• Aucun résultat trouvé

Cette première analyse des transformations de l’exploitation agricole, et des cadres politiques, institutionnels et réglementaires nous permettent de reformuler la problématique de thèse de manière plus précise et opératoire.

Nous considérons d’abord que l’hypothèse d’une transition d’une agriculture sectorielle, spécialisée, « monofonctionnelle », de production de masse, à une agriculture territoriale « multifonctionnelle » ou « post-productiviste »468 constitue un prisme trop étroit pour appréhender les évolutions de l’agriculture. En effet, l’analyse des transformations des exploitations agricoles au filtre de cette opposition des modèles trouve son origine dans l’héritage des revendications militantes des années 80 et dans la recherche d’une caractérisation des fonctions de l’agriculture vis-à-vis de la société, mais reste un cadre trop restreint pour appréhender la diversité des agencements qui s’opèrent entre les logiques sectorielles et les logiques territoriales469. De ce fait, nous nous intéressons à ce

qui se joue dans les relations entre les agriculteurs et les autres acteurs du territoire en prenant avec distance ce prisme dual quant aux fonctions et finalités de l’activité agricole.

De plus, il nous apparaît impossible de définir en des termes structurels de ce que serait une « exploitation agricole territoriale ». Nous considérons que l’enjeu de légitimer les exploitations

résistantes des années 80 par leurs fonctions territoriales470, a conduit à trop souvent assimiler « exploitations territoriales » à « exploitations pluriactives », « tertiaires », « diversifiées », avec une certaine confusion entre des attributs « structurels » (ex : exploitation pluriactive ou diversifiée) et le caractère « territorial » qui relève d’une construction sociale471. Toutes les exploitations sont à notre sens concernées par la prise en considération des enjeux « territoriaux » introduits dans le débat autour

468L’entrée post-productiviste mobilisée par les anglo-saxons consiste à définir un modèle d’exploitation agricole caractérisé par: le passage de la quantité à la qualité ; la diversification des activités sur l’exploitation et la pluriactivité ; l’extensification et la promotion de modèles d’agriculture durable à travers la politique agricole ; la dispersion des modèles de production ; le passage à une régulation environnementale et la redéfinition des modèles de soutien à l’agriculture ; la localisation des rapports sociaux, politiques, environnementaux de l’exploitation à son environnement et de ses revenus. N. EVANS, C. MORRIS and M. WINTER, 2002, Conceptualizing agriculture: a critique of post-productivsm as the new orthodoxy, Progress in Human Geography, n°26 /3, pp. 313-332

469 Nous rejoignons ainsi la critique émise par Martino Nieddu et Antonin Gaignette ; ainsi que celle qui peut être faite par les anglo-saxons de « nouvelle orthodoxie » autour du post-productivisme ibid. M. NIEDDU and A. GAIGNETTE, L'agriculture française entre logiques sectorielles et logiques territoriales (1960-1985), Article cité

470 Dont on trouve déjà les germes et hypothèses fondatrices dans le débat des années 80, les débats sur lesquels nous sommes revenus sur la place du local dans les logiques des agricultures diversifiées en étaient particulièrement révélateurs. P. Lacombe affirmait ainsi que les agriculteurs multiactifs étaient plus à même d’être concernés par le développement territorial que les agriculteurs modernes. P. LACOMBE, "La pluriactivité et l'évolution des exploitations agricoles", Article cité P. Mundler met en évidence que si les formes de pluriactivité ou de diversification des systèmes d’activité dans le prolongement de l’activité agricole sont très différentes les uns des autres, c’est leur « rôle » territorial qui rend légitime leur association au sein d’une même catégorie. « Notre hypothèse est que tous ces systèmes d’activités sont unis par le rôle territorial qu’ils peuvent jouer du fait de leur interdépendance avec la dynamique de l’emploi local et avec les possibilités de valorisation de la production et des services rendus par les agriculteurs. » P. MUNDLER, 2007, "Systèmes d’activités des ménages agricoles en Rhône-Alpes, des liens aux territoires par les produits, les services et l’emploi. ", Prospective, agriculture, politiques publiques et territoires, Le Pradel, P. MUNDLER, 2007, L'agriculture Rhône-Alpine, Doctorat d'Economie, Dir: BONNAFOUS A., Université Lyon 2, Lyon. 137p.

