Chapitre 4 : Design et méthodologie de la recherche
4.2. Le terrain de la recherche : Le secteur du lait et produits laitiers en Tunisie
4.2.1. L’innovation dans le secteur privé en Tunisie
La capacité d’innovation d’une économie dépend pour beaucoup de l’engagement des
firmes privées dans l’innovation, c’est pourquoi il importe d’analyser les éléments qui
influencent l’entreprise dans sa décision d’innovation. Théoriquement parlant, la décision
d’innovation à l’échelle de l’entreprise dépend de plusieurs déterminants mais en même temps
elle est soumise à différentes contraintes, lesquelles peuvent être d’ordre interne comme elles
peuvent être d’ordre externe. Les déterminants sont censés favoriser l’innovation alors que les
contraintes sont supposées entraver cette activité. De nombreuses études focalisées sur des
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échantillons d’entreprises appartenant à des pays industrialisés ou à des pays nouvellement
industrialisés ont réussi à analyser les déterminants et contraintes susceptibles d’influencer la
décision d’innovation de leurs entreprises (Pamukçu et Cincera, 2001 ; Van et al., 2005 ;
Chudnovsky et al., 2006). Pour les pays en développement, ce genre d’études est resté
relativement rare en raison de l’inexistence d’informations et d’enquêtes statistiques relatives
à l’innovation dans le secteur privé. Avec la promulgation en 1996 de la première loi
d’orientation scientifique et technologique et l’instauration du programme de mise à niveau de
l’entreprise, la Tunisie a renforcé l’arsenal juridique et institutionnel pour encourager
l’innovation à la fois dans le secteur public et celui privé. Cependant, malgré l’adhésion de
plusieurs unités à ce projet de promotion de l’innovation et après plus d’une décennie
d’expériences, les résultats de ces politiques sur le secteur privé sont encore méconnus.
La politique d’innovation en Tunisie repose sur un arsenal juridique d’incitations à
l’innovation (lois concernant les brevets, les chercheurs, les projets innovateurs, les fonds
d’amorçage de l’innovation, etc.) et un ensemble de programmes et de structures d’appui et
d’aide à l’innovation apprêtés aux entreprises (plusieurs modalités d’incitations financières à
l’innovation, des technopoles et des premières entreprises…), mis en place depuis 1996, date
de la mise en œuvre de la première loi d’orientation scientifique et technologique. Les
aboutissements de cette politique peuvent être lus dans le tableau ci-dessous qui donne une
idée sur l’importance des inputs et des outputs relatifs à l’innovation en Tunisie.
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Inputs de R&D (UNESCO) Outputs de
R&D (OMPI)
Groupe de
pays ou pays DIRD EN % DU PIB DIRD par habitant en PPA
Chercheurs par million
d’habitants en EPT
Demandes de
brevets
déposées par
million
d’habitants
Année 2002 2007 2002 2007 2002 2007 2005
Tous les pays
arabes 0.23 0.19 12.54 14.66 372.1 390.5 …
Afrique 0.40 0.41 08.01 10.85 154.9 169.2 …
Afrique du
sud 0.73 0.95 48.90 85.33 308.2 384.7 …
Pays arabes
d’Afrique 0.35 0.30 13.97 16.33 471.9 506.8 …
Algérie 0.36 0.06 21.39 04.77 … 170.2 1.80
Egypte 0.19 0.22 06.76 11.59 … 616.6 5.78
Maroc 0.54 0.63 16.11 24.68 … 647.3 4.64
Tunisie 0.62 1.02 33.50 66.87 1029.80 1587.90 5.59
… : Chiffre indisponible
Source : Extraits des bases de données en ligne de l’UNESCO et de l’OMPI.
Tableau 3 : Extraits des bases de données en ligne de l’UNESCO et de l’OMPI. (2010)
En effet, l’analyse des données regroupées dans ce tableau montre de façon évidente
l’importance des ressources financières et surtout humaines réservées à la recherche dans ce
pays comparativement à des pays voisins, africains ou arabes. Avec un ratio DIRD/PIB qui a
atteint 1.25% en 2010, et 1587.9 chercheurs par million d’habitants en 2006, la Tunisie
devance tous les pays du continent africains et la moyenne de tous les pays arabes pour
rejoindre certains pays de l’Europe de l’Est.
