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PREMIERE PARTIE

Carte 7. Terrain d’étude, Parc national naturel Amacayacu – PNNA

2.2. L’application du pouvoir dans les territoires naturels de protection

2.2.2. Poids de la dimension culturelle dans la reconfiguration de rapports de pouvoir et de gestion dans les parcs nationaux

Pour répondre aux objectifs internationaux de protection-gestion de la diversité biologique signés à Nagoya, les États doivent porter aujourd’hui un intérêt majeur à la diversité culturelle présente dans les territoires mis en protection. De ce fait, parler de la mise en place d’un réseau d’espaces naturels protégés à l’échelle nationale implique de tenir compte de l’hétérogénéité biologique mais aussi culturelle du pays. Cette hétérogénéité devient souvent problématique car elle demande une prise en compte particulière des spécificités locales dans les projets de gestion et de gouvernance du parc national. D’un côté, l’État national doit connaître et savoir prendre en compte la diversité écosystémique de son territoire, tant au niveau terrestre et marin, qu’au niveau des territoires d’outre-mer ou en situation transfrontalière. D’un autre côté, l’État national doit être capable de reconnaître et d’accepter la diversité culturelle présente sur le sol national, les particularités culturelles de chaque communauté et les liens qu’elles peuvent tisser entre elles.

Cette identification et ce contrôle territorial par l’État comportent divers niveaux de négociation et de conflits de pouvoir, tant sur les ressources que sur les populations. Si l’on analyse la hiérarchisation spatiale de la dimension politique, on peut tenir compte de trois niveaux scalaires : un premier niveau, entre l’État national et l’État provincial, dont témoigne l’exemple du parc marin du Saguenay-Saint-Laurent (PMSSL), cogéré entre l’État fédéral du Canada et l’État fédéré du Québec. Le second niveau, correspond aux rapports d’échelle entre l’État national (ou l’État provincial) et le Département, à l’exemple du parc national naturel Amacayacu (PNNA) dans le département de l’Amazonie colombienne et le parc amazonien de la Guyane (PAG) dans le département d’outre-mer de la Guyane française. Comme nous le verrons plus loin, ces deux espaces illustrent particulièrement les enjeux de gestion et de gouvernance dans des territoires socialement contrastés. Enfin, le troisième niveau se situe entre les départements et les municipalités ou les communautés de communes, dont certaines présentent une diversité écosystémique très hétérogène et de nombreux groupes socioculturels qui rendent plus complexe la négociation et la mise en place des politiques socioéconomiques et de conservation. En effet, la prise en compte des particularités écosystémiques régionales et locales dans la gestion des espaces naturels protégés, implique des approches et des outils multiples, capables de saisir les besoins de protection particulière à mettre en place. Ainsi, pour répondre aux objectifs internationaux de Nagoya, la mise en place des réseaux nationaux

d’espaces naturels protégés représentatifs de la diversité biologique et culturelle devra donc tenir compte de l’hétérogénéité biologique et de toutes ses spécificités, dont les socioculturelles. Regardons maintenant comment la géographie politique peut aider à comprendre les rapports de force et les jeux de pouvoir présents à l’échelle locale dans les parcs nationaux habités ou en transition. Dans notre contribution, cette échelle est privilégiée pour comprendre les relations et les conflits de pouvoir qui découlent au niveau scalaire autour de la construction et de l’appropriation du territoire protégé.

2.2.2.1. Pouvoirs et contre-pouvoirs : les enjeux d’habiter un territoire naturel protégé

« Les nouvelles politiques “mondiales” se concentrent depuis maintenant plus d’une décennie

sur des interventions locales. La décentralisation et la subsidiarité ouvrent sur un retour à cette échelle, qui se trouve désormais au centre de l’action politique » (Rodary, 2003 : 109).

Parler d’anthropisation d’un espace naturel protégé conduit inévitablement à évoquer ses habitants et donc leurs organisations et leurs réalités spatiales, leurs jeux d’acteurs et leurs manières d’habiter les territoires culturels en intersection avec le territoire protégé. Il s’agit aussi de savoir qui a le droit ou non d’habiter ces espaces. Comme nous l’avons déjà mentionné, l’Habiter peut être compris comme un « processus d’ajustement réciproque entre espaces et

spatialités » (Lussault et Lévy 2013, 480–482). Sur ce point, Michel Lussault soulignait dans L’homme spatial (Lussault 2007) la problématique de la distance dans l’analyse des relations

spatiales. Ce questionnement s’avère particulièrement intéressant dans l’analyse des parcs nationaux habités, où la distance entre le cœur du parc national (zone de protection maximale) et les lieux d’habitat des populations locales détermine certains droits d’usage des ressources naturelles particuliers. La dimension temporelle et la dimension culturelle se rajoutent aussi à l’analyse car elles peuvent jouer un rôle sur la légitimité territoriale des habitants sur certains zonages du parc national. Du point de vue de l’individu, la pratique des lieux ou action de l’habiter possède, d’après Thierry Paquot, une dimension existentielle : « l’habiter est

construire votre personnalité, déployer votre être dans le monde qui vous environne et auquel vous apportez votre marque et qui devient vôtre » (Paquot, Lussault, et Younès 2007, 13).

