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Chapitre 2 : La gestion des connaissances ou le « knowledge management »

2.3. Le management des connaissances ou le « knowledge management »

2.3.1. Bref historique et émergence du Knowledge Management

Il s’avère de ce qui précède qu’aussi précieuse soit-elle, l’information ne suffit pas à

accroître la performance si elle n’est pas intégrée dans le travail. En effet, une information n’a

de réelle valeur stratégique que lorsqu’elle est devient une connaissance opérationnelle au

terme d’un processus de transformation et d’apprentissage.

L’information nourrit la connaissance sans pouvoir s’y substituer. Elle reste donc essentielle

dans la mesure où « Good information management is the essential foundation to good

knowledge management. The two go hand to hand» (Curran, 1998).

Cependant, la gestion des connaissances ne peut pas se résumer à un regroupement

d’informations car gérer le savoir n’est pas seulement rassembler des informations, il s’agit de

créer une infrastructure à la fois humaine et matérielle qui permet aux informations de circuler

dans l’entreprise pour pouvoir être transformées et utilisées.

Même si l’on peut penser que le management des connaissances existe, implicitement,

depuis très longtemps, les spécialistes s’accordent sur son émergence vers la fin des années

50. En effet, après une domination managériale de l’école classique et une conception

mécaniste de l’homme au travail, les travaux des auteurs de l’école des relations humaines ont

mis en avant, à partir des années 30, le rôle stratégique joué par l’humain dans l’entreprise. En

1959, dans son livre intitulé : « Theory of the growth of the firm », Edith Penrose propose une

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approche complètement nouvelle, fondée sur les ressources « Resource Based View ». Elle

explique dans ce livre que l’organisation peut subir une perte de capital en cas de départ d’un

salarié « capable », c’est-à-dire intervenant dans le processus de production. C’est une

approche nouvelle car elle confère à la connaissance une valeur économique, au même titre

que toutes ressources matérielles. La création de richesses n’est plus seulement l’apanage du

capital au sens strict du terme, le savoir détenu par les salariés se retrouve au centre du

processus de création de la richesse. D’un point de vue théorique, l’approche basée sur les

ressources à été l’une des premières à mettre en avant l’importance des ressources internes à

l’entreprise dans le maintien de son avantage concurrentiel. La performance de la firme

dépend donc de la manière dont les managers gèrent leur organisation autour de ressources

rares, monnayables (condition d’existence), difficilement imitables, difficilement

échangeables et difficilement substituables (condition de persistance), (Reynaud, 2001).

Grâce à ses travaux, Penrose (1959) a été l’un des premiers économistes à reconnaître le rôle

des connaissances et des capacités d’apprentissage dans la dynamique de croissance de la

firme. Son postulat repose sur le fait que les entreprises qui disposent de connaissances

supérieures ou qui sont capables de combiner leurs ressources d’une manière différente et

innovante possèdent un avantage par rapport à leurs concurrents. Les constats de Penrose

(1959) ont ouvert la voie à une nouvelle approche de la firme « Knowledge-Based View ».

Pour les tenants de cette approche, la connaissance est une ressource stratégique. Ainsi, la

capacité à acquérir, à développer, à partager et à appliquer la connaissance aux activités et aux

processus clés constitue la base de l’avantage concurrentiel et l’objet même du knowledge

management. Ainsi, la « Knowledge-Based View » considère le savoir comme la ressource

stratégique la plus importante, puisqu’elle est difficilement imitable, unique, durable et

bénéficie de rendements croissants (Berthon, 2001). Dans cette acception, la création de

valeur pour l’entreprise serait liée à sa capacité à acquérir, capitaliser et exploiter ses

ressources, savoir-faire et compétences-clés, qui constituent la base de la position

concurrentielle de la firme. Ainsi, le knowledge management devrait permettre aux

entreprises de développer par anticipation des compétences distinctives, et non plus attendre

de constater les évolutions du marché pour s’adapter (March, 1991). La capacité des firmes à

manager un apprentissage rapide et efficace devient source de compétitivité. Des travaux

divers vont venir étayer cette approche, comme ceux de Polanyi (1966) qui définit les deux

types de connaissances dans les organisations (tacites et explicites) ou ceux d’Argyris dans les

années 70 qui cherche à définir le statut de la connaissance dans les organisations. Peter

Drucker (1966) le démontre également en précisant l’importance de l’analyse de l’information

