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SECONDE PARTIE

Carte 9. Secteur et communautés d’étude sur le fleuve Saint Laurent

Tenant compte de la difficulté et de la pression mises sur le personnel du PAG à l’échelle locale, deux idées ont alors traversé mon esprit : la première, le sentiment que certains membres du personnel local ne voulaient pas s’exprimer par peur ou suspicion, quelques-uns pouvant se sentir évalués ou jugés. La seconde, le fait que pour une partie du personnel, j’étais venue en tant qu’évaluatrice du PAG et que les informations collectées pouvaient porter atteinte à leur travail. Les relations avec les cadres métropolitains de la DTM ont été éloignées. De même, et fort malheureusement, sur les territoires aluku et wayana, le manque de temps sur chaque village ne m’a pas permis de créer de rapports plus approfondis avec le personnel des antennes, avec lequel j’aurais voulu partager beaucoup plus.

Du côté des populations résidentes, l’accueil a été sévère. Même après une présentation de mon travail et de mes intentions auprès des habitants, certains ont fait preuve d’une grande méfiance. Dans les communautés aluku et wayana diverses étiquettes m’ont été aussi attribuées, ce qui a fait ralentir d’une part l’avancement de mes entretiens et d’autre part, m’a permis d’obtenir en revanche des informations importantes sur les représentations locales envers les « étrangers » ou les « blancs ». Voir une femme blanche se promener toute seule dans ces territoires de vie n’est pas tout à fait habituel. En effet, la plupart de femmes blanches qui parcourent le fleuve appartient à une catégorie socioprofessionnelle bien définie : infirmière ou institutrice principalement, puis, chercheur et aujourd’hui, gestionnaire du parc amazonien. Les touristes arrivent le plus souvent en famille ou en groupe. De ce fait, dans un premier moment les habitants pensaient que j’étais une « aventurière de passage »159, cliché qui a été très difficile à gérer durant les premiers mois. Ensuite le cliché de « chercheur » n’est pas très apprécié par certains habitants. Comme dans d’autres territoires tropicaux d’Amérique latine, les recherches multiples menées sur des populations traditionnelles ont laissé des traces. Le sentiment d’un profit externe est souvent palpable, d’où la méfiance et la retenue au moment des entretiens.

Afin de faciliter les échanges et de faire comprendre aux habitants que je n’étais ni une « aventurière » ni une chercheuse française, je me suis présentée en tant que doctorante colombienne, ce qui m’a valu l’étiquette de « la colombienne ». Or, à ma grande surprise,

159 Après quelques mois à Maripasoula et à Papaïchton divers échanges avec des hommes aluku et djuka m’ont fait comprendre pourquoi je me faisais aborder de manière insistante par certains hommes. Il s’agirait, comme dans d’autres territoires éloignés visités auparavant en Amérique latine, d’un phénomène de « tourisme sexuel » aléatoire sur les territoires de vie du sud guyanais. D’après les témoignages, il arriverait que de temps en temps des femmes « blanches » descendent de la côte vers les territoires du Maroni à des fins sexuelles. Ce phénomène passe actuellement inaperçu à cause des caractéristiques du contexte local, à savoir un territoire historiquement reconnu comme un lieu de « non loi », où des populations clandestines multiculturelles (Surinam, Guyana, Brésil, République Dominicaine, Haïti, etc.), mais aussi locales (Aluku), vivent culturellement une sexualité très débridée. Or, ce sujet ne sera pas développé ici car il n’est pas au cœur de nos préoccupations, mais mérite d’être mentionné pour comprendre les difficultés vécues pendant notre séjour de terrain.

pendant les années 1960 une migration colombienne importante est arrivée en Guyane pour travailler dans la construction spatiale de Kourou. Avec elle, un grand nombre des prostituées dont certaines se sont installées plus tard au sud du territoire, à Maripasoula et Papaïchton160, pour profiter de l’activité de l’orpaillage. En conséquence, cette étiquette me posait des nombreux problèmes dans les interactions avec les hommes161 et les femmes des villages, notamment en pays aluku.

