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Partage des connaissances : articulation entre management de l’innovation et management des connaissances : cas des plateformes d’innovation d’un
groupe leader du secteur agroalimentaire en Tunisie
Wissal Ben Arfi
To cite this version:
Wissal Ben Arfi. Partage des connaissances : articulation entre management de l’innovation et man- agement des connaissances : cas des plateformes d’innovation d’un groupe leader du secteur agroal- imentaire en Tunisie. Gestion et management. Université de Grenoble, 2014. Français. �NNT : 2014GRENG016�. �tel-01236624�
Université Joseph Fourier / Université Pierre Mendès France / Université Stendhal / Université de Savoie / Grenoble INP
THÈSE
Pour obtenir le grade de
DOCTEUR DE L’UNIVERSITÉ DE GRENOBLE
Spécialité : Sciences de Gestion
Arrêté ministériel : 7 août 2006
Présentée par
Wissal BEN ARFI
préparée au sein du Laboratoire Centre d’Etudes et de Recherche Appliquées à la Gestion
dans l'École Doctorale de Sciences de Gestion
Partage des connaissances :
Articulation entre management de l’innovation et management des connaissances
Cas des plateformes d’innovation d’un groupe leader du secteur agroalimentaire en Tunisie
Thèse soutenue publiquement le « 26 Novembre 2014 », devant le jury composé de :
Monsieur Gilles GUIEU
Professeur, Aix-Marseille Université (Rapporteur) Monsieur Mohamed MATMATI
Professeur, Grenoble Ecole de Management (Rapporteur) Monsieur Jean Pierre BOISSIN
Professeur, Université de Grenoble-Alpes (Président du jury) Monsieur Michel LE BERRE
Professeur Emérite, Université de Grenoble-Alpes (Directeur de thèse)
2
A mes chers parents3
L’Université n’entend donner aucune approbation
ni improbation aux opinions émises dans cette
thèse. Celles-ci doivent être considérées comme
propres à leur auteur.
4
REMERCIEMENTS
« On ne fait pas une thèse, on vit une thèse ». Cette phrase n’a cessé de prendre du sens au
fil de ces dernières années. Avec ses bons et ses mauvais côtés, cette période de ma vie ne m’a pas été plus douce que grâce à la présence de certaines personnes aimantes et bienveillantes qui ont été d’un soutien inconditionnel. Ce sont ces personnes que j’associe à cette réalisation et que je remercie tendrement.
Je tiens à exprimer ma profonde gratitude à mon directeur de thèse le Professeur Michel LE BERRE sans qui rien de tout cela n’aurait été possible. Qu’il sache que je lui suis grée de m’avoir fait confiance en acceptant de diriger ma thèse, et que je lui suis très reconnaissante de ses nombreux conseils à la fois amicaux et exigeants, de son intérêt pour ce travail, et de ses encouragements constants.
Je tiens à remercier les Professeurs
Mohamed MATMATI et Gilles GUIEUd’avoir accepté de juger mon travail en tant que rapporteurs. Je suis extrêmement honorée de vous avoir comme jury pour évaluer cette thèse.
Je remercie du fond du cœur Bénédicte BRANCHET, pour le suivi de la thèse. Je serai reconnaissante pour son sérieux et ses encouragements. Je pense aussi aux moments passés avec elle, dont elle a fait preuve de disponibilité et d’écoute qui m’ont été d’un grand réconfort.
J’adresse mes plus sincères remerciements et j’exprime mon plus profond respect au Professeur Jean-Pierre BOISSIN d’avoir accepté de participer à ce jury.
Je tiens à remercier les Professeurs Charles PIOT, Radu BURLACO, de m’avoir accueilli au sein de l’Ecole Doctorale de Sciences de Gestion et du laboratoire de recherche CERAG.
Je remercie vivement Madame Kaouther LARBI, Directrice Générale du Groupe Délice pour m’avoir accueilli et pour les échanges et discussions que nous avons eues dans le cadre de ce travail doctoral. J’adresse mes remerciements à tous les acteurs du terrain, et parmi eux d’anciens collègues, qui ont accepté de répondre à mes questions, m’ont fait confiance et m’ont permis de mener à bien mon travail de recherche.
Je tiens à remercier les membres du CERAG et de l’EDSG pour le cadre du travail que vous
nous offrez. Je remercie vivement Bernard AUGIER pour son amitié et son écoute. Je
remercie Marie-Christine ULRYCH, Brigitte BOIS, Florence ALBERTI et Yoann
GERBAUD pour leurs aides administratives.
