Chapitre 4 : Design et méthodologie de la recherche
4.1. Une exploration hybride par une approche qualitative
4.1.2. La méthode des cas
4.1.2.1. Eléments de définition
L’étude de cas est un terme générique qui recouvre plusieurs configurations : cas unique
ou multiples, et une étude encastrée ou holistique (Yin, 2003). Avant de présenter notre choix
parmi ces dernières, précisons ce qu’est le cas. Dans la littérature, plusieurs termes sont
donnés par les auteurs comme synonymes de l’étude de cas : enquête de terrain (Grawitz,
1984), enquête empirique (Yin, 1989), observation (Revault d’Allonnes, 1989), monographie
(Hamel, 1997). L’abondance de ces synonymes met en lumière le flou et la difficulté de
distinction entre ces différents termes. De manière générale, ces équivalents peuvent être
appréhendés dans un continuum renvoyant à des méthodes et des techniques complémentaires
permettant d’appréhender un même phénomène à travers des points de vue différents (De
Bruyene et al., 1984 ; Lessard-Hebert et al., 1990). L’ancrage de la méthode de l’étude de cas
se rattache aux courants de recherche à visée de compréhension et s’appuie sur les démarches
à dominante interprétative, comme le soulignent les travaux fondateurs dans ce domaine
(Dilthey, 1883) ; Schutz (1943, 1962) ; Weber (1951, 1965)).
En sciences humaines et sociales, l’étude de cas fait référence à une méthode visant
l’analyse et la compréhension et consistant à « étudier en détail l’ensemble des
caractéristiques d’un problème ou d’un phénomène restreint et précis tel qu’il s’est déroulé
dans une situation particulière » (Albero, 2010). L’étude de cas est alors considérée comme
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une stratégie de recherche qui permet d’accéder aux situations concrètes en entreprise (Yin,
2003). Giroud (2003), la définit comme étant « une analyse en profondeur décrivant dans le
détail un phénomène organisationnel s’étalant parfois sur plusieurs années, voire plusieurs
décennies ».
Plusieurs auteurs ont tenté de préciser les différentes configurations de l’étude de cas. Elle
peut concerner un cas unique ou des cas multiples. Stake (1994), identifie trois types de cas :
L’étude de cas intrinsèque qui permet une meilleure compréhension d’un cas
particulier. Le cas présente un intérêt en lui-même ;
L’étude de cas instrumentale. Un cas particulier est examiné pour fournir des
éclaircissements sur un sujet pour améliorer une théorie. Ici, c’est la compréhension
d’un phénomène qui prime sur l’intérêt porté au cas ;
L’étude de cas collective (ou étude de cas multiples selon la terminologie de Yin
(2003)). Les chercheurs étudient un certain nombre de cas conjointement. Les cas sont
choisis parce qu’ils permettent d’améliorer la compréhension d’un phénomène.
Miles et Huberman (2003) avancent deux raisons en faveur de l’étude de cas multiples : la
généralisation des résultats et l’approfondissement de la compréhension et de l’explicitation.
En effet, l’étude de cas multiples permet d’étendre certaines conclusions à d’autres cas. Le
chercheur peut ainsi faire varier les caractéristiques contextuelles d’une recherche qualitative
et limiter ou maîtriser autant que possible les spécificités dues aux choix d’un cas particulier
(Drucker-Godard et alii, 1999). La généralisation obtenue grâce à cette stratégie de recherche
est considérée comme étant théorique de nature analytique (Yin, 2003 ; David, 2004). Ainsi,
selon Yin, l’étude de cas, comme l’expérience, ne présente pas un échantillon et le but du
chercheur est d’enrichir et de généraliser des théories (généralisation théorique) et non
d’énumérer fréquences (généralisation statistique). Ensuite, l’étude de cas multiple permet
l’approfondissement de la compréhension et de l’explication. Parce qu’elle permet la
comparaison, elle renforce la compréhension en profondeur d’un phénomène.