471 F. LESCUREUX, Les relations des agriculteurs au territoire au travers de la vente directe et de l'accueil à la ferme. Le cas de la région des Monts de Flandres, Thèse citée

97

de la multifonctionnalité. Toutes restent concernées par les questions sectorielles de gestion de la concurrence, de compétitivité.

Néanmoins, nous considérons que le territoire, que nous définissons comme espace d’action

collective et d’action publique émergeant de la projection des groupes humains sur l’espace, et produit de leurs coordinations ou conflits dans la résolution d’un problème commun, constitue une

composante forte de l’évolution des exploitations agricoles, plus particulièrement depuis le début

des années 90. Espace de conflits, de transactions sociales, de négociation, de coordinations, l’espace rural comme « espace où se trouvent définies les règles et où se construisent les ressources pour

l’action »472 devient support de nouvelles territorialités qui non seulement définissent les projections des groupes humains dans leur espace-temps473, mais sont aussi des espaces de transformation, de nouveaux agencements sociaux et économiques autour d’objets hybrides474. Nous avons souligné l’ensemble des ajustements qui s’opèrent à l’échelle locale entre les agriculteurs et les autres acteurs du territoire. Ces transformations sont plus larges qu’une réorientation vers des logiques de qualité ou de diversification ; elles peuvent également toucher aux agencements fonciers de l’exploitation, à une redéfinition des pratiques dans de nouveaux espaces.

Enfin, dans un contexte d’affaiblissement des mécanismes d’encadrement structurel de l’exploitation agricole par la politique agricole475, la logique sectorielle de mise en concurrence sur un marché non différencié ne permet pas d’assurer la viabilité des exploitations agricoles dans certaines régions. De ce fait, se pose de manière plus prégnante dans ces espaces la question des mécanismes mobilisés pour le maintien d’une agriculture dans ces espaces. Nous faisons l’hypothèse que sont mis

en jeu des arrangements institutionnels qui relèvent d’une logique économique patrimoniale476. L’hypothèse centrale de la thèse est donc que dans certaines régions, la viabilité des exploitations repose de plus en plus sur des systèmes de coordinations horizontaux en relation avec des acteurs agricoles et non agricoles, eux-mêmes engagés à divers titres (production, résidence, militance, etc.) dans des processus qui font sens à l’échelle des espaces considérés. Ce changement des instances où se joue l’avenir des exploitations agricoles se décline dans des mutations en termes d’instances de négociation de l’accès aux moyens de production ; de scènes de définition des pratiques et opportunités d’innovation autour de ce qui fait objet de discussion entre les agriculteurs et les autres acteurs du territoire ; et de formes d’insertion marchande de l’exploitation.

472 J. WILKINSON, 1997, A new paradigm for economic analysis. Recent convergences in French social science and an exploration of the convention theory approach with a consideration of its application to the analysis of the agrofood system, Economy and Society, Vol. 26 /n°3, pp. 305-339

473 P. ALPHANDÉRY and M. BERGUES, Territoires en questions: pratiques des lieux, usages d'un mot, Article cité

474 B. LATOUR, 2010, La mondialisation fait-elle un monde habitable? , Territoires 2040: Prospective

périurbaine et autres fabriques de territoires, n°2, pp. 9-19 En ligne

http://ks306802.kimsufi.com/datar/IMG/pdf/t2040_n2_1latour.pdf , M. MORMONT, Conflit et territorialisation, Article cité

475 Nous distinguons la question de l’encadrement structurel qui s’affaiblit, et l’augmentation parallèle des mécanismes prescriptifs d’encadrement par les normes.

476 Ainsi se pose en particulier la question du maintien de la production laitière dans les zones de montagne. M. DERVILLÉ, P. VANDENBROUCKE and G. BAZIN, Régulation de l’économie laitière après la suppression des quotas laitiers: les conditions patrimoniales du maintien de la production laitière en montagne, Article cité

99

Chapitre 2

Outline

Documents relatifs