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Les tombeaux poétiques d'hommes de lettres (1550-1610) /

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(3)

par

Joël Castonguay-Bélanger

Mémoire de maîtrise soumis à la

Faculté des études supérieures et de la recherche en vue de l'obtention du diplôme de

Maîtrise ès Lettres

Département de langue et littérature françaises Université McGill

Montréal, Québec

Août 2002

(4)

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Acquisisitons et

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395 Wellington Street Ottawa ON K1A ON4 Canada

395, rue Wellington Ottawa ON K1A ON4 Canada

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RÉSUMÉ

Le discours commémoratif suscité par la mort, dans son effort pour pallier le silence que laisse le défunt derrière lui et pour tenter de donner un sens à sa disparition, a toujours été l'occasion pour les vivants de se créer, pour eux-mêmes et pour la postérité, une image de celui dont ils souhaitent préserver le souvenir. Cette image, fondée sur les valeurs auxquelles adhérait le personnage célébré, est ainsi, et peut-être surtout, révélatrice des valeurs auxquelles désirent s'associer les auteurs de l'hommage.

L'imaginaire de la mort que l'on retrouve dans les pièces commémoratives des Tombeaux d'hommes de lettres français à la Renaissance est révélateur de la volonté de légitimation qui anime cette activité dans la seconde moitié du XVIe siècle. La confiance qu'affichent les poètes dans leur façon de disposer métaphoriquement de la mémoire d'un semblable témoigne d'une double ambition: d'une part, rappeler que l'homme de lettres jouit d'une autorité symbolique justifiant qu'on entoure sa disparition d'une glorification officielle et collective; d'autre part, affirmer que la louange lyrique dont ils sont les auteurs est plus apte que toute autre forme d'art à assurer la survie du nom et du souvenir du défunt pour la postérité. Cette profession de foi dans les pouvoirs de l'écriture est non seulement destinée à magnifier le métier qu'exerçait le défunt célébré, mais aussi

à légitimer les signataires du Tombeau dans leurs propres aspirations à la reconnaissance littéraire.

En nous basant sur les Tombeaux consacrés à la mémoire de Marguerite de Navarre (1551), d'Hugues Sale! (1554), de Joachim Du Bellay (1560), de Rémy Belleau (1577), de Pierre de Ronsard (1586), de Jean Passerat (1606) et de Nicolas Rapin (1610), nous tentons de dégager les principaux motifs qui se retrouvent dans et derrière le discours consolateur des auteurs participant à l'élaboration d'un tel ouvrage collectif. Nous nous demandons quelle est la vision de la destinée post mortem proposée à un homme de lettres lorsque ceux de qui émanent l'éloge exercent eux-mêmes cette profession ou, à tout le moins, y aspirent.

(6)

ABSTRACT

In its effort to alleviate the silence of the deceased and to glve sense to his departure, the commemorative discourse that follows a death has always been an occasion for the living to create, for themselves and for posterity, an image of the one they wish to remember. This image, based on the values by which the departed lived, reveals above aH the values of the authors of this tribu te.

The representation of death found in the commemorative poems of Tombeaux poétiques for writers in French Renaissance is an indication of the desire to legitimize shown by poets of the second half of the 16th century. Their confidence in metaphorically

disposing of the memory of a peer expresses a double ambition: on the one hand, to remind the reader that a man of letters has a symbolic authority that justifies his official and collective glorification at the moment of his death, and on the other hand, to assert that lyrical praise is more suited than any other form of art to ensuring an etemal remembrance of the deceased. The power given to the words is not only intended to magnify the trade exercised by the celebrated deceased but also to legitimize the

Tombeau's signatories in their own aspirations to literary recognition.

Based on our study of the Tombeaux of Marguerite de Navarre (1551), Hugues Salel (1554), Joachim Du Bellay (1560), Rémy Belleau (1577), Pierre de Ronsard (1586), de Jean Passerat (1606) and Nicolas Rapin (1610), we identify the main motives that can be found inside and behind the consola tory discourse of the authors participating in this kind of collective work. We attempt to discover what perception of post mortem destiny is proposed to a man of letters by people exercising the same profession or at least aspiring to become recognized members of the guild.

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REMERCIEMENTS

Ce mémoire a été conduit à sa fin grâce aux précieux conseils et aux avis érudits de ma directrice, le professeur Diane DESROSIERS-BONIN. Je tiens à lui exprimer toute ma gratitude pour un soutien intellectuel et moral de tous les instants.

Mes remerciements vont aussi à Amaury FLEGES pour m'avoir généreusement permis de consulter des travaux non publiés qui m'auraient été autrement inaccessibles. Sa thèse, ses articles, et sa riche bibliographie des Tombeaux littéraires au XVIe siècle, ont pour une très large part pavé la voie à mes propres recherches.

Que le professeur Philip FORD, du Clare College, à Cambridge, soit remercié de m'avoir fait parvenir une copie d'un article à paraître et dont la lecture m'a été d'un grand secours.

Je réserve enfin une pensée toute spéciale à deux personnes qui n'ont jamais cessé d'être présentes tout au long de mes études, dans les moments de joie comme dans les moments de doute, mon père et ma mère. À vous deux, merci.

(8)

TABLE DES MATIÈRES

TABLE DES ILLUSTRATIONS e@lIIIlIIIooeelile01111111101ll",,(il0001lll00&1III1III1II1III012I0lllelllleOIlll000IlleGeOI2l00G eoll eo2l

LES MOTIFS DE LA CONSOLATION ... .

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CHAPITRE

rra -

Les origines d'une pratique: sources et traditions de la littérature funéraire à la Renaissance ... .

L'APPORT DES GRANDS RHÉTORIQUEURS •••••••••••••••••••••••••••••••• ÉPITAPHES ET ÉPIGRAMMES FUNÉRAIRES ••••••••• GO • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • Au CARREFOUR DES GENRES: LE TOMBEAU COLLECTIF ... .

CHAPITRE II. - L'oeuvre lyrique et les promesses d'immortalité ... .