Il ressort des définitions précédentes que l’étude de cas est une méthode approfondie sur un
cas en particulier. Elle peut porter sur une personne, un groupe ou un sujet spécifique et se
situe dans l’horizon des méthodes qualitatives. Pour Yin (2003, cité dans Benavent, 2005),
« la méthode de recherche d’étude de cas comme enquête empirique qui étudie un phénomène
contemporain dans son contexte réel, quand les frontières entre le phénomène et le contexte
ne sont pas clairement évidentes, et dans lesquelles sources multiples d’évidence sont
employées ». D’après Woodside et Wilson, (2003), en tant que méthode de recherche, l’étude
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de cas est appropriée pour la description, l’explication, la prédiction, et le contrôle de
processus inhérents à divers phénomènes que ces derniers soient individuels, de groupe ou
d’une organisation. Ces auteurs précisent que la combinaison de ces quatre finalités est aussi
possible.
Afin d’accéder aux situations réelles en entreprises, le chercheur dispose de plusieurs
stratégies de recherche possibles, nous avons choisi l’étude de cas. Cette stratégie ne
supposant ni un objectif spécifique (explorer, tester ou décrire), ni une approche particulière
(quantitative ou qualitative), il s’agit dans un premier temps de justifier le choix de
l’exploration hybride et de l’approche qualitative, avant de nous pencher, dans un second
temps, sur le choix de l’étude de cas.
Wacheux (1996) distinguent huit stratégies d’accès au réel (cf. tableau 2) : l’étude de cas, la
méthode comparative, la recherche expérimentale, la méthode des scénarii et simulation, la
recherche-action, la méthode biographique, la phénoménologie et l’innovation méthodique.
Chacune répond à un objectif et à une question de recherche spécifique.
Stratégie d’accès au réel Objectif et question de recherche
Etude de cas Exploration, compréhension, générer des hypothèses sur le
pourquoi et le comment
Méthode comparative Repérer des déterminants locaux et généraux de l’objet
d’analyse
Recherche expérimentale Causalisme simple ou conceptuel
Méthode des scénarii et
simulation, Comprendre les mobiles de l’action et les représenter
Recherche-action Etudier les changements provoqués
Méthode biographique Compréhension de l’environnement social, déterminant du
comportement
Phénoménologie Introspection de l’expérience personnelle
Innovation méthodique Logique de la découverte
Tableau 2 : Les différentes stratégies d’accès au réel
Source : adapté de Wacheux (1996)
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4.1.2.2. Pourquoi l’étude de cas ?
Selon Yin, l’étude de cas est utilisée lorsqu’une « question portant sur le « comment » et
le « pourquoi » est posée sur des évènements contemporain dans un contexte réel, sur
lesquels le chercheur a peu ou pas de contrôle » (Yin, 2003). D’après lui, cette méthode
articule le traitement de « sources multiples d’informations» (Yin, 2003). Un cas est une
situation d’entreprise à partir de laquelle les apprenants identifient non seulement des
difficultés, mais également des ressources (avantages) les conduisant à préconiser des actions
pour améliorer la situation telle qu’elle est, au moment où elle se présente (Couré, 1997).
L’objectif du cas n’est pas de fournir une « description totale ou complète d’une réalité
organisationnelle, mais la description la plus fidèle que possible, par un observateur neutre
(rédacteur du cas), d’une situation de gestion qui se déroule dans un contexte et à un moment
précis » (Laflamme, 2005). Parlant de l’utilité de la méthode des cas, Côté et al., (1991)
précisent que celle-ci permet un apprentissage à petits pas, par essais et erreurs dans la mesure
où elle permet au chercheur à écouter les participants et tenir compte de leurs opinions, leurs
habiletés et leurs expériences. Pour Christensen (1981) et Berger (1983), il s’agit d’une
méthode mettant le chercheur dans la peau du décideur en l’incitant à analyser et trier un lot
d’informations plus ou moins pertinentes ou incomplètes sur lesquelles il appuiera ses
recommandations et reflètera sa propre perception du phénomène décrit.
Notre questionnement : « quel est le rôle du partage des connaissances dans les démarches
d’innovation », nous centrons sur un évènement contemporain, le rôle du management et du
partage des connaissances ayant lieu dans un contexte réel (le groupe «D» et le processus
d’innovation) sur lequel nous n’avons pas de contrôle.
Pour Yin (2003), « le besoin distinctif de l’étude de cas provient du désir de comprendre un
phénomène social complexe » (2003). La complexité du phénomène étudié, le rôle du
management et du partage des connaissances sur le processus d’innovation, tient
principalement à son encastrement dans un contexte d’innovation.