Pluridisciplinaire et complexe dans les sciences sociales, cette notion nous permet néanmoins de réfléchir aux relations que construisent les hommes avec l’espace naturel protégé, puis avec le territoire protégé. Dans cet ordre d’idées, pouvons-nous nous questionner sur comment envisager l’habiter dans un parc national à long terme ?

L’habiter serait représenté comme « […] un horizon pensable, un devenir possible, un

projet éthiquement et rationnellement cohérent - si et seulement si - la société et ses composantes s’accordent pour le mettre en œuvre » (Lévy et Lussault 2013, 482). Pour les

parcs nationaux naturels anthropisés il s’agirait des compromis durables et viables entre les populations et les gestionnaires, mais aussi entre les acteurs politiques, les acteurs économiques et les acteurs scientifiques. Or, il reste encore la question de comment envisager l’être humain dans ces ensembles biologiques : une variable externe ou une composante interne dont les actions doivent être mesurées en fonction des impacts qu’elles peuvent causer à l’ensemble biologique ?

2.2.2.2. Les habitants des territoires naturels protégés : la diversité culturelle en question ?

Les territoires naturels protégés étudiés sont habités par des groupes socioculturels hétérogènes, tels que des populations amérindiennes, des populations paysannes, des populations noires, des populations créoles ou des populations blanches. Ces populations doivent partager et cohabiter en fonction des cadres réglementaires et les zonages mis en place. De ce fait, les dynamiques spatiales et les relations qui se tissent entre ces groupes socioculturels sont conditionnées, non seulement par leurs relations socioculturelles historiques, mais aussi, par les rapports économiques établis entre ces populations, et entre ces dernières et le territoire.

En outre, l’appartenance culturelle des acteurs locaux détermine également des rapports particuliers au territoire, et de ce fait, favorise des rivalités ou des arrangements entre les individus et les diverses communautés qui habitent le parc national. Puisque certaines de ces populations sont considérées par la loi internationale (Convention 169, 1989) comme les premières à avoir habité le territoire naturel protégé, les États signataires de cette convention, au travers de l’institution PN, doivent leur accorder des droits d’usage particuliers sur les ressources naturelles au sein des frontières internes du territoire protégé. L’application (ou non application) de cette convention internationale à l’échelle locale constitue une des premières sources de conflits entre les populations, et entre ces dernières et l’État. Ainsi, dans un parc national naturel anthropisé de type multiculturel, les communautés autochtones (endogènes au territoire) auront des droits d’usage exceptionnels sur les ressources en zones cœur, pendant que les autres populations (exogènes) auront en revanche plus d’avantages pour la mise en place des projets de développement économique en zone périphérique. Or, la question se pose quant à la légitimité culturelle par rapport à la légitimité territoriale qui découle de l’action d’habiter le territoire protégé. Dans le cas de parcs nationaux dont les États n’ont pas signé la convention

169, on constate d’autres formes de gestion spatiale plus générales qui prennent en compte l’ensemble des habitants du territoire. Malgré cela, il existe aussi des zones d’usage particulières réservées aux populations « traditionnelles ».

Dans le cas d’une configuration territoriale de parcs nationaux où la composante culturelle est homogène (amérindienne par exemple), c’est la localisation géographique de territoires communautaires (à l’intérieur de la zone centrale ou de la zone périphérique) qui va favoriser certains droits d’usage dans le cœur du parc, et non leur appartenance culturelle. À ce facteur de localisation géographique on peut également rajouter la particularité de vivre en zone transfrontalière. Cette situation géopolitique à l’échelle locale fait appel à des enjeux tels que, par exemple, le phénomène de la clandestinité. Dans ce contexte, l’institution PN joue un rôle dans le contrôle transfrontalier, mais aussi dans le contrôle de l’exploitation illégale des ressources naturelles protégées et dans celui des activités anthropiques. La localisation de populations traditionnelles en zone de frontière amène donc à réfléchir sur certains aspects. Tout d’abord, comprendre les liens culturels entre les populations frontalières, et même, à remettre en question la division culturelle découlant des frontières imposées historiquement et renforcées à travers la délimitation du territoire protégé. Ensuite, identifier les liens et les arrangements territoriaux qui existent (ou non) entre les populations locales, les populations frontalières et/ou clandestines. Enfin, identifier le rôle du parc national dans la protection de la nature et des populations locales, mais aussi dans le contrôle de ces populations.

La pluralité d’acteurs et d’intérêts présents dans ces parcs nationaux provoque divers jeux entre les pouvoirs étatiques et les contre-pouvoirs locaux. Ces jeux amènent des transformations internes et externes du territoire protégé qui assurent sa transition permanente.

2.2.3. La dimension institutionnelle dans la gestion de parcs nationaux : une

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