LA PLÉNITUDE DE L'ABSENCE" GCiI eIIHHII • • • 0~HHII ee 111''' GIGI 121l1li G 01/.0 GGGG 00GOe . 0 " oe Il IDG III ee G

LES SÉJOURS CHRÉTIEN ET PROFANE DE L'ÂME ••••••••••••••••••••••••••

LA MORT PASTORALE e III G CI CIl" iii e G '" G . " " e & '" o • • e l1li e l1li l1li l1li l1li" G G III l1li" 0 " G G III G liII G III l1li !iii l1li CIl III l1li e l1li. l1li $ l1li" l1li LA GRANDEUR DU NOM e l1li G l1li l1li Ilt 0'" III III e III III 11\ III l1li 0 e l1li l1li l1li III e ID" e" ct l1li" 0 li' l1li l1li l1li l1li. CI fi e G III l1li e. l1li III" '" G . 1& e

TOMBEAU RÉEL ET TOMBEAU MÉTAPHORIQUE ... . LE TEXTE, IMPÉRISSABLE SÉPULCRE •••••••••••••••••••••••••••••••••••••••

CHAPITRE III. - Le silence de la mon, la parole des vivants ..•...•••.•• LA MUSE AU TOMBEAU eOGooeeeeOOO"0&&OOeee000.0Ii10&OOoeelili!llili!l&6161 • • l!IeOela&&610

LA VOIX DE LA COMMUNAUTÉ OG0e&IIIOee$&&ooeIlllOI!l&OOe01!1&Glllllloeeel!leel000eelll 1900010

RENAISSANCE ET SUCCESSION ••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••• TROIS HÉRITIERS

La publicité personnelle: Charles Utenhove •••.••••••••••••••• L'offre de service: Olivier de Magny ••••.••••••••.•.•••••••••••• Confort et réconfort: Pierre de Ronsard •.••••••••••••.•••••••••

CONCLUSION III 0 0 (II G Cil 0 fi e fi CI G e llI'eo G CI G GllIIIIo • • • CI e GII 0 III fi G 0 . G l1li III e 0 fi • • • G G 0 1iI''' G 5 0 e e . 0 CI CI 5 5 e 0 fi • • CI e 0 G . III G 0

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34

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40 47

52

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64 66 70 77 79 84 89 93 98

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TABLE DES ILLUSTRATIONS

INTRODUCTION

Fig. 1. Page de titre du Tombeau de Marguerite de Valois Royne de Navarre. Faict premierment en Distiques Latins par les trois Sœurs Princesses en Angleterre. Depuis traduictz en Grec, Italien & François par plusieurs des excellentz Poètes de la France. Avecques plusieurs Odes, Hymnes, Cantiques, Épitaphes, sur le mesme subject, Paris,

Michel Fezandat et Robert Granjon, 1551 (RN., Rés. Ye 1633).

CHAPITRE PREMIER

Fig. 2. Page de titre de l'Epitaphe sur le trespas du Roy Treschrestien Henri Roy de France, II de ce nom, en douze langues. A treshault et trespuissant prince Philippe Roy d'Espaigne. Aultres epitaphes par plusieurs Auteurs sur le trespas du mesme Roy. Plus, les epitaphes sur le trespas de Joachim du Bellay Angevin, Poete Latin et Francois, Paris, Robert Estienne, 1560 (B.N., Res. m Yc 118).

Fig. 3. Ibid., f. E3 VO et f. E4 ra.

Fig. 4. Page de titre du Discours de la vie de Pierre de Ronsard, Gentil-homme Vandomois, Prince des Poëtes François, avec une Eclogue représentée en ses obsèques, par Claude Binet. Plus les vers composez par ledict Ronsard peu avant sa mort: ensemble son Tombeau recueilli de plusieurs excellens personnages, Paris, Gabriel Buon, 1586 (RN., Rés. Ln27 17842).

CHAPITRE II

Fig. 5. Page de titre de Remigii Bellaquei Poetœ Tumulus, Paris, Mamert Patis son, 1577 (RN., Res. mYe 280).

Fig. 6. Page de titre des Unzieme, & douzieme livres de l'Iliade d'Homere traduictz de Grec en François, par feu Hugues Salel, Abbé de saint Cheron. Avec le commencement du treziesme, l'Umbre dudict Salel, faicte par Olivier de Maigny, et adressée à Monsieur d'Avanson, Maistre des requestes ordinaire de la maison du Roy, et President en son grand Conseil, avec quelques autres vers mis sur son tombeau par divers poëtes de ce tems, Paris, Vincent Sertenas, 1554 (RN., Resac 8 Yb 320).

(10)

Au début de l'année 1551 paraît en France Le Tombeau de Marguerite de

Valois Royne de Navarre!, un recueil de poésies funéraires célébrant la mémoire de la

reine, décédée quelques mois plus tôt. Cet ouvrage collectif, constitué des cent quatre distiques latins des sœurs Seymour, de leurs traductions et de pièces originales louant l'auteure des Marguerites de la Marguerite, est l'œuvre de quelques-uns des principaux acteurs de la scène littéraire du temps - poètes consacrés ou étoiles montantes - dont Jean Dorat, Salmon Macrin, Nicolat Derusot, Jean Antoine de Baïf, Pierre de Ronsard et Joachim Du Bellay. Si une telle commémoration littéraire et collective ne constitue pas un geste inédit (Louise de Savoie, le Dauphin François et

François

rr

lui-même s'étaient déjà vu offrir leur Tombeau en 1531, 1536 et 1547

respectivement), le recueil dédié à la défunte Marguerite marque un tournant décisif

1 Le Tombeau de Marguerite de Valois Royne de Navarre. Faict premierment en Distiques Latins par

les trois Sœurs Princesses en Angleterre. Depuis traduictz en Grec, Italien & François par plusieurs

des excellentz Poètes de la France. Avecques plusieurs Odes, Hymnes, Cantiques, Épitaphes, sur le mesme subject, Paris, Michel Fezandat et Robert Granjon, 1551 (B.N., Rés. Ye 1633).

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dans la courte histoire du Tombeau poétique, en ce qu'il inaugure sa période la plus faste. Les trois décennies qui suivront seront en effet marquées par une augmentation sensible et régulière du nombre d'ouvrages collectifs de poésie funéraire, au point que ceux-ci apparaîtront bientôt comme une pratique sociale incontournable.

Longtemps avant cette date charnière, la composition d'un hommage lyrique au moment de la disparition d'une personnalité était passée dans les usages courants. Célébrer la mémoire d'un défunt par une épitaphe, une complainte ou un éloge funèbre n'a en soi rien d'exceptionnel pour le poète de la Renaissance. De même, la circulation de main en main de pièces manuscrites ainsi que l'affichage de vers

commémoratifs sur la place publique sont des activités tout à fait convenues au

lendemain d'un décès. Le nombre de pièces qui ont été conservées aujourd'hui ne donne d'ailleurs qu'une assez faible idée de la place occupée par la poésie funéraire dans les habitudes sociales et littéraires de l'époque.