Pour sa part, Gagnon (2005) propose une démarche reposant sur huit étapes chacune ayant un
objectif précis. Cette démarche est présentée sous forme d’un guide de réalisation de l’étude
de cas :
Etablir la pertinence : l’objectif de cette étape consiste à vérifier que l’étude de cas
comme méthode de recherche est appropriée. D’abord, le chercheur commence par
déterminer s’il souscrit à un perspectif constructiviste et établir les bases théoriques
relatives à la problématique de la recherche. Ensuite, il doit s’assurer que cette
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problématique se prête bien à l’étude de cas (exploratoire ou empirique pure). Enfin, il
doit vérifier si les caractéristiques de la problématique sont compatibles avec celles de
l’étude de cas ;
Assurer la véracité des résultats : lors de cette étape le rôle du chercheur est de
démontrer que les résultats sont rigoureux, véridiques et représentatifs de la réalité
observée. Pour ce faire, deux critères sont à respecter en interne et en externe à savoir:
la fiabilité et la validité. En ce qui concerne la fiabilité interne, elle a pour objectif de
montrer que d’autres chercheurs arriveraient sensiblement aux mêmes conclusions
s’ils traitaient et interprétaient les mêmes données. La fiabilité externe consiste à
montrer qu’un autre chercheur indépendant qui prendrait les mêmes cas ou des cas
similaires obtiendrait sensiblement les mêmes résultats. Pour ce qui est du critère de
validité, celle interne vise à assurer que les phénomènes relevés et décrits sont des
représentations authentiques de la réalité observée. La validité externe quant à elle,
consiste à fournir des résultats qui peuvent être comparés et contrastés avec d’autres
cas. La validité peut aussi concerner le construit dans la mesure où le chercheur doit
démontrer que les termes abstraits et les significations sont partagés à travers le temps,
les sites et les populations ;
La préparation : correspond à la troisième étape de la démarche de réalisation de
l’étude de cas et consiste à avoir un cadre de recherche suffisamment développé et
précis pour assurer une collecte rigoureuse des données. Pour mener à bien cette étape,
le chercheur doit d’abord définir une question de recherche claire et identifier le type
de l’étude de cas approprié à cette question de recherche. Ensuite, il doit asseoir les
bases de la stratégie de collecte des données. Enfin, il établit les données priorisées
dans la collecte en respectant certaines règles dans le traitement de celles-ci et il
réajuste et enrichit les produits obtenus ;
L’identification des cas : il s’agit de disposer d’un nombre suffisant de cas qui
répondent aux critères retenus et permettent de réaliser la recherche en respectant les
budgets alloués et le temps prévu. Dans cette étape, le chercheur doit acquérir une
bonne connaissance de la dynamique du milieu ce qui le permettra d’identifier
facilement les cas potentiels et les contacts avec les responsables afin d’obtenir leur
participation active ;
La collecte des données : lors de cette étape, le rôle du chercheur consiste à recueillir,
en respectant les règles d’éthique, des données brutes riches et crédibles. Pour ce faire,
il doit établir une relation de confiance avec les participants. L’objectif recherché est
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d’amasser le plus d’informations signifiantes possible permettant de réaliser ainsi des
tests de concordance pour augmenter la validité des données. Celles-ci doivent être
fiables et valides dans la mesure où elles constituent la base solide et fiable sur
laquelle prendra racine la qualité du traitement et d’interprétation ;
Le traitement des données : cette étape renvoie à l’examen systématique fertile des
données recueillies. Dans un premier temps, le chercheur est amené à s’assurer que les
données sont pertinentes, dans un format approprié et que la source et la façon dont
elles ont été recueillies sont connues. Dans un second temps, il procède à
l’organisation et le tri des données afin de faciliter leur analyse. Dans un dernier
temps, le chercheur rédige chaque cas. Il organise en récit les données qui supportent
les tendances dégagées dans l’analyse ;
L’interprétation des données : l’objectif de cette étape est de produire des
explications théoriques éprouvées et plausibles du phénomène étudié. Pour ce faire, le
chercheur construit une explication théorique pour chacun des cas dans son contexte
local. Il doit s’assurer que les propositions explicatives sont concrètement et
pleinement soutenues par les données de chaque cas. Il peut également utiliser les
écarts pour pousser plus loin la réflexion sur les propositions retenues et les
similitudes pour contribuer au processus d’élaboration de théories ;
Diffuser les résultats : c’est la dernière étape de la démarche de l’étude de cas et vise
à contribuer au corpus des connaissances sur le phénomène étudié et en faire profiter
la communauté scientifique et professionnelle. Le chercheur commence par
déterminer la forme appropriée de contenu. Ensuite, Il adapte le format et la teneur du
message à livrer, choisit le vocabulaire approprié et établit les bases du message et la
structure pour le transmettre. Enfin, il doit assurer la qualité et la crédibilité du
contenu afin qu’il soit accepté pour diffusion.