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dans les organisations et le rôle que joue la connaissance pour la rendre pertinente. Dans les

années 80, ce concept prend de l’importance en raison des incertitudes liées à la crise. C’est à

ce moment qu’apparaît le terme d’entreprise apprenante. Peter Senge (Senge et al, 1991) met

en avant les processus d’apprentissage en équipe et montre l’intérêt d’un nouvel état d’esprit

qui fait de la connaissance un atout concurrentiel indéniable. Avec les progrès de

l’informatique, les années 80 marquent le développement de travaux sur l’intelligence

artificielle et les systèmes experts. On se focalise alors sur la manipulation et la transmission

de données ainsi que sur la problématique de sa conservation. De nombreuses innovations

apparaissent à ce moment-là comme la gestion électronique des documents mais également le

traitement automatique du langage, à travers la dictée vocale ou la traduction automatique. Un

changement majeur va intervenir dans les années 90, sous l’influence des grands cabinets de

conseil de gestion qui réalisent des prestations pour les plus grandes organisations mondiales.

On cherche alors à mettre en place de véritables systèmes internes de gestion des

connaissances, à vocation pratique, dans un but de productivité accrue.

Dans son article, Stewart (1991) avertissait les firmes en leur conseillant de se focaliser

davantage sur leurs connaissances que sur leurs biens matériels : « Intellectual capital is

becoming corporate America’s most valuable asset and can be its sharpest competitive

weapon. The challenge is to find what you have – and use it ». Dans le même esprit, Peter

Drucker (1993), a identifié les savoirs comme la base nouvelle de compétitivité dans la

société post-capitaliste: « More and More, the productivity of knowledge is going to become a

country, an industry, or a company, the determining competitiveness factor. In the matter of

knowledge, no country, no one in industry, no one company has a “natural” advantage or

disadvantage. The only advantage that it can ensure to itself is to be able to draw more from

the knowledge available to all than others are able to do”. Au même moment, on observe une

accélération de la recherche avec les travaux fondamentaux de Nonaka et Takeuchi au Japon

(1995). C’est souvent cette date qui est prise pour présenter le développement du concept de

management de la connaissance. En effet, les travaux japonais ont surtout mis en relief des

interactions existantes entre les connaissances tacites et explicites mais également les

approches possibles pour les développer. Cette approche japonaise apporte énormément au

concept car elle s’oppose à l’approche américaine, orientée technologies.

En 1995, Nonaka et Takeuchi publiaient un livre remarquable sur la formation des

connaissances et son utilisation dans les entreprises japonaises : « The Knowledge Creating

Company » (Nonaka et Takeuchi, 1995). Ils présentent une nouvelle dynamique de création

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du savoir qui tient compte de l’environnement mais également du potentiel des personnes. Le

contexte doit être porteur de sens, ce qui développe la nécessité d’une communauté

stratégique de connaissances et met en avant l’intérêt d’une société en réseau.

La même année Dorothy Leonard-Barton (1995) publiait une étude sur le rôle des

connaissances dans les entreprises de fabrication : Wellsprings of Knowledge. L’intérêt porté

à la connaissance a donné naissance à la théorie des ressources basée sur les connaissances

« Knowledge-Based View » (Grant, 1996 ; Kogut et Zander, 1992 ; Spender, 1996) qui

considère la connaissance comme une ressource stratégique clé (Argyris et Schon, 1978 ;

Levitt et March, 1988). La firme est ainsi considérée comme un répertoire de connaissances

associé à des mécanismes de gestion visant le développement de ces connaissances au sein de

l’organisation. Ainsi, d’après Tissey (Tissey, 1999) « La gestion des connaissances

correspond à la gestion consciente, coordonnée et opérationnelle de l’ensemble des

informations, connaissances et savoir-faire des membres d’une organisation au service de

cette organisation ».

Selon Wah, (1999) « Knowledge management (KM) is about adding actionable value to

information by filtering, synthesizing and summarizing it and developing personal usage

profiles to help people get the kind of information they need to take action on».

Davenport (1998) définit le management des connaissances comme étant «The process of

knowledge capture, sharing, and reuse that organizations used to become more productive

and allowed them to get closer to their customers ».

O’Dell et Grayson (1998) définissent le knowledge management comme étant « une stratégie

consciente de transmettre la bonne connaissance auprès des bonnes personnes au bon

moment et d’aider les individus à partager l’information et la mettre en action dans des

formes qui visent à améliorer la performance organisationnelle ». Dans cette optique,

l’entreprise s’efforce de maximiser la valeur de ses connaissances afin de développer et de

renforcer son potentiel de performance. La gestion des connaissances concerne les savoirs

individuels et les savoirs collectifs de l’entreprise. Elle regroupe un ensemble de pratiques

permettant de mémoriser les savoirs, de créer des liens entre les différents savoirs individuels

et de générer des nouveaux savoirs collectifs (Sanchez, 2003).

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2.3.2. Les grands courants d’influence du Knowledge Management