Parmi tous les genres commémoratifs pratiqués à la Renaissance, le Tombeau

poétique jouit cependant d'un statut bien distinct. Contrairement à l'épitaphe ou à la

déploration signée d'une seule main, toutes deux expressions d'un deuil individuel et singulier, le Tombeau relève d'un travail collectif et procède d'une volonté commune, celle d'un maître d'œuvre (le commanditaire ou l'organisateur de l'ouvrage) et d'un groupe de poètes désireux d'unir leur voix en un même recueil pour regretter un

disparu. En effet, bien que l'appellation

«

tombeau» serve parfois à désigner un

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quelques-uns parmi les « ramas» de son JournaP et que Brantôme signa seul les tombeaux de

Jacquette de Montbron et de Renée de Bourdeille, vicomtesse d'Aubeterre3

), le terme

sert plus généralement à désigner un recueil collectif réunissant des pièces funèbres de diverses formes poétiques comme le sonnet, l'épitaphe, l'ode, le distique, l'élégie, etc. Souvent écrits en plusieurs langues (le latin, le français et le grec, bien sûr, mais aussi parfois 1 'hébreu, l'italien, l'espagnol etc.), ces recueils étaient publiés afin de célébrer la mémoire d'un défunt plus ou moins illustre, qu'il ait été membre de la famille royale, serviteur de l'État, officier, médecin, juriste ou, ce qui retiendra ici notre attention, humaniste ou poète.

Un rapide coup d'œil jeté sur la recherche actuelle permet de constater le relatif oubli dans lequel est tombé le genre du Tombeau poétique. Si la difficile accessibilité des textes peut évidemment être vue comme l'une des principales raisons expliquant

ce désintérêt - la plupart n'ayant jamais été réédités depuis le

xvr

siècle -, elle

n'explique pourtant pas tout. Les quelques rares spécialistes qui se sont intéressés aux Tombeaux ne l'ont souvent fait qu'en tenant compte d'un ouvrage isolé (celui du

Dauphin François4 ou de Marguerite de Navarre5, par exemple) ou alors en ne

2 Pierre de l'Estoile, Registre-journal du règne de Henri Ill, Madeleine Lazard et Gilbert Schrenck (éd.), Genève, Droz, 1992, 1996, 1997,2000: ({ Tumbeau de Charles IX· Roy de France» (t. I, p. 60),

« Episcopi Cisteronensis Tumulus» (t. lU, p. 116), « Tumbeau du seigneur Stroszi» (t. IV, p.32), « Thuani Primi Praesidis Tumulus» (t. IV, p. 43).

3 Brantôme, Recueil des Dames, poésies et tombeaux, Étienne Vaucheret (éd.), Paris, Gallimard, 1991,

({ Bibliothèque de la Pléiade », pp. 966-992.

4 V.-L. Saulnier, ({ La mort du Dauphin François et son tombeau poétique (1536) », Bibliothèque

d'Humanisme et Renaissance, 1. VI, 1945, pp. 50-97.

5 Daniel Ménager, « Voix d'homme / voix de femme: les deux tombeaux de Marguerite de Navarre »,

dans François Marotin et Jean-Philippe Saint-Gérand (dir.), Poétique et narration, Paris, Champion,

1993, pp. 129-141 ; François Rouget, «Entre l'offrande chrétienne et le don poétique: les Tombeaux latins et français de Marguerite de Navarre », Bibliothèque d'Humanisme et Renaissance, t. LXn, 2000, n° 3, pp. 625-635.

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considérant leurs poèmes qu'à titre de pièces accessoires, parallèles à la lecture du grand œuvre de leur auteur. Ces recueils, qualifiés ({ d'amas hétéroclite de vieilleries

littéraires» par Françoise Joukovsky6, n'ont que trop rarement suscité de véritables

réflexions génériques pouvant mener à une révision de leur statut dans notre compréhension des pratiques scripturaires de la Renaissance. Le travail le plus important à avoir été effectué à ce jour est celui d'Amaury Fieges qui, avec sa récente

thèse intitulée Les Tombeaux littéraires en France à la Renaissance, 1500-15897, est

parvenu à brosser un portrait rigoureux du développement ainsi que de la fonction sociale et symbolique de ces ouvrages funéraires. Nous ne saurions trop insister sur l'importance inestimable des recherches d'Amaury Fleges pour notre propre réflexion ainsi que les nombreux écueils qu'elles nous ont permis d'éviter.

Les motifs de la consolation

D'emblée, il convient de préciser que notre mémoire n'aura pas la prétention de

circonscrire l'ensemble d'une pratique. Loin de nous également l'idée de vouloir «réhabiliter» le Tombeau en lui donnant un rang et un prestige qui n'ont jamais été siens dans la hiérarchie des genres de l'époque. Tirant profit du caractère éminemment idéologique de ce type de discours collectif, nous chercherons, plus

6 Françoise Joukovsky, La gloire dans la poésie française et néolatine du XYle siècle, Genève, Droz,

1969, p. 208.

7 Amaury Fieges. Les Tombeaux littéraires en France à la Renaissance, 1500-1589, thèse de doctorat,

Centre d'Études Supérieures de la Renaissance, Université François Rabelais, 2000. Nous tenons à remercier Amaury Fleges pour nous avoir généreusement transmis une copie de cette thèse.

S « Le Tombeau apparaît, à la Renaissance, comme l'un des lieux privilégiés de cette étude des topoi'

fondateurs de l'imaginaire et des représentations collectives qui constitue l'enjeu de l'histoire des mentalités, dans la mesure où cene-ci a pour objet les lieux communs d'une culture» (A. Fleges, ibid.,

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modestement, à vérifier une hypothèse en partie suggérée par Fleges quant au rôle important joué par ce «genre)} dans le développement d'un champ littéraire autonome et dans la construction symbolique de la figure de l'écrivain. Comme lui, nous croyons que les Tombeaux dédiés aux hommes de lettres ont grandement participé à la légitimation d'une activité alors à la recherche d'une plus grande

reconnaissance sociale et artistique9, et qu'il a été, en quelque sorte, l'une des

premières manifestations de ce que nous pourrions aujourd'hui appeler « l'institution

littéraire» .

