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Dans un second temps, nous nous intéressons à l’analyse des rapports construits entre les agriculteurs et les autres acteurs du territoire, et ainsi aux compromis socio-institutionnels qui émergent dans les dispositifs d’action collective et d’action publique522.

a) L’analyse diachronique des dynamiques territoriales et de l’évolution des exploitations agricoles

Nous abordons cette analyse de la relation exploitation agricole – territoire d’abord de manière diachronique et globale à l’échelle de notre terrain d’étude. Nous menons ainsi une analyse en parallèle des dynamiques d’action publique et collective territoriales et de l’évolution des exploitations agricoles. Il s’agit d’une part de comprendre la dynamique sociale et institutionnelle de construction d’un territoire, d’identifier les questions mises en débat dans l’espace public, les acteurs impliqués dans ce processus, et d’analyser la place des agriculteurs dans le jeu social et politique local, et de l’agriculture dans le projet de territoire. D’autre part, nous mettons en perspective l’évolution des exploitations agricoles, et les principaux moteurs politiques, institutionnels de cette évolution à partir de l’étude des trajectoires des exploitations étudiées.

Nous commençons cette analyse dans les années 70, au moment où l’exploitation sectorielle est instituée523 et où s’ébauchent les termes d’une évolution des rapports entre les agriculteurs et les autres acteurs du territoire. Nous nous intéressons en particulier dans cette analyse à deux moments clefs que sont l’élaboration des Plans d’Aménagement Ruraux (1970-80), et l’élaboration récente de projets de territoire (2000-10). Peut-on identifier une évolution des objets et des scènes de discussion entre les agriculteurs et les autres acteurs du territoire ?

Nous faisons le choix d’organiser cette analyse de manière chronologique car nous considérons que les dynamiques d’action collective et d’action publique et l’évolution des exploitations agricoles ne peuvent être appréhendées sans une approche circonstanciée. En effet pour les agriculteurs et pour les élus c’est bien un ensemble de circonstances, d’opportunités et de contraintes qui sont vécues, appropriées, mises en jeu différemment suivant les lieux et les périodes.

b) L’analyse des situations d’interaction autour des trois objets à l’interface entre l’exploitation agricole et son environnement socio-économique

Nous nous intéressons ensuite plus particulièrement à quelques situations d’interaction qui se cristallisent autour des pratiques des agriculteurs, des produits, et des facteurs de production (foncier,

522 Ainsi, M. Mormont les définit comme « des arrangements institutionnels qui mettent en relation des représentations, des normes, des pratiques et des acteurs ». M. MORMONT, Agriculture et environnement: pour une sociologie des dispositifs, Article cité

523 Nous ne revenons pas ou peu sur le processus d’institutionnalisation de l’exploitation sectorielle même si celui-ci se prolonge assez largement dans le courant des années 70 comme le montre l’analyse des Plans d’Aménagement Ruraux.

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capital). Nous identifions trois types de situation d’interaction : les situations d’action collective, les situations de conflits et les dispositifs d’action publique territorialisés.

Pour étudier les dispositifs d’action publique territorialisés, nous avons mobilisé les cadres d’analyse élaborés en science politique, notamment autour de l’analyse par les instruments524.

« Un instrument d’action publique constitue un dispositif à la fois technique et social qui organise des rapports sociaux spécifiques entre la puissance publique et ses destinataires en fonction des représentations et des significations dont il est porteur.»525

Cela nous conduit à élaborer une grille d’analyse organisée autour de trois dimensions. Nous nous sommes intéressés d’abord à la manière dont ces dispositifs organisent les rapports de pouvoir entre les acteurs526, et en particulier sur les modalités de la représentation des agriculteurs527. Nous analysons également le processus de « problématisation », en nous intéressant aux acteurs présents et aux normes mises en jeu dans les différentes étapes du diagnostic, de la délimitation des problèmes, et de l’identification des objets considérés comme un bien commun territorial528. Enfin, nous revenons sur les leviers d’action mobilisés, les bénéficiaires, les budgets alloués. Nous nous intéressons plus particulièrement à l’identification des agriculteurs qui activent ces dispositifs d’action publique, à leur positionnement dans la négociation, et aux impacts de ces dispositifs dans les exploitations agricoles.

N’ayant pas a priori de cadre théorique de référence pour l’analyse des situations d’interaction, nous nous sommes appuyés à ce niveau sur différentes approches théoriques mobilisées au gré des lectures et de la progression du terrain, donc selon une démarche inductive. Ainsi, par exemple, la forte densité d’action collective dans les Monts du Lyonnais questionne quant à l’inscription historique de ces dynamiques collectives, aux leaders et au motif de leur engagement529. En Flandre intérieure, nous avons requalifié notre démarche pour nous appuyer davantage sur la sociologie pragmatique dans l’analyse des situations de conflits530.

Dans chaque situation d’interaction, nous avons surtout cherché à identifier les acteurs en présence, leurs intérêts, les motifs de leur implication/engagement, l’objet des interactions, les registres de justification et la manière dont le problème est posé, et la dynamique des interactions. Par

524 P. LASCOUMES and P. LE GALÈS, 2005, "L'action publique saisie par ses instruments", dans: LASCOUMES P. et LE GALÈS P., Gouverner par les instruments, Paris, Les presses de Sciences Po "Académique", 370 p.

