinq cents euros. J’ai financé le reste du séjour.

Une fois arrivée en Colombie, je me suis mise directement en contact avec la directrice du parc national naturel Amacayacu. Son avis favorable et son soutien dans les démarches administratives ont facilité mon déplacement sur le parc où j’ai pu rester à titre gratuit en tant que chercheuse. Sur place, j’ai présenté mon projet aux gardes-parcs et gestionnaires du secteur afin d’avoir leur avis et leur conseils. Puis, s’en est suivi un temps d’échanges avec les autorités locales du resguardo de Mocagua et de la Communauté des San Martin de Amacayacu ; celles-ci ont accepté ma présence et m’ont donné l’autorisation pour réaliser des entretiens au sein des communautés. L’accès à cette dernière a été favorisé par l’introduction et la présentation d’un des membres de la Fondation Entropika153 au Curaca (chef) et aux membres du village154. Cette

152 www.institutdesameriques.fr

153 La fondation Entropika a été créé en 2007 par le docteur Angela Maldonado et l’actuelle directrice du PNNA Eliana Martinez. Le but de la fondation est de contribuer à la conservation de la biodiversité tropicale au travers du développement des projets locaux durables menés par les communautés amérindiennes du territoire protégé. http://www.entropika.org

154 Par la suite, j’ai été hébergée dans la maison du curaca, chez Benicio Amaro, pendant deux semaines en payant une valeur modérée. Sa maison fait partie d’un projet d’écotourisme local subventionné par la Fondation

présence au cœur de la communauté a été favorable à la réalisation d’une étude comparative entre deux communautés Ticuna du parc, au contexte économique et culturel très différent.

En résumé, j’ai privilégié un travail de terrain approfondi sur chacun de pays (schéma 7) dans le but principal de comprendre d’une part, les cultures et les pratiques locales de populations résidentes et d’autre part, les actions menées par les gestionnaires sur le territoire protégé auprès des populations résidentes. Ces longs séjours ont favorisé également l’observation de dynamiques nouvelles engendrées par les acteurs exogènes aux territoires, notamment l’entreprise privée et les clandestins.

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