5 Toutes mes amitiés aux doctorants et anciens doctorants du CERAG notamment Imène, Nadia, Haythem, Chloé, Laure, Mounia, Meyer, Sourour, Salma, Laura, Cyrielle, Mohamed, Imad, Hyane, disparue trop tôt mais toujours présente dans mon esprit. Je tiens également à remercier mes amis Mondher, Zoubeir, Yeza, Youssef, Chantal, Fathia et Nassira.
Aucun remerciement ne serait à la hauteur du soutien de mes parents tout au long de cette
thèse. Je voudrais également remercier Dali pour ses encouragements. Cette thèse n’aurait
certainement pas abouti sans le soutien de mon entourage familial. Je pense fortement à ma
sœur Bessima et à mes frères. Enfin mon dernier mot s’adresse à ma sœur Ikram pour son
soutien affectif. Qu’elle trouve ici le témoignage de ma gratitude.
6
Sommaire
Introduction Générale ... 10
0.1. Les plateformes d’innovation comme clé de lecture du partage des connaissances dans les démarches d’innovation ... 11
0.2. Positionnement épistémologique ... 13
0.2.1. Qu’est ce que l’épistémologie ? ... 13
0.2.2. L’élaboration d’un questionnement de la recherche dans le paradigme épistémologique constructiviste pragmatique ... 14
0.3. Les questions de la recherche ... 21
0.4. Le plan de la thèse ... 23
Partie 1 : Cadre théorique ... 26
Chapitre 1. Le management de l’innovation ... 27
1.1. Émergence et définitions de l’innovation ... 28
1.1.1. Émergence du concept d'innovation: revenir aux définitions de base ... 28
1.1.2. Définition de l'innovation... 30
1.2. Les typologies de l’innovation ... 32
1.2.1. Typologie de l’innovation selon l’objet ... 33
1.2.2. Typologie selon le degré de nouveauté ... 35
1.2.3. Typologie selon la nature ... 36
1.3. Variété des points du vue sur le processus d’innovation ... 39
1.3.1. L’innovation comme processus tourbillonnaire ... 39
1.3.2. L’innovation comme séquence marketing ... 39
1.3.3. L’innovation comme processus politique ... 40
1.3.4. L’innovation comme transformation d’un système technique ... 40
1.3.5. L’innovation comme un projet ... 41
1.3.6. L’innovation comme processus d’apprentissage ... 41
1.3.7. L’innovation comme processus de conception innovante ... 42
1.4. La capacité à innover ... 45
1.4.1. La capacité à innover : éléments de définition ... 45
1.4.2. Quelques facteurs clés de succès de l’innovation ... 46
1.4.3. Climat de travail et organisation ... 57
7
1.4.4. Les caractéristiques générales de l’entreprise ... 62
Chapitre 2 : La gestion des connaissances ou le « knowledge management » ... 67
2.1. Les pyramides de la connaissance ... 68
2.1.1. Le socle commun des pyramides de la connaissance ... 68
2.1.2. Sommet changeant des pyramides de la connaissance ... 71
2.2. Nature de la connaissance ... 75
2.2.1. Connaissances tacites, connaissances explicites... 75
2.2.2. Connaissances individuelles, connaissances collectives et connaissances organisationnelles ... 76
2.3. Le management des connaissances ou le « knowledge management » ... 82
2.3.1. Bref historique et émergence du Knowledge Management ... 82
2.3.2. Les grands courants d’influence du Knowledge Management ... 86
2.3.3. Les principales approches du management des connaissances ... 88
2.4. Le cycle de vie de la gestion des connaissances ... 90
2.4.1. Cycle de vie de la connaissance d’après Nonaka et Takeuchi (1995) ... 90
2.4.2. Cycle de vie de la connaissance d’après Ruggle (1998) ... 91
2.4.3. Cycle de vie de la connaissance d’après Dieng (2001) ... 92
2.4.4. Cycle de vie de la connaissance d’après Grundstein (2006) ... 92
2.5. Les finalités du Knowledge Management ... 94
Chapitre 3 : Le partage des connaissances : Articulation entre le management des connaissances et le management de l’innovation ... 98
3.1. Partage de connaissances : Conceptualisation et domaines d’application ... 99
3.1.1. Définition des concepts ... 99
3.1.2. Outils et finalités du partage des connaissances ... 103
3.2. Les apports des théories du management des connaissances sur l’innovation ... 113
3.2.1. Les apports de Nonaka ... 113
3.2.2. Les apports d’Argyris ... 120
Chapitre 4 : Design et méthodologie de la recherche ... 147
4.1. Une exploration hybride par une approche qualitative... 148
4.1.1. Le choix de la méthode exploratoire ... 148
4.1.2. La méthode des cas ... 163
4.2. Le terrain de la recherche : Le secteur du lait et produits laitiers en Tunisie ... 170
8
4.2.1. L’innovation dans le secteur privé en Tunisie ... 170
4.2.2. Dynamique de la consommation du lait et des produits laitiers en Tunisie ... 173