Dans certains villages du pays wayana, quelques habitants m’ont traité « d’espionne ». Pour eux, ma présence était forcément liée au parc amazonien. Ils pensaient que j’étais là pour recueillir des informations sur la perception locale afin de les transmettre par la suite aux gestionnaires. À plusieurs reprises, des entretiens m’ont été refusés ; d’autres fois, les personnes contactées ne se sont jamais rendues au lieu de rencontre convenu. Deux fois, on m’a refusé le transport entre villages. Sur ce point, il faut savoir que des « taxi pirogue » existent très récemment sur le fleuve, mais ils ne sont pas nombreux. Pour pouvoir se déplacer entre les villages wayana en dehors des horaires de taxi, il faut donc compter sur la « bonne volonté » des habitants qui possèdent une pirogue personnelle. En parallèle à cela, des conflits internes aux communautés entre les « pro-parc » et les « anti-parc » ont eu aussi un impact sur la collecte des données. Bref, le terrain guyanais s’est dévoilé comme un grand défi personnel. Malgré les moments difficiles, je garde néanmoins de très bons souvenirs de ce territoire et de ses habitants. J’espère donc pouvoir y retourner dans un contexte local moins agité.

Sur le Maroni les conditions de logement ont été diverses puisque je devais m’adapter aux contextes locaux (Photos 3). Mon approche ethnographique a aussi influencé certains choix, notamment celui de vivre chez l’habitant afin de partager leur quotidien162. Maripasoula a été ma base de décollage, c’est à partir de là que je faisais des allers-retours entre le pays aluku et le pays wayana163 (carte 10). Au pays wayana je suis toujours restée chez l’habitant ; la plupart du temps ils me permettaient d’installer mon hamac à côté de leurs maisons. Dans certains villages, les séjours ont été de très courte durée à cause de « l’accueil » (Elaé) ou de la difficulté d’accès sur le Haut-Maroni (tels les villages wayana les plus éloignés). Les séjours les plus

160 Sur ces deux communes nous avons rencontrés des prostituées d’origine brésilienne, dominicaine et de la Guyana. Les prostituées colombiennes ont quitté le territoire depuis quelques années.

161 À cause de cette étiquette j’ai dû « laisser tomber » des entretiens qui demandaient un échange « de services ».

162 Mon premier mois à Maripasoula s’est passé au « Terminus », un des trois hôtels de la commune où les métropolitains viennent séjourner. Cet hôtel appartient à Richard Gras et à sa femme Dominique, résidents permanents à Maripasoula depuis plus de 20 ans.

163 Pendant les mois suivants, j’ai été logée chez une famille brésilienne le temps de m’approvisionner pour repartir sur les antennes du PAG. À Papaïchton j’ai été logée chez une famille aluku (nombreuse) pendant trois semaines, puis j’ai loué une chambre chez une institutrice métropolitaine qui venait d’arriver sur la commune.

longs ont été sur le village de Taluen (antenne du PAG) et d’AntecumePata (sous antenne de Taluen). Dans cette communauté un ex-garde du PAG m’a autorisé à mettre mon hamac dans une maison en construction à côté de la sienne. Puis, à AntecumePata, le chef du village, André Cognat, m’a autorisé à séjourner dans la chambre réservée aux visiteurs de passage. En gros j’ai passé quatre mois sur six en hamac164.

Photos 3. Lieux de séjour sur le Maroni

(Clichés de Sierra J. M., 2012)

À haut à gauche : carbet pour installer les hamacs, j’y passé presque deux mois À haut à droite : un habitant m’a permis d’installer mon hamac dans cette maison en

construction, où j’ai passé une semaine.

En bas à gauche : Chambre de l’hostal Le Terminus, où j’ai passé deux jours à la fin de chaque séjour de terrain en pays aluku et en pays amérindien pour me reposer de longs séjours

en hamac

En bas à droite : un habitant de Taluen m’a permis de mettre mon hamac dans son patio pour trois jours.

164 Sur le littoral j’ai loué une chambre dans une colocation, puis je suis allée à l’hôtel.

Carbet d’accueil au « Terminus » Maison en construction à Taluen

(Source – PAG, 2012, modifié par Sierra J. M., 2015)

Secteur d’étude

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