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Figure 16 : Démarche de réalisation d’une étude de cas (GAGNON, (2005))
Dans le cadre de ce travail de recherche, nous nous sommes appuyés sur ce modèle
proposé par Gagnon (2005) pour réaliser nos études de cas. Pour justifier l’étape de
pertinence, nous avons opté pour une méthode qualitative. Le choix de recourir à des
matériaux empiriques de nature qualitative est motivé par la finalité de notre recherche plutôt
que par le positionnement épistémologique. Le design de notre cadre méthodologique a été
construit en cohérence avec le paradigme épistémologique constructiviste pragmatique
(PECP), présenté en introduction. Pour Avenier (2010), si la méthodologie renvoie à l’étude
de la constitution des connaissances, le positionnement épistémologique quant à lui, se réfère
à l’étude de la constitution des connaissances valables. Ainsi, le recours à une approche
exploratoire de nature qualitative s’appuie sur trois aspects : l’objectif de recherche, les
caractéristiques du management et du partage des connaissances, et son impact sur
l’émergence des innovations au sein des entreprises étudiées. Notre objectif de recherche est
de repérer les rôles du partage dans le processus de gestion des connaissances au sein des
plateformes d’innovation et de comprendre leur mise en œuvre pour favoriser l’émergence et
le développement des innovations. Il s’agit de définir ces rôles et d’étudier en profondeur ce
phénomène afin de mieux l’appréhender sur le terrain. Dans la revue de littérature, un cas peut
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être une personne, un groupe, un projet déterminé, une organisation ou un groupe
d’organisations (Haldy-Rispal, 2002 ; Yin, 2003). Il ressort des définitions proposées par les
auteurs qu’il est possible de privilégier l’étude de cas dans cette recherche (Eisenhardt et
Graebner, 2007). L’objectif de notre recherche est d’étudier en profondeur le phénomène le
management des connaissances dans un contexte d’innovation à travers le partage des
connaissances au sein d’une équipe. Notre choix s’est orienté vers 3 projets innovants munis
au sein de trois entreprises du groupe «D», plus précisément ce choix concerne trois
plateformes d’innovation : « Cas 1 », « Cas 2 » et « Cas 3 », que nous présenterons plus loin.
Pour mener à bien l’investigation sur le terrain, nous avons formulé des questions de
recherche qui permettent d’ « opérationnaliser » notre cadre d’analyse. Ces questions portent
sur les éléments issus de l’étude de cas qui doivent être examinés d’une manière approfondie
afin de répondre à la problématique. Elles permettent de « canaliser l’énergie dans cette
direction plutôt qu’une autre. (…). Elles permettent de clarifier ce qui, dans le domaine
étudié, présenté le plus d’intérêt » (Miles et Huberman, 2003). Les interviews que nous avons
menées avec les cadres et les managers, personnes impliquées dans la dynamique de
l’innovation et en relation au quotidien avec les connaissances de l’organisation sont une
source d’informations privilégiée qui nous permettra de mieux comprendre, explorer et
analyser les éléments étudiés. Nous présenterons plus loin les autres étapes de la méthode de
réalisation de l’étude de cas, notamment celles relatives au recrutement des trois cas de notre
recherche, la collecte et le traitement des données recueillies sur le terrain de l’étude,
l’interprétation de celles-ci et la diffusion des résultats.
4.2. Le terrain de la recherche : Le secteur du lait et produits laitiers en