En effet, non seulement cette pratique encomiastique s'est avérée pour les écrivains décédés une manière d'assurer la survie d'une certaine représentation positive d'eux-mêmes pour la postérité, mais elle a également été l'occasion pour ceux qui signaient ces éloges d'affirmer leur présence et leurs allégeances au sein du champ littéraire. L'intérêt d'une étude des Tombeaux dédiés aux hommes de lettres est ainsi doublé par le fait que le titre d'écrivain est non seulement octroyé au bénéficiaire de l'hommage, mais qu'il est aussi réclamé par ceux qui le célèbrent. En

l'absence d'institution alors apte à conférer à l'activité professionnelle de l'écrivain

une

«

raison sociale », la constitution d'un Tombeau permettait le rassemblement sur

la scène publique d'un groupe autonome d'individus souhaitant célébrer d'une même voix une valeur commune personnifiée par le défunt: l'écriture. Dans la mesure où,

9 Voir également Michel Simonin, Vivre de sa plume au XVIe siècle ou la carrière de François de

Belleforest, Genève, Droz, 1992; Alain Viala, Naissance de l'écrivain. Sociologie de la littérature à l'âge classique, Paris, Éditions de Minuit, 1985.

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comme l'écrit Jacques Dubois, « le moment fondateur de l'institution est celui de l'apparition d'une légitimité qui s'élabore de façon interne à la sphère littéraire et qui désigne l'activité de cette sphère comme autonome et distinctive10 », il n'est sans doute pas excessif d'affirmer que les Tombeaux d'hommes de lettres ont été l'un des lieux d'émergence de cette légitimité dans la seconde moitié du

xvr

siècle.

Nous verrons que l'imaginaire de la mort déployé par les poètes dans leur façon de disposer métaphoriquement de la mémoire d'un semblable témoigne d'une double ambition: d'une part, rappeler que l'homme de lettres, au même titre qu'un héros politique ou militaire, dispose d'une autorité symbolique justifiant qu'on souligne sa disparition par une glorification publique et collective; d'autre part, affirmer que la louange lyrique dont ils sont les auteurs est plus apte que tout autre forme d'art (sculpture, peinture, etc.) à assurer la survie du nom et à offrir à la postérité une instance de représentation juste et durable du défunt. Cette profession de foi dans les pouvoirs de l'écriture est ainsi à la fois destinée à magnifier le métier qu'exerçait le personnage célébré, mais aussi, et peut-être surtout, à légitimer les signataires du Tombeau dans leurs propres aspirations à la reconnaissance et à la gloire littéraires.

L'objectif de ce mémoire sera de présenter un tableau général des principaux motifs à l'œuvre dans et derrière le discours consolateur des auteurs participant à l'élaboration d'un Tombeau d'homme de lettres. Pour ce faire, nous entendrons le mot

motif

selon ses deux acceptions : la première, celle d'ornement, de figure ou de

JO Jacques Dubois, L'Institution de la littérature. Introduction à une sociologie, Brussels,

(16)

thème poétiques récurrents; la seconde, qui lui est corrélative, celle de mobile

intellectuel, de motivation. Nous chercherons ainsi à dégager les procédés rhétoriques

employés le plus fréquemment et nous en analyserons le rôle dans la construction textuelle de l'autorité de l'homme de lettres. Nous verrons du même coup que l'éloge de cette autorité gagnée par l'écriture, loin d'être totalement désintéressé, pourrait bien être plutôt motivé par les ambitions particulières des laudateurs: s'emparer de la place laissée vacante par le défunt auprès d'un mécène, consolider sa place et son rang dans un cénacle, affirmer l'existence d'une école poétique, détourner vers soi un peu du prestige du disparu, etc.

Corpus étudié

L'établissement d'un corpus exclusivement composé de recueils dédiés à la mémoire d'hommes de lettres ne pouvait s'effectuer sans poser d'abord quelques difficultés. Quiconque cherche à classifier les Tombeaux poétiques en prenant comme principal critère l'identité de leurs bénéficiaires est en effet appelé à jongler avec des notions floues, des données souvent fuyantes. Il peut s' avèrer problématique de vouloir départager avec exactitude ceux qui, entre tous les humanistes célébrés, méritent le titre d'homme de lettres et ceux auxquels le titre de lettrés suffit. Comme l'a déjà souligné Amaury Fleges :

Leur répartition entre les différentes catégories socio-professionnelles est difficile à établir de façon précise en raison du caractère souvent mal défini de leur statut et de la

(17)

Si nous avons choisi de considérer le Tombeau de la reine Marguerite de Navarre, à

qui nous devons entre autres l' Heptaméron et le Miroir de l'âme pécheresse,

devions-nous faire de même avec celui de Blaise de Montluc, alors que celui-ci fut certainement reconnu par ses pairs davantage pour ses actions militaires et politiques

que pour les qualités stylistiques de ses Commentaires? Nous avons cru (peut-être à

tort?) qu'il valait mieux circonscrire le milieu des hommes de lettres aux seuls

écrivains à qui les lecteurs contemporains avaient reconnu la qualité de

«

créateurs

d'ouvrages à visée esthétiquel2 ».

C'est également afin d'éviter un autre type de confusion, découlant cette fois de la nature des sources sur lesquelles fonder ce jugement des contemporains, que nous avons choisi de restreindre notre corpus aux Tombeaux dédiés aux hommes de lettres les plus «représentatifs» du siècle - ceux, du moins, que l'histoire littéraire a reconnu comme tels. Outre le Tombeau de Marguerite de Navarre (publié en 1551),

nous nous référerons donc à ceux d'Hugues Salel (1554), de Joachim Du Bellay

(1560), de Rémy Belleau (1577), de Jean de Morel (1583), de Pierre de Ronsard (1586), de Jean Passerat (1606) et de Nicolas Rapin (1610). On pourra bien sûr reprocher à cette liste quelques oublis importants (Adrien Tumèbe, Jean de la Péruse, Claude Colet, Amoulle Ferron, par exemple). Nous croyons néanmoins que ce choix,

II A. Fleges, op. cit., [p. 203]. 12 A. Viala, op. cit., p. 277.

(18)

pour arbitraire qu'il soit, présente au moms le mérite d'offrir une perspective diachronique des développements du genre, de son « âge d'or », entre 1551 et 1585, jusqu'à sa lente désaffectation dans les premières années du XVlr siècle. Il aurait été, à notre avis, peu fructueux de céder au souci d'exhaustivité, multipliant à outrance les exemples et doublant du même coup l'étendue de ce travail, pour ne trouver à la fin que les mêmes « recettes» encomiastiques déjà identifiées chez nos auteurs. Nous préférons d'ailleurs laisser à d'autres après nous le soin de combler cette lacune ainsi que les autres béances que ne manquera pas d'offrir l'étude sommaire que nous proposons.