4.3. La collecte et le traitement des matériaux empiriques ... 175
4.3.1. Trois études de cas au sein d’un groupe leader sur le marché tunisien des produits laitiers 175 4.3.2. Une approche qualitative pour investiguer le terrain de l’étude ... 177
Partie 2 : Résultats empiriques ... 185
Chapitre 5 : Des faits aux Discours : ... 186
Du transversal au distinctif & Des convergences aux divergences ... 186
5.1. Les plateformes d’innovation comme « une stratégie managériale » ... 188
5.1.1. La mise en place des plateformes d’innovation ... 188
5.1.2. Importance des facteurs socio-économiques ... 197
5.2. Réflexion sur les perceptions : du transversal au distinctif ... 199
5.2.1. Réflexion sur les perceptions transversales ... 200
5.2.2. Réflexion sur les perceptions distinctives ... 204
5.2.3. Des convergences aux divergences : Management d’innovation, Management des connaissances et Partage des connaissances ... 217
5.3. Synthèse ... 221
Chapitre 6 : Trois éclairages sur le partage des connaissances à travers les plateformes d’innovation ... 223
6.1. Le management d’innovation (MI) ... 228
6.1.1. Les facteurs Clés de Succès : FCS ... 229
6.1.2. Les processus ... 250
6.1.3. Les freins ... 256
6.2. Management des Connaissances (KM) ... 265
6.2.1. Nature de la connaissance ... 267
6.2.2. Cycle de vie de la connaissance ... 269
6.2.3. Transfert des connaissances ... 271
6.3. Deux dimensions du « Partage des Connaissances » : SECI & AO ... 273
6.3.1. Partage des connaissances : la « Conversion des connaissances » : (SECI) ... 274 6.3.2. Nature & modalités du partage des connaissances : l’ « Apprentissage organisationnel » : (AO) 276
9
7. Synthèse ... 295
Chapitre 7 : Partage des connaissances : ... 297
Optique des acteurs, Articulation & Impacts sur l’innovation et Eléments de discussion ... 297
7.1. L’optique des acteurs par fonction ... 298
7.1.1. Les perceptions transversales des acteurs ... 298
7.1.2. Les perceptions distinctives des acteurs ... 304
7.1.3. Synthèse ... 309
7.2. Partage des connaissances : Articulation et Impacts sur l’innovation... 309
7.2.1. Plateformes d’innovation et conversion des connaissances ... 310
7.2.2. Plateformes d’innovation et apprentissage organisationnel ... 323
7.2.3. Un processus d’innovation à l’image de la théorie de la conception innovante C–K : « Cas 1 » 333
7.3. Deux éléments pour appréhender le partage des connaissances : le management stratégique et la culture d’entreprise... 335
7.3.1. Du management stratégique à la culture d’entreprise : principaux freins au partage des connaissances ... 335
7.3.2. Vision stratégique et changement organisationnel pour un partage des connaissances favorable à l’innovation ... 349
7.4. Synthèse ... 353
Conclusion générale ... 355
0.1. Les apports théoriques ... 355
0.2. Les apports méthodologiques ... 356
0.3. Les apports managériaux ... 357
0.4. Les limites de la recherche... 359
0.5. Les perspectives de recherche ... 360
Bibliographie ... 362
Annexes 389
10
Introduction Générale
« Les activités qui occupent la place centrale ne sont plus celles qui visent à produire et à distribuer des objets, mais celles qui produisent et distribuent du savoir et de l’information ».
Drucker (1992)
Drucker (1992) définit l’innovation comme la compétence du futur. Il postule que ce constat résulte de l’évolution qu’a connue la société depuis ces deux derniers siècles. L’auteur distingue trois phases d’évolution successives. La première phase concerne la « Révolution Industrielle » et renvoie à la diffusion rapide des nouvelles techniques de production. La seconde phase se réfère à la « Révolution Productive » et correspond à l’avènement du taylorisme et la nécessité de produire plus avec une efficience maximale. Enfin, la troisième phase concerne la « Révolution Managériale » et renvoie à la prise en compte de la connaissance dans ce qu’il est courant aujourd’hui d’appeler l’ère de la connaissance. Plus précisément, cette nouvelle économie du savoir est la résultante de l’interaction entre le mouvement de l’économie de la connaissance, la révolution des technologies d’information et de communication et la mondialisation de l’économie. L’accroissement de la concurrence devient à l’origine de l’accélération des innovations. L’innovation est donc plus que jamais au cœur des préoccupations des entreprises. Cette obsession, au départ plébiscitée principalement par les industries à hautes technologies, touche désormais la grande majorité des secteurs.