En termes d’outputs, il s’avère qu’il y a plus de demandes de brevets développées par million
d’habitants en Tunisie que dans les deux pays du Maghreb (Algérie et Maroc). Toutefois, ces
chiffres macroscopiques, masquent les potentialités réelles d’innovation au niveau du secteur
privé. Dans ce sens, Tili (2009) montre que l’effort national que l’effort national en termes
d’inputs n’a pas suffi à mettre en place un système national d’innovation cohérent et favorable
à l’émergence d’une véritable culture d’innovation surtout dans le secteur privé. En effet, un
examen plus détaillé de ces chiffres montre que le secteur privé est resté faiblement impliqué
dans l’effort national en matière de recherche scientifique et d’innovation. Depuis plus d’une
173
décennie, la contribution des entreprises privées dans l’enveloppe totale des DIRD n’a pas
excédé 15%. De même, sur le plan outputs, les demandes de brevets déposées par les
entreprises privées n’ont représenté, durant la période 1990-2005, que 20% des demandes
totales et 31.1% de celles déposées par des individus. Cette situation caractérisée par une
concentration des activités de R&D dans la sphère publique s’explique en partie par la nature
même du tissu d’entreprises en Tunisie caractérisé par la prédominance des Petites et
Moyennes Entreprises (PME).
Selon le Répertoire National d’Entreprises (RNE), ce tissu comptait en 2009, environ 500
mille entreprises dont 80% des indépendantes et plus de 90% emploient moins de 10
employés. La majorité de ces entreprises sont des entreprises familiales dont presque 70% est
concentrée dans les activités de service. Le secteur industriel ne comptait (en novembre 2009)
que 5624 entreprises ayant un effectif supérieur ou égal à 10 employés dont 2717 sont
totalement exportatrices. Le nombre d’entreprises à participation étrangère est de 1944 dont
1184 sont à capitaux 100% étrangers. Parmi elles, 1652 entreprises totalement exportatrices.
4.2.2. Dynamique de la consommation du lait et des produits laitiers en Tunisie
Parmi les principales conséquences des transformations structurelles de la société
tunisienne nous remarquons que la demande alimentaire en est une. Les mutations qu’a subies
la population tunisienne, qu’elles soient d’ordre économique, social ou démographique, etc.,
ont aussi concerné les habitudes alimentaires du consommateur tunisien. Dès lors, nous
remarquons des changements profonds à partir des années 90. Ces changements sont dus
principalement à l’amélioration des revenus, la forte urbanisation, l’influence des médias,
l’ouverture sur l’extérieur, le développement et la diversification de l’offre alimentaire locale
ou celle importée, les efforts d’éducation nutritionnelle (Khaldi et Naili, 1995). Il en est de
même pour le secteur des produits laitiers dont les mutations sont très visibles et concernent
essentiellement l’organisation de la filière et l’amélioration de ses performances (Khaldi et
Naili, 2001). En effet, depuis les années 80, la politique laitière a encouragé la production
laitière locale, la collecte et les investissements privés dans le secteur. Les résultats de ces
politiques ont été rapidement palpables puisque la Tunisie passe d’une situation d’insuffisance
de la production et de déficit de la balance des produits laitiers à une situation de
surproduction au cours des dernières années. Cette augmentation est remarquable à travers
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l’extension des zones de production en dehors des bassins laitiers habituels notamment dans le
Nord, et un développement de l’élevage hors sol dans le Centre et le sud du pays
(Gouvernorats de Sfax, Mahdia et Monastir) (Khaldi et Naili, 2001). L’industrie laitière a subi
aussi un développement de ses capacités de production grâce aux investissements privés
favorisés par la dynamique des marchés. Le secteur a connu une diversification de la gamme
des produits et une amélioration de la qualité surtout suite à des partenariats avec des leaders
mondiaux tels que : BSN Danone, Sodial, Bongrain, Yoplait, EMMI-Suisse….
Ce contexte étant posé, nous exposons les catégories de lait et de produits laitiers présents
et consommés en Tunisie :
Lait et produits laitiers industriels :
o Lait industriel présenté en bouteilles plastiques et paquets comportant une
gamme très diversifiée de lait (du lait stérilisé UHT, du lait entier, du lait
stérilisé demi-écrémé, du lait stérilisé écrémé, des laits aromatisés, du lait
enrichi en vitamines, …) ;
o Lait concentré ;
o Petit lait (Leben) et lait caillé (Raieb) ;
o Yaourts en pots ;
o Desserts lactés (flan, crème desserts, mousses, …) ;
o Fromages (pâtes molles, gruyères, bleus, fromages hollandais, …) ;
o Beurres et margarines.
Produits laitiers non industriels :
o Lait frais en vrac ;
o Smen (beurre chauffé et concentré) ;
o Petit lait (Leben) et lait caillé (Raieb) ;
o Beurre artisanal ;
o Fromages artisanaux.
D’une manière générale, la consommation du lait et des produits laitiers a légèrement
augmenté passant de 60kg (en équivalant lait frais) en moyenne par personne par an à 65kg
sur la période allant de 1980 à 1995. Grâce aux bilans relatifs à la consommation de ces
produits, nous remarquons un écart important entre le milieu urbain et le milieu rural. Les
chiffres montrent qu’on consomme deux fois plus de lait et de produits laitiers en ville qu’à la
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campagne. Cela souligne l’effet de l’industrialisation du secteur du lait et des produits laitiers
sur la mutation des tendances dans les comportements du consommateur (INS, Enquête
Budget et consommation des ménages).