(19)

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(20)

Les origines d'une pratique:

sources et traditions de la littérature funéraire à la Renaissance

S'il faut que maintenant en la fosse je tombe Qui ai toujours aimé la paix et le repos, Afin que rien ne poise à ma cendre et mes os, Amis, de mauvais vers ne chargés point ma tombe!.

La recherche des origines et des traditions, la volonté de réinscrire une pratique

littéraire dans une histoire, un

continuum

mémoriel, sont des tentations auxquelles il

est difficile d'échapper au moment d'entreprendre un travail comme le nôtre. Identifier les racines profondes d'un objet aussi singulier que le Tombeau collectif, donner les raisons qui expliquent son existence aussi fulgurante qu'éphémère dans les

pratiques poétiques et sociales de la seconde moitié du

xvr

siècle constitueraient, de

fait, une entrée en matière bien commode et fort efficace pour ce mémoire. Force

1 Jean Passerat, «Épitaphe », dans Recueil des œuvres poétiques de Jan Passerat, Paris, Abel

(21)

nous est d'admettre, cependant, qu'il est des voies plus faciles à emprunter que celle de la généalogie pour aborder un geste certainement aussi vieux que le monde lui-même, celui de chanter la mort d'un proche, d'un semblable.

Chercher les modèles à partir desquels s'est développée la poésie

commémorative de la Renaissance exigerait d'abord qu'on envisage non pas une,

mais bien des influences plus ou moins lointaines. Parmi celles-ci, il faudrait

considérer à la fois l'héritage antique (de l'oraison funèbre athénienne jusqu'au genre de l'epitaphios2, en passant par les thrènes d'Homère et le planctus latin), le planh des

troubadours3

, mais également un imaginaire poétique de la mort infléchi par l'œuvre

de Pétrarque et la production funéraire des Grands Rhétoriqueurs. C'est à la confluence de deux de ces types spécifiques de célébration funèbre - la déploration et

l'épitaphe - que nous situerons le contexte d'émergence d'un objet dont

l'hétérogénéité formelle allait vite apparaître comme l'un des traits distinctifs: le Tombeau poétique.

L'apport des Grands Rhétoriqueurs

Au moment où se constituent les premiers Tombeaux poétiques, dans les années 1530-1550, la France jouit déjà d'une solide tradition dans le domaine des discours funèbres d'apparat. Comme le faisait remarquer V.-L. Saulnier dans un article traitant

2 Cf Nicole Loraux, L'Invention d'Athènes. Histoire de l'oraison fùnèbre dans la « cité classique »,

Paris, Éditions Payot & Rivages, 1993.

(22)

de la place de l'oraison funèbre au

xvr

siècle, « [ ... ] s'il voulait méditer la mort, le Renaissant n'a pas loin à chercher une voix. Cene des Rhétoriqueurs est là, toute proche4

». C'est bel et bien à la génération de la Grande Rhétorique (que l'on associe généralement à une période couvrant les années 1460-1520 ou 1450-1530, selon les critiques5

) que l'on doit d'avoir renouvelé, réinventé pourrait-on dire, un «ton », une

manière de célébrer la mort en poésie. C'est, en effet, sous la plume d'écrivains comme Jean Molinet, Jean Robertet, Guillaume Crétin et, surtout, Jean Lemaire de Belges que le genre de la déploration funèbre (parfois désignée sous le titre de « complainte» ou de « regret ») connaîtra son développement le plus remarquable6

Ce développement, parallèle à l'essoufflement de l'esthétique macabre dans les arts et les lettres de la fin du Moyen Âge, marquera le début d'une période où la mort sera débarrassée de ses apprêts sinistres et crépusculaires pour se transformer en une figure ornementale, instrumentale presque, dissimulant sa réalité morbide derrière les promesses rassérénantes d'une survie par la gloire.

De vocation essentiellement courtisane, motivée par des intérêts souvent à peine dissimulés, la déploration des Grands Rhétoriqueurs se présente le plus souvent comme « une pièce de circonstance faite sur commande par un employé de la maison

4 V.-L. Saulnier, « L'oraison funèbre au XVIe siècle », Bibliothèque d'Humanisme et Renaissance,

t. X, 1948, p. 128.

5 Paul Zumthor, Le Masque et la lumière, Paris, Seuil, 1978, colL « Poétique », p. 17.

6 Selon la défmition de Margaret Zsuppan, la complainte (ou déploration) est « une forme littéraire

fréquente dès le onzième siècle. Lyrique à l'époque de Christine de Pisan, eHe se transforme sous la plume des rhétoriqueurs en une oraison funèbre longue et compliquée, ornée de figures traditionnelles, bientôt banales: allégories et songes, apostrophes à l'adresse de la mort, allusions classiques, accompagnées inévitablement de longs panégyriques du défunt. » Jean Robertet, Œuvres, Margaret

(23)

qui est avant tout soucieux de gagner la faveur et la protection, soit des héritiers du défunt, soit d'un nouveau maître éventuel7 }}. La composition de vers commémoratifs

étant l'une des principales fonctions de ces poètes officiels, pour la plupart attachés à la cour des grands ducs de Bourgogne, il n'est pas étonnant de constater la très forte inclination que montrèrent les Rhétoriqueurs envers ce type de discours, mais surtout l'extraordinaire variété avec laquelle ils le pratiquèrent tout au long de leur carrière. Comme nous le verrons plus loin, les poètes de la Pléiade, bien que revendiquant leur indépendance et préférant considérer la poésie comme le fruit de l'inspiration divine plutôt que d'une commande, se montreront néanmoins très intéressés eux aussi par le profit - tant symbolique que financier - à tirer de la poésie funéraire.

D'abord consacrée à rendre hommage à la mémoire des puissants, la déploration funèbre va peu à peu élargir le cercle de ses bénéficiaires, jusqu'à célébrer des personnages traditionnellement laissés-pour-compte. S'il était déjà arrivé au Moyen Âge qu'on souligne par un hommage lyrique la disparition d'un artisteS, la pratique va cependant se répandre encore davantage avec les Grands Rhétoriqueurs. Jean Robertet pleurera le décès d'un poète (<< Complainte sur la mort de Chastelain », en 1475), Jean Molinet, celle d'un peintre (<< L'épitaphe de Simon Marmion », en 1489) et Guillaume Crétin, celle d'un musicien (<< Deploration dudict Cretin sur le trespas de feu Ockergan », entre 1496 et 1499). La gloire ne sera plus l'apanage d'une

7 John McClelland, {( La poésie à l'époque de l'humanisme: Molinet, Lemaire de Belges et Marot », dans L 'Humanisme français au début de la Renaissance, Paris, Vrin, 1973, p. 318.

8 Christine Martineau-Génieys cite la plainte de Deschamps sur la mort de Guillaume de Machaut (Le

Thème de la mort dans la poésie française, de 1450 à 1550, Paris, Honoré Champion, 1978, p. 366),

(24)

élite portée aux nues pour des exploits militaires ou politiques; de plus en plus, on jugera l'œuvre artistique également digne d'assurer un renom éternel à son auteur.

De tous les Grands Rhétoriqueurs, Jean Lemaire de Belges est sans contredit celui que l'on associe le plus généralement au genre de la déploration, celui-ci ayant consacré à la poésie funéraire la plus grande partie de sa production9• Parmi ses titres

les plus importants, notons le « Temple d'honneur et de vertus» (1503), long poème dans lequel le poète fait s'embrasser la pastorale et le songe pour déplorer le décès de son premier protecteur, le duc Pierre de Bourbon. La mort du perroquet transi d'amour de Marguerite d'Autriche est quant à elle au centre des « Épîtres de l'amant vert» (1505), deux pièces qui développent sur un ton plaisant le thème de la survie par la gloire. Dans « La couronne margaritique» (1505), écrite à l'occasion de la disparition du duc Philibert le Beau, Lemaire de Belges chante le triomphe de la vie sur la mort en substituant à la célébration attendue du défunt l'éloge de sa veuve, la duchesse Marguerite. C'est également à cette dernière que le Rhétoriqueur dédiera en 1506 la dernière de ses déplorations funèbres, un court poème intitulé les « Regretz de la dame infortunée sur le trespas de son cher frere unique ». Renouvelant profondément le genre, y faisant entrer bon nombre de thèmes encore inédits, Lemaire de Belges a le mérite d'avoir osé se dégager des modèles instaurés par ses prédécesseurs en variant les structures formelles de ses déplorations.

9 Ce qui fait dire à C. Martineau-Génieys qu'il « suffira, en effet, que Jean Lemaire entre dans une maison princière pour qu'on y meure aussitôt» (op. cit., p. 379).

(25)

Des exemples de ses innovations peuvent notamment se lire dans la « Plainte du désiré», une pièce funèbre

«

sur le trespas de feu Monseigneur Loys de Luxembourg, Prince d'Altemore, Duc d'Andre et Venouze, Conte de LignylO ». Dans ce poème de 1503, Jean Lemaire de Belges délaisse le cadre éculé du songe ou de la vision pour mettre en scène deux « cleres Nymphesll », Peinture et Rhétorique, qui tentent toutes deux de consoler Nature de son inestimable perte. Peinture convoquera d'abord ses disciples pour l'aider à dépeindre l'affliction de Nature, avant d'abandonner devant l'ampleur de la tâche. Rhétorique, pour sa part, en appellera à tous les poètes -certains grands de l'Antiquité, mais également des auteurs vivants - pour venir « secourir leur humble Jean Lemaire!2 » dans sa lamentation. On peut d'ailleurs voir là le germe d'une caractéristique que l'on retrouvera plus tard à profusion dans les Tombeaux: l'inclusion, dans la louange même, de noms de poètes contemporains désignant de façon explicite l'identité de ceux que l'auteur admet dans sa représentation du champ littéraire ou, du moins, qu'il juge dignes de figurer parmi ses pairs. Par l'entremise de Rhétorique, Lemaire de Belges reconnaît ici comme auteurs Amoul Gréban, Jean Robertet, George Chastelain, Octovien de Saint-Gelais, Jean Molinet, Guillaume Crétin, Florimond Robert et un certain Danton 13. Le poème

développe également une idée qui sera abondamment reprise tout au long du siècle, cene que l'art -la littérature et les arts plastiques -, tout en étant appelé à représenter

10 Jean Lemaire de Belges, Œuvres, 1. Stecher (éd.), Genève, Slatkine Reprints, 1969, t. Hl, p. 157.

Il Ibid., p. 158.

12 Ibid., p. 173.

\3 Tous ces auteurs, désignés par leur nom ou leur prénom, apparaissent entre les huitième et dixième

(26)

la douleur et le deuil, procure une gloire impérissable à celui dont il fait son sujet. Ainsi, comme l'affirme Rhétorique vers la fin de son discours, « le corps pourra bien retourner en cendre, 1 mais le renom ne peult en oubli tendrel4 ».

Genre majeur qui a, en quelque sorte, ({ introduit» le thème lyrique de la mort dans ce

xvr

siècle naissant, la déploration funèbre des Grands Rhétoriqueurs aura vivement marqué la sensibilité des générations qui vont leur succéder. Capable de prodiguer gloire et éternité par sa plainte funèbre, le poète figurera désormais non seulement parmi les protagonistes incontournables du rituel funéraire, mais il sera lui-même jugé digne des honneurs qu'il dispense.

Épitaphes et épigrammes funéraires

Entre les « complaintes », les « regrets» et les « déplorations », il arrive que les poèmes funéraires des Grands Rhétoriqueurs soient désignés sous le titre d'{( épitaphe ». En plus de faire référence à l'inscription tumulaire qui, depuis les

xr

et

Xlr

siècles «et avec une forte augmentation à partir du

xvr

siècle15

», sert à

identifier les défunts dans les cimetières, le terme « épitaphe» en est peu à peu venu à désigner un genre littéraire conservant avec ses origines épigraphiques un rapport d'équivalence avant tout fondé sur le titre. L'épitaphe, de par sa forme souvent brève et son sens de la formule pouvant parfois rappeler l'épigramme, est un de ces petits

14 Ibid., p. 184.

(27)

genres dont les écrivains de la Renaissance allaient se montrer particulièrement friands.

La tradition de l'épitaphe remonte aussi loin qu'à l'Antiquité. Selon Nicole

Loraux, la pratique de l'epitaphios serait née à Athènes au cours du

v

e siècle av.

J.-c.

16

• Discours épidictique en prose offert à la mémoire des héros tombés au combat,

l'epitaphios aurait avant tout rempli une fonction civique et institutionnelle dans la

cité grecque. « Du point de vue rhétorique, écrit Laurent Pemot, l'epitaphios est déjà

un discours complexe, puisqu'il assortit l'éloge funèbre, élément essentiel, d'une

exhortation et d'une consolation, voire d'une lamentationl7 ». Le pseudo-Denys

distinguera plus tard deux types d'epitaphios, le premier collectif et le second

individuell8•

S'il faut cependant chercher une influence directe de la poésie commémorative de l'Antiquité sur la forme renaissante de l'épitaphe, celle-ci se trouve sans doute

dans les nombreuses épigrammes funéraires transmises par l'Anthologie de Planude.

D'abord publiée à Florence par Jean Lascaris, en 1494, puis maintes fois rééditée par la suite (à Paris, en 1531, par Josse Bade; à Bâle, en 1549, par Jean Brodeau; une nouvelle fois à Paris, en 1566, par Henri Estienne), cette collection variée d'épigrammes allait susciter un énorme intérêt chez tous les humanistes désireux de parfaire leur culture hellénique. Les poètes néo-latins trouveront d'ailleurs dans

16 N. Loraux, op. cit., p. 56 et suivantes.

17 Laurent Pernot, La Rhétorique de l'éloge dans le monde gréco-romain, Paris, Institut d'Études

Augustiniennes, 1993, t. I, p. 19.

18 Michel Simonin, « Ronsard et la tradition de l'epitaphios », dans Gilles Ernst (dir.), La Mort dans le

(28)

l'Anthologie une grande source d'inspiration, tout comme ceux de la Pléiade un peu

plus tard19

• La brièveté de la forme, la reprise de certains lieux communs de l'éloge

funèbre, de même que la persistance de formules proprement épigraphiques (<< ci-gît », « ici repose », « sous cette pierre », etc.), sont quelques-uns des liens que l'on peut établir entre l'épigramme funéraire grecque et l'épitaphe de la Renaissance.

« Œuvre composite20

» plutôt que forme pure fondée sur l'imitation scrupuleuse de ses modèles antiques, l'épitaphe sera pratiquée d'une façon très libre par les poètes humanistes. Il n'y a, par exemple, qu'à comparer les Tumu/i de Giovanni Pontano aux épitaphes signées par Clément Marot dans L'Adolescence clémentine pour mesurer la latitude formelle que laisse le genre. Pièce longue ou courte, grave ou familière, d'inspiration sérieuse, badine ou satirique, pouvant célébrer autant un homme d'État qu'un comédien2

1,

l'épitaphe renaissante se montre assez malléable à l'usage, du moment que s'y retrouvent quelques traits propres à sa fonction (fiche d'identité du défunt, lamentation, interpellation du passant, louange, etc.).

C'est que, pour être de plus en plus pratiquée par les poètes à l'orée du

xvr

siècle, l'épitaphe demeure un genre très peu théorisé et largement ignoré des traités de poétique. Comme le note Amaury Fleges à propos de l'ensemble de la poésie funéraire, l'épitaphe est, aux yeux des poètes, un genre qui relève davantage de

19 Sur l'influence de l'Anthologie sur la confrérie de Coqueret, voir Pierre de Nolhac : « Dorat lisait

[ ... ] celle-ci et la faisait lire, et aucun autre texte grec n'était mieux connu des lettrés que le recueil de Planude », Ronsard et l'humanisme, Paris, Honoré Champion, 1921, p. 114.

20 Margaret de Schweinitz, Les Épitaphes de Ronsard, Paris, PUF, 1925, p. VIU.

21 Cf Clément Marot, « De Jehan Serre, excellent joueur de farces» dans L'Adolescence clémentine,

(29)

l'inspiration que de l'application de règles strictes : « Loin de sa réputation moderne

de genre étroitement codifié soumis aux schémas d'une rhétorique immuable, elle relève au contraire du transport ("concitatum"), du frémissement inspiré ("vibrans"), en un mot de la fureur poétique ("furenti similis videtur,,)22 ».

Les rares praticiens qui ont tenté de définir l'épitaphe en sont souvent restés à

une description assez vague et incomplète, sans jamais lui reconnaître de véritable spécificité générique. Ainsi, Thomas Sébillet, dans son Art poétique (1548), ne consacre à la définition de l'épitaphe qu'une parenthèse laconique dans son chapitre consacré à l'épigramme: pour lui, les épitaphes

«

ne sont autres qu'inscriptions de tombes, ou épigrammes sépulchraux23

». Il mentionne à nouveau l'épitaphe dans son chapitre XII, mais n'en fait qu'une des formes que peut prendre la complainte ou la déploration24• Sébillet reconnaît donc à l'épitaphe un caractère distinct et spécifique,

mais il se garde bien de préciser clairement en quoi celui-ci consiste.

Deux décennies plus tard, en 1569, le poète et grammairien d'origine portugaise Thomas Correa donnera de l'épitaphe une définition beaucoup plus généreuse dans son livret intitulé De toto eo poematis genere quod epigramma vulgo dicitur, et de Us

quae ad illud pertinet libellui5• Correa consacrera un chapitre entier à tenter

22 A. Fleges, Les Tombeaux littéraires en France à la Renaissance, 1500-1589, thèse de doctorat, Centre d'Études Supérieures de la Renaissance, Université François Rabelais, 2000, [p. 31].

23 Thomas Sébillet, Art poétique français, dans Traités de poétique et de rhétorique de la Renaissance, Francis Goyet (éd.), Paris, Le Livre de Poche, 1990, p. 99.

24 « [ ... ] tu trouveras chez Marot et autres clairs Poètes des complaintes et déplorations: les unes faites en fonne d'épitaphes, comme la plupart des épitaphes qui se font aujourd'hui: les autres en fonne d'élégie [ ... ] », ibid, p. 136.

(30)

d'énumérer toutes les sortes et tous les tons d'épitaphes imaginables, multipliant les exemples puisés chez les Anciens et chez les poètes latins modernes. Bien qu'on puisse lire ses longues énumérations comme une honorable tentative pour épuiser son sujet et en cerner tous les contours, ses observations n'en restent pas moins encore très générales. Même à la toute fin du siècle, malgré le fait que presque tous les

poètes en auront tâté - ou peut-être justement à cause de cela -, l'épitaphe demeurera

encore un objet en mal de définition précise. Pierre de Laudun D'Aigaliers résumera

assez bien la situation en avouant, au chapitre XII du second livre de son Art poétique

(1597), qu'une épitaphe n'est finalement qu'un poème funéraire que son auteur désigne comme tel :

[ ... ] je diray que c'est proprement une epigramme ou inscription qui se fait sur un tombeau. La matiere est tousjours une, asçavoir tristesse ou plainte, mais la façon est

autant diverse comme il y a diversité de poëmes, car l'on les

accomode tous al' epitaphe : Ronsard, en a faict de toutes

sortes en ses œuvres Desportes, & Garnier sur le decés de

Ronsard où je renvoye: bref toute chose soit Sonnet, Madrigal, Ode, elegie, quatrain, huictain, ou autre chose faicte sur la mort de quelqu'un soit en bien ou en mal est apellée epitaphe: c'est pourquoy je ne voy pas qu'il soit

besoing d'en traieter plus longuement [ ...

f6.

Le flou qui a toujours entouré la définition du geme n'a cependant pas empêché le public lettré de goûter les nombreuses épitaphes, manuscrites ou imprimées, clandestines ou officielles, sérieuses ou badines qui n'ont jamais cessé de circuler tout

26 Pierre de Laudun D'Aigaliers, L'Art poétique françois, [Paris, 1597], Genève, Slatkine Reprints,

(31)

au long du siècle. Les témoignages de l'époque s'entendent d'ailleurs pour tracer de

cette pratique un portrait placé sous le signe de

r

abondance et de la variété27•

Combinant des intérêts à la fois esthétiques (par sa forme versifiée) et sociaux (en ce qu'il est le lieu où s'exprime un jugement - favorable ou critique - sur un individu),

le genre répondait à la curiosité d'un public jamais avare de commentaires,

d'impressions ou d'opinions lorsqu'une disparition importante frappait le royaume. Tout comme sa proche parente l'épigramme, l'épitaphe était un support idéal pour alimenter les conversations publiques, débats ou polémiques, que ne manquait pas d'entraîner la mort d'une personnalité, bien souvent politique, mais aussi parfois littéraire.

Au carrefour des genres: le Tombeau collectif

Dans un contexte où la circulation et la publication de la poésie funéraire constituaient des activités qui, depuis le début du XVIe siècle, avaient pris de plus en

plus d'ampleur, éveillant du même coup l'intérêt des imprimeurs et des libraires28

, il

fallait s'attendre à ce que de nouveaux supports éditoriaux soient créés qui répondent

à cet engouement. L'introduction progressive de poèmes commémoratifs dans les

recueils des années 1530 (dans L'Adolescence Clémentine de Clément Marot, les

Carminum Libri Quatuor d'Étienne Dolet et les Nugarum Libri Octo de Nicolas

27 Cf A. Fleges, {( "Je ravie le mort", Tombeaux littéraires en France à la Renaissance », La Licorne, n° 29, 1994, pp. 73-74.

28 « La poésie funéraire, sans atteindre des tirages aussi élevés que les romans et les ouvrages scolaires ou religieux, est semble-t-il une source de profits non négligeables» (A. Fleges, Les Tombeaux

(32)

Bourbon, par exemple) annoncera ainsi l'apparition d'un autre genre de recueil -collectif celui-là - entièrement consacré à la célébration poétique d'un disparu: le Tombeau.

À l'instar de la déploration des Grands Rhétoriqueurs et de l'épitaphe, genres

dont il est non seulement le prolongement mais dont il constitue également

l'amplification formelle (en terme de volume), le Tombeau apparaît d'abord comme

un objet prestigieux destiné presque exclusivement à des personnages de marque en complément aux grandes cérémonies officielles. Ce n'est qu'à partir des décennies 1550-1560 que l'on remarque une augmentation notable du nombre de recueils à la mémoire de poètes et d'humanistes, soit précisément dans les années où l'on assiste à l'émergence d'un nouveau groupe de poètes rassemblés autour de Jean Dorat et de Pierre de Ronsard. Nous verrons d'ailleurs plus loin que les trajectoires concomitantes du genre du Tombeau poétique et de la génération de la Pléiade, loin d'être le fruit du hasard, sont au contraire intimement liées, et que le développement et le déclin de l'un doivent nécessairement être mis en parallèle avec ceux de l'autre.

Pratique littéraire plutôt difficile à circonscrire en raison de l'absence de règles

et de critères génériques spécifiques29

, le Tombeau se présente avant tout comme un

dispositif éditorial et structurel intégrant en un même espace, sous une intention encomiastique commune, différentes formes poétiques reconnues. De longueur

29 « Si l'existence non seulement d'une topique et d'une fonction communes aux textes du corpus,

mais, dans certain cas, d'un dispositif éditorial spécifique, autorisent à parler d'un genre du Tombeau à la Renaissance, il apparaît difficile, en revanche, d'en fixer avec précision les limites» (A. Fleges,

(33)

variable, chaque recueil offre une combinaison de textes qui lui est propre, résultat de la forme de contribution choisie par chacun des signataires de l'ouvrage. C'est ainsi au symbolisme appuyé du titre, qu'on peut présumer avoir été inspiré des tumuli des poètes néo-latins, qu'il revient, bien avant la forme, d'identifier l'objet et sa fonction. Le Tombeau de Ronsard30, par exemple, rassemble à la fois des odes, des élégies, des

stances, des épitaphes, des sonnets, ainsi que plusieurs pièces non titrées ou simplement intitulées « Sur le tombeau de ... ». Les deux textes de Claude Binet sur lesquels s'ouvre le recueil, l'un écrit en prose (le « Discours de la vie de Pierre de Ronsard ») et l'autre sous la forme d'un échange à trois personnages (une églogue qui aurait été représentée lors des funérailles du poète), ajoutent à l'aspect composite de l'ouvrage et brouillent encore davantage les limites exactes de ce qui doit ou non être considéré sous l'appellation« Tombeau ».

L'hétérogénéité formelle de l'objet, renforcée par la variété des langues souvent employées pour sa composition (douze dans le cas du Tombeau d'Henri

œ

1

), est ce

qui, paradoxalement, peut être considérée comme l'un de ses traits distinctifs. Ouvrage résultant d'un travail collectif, d'un assemblage qu'on peut bel et bien dire supérieur à la somme de ses parties individuelles, le Tombeau fonde justement sa

30 Discours de la vie de Pierre de Ronsard, Gentil-homme Vandomois, Prince des Poëles François,

avec une Eclogue représentée en ses obsèques, par Claude Binet. Plus les vers composez par ledict Ronsard peu avant sa mort: Ensemble son Tombeau recueilli de plusieurs excellens personnages,

Paris, Gabriel Buon, 1586 (B.N. Rés. Ln27 17842).

31 Epitaphe sur le trespas du Roy Treschrestien Henri