Selon Thiétart et Xuereb (2005) : « de nombreux secteurs industriels, comme l’agroalimentaire, où les activités de recherche et développement n’étaient traditionnellement qu’une activité secondaire, voire marginale, investissent désormais massivement dans le développement de nouveaux produits et axent une part importante de leur communication tant interne qu’externe sur les nouvelles technologies maîtrisées ».
Dès lors, les innovations fondées sur un accroissement des connaissances et de leur
diffusion rapide, rendent la gestion des connaissances essentielle. Ce constat n’épargne pas le
11 milieu industriel au sein duquel la gestion du savoir et savoir-faire est l’une des préoccupations principales des organisations. Certains auteurs, en établissant un lien étroit entre performance et partage des connaissances reconnaissent le « capital connaissances » détenu par l’entreprise comme un avantage compétitif durable (Grant, 1996 ; Teece (1998, 2007). Dans ce contexte, la dimension intellectuelle des activités économiques est de plus en plus importante et les activités de création et d’acquisition de nouveaux savoirs deviennent essentielles. Ainsi, pour Takeuchi et Nonaka (2004) la firme est un moyen d’intégrer les connaissances spécialisées que détiennent certains individus. L’intégration de ces connaissances ne peut pas se faire d’une manière optimale si l’on se contente d’une analyse orientée marché (Grant, 1996). Selon Teece (1998, 2007), les connaissances spécifiques à l’entreprise sont des ressources uniques et sources de création de valeur qui méritent d’être gérées de manière efficiente.
Fort de ce constat, la gestion des connaissances ou le « Knowledge Management » (KM) est devenue une préoccupation suprême des entreprises. Dans cette acception, la gestion des connaissances a été appréhendée sous l’angle d’une approche systémique et destinée à améliorer la capacité des entreprises à mobiliser les connaissances de ses acteurs en vue d’atteindre leurs objectifs stratégiques et devenir plus performantes. Les travaux cités préalablement se sont penchés principalement sur l’identification du rôle des connaissances tacites dans l’émergence et le sucées de toute tâche innovante. Ces recherches explorent la genèse d’un processus de création des connaissances sous l’angle d’une spirale dynamique de conversion des connaissances tacites et explicites en ressources innovantes. Rares sont les travaux qui se sont préoccupées du rôle joué par le partage des connaissances dans l’émergence de l’innovation au sein des organisations. Sur un plan pratique, le recours de plus en plus important à des équipes restreintes dédiées à l’innovation atteste de l’importance l’optimisation et de la gestion des connaissances dans toute mise en œuvre de démarche d’innovation.
0.1. Les plateformes d’innovation comme clé de lecture du partage des connaissances dans les démarches d’innovation
Dans le secteur industriel où la transmission des connaissances est l’une des missions
essentielles, le défi est désormais de conserver une position stratégique. En effet, pour les
entreprises industrielles, il est crucial de fidéliser les consommateurs. La crise financière qui a
12 sévi depuis quelques années pousse également les entreprises à réfléchir à des dispositifs de capitalisation et de partage des connaissances plus efficaces, dans l’optique de pérenniser le savoir-faire et ainsi conserver un rythme régulier de développement des produits et d’innovation pour rester concurrentielles. Dans ce contexte, l’articulation entre le management de l’innovation et le management des connaissances aussi appelé « knowledge management » sont deux domaines sur lesquels les entreprises investissent pour rester ou devenir plus compétitives. L’important pour les firmes est de gérer le processus de gestion des connaissances afin d’alimenter et de favoriser l’émergence des innovations. Dans la pratique, l’articulation entre les deux logiques est difficile à réaliser. D’une part, les connaissances ne favorisent pas toutes l’émergence des innovations. D’autre part, le contexte turbulent et la concurrence accrue exigent une grande réactivité de la part des firmes. Ainsi, la capitalisation, la diffusion et le partage des connaissances sont souvent négligées au détriment d’une vision technique de l’innovation. Le dispositif procédural l’emporte sur le dispositif humain et interactif. Face à ces deux contraintes, l’articulation entre la gestion des connaissances et le maintien du rythme de l’innovation est fondamentale pour la pérennité de l’entreprise. Pour la firme, cela se traduit par la recherche perpétuelle d’un équilibre entre le management des connaissances et le management de l’innovation dans la mesure où l’incapacité des membres d’une équipe à partager et à diffuser efficacement des savoirs et savoir-faire peut entraîner un manque d’innovations produits, un retard dans leur mise sur le marché et impacter les ventes réalisées sur les marchés.
Dans ce travail doctoral, nous considérons le partage des connaissances comme un processus ponctué d’allers-retours, par lequel un groupe d’individus échange, confronte et combine les connaissances, qu’elles soient tacites ou explicites, pour en créer d’autres nouvelles. Dans cette acception, le recours aux plateformes d’innovation comme espace favorable au partage des connaissances entre les acteurs impliqués, présente une stratégie managériale propice à l’émergence de l’innovation.
Par conséquent, cette thèse vise à examiner et identifier le rôle du partage des
connaissances au sein des équipes impliquées dans les processus d’innovation. Pour ce faire,
nous mobilisons la théorie de la Knowledge-based-view, où les pratiques cognitives et sociales
jouent un rôle crucial sur l’émergence de l’innovation. De part sa nature complexe, la gestion
des connaissances possède deux facettes. La première est formelle et procédurale, elle renvoie
aux dispositifs organisationnels et aux infrastructures des technologies de l’information
(intranet, messageries, forums de discussion, espaces de travail partagés, etc.). La deuxième
13 est informelle, centrée sur les hommes et un mode de fonctionnement collaboratif fondé sur le partage et la diffusion des connaissances entre les différents acteurs impliqués.
Ainsi, nous formulons notre problématique de la façon suivante : comment le partage des connaissances au sein des plateformes d’innovation favorise t-il l’émergence de l’innovation et le développement de nouveaux produits innovants ?
0.2. Positionnement épistémologique
Construire une réflexion épistémologique revêt, pour un chercheur en sciences de gestion, une importance capitale. Non seulement elle le guide dans l’élaboration de son travail de recherche en lui permettant de contrôler son évolution ainsi que la pertinence et la cohérence de sa démarche, mais elle permet surtout d’en asseoir la validité et la légitimité (Perret et Séville, 2007). Pour Martinet (1990), cette réflexion est consubstantielle à toute recherche qui s’opère. D’où l’attention et le sérieux qu’il faut accorder au choix du positionnement épistémologique, compte tenu du domaine de recherche et des objectifs fixés.
Les sciences de gestion, en tant que sciences sociales s’inscrivent dans le champ des sciences de l’artificiel (Avenier, 2011). En se positionnant dans un cadre scientifique défini : les sciences de l’artificiel, nous expliquerons notre perception de ce que c’est la connaissance.
L’objet de cette section est de construire une démarche de recherche qui articule nos présupposés épistémologiques, notre rapport au terrain et à ses acteurs et les concepts théoriques mobilisés.
Le positionnement épistémologique du doctorant figure parmi les exercices attendus d’une thèse. C’est un exercice difficile et qui demande un effort réflexif. Réflexivité qui par définition demande un retour en arrière, une relecture de son travail, et exige donc une certaine maturité, difficilement conciliable avec le statut initiatique des recherches doctorales.
0.2.1. Qu’est ce que l’épistémologie ?
Piaget définit l’épistémologie comme « l’étude de la constitution des connaissances valables » (1976). L’épistémologie s’intéresse à trois questions :
Qu’est ce que la connaissance ?
14
Comment elle est élaborée ?
Quelle est sa valeur ?
Marie-José Avenier (2008), relisant Piaget, s’efforce de distinguer entre épistémologie et méthodologie afin de mettre fin à la confusion qui règne souvent entre ces deux termes. Elle postule que ces « deux notions étant très souvent confondues dans la littérature de sciences de gestion, et en particulier dans les recherches qui se réclament du constructivisme (Igalens et al., 2005 ». la méthodologie est « l’étude des méthodes permettant de constituer des connaissances » (Avenir et Gavard-Perret, 2008). Si l’épistémologie s’intéresse à la valeur des connaissances, la méthodologie traite du processus de constitution des connaissances.
(Avenier et Gavard-Perret, 2008). La distinction opérée entre connaissance valable (épistémologie) et connaissance validée (méthodologie) amène Marie-José Avenier à rappeler au chercheur de ne pas limiter sa réflexion épistémologique à la validité de sa démarche. Il convient ainsi de s’interroger sur la valeur des connaissances en cours d’élaboration. « Dans la recherche en management, cette valeur peut être appréciée d’au moins deux points de vue : l’épistémique, c'est-à-dire de la valeur des connaissances considérée pour la connaissance dans le domaine du management ; et le pragmatique, c'est-à-dire de leur valeur pour la pratique managériale » (Avenier, 2008).
0.2.2. L’élaboration d’un questionnement de la recherche dans le paradigme épistémologique constructiviste pragmatique
Un paradigme scientifique est un système de croyances relatives à ce qu’est une science, à ce qu’elle étudie et à la manière dont elle l’étudie (Avenier et Gavard-Perret, 2008).
En sciences de gestion, deux grandes familles de paradigmes épistémologiques orientent les recherches : le positivisme et le constructivisme.
Dans ce travail doctoral, nous avons fait le choix de positionner ces travaux dans le cadre du paradigme épistémologique constructiviste pragmatique (PECP) au sens de M.J.
Avenier, car la posture agnostique posée par ce paradigme correspond à nos convictions
personnelles à l’égard des phénomènes organisationnels. Deux principaux paradigmes
épistémologiques constructivistes se côtoient, à savoir le Paradigme Epistémologique
Constructiviste développé par Guba et Lincoln (1989, 1998, cité par Avenier, 2010) et le
Constructivisme Radical proposé par Glasersfeld (1984, 2001, 2005, cité par Avenier, 2010),
qui a ensuite été repris par Le Moigne (1995, 2001, 2002, cité par Avenier, 2010) en tant que
15 Paradigme Epistémologique Constructiviste Téléologique (PECT). Ce terme a été utilisé par M.J. Avenier jusqu’en 2011, date à laquelle elle préférera utiliser le terme de Paradigme Epistémologique Constructiviste Pragmatique (PECP) (Avenier et Parmentier-Cajaiba, 2011).
En vue de mieux saisir la portée du PECP, nous présentons de manière synthétique les deux autres paradigmes dominants en sciences de gestion actuellement, à savoir le paradigme épistémologique positiviste (PEP) et le paradigme épistémologique réaliste critique (PERC).
Puis nous présentons le PECP.
Tout positionnement épistémologique peut être caractérisé par trois hypothèses. La première hypothèse est d’ordre ontologique. Elle renvoie à la nature de ce qui est considéré comme réel. La deuxième hypothèse est d’ordre épistémique. Elle porte sur ce que l’on considère comme connaissable. La troisième hypothèse enfin repose sur le statut, la génération et l’évaluation des connaissances. Le paradigme épistémologique positiviste (PEP) repose sur une hypothèse d’ordre ontologique selon laquelle le réel existe indépendamment de l’attention que peut lui porter l’observateur qui le décrit. Dans ce cas-ci, l’hypothèse d’ordre épistémique prend appui sur le fait que la recherche a pour but la connaissance de ces lois qui définissent le réel, exigeant de fait une posture de neutralité de la part du chercheur. Il n’y a pas de distinction entre le réel et ce qui est considéré comme connaissable. La validité interne de la recherche se réalise par l’explicitation du processus de la recherche. La validité externe s’effectue grâce à une logique de généralisation des connaissances via des réplications dans une logique hypothético-déductive sur un échantillon représentatif de la population visée, dont les lois causales prennent la forme du raisonnement suivant : « chaque fois que X, alors Y ».
Le paradigme épistémologique réaliste critique (PERC) repose sur une hypothèse
d’ordre ontologique selon laquelle le monde est composé de trois strates : le réel profond, le
réel effectif et le réel empirique. L’hypothèse d’ordre épistémique considère que le réel
profond n’est pas observable en tant que tel mais que le chercheur peut imaginer le
fonctionnement des mécanismes générateurs à l’origine des évènements actualisés. La
connaissance est générée grâce à l’abduction, car on imagine le fonctionnement des structures
du réel profond. L’évaluation des connaissances se réalise par l’explicitation détaillée du
processus de la recherche en ce qui concerne la validité interne, tandis que la validité externe
s’effectue via des comparaisons et des mises à l’épreuve successives. La connaissance peut
conduire à des règles intermédiaires : « si on observe X, selon le contexte, on peut anticiper
que Y… ».
16 Enfin, le paradigme épistémologique constructiviste pragmatique (PECP) dans lequel nous nous inscrivons, repose sur une hypothèse d’ordre ontologique qui ne se prononce pas sur l’existence d’un réel en soi. Les travaux d’Avenier (2010) établissent une proximité forte entre le constructivisme de Guba et Lincoln (1989, 1988) et le PECP, notamment sur le principe d’indissociabilité de l’observateur et du phénomène étudié lors du processus d’élaboration des connaissances. En revanche, ces deux courants diffèrent d’un point de vue ontologique. Tandis que Guba et Lincoln (1989, 1998) se positionnent en faveur de l’existence d’une réalité multiple socialement construite, non gouvernée par des lois naturelles ou causales, le PECP adopte un point de vue agnostique. Cela signifie que dans le cadre du PECP, l’existence d’un réel en soi n’est ni niée, ni assurée. Le PECP ne pose pas de suppositions ontologiques. Le savoir est explicitement considéré comme provisoire et a le statut d’hypothèse plausible adaptée à l’expérience. Ainsi, l’hypothèse d’ordre épistémique considère que seule l’expérience humaine est connaissable. Dans le processus de connaissance, on reconnaît donc une interdépendance entre le sujet et le phénomène étudié, qui existe peut-être indépendamment du chercheur qui l’étudie. L’abduction y joue un rôle central, sans toutefois exclure l’induction. Enfin, la validité interne de la recherche se réalise grâce à l’explicitation détaillée du processus de la recherche. La validité externe quant à elle s’effectue via la généralisation des comparaisons et des mises à l’épreuve successives dans l’action. Cette généralisation s’exprime sous la forme de propositions relatives à des dynamiques organisationnelles temporairement stables, et des règles de type « si…, alors, selon le contexte, il est plausible que Y…».
Nous avons suivi les principes recommandés par Avenier et Parmentier-Cajaiba (2011) afin de construire le questionnement constituant le cœur de notre travail de recherche.
Il convient tout d’abord de choisir un sujet général et la clarification des principales questions
de recherche. Cela a été réalisé dans un type de raisonnement abductif, c’est-à-dire par des
allers- retours successifs entre les observations empiriques et les lectures académiques. Nous
avons constaté que la thématique de partage des connaissances correspondait à un intérêt
multiple, pragmatique et théorique. Nous avons procédé à une sélection des références
théoriques majeures afin de mener à bien une revue de la littérature académique et
professionnelle. Cela a permis d’examiner si la littérature offrait des connaissances permettant
d’éclairer le problème pragmatique afin de procurer une solution aux praticiens. Cette revue
de la littérature, présentée aux chapitres 1, 2 et 3, a en effet illustré le partage des
connaissances aux termes d’une articulation entre le management de l’innovation et le
management des connaissances qui se traduit au sein de trois contextes intra-organisationnels.
17 Mais au-delà des questionnements soulevés, la littérature examinée ne donnait que relativement peu de pistes afin de comprendre le partage des connaissances. Nous avons donc décidé d’orienter notre questionnement vers le processus de construction de ce phénomène organisationnel et des dynamiques en jeu. Un premier travail a consisté à définir le phénomène étudié. C’est à partir de ce moment là que nous avons choisi le vocable de
« Partage des connaissances dans les plateformes d’innovation ». Puis les théories de
conversion des connaissances et la théorie de l’apprentissage organisationnel, nous ont
apparues particulièrement adaptées, car toutes les deux permettent d’étudier les interactions
entre les différents membres impliqués dans les plateformes d’innovation. A ce stade, la
question de départ a pu être reformulée en une problématique intégrant les concepts issus du
cadre d’analyse : comment ? La problématique a elle-même été déclinée en questions de
recherche, afin d’orienter plus précisément notre analyse. La méthodologie de la recherche,
découlant de notre questionnement et des choix théoriques, a ensuite été établie de manière à
réaliser une étude de cas multi-sites à partir de la collecte de matériaux empiriques de nature
qualitative. Notre recherche étant inscrite dans ce paradigme, nous ne formulerons ni
hypothèse, ni propositions d’emblée. Notre étude de cas nous conduira en revanche à des
propositions dans la discussion finale. La légitimation des connaissances dans le PECP se
réalise grâce à un travail épistémique sur le processus d’élaboration des savoirs et sur les
produits de ce processus. Le travail épistémique signifie que le chercheur entame une
démarche réflexive sur la manière dont les savoirs ont été élaborés. Toute recherche menée
dans le cadre du PECP est acceptable, pourvu que le travail épistémique et le travail
empirique aient été menés en respectant les principes d’éthique, d’explicitation et de rigueur
(Avenier, 2010).
18
19
P.E. réaliste scientifique (Hunt, 1990, 1991, 1992, 1994, 2008 ; Bunge, 1993)
P.E. réaliste critique* (PERC) (Bhaskar, 1988)
P.E.
constructiviste pragmatique (PECP) (von Glasersfeld, 1988, 2001 ; Le Moigne, 1995, 2001)
P.E. interprétativiste (Heidegger, 1962 ; Sandberg, 2005 ; Yanow, 2006)
P.E. constructiviste au sens de Guba et Lincoln (PECGL) (Cuba et Lincoln, 1989, 1998)
Hypothèses d’ordre ontologique
Il existe un réel en soi (LE réel) indépendant de ce qui est perçu des représentations qu’on peut en avoir.
Il existe un réel en soi indépendant de, et antérieur à, l’attention que peut lui porter un humain qui l’observe.
Le réel est organisé en trois domaines stratifiés : le réel profond, le réel actualisé et le réel empirique.
Aucune hypothèse fondatrice.
Il existe des flux d’expériences humaines.
L’activité humaine est structurée (patterned).
La signification consensuellement attribuée par des sujets à une situation à laquelle ils participent est considérée comme la réalité objective de cette situation.
Le réel est relatif : il existe de multiples réalités socialement construites, qui ne sont pas gouvernées par des lois naturelles, causales ou d’autre sorte.
Hypothèses d’ordre épistémique
LE réel (en soi) n’est pas forcément connaissable (faillibilité possible des dispositifs de mesure).
Le réel profond n’est pas observable.
L’explication scientifique consiste à imaginer le fonctionnement des mécanismes générateurs (MG) qui sont à l’origine des évènements perçus.
Est connaissable l’expérience humaine active.
Dans le processus de connaissance, il y a
interdépendance entre le sujet connaissant et ce qu’il étudie, lequel peut néanmoins exister
indépendamment du chercheur qui l’étudie.
L’intention de connaître influence l’expérience que l’on a de ce que l’on étudie.
Est connaissable l’expérience vécue.
Dans le processus de connaissance, il y a interdépendance entre le sujet connaissant et ce qu’il étudie. L’intention du sujet connaissant influence son expérience vécue de ce qu’il étudie.
Dans le processus de connaissance, il y a interdépendance entre le sujet connaissant et ce qu’il étudie.
But de la Connaître et Mettre à jour les Construire de Comprendre le processus Comprendre les
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Tableau 1 : Hypothèses fondatrices des différents paradigmes épistémologiques contemporains (Avenier, (2011))21 0.3. Les questions de la recherche
Notre projet de recherche est de décrire et comprendre le partage des connaissances entre les membres impliqués au sein des plateformes d’innovation. Cette formulation appelle une perspective située afin de prendre en compte le contexte organisationnel et institutionnel dans lequel se joue le partage des connaissances ainsi que les perceptions que les acteurs se font via à vis des trois plateformes d’innovation étudiées.
L’examen de la revue de littérature relative à l’étude et l’appréhension du partage des
connaissances à travers l’articulation du management d’innovation et le management des
connaissances nous a amené à formuler les questions suivantes : D’abord, la question 1 doit
permettre de reconnaître comment le partage des connaissances peut avoir lieu. Elle
s'interroge donc sur les personnes impliquées dans les démarches d'innovation. Il s’agit dans
cette partie de répondre à la question « Qui ?» afin d’identifier les acteurs impliqués dans les
plateformes d’innovation et de déterminer à quel moment ils ont participé au processus
d’innovation ainsi que la nature du rôle qu’ils ont joué. Ensuite, la question 2 porte sur la
nature des connaissances partagées entre ces personnes. L’idée est d’examiner si le partage
des connaissances entre les acteurs a porté sur les connaissances tacites ou celles explicites
mais aussi si ces connaissances sont de nature individuelle, collective ou organisationnelle. Il
s’agit ainsi de répondre à la question « Quoi ?». Puis, la question 3 s’interroge sur la manière
dont ces connaissances sont partagées entre les membres des plateformes d'innovation. Cette
question tente de comprendre le processus de gestion des connaissances entre les membres
des plateformes d’innovation étudiées. Le but recherché étant de déterminer les différentes
formes que peut épouser le processus de partage des connaissances entre les acteurs. Qu’il soit
sous la forme d’une spirale de conversion des connaissances ou d’un processus
d’apprentissage organisationnel, le partage des connaissances est examiné sous ces deux
perspectives ce qui nous permet de répondre à la question « Comment ? ». Enfin, La question
4 sonde les résultats de ce partage des connaissances en matière d'émergence et du
développement des innovations pour identifier l’impact du partage des connaissances sur le
processus d’innovation et répondre à la question « Quels impacts sur l’innovation ? ».
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Quelles sont les personnes impliquées dans les plateformes d'innovation ?
Quelle est la nature des connaissances partagées entre les personnes impliquées dans les plateformes d'innovation ?
Comment ces personnes gèrent-elles les connaissances et plus particulièrement, le partage des connaissances dans les démarches d’innovation?