525 Ibid., p13

526 « Ces instruments sont bien des institutions, car ils déterminent en partie la manière dont les acteurs se comportent, créent des incertitudes sur les effets des rapports de force, conduisent à privilégier certains acteurs et intérêts et à en écarter d’autres, contraignent les acteurs et leurs offrent des ressources, et véhiculent une représentation des problèmes. » ibid.p16

527 On s’appuiera également en termes de méthode sur les travaux de B. Thareau. B. THAREAU, "Les agriculteurs dans la gestion municipale : le cas de trois communes périurbaines de l’agglomération angevine", Article cité

528« La délimitation du problème est particulièrement discriminante : dans un cas, elle est sectorielle et limitée au monde agricole tout en assimilant celui-ci au monde rural ; dans l'autre, elle prend comme point de focalisation une zone géographique, la rivière, à partir de laquelle se déploient enjeux et problèmes à traiter. » P. LASCOUMES and J.-P. LE BOURHIS, Le bien commun comme construit territorial. Identités d'action et procédures Article cité

529 F. PURSEIGLE. Les sillons de l'engagement. Jeunes agriculteurs et action collective., Ouvrage cité 530M. MORMONT, Conflit et territorialisation, Article cité

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cette analyse, il s’agissait de qualifier les arrangements institutionnels qui se dégagent de ces situations d’interaction localisées.

1.3.3. Validation de l’hypothèse par la mobilisation de l’économie

institutionnelle

Enfin, nous revenons dans un troisième temps sur ce qui se joue pour les exploitations agricoles dans ces situations d’interactions localisées. Nous faisons l’hypothèse qu’elles sont le support d’arrangements institutionnels de nature à créer des conditions spécifiques d’insertion des exploitations agricoles dans le système économique et social, c'est-à-dire de redéfinir les modalités d’accès aux facteurs de production des exploitations agricoles, d’accès au marché, ainsi que les sphères d’innovation et de définition des pratiques. En nous appuyant sur le cadre d’analyse proposé par les économistes du patrimoine531, nous considérons en effet qu’il existe une forme de régulation patrimoniale de l’économie coexistant avec l’économie marchande, produit de l’appropriation de ressources par des groupes sociaux (désignés comme « communautés identitaires »), en vue d’assurer leur propre reproduction sociale532.

Ainsi, nous cherchons à identifier et qualifier au sein de chacun de ces dispositifs les processus par lesquels un patrimoine est institué comme une relation économique, c'est-à-dire « le mouvement

par lequel un objet est élaboré en tant que ressource par un sujet individuel ou collectif pour organiser son rapport à son identité et à son futur »533

Le territoire constitue un cas d’étude privilégié de ce processus de patrimonialisation. La rationalité patrimoniale en jeu dans la projection des groupes humains dans le futur apparaît d’ailleurs comme élément central de la définition même du territoire.

« La plupart des auteurs s'accordent à reconnaître que l'émergence du territoire social, l'apparition de la localité, exprime une motivation humaine majeure : se regrouper, s'organiser pour survivre. » 534

Cette hypothèse est d’ailleurs sous-jacente aux principes de l’économie territoriale sur la différenciation des systèmes productifs, et ces deux courants de l’économie sont très proches535. Nous préférons toutefois le cadre d’analyse des économistes du patrimoine qui permet de penser l’évolution des communautés identitaires et des ressources qui font l’objet d’un processus de patrimonialisation.

Nous analysons ainsi les formes d’arrangements institutionnels qui émergent dans les situations d’interaction entre les agriculteurs et d’autres acteurs en nous appuyant sur la grille d’analyse

532 “substantive economy” concept, where economy is defined as “the instituted process or culturally patterned arrangements by which a given human group provisions itself as a going concern. The focus is on the provisioning of social reproduction and on the instrumentality of economic activity vis-à-vis the life process” D. BARTHÉLEMY and M. NIEDDU, Non-Trade Concerns in Agricultural and Environmental Economics: How J.R. Commons and Karl Polanyi Can Help Us, Article cité

533 M. NIEDDU, Le patrimoine comme relation économique, Article cité

534 G. DI MEO, La genèse du territoire local: complexité dialectique et espace-temps, Article cité p277 535 G. COLLETIS and B. PECQUEUR, "Révélation de ressources spécifiques et coordination située", Article cité

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suivante536 : Quelles sont les identités/valeurs qui sont instituées en patrimoine ? Quelles sont les ressources activées ? Quelle est la communauté identitaire qui porte ce patrimoine ? Quelles sont les règles de fonctionnement établies en interne ? Comment ces règles sont-elles éprouvées vis-à-vis de l’externe, c'est-à-dire au sein du système économique et social dans sa globalité ?

1.3.4. Bilan : structuration du cadre d’analyse

Pour conclure, nous pouvons représenter de la manière suivante l’organisation du cadre d’analyse mobilisé dans la thèse. Il s’organise ainsi autour de deux composantes structurelles et construites de « l’encastrement » de l’exploitation agricole dans le territoire, où sont nous faisons l’hypothèse que sont redéfinies les conditions de son insertion dans le système économique et social autour des trois objets : les facteurs de production, les espaces de définition des pratiques, et l’accès au marché.

Figure 3.Structuration du cadre d’analyse

536 Nous mobilisons ici plus précisément la grille de questionnement utilisée dans le cadre de la collaboration avec Marie Dervillé et Gilles Bazin sur les formes patrimoniales qui peuvent perdurer et maintenir l’économie laitière de montagne dans une situation après quotas. M. DERVILLÉ, P. VANDENBROUCKE and G. BAZIN, Régulation de l’économie laitière après la suppression des quotas laitiers: les conditions patrimoniales du maintien de la production laitière en montagne, Article cité

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2. Une démarche d’analyse croisée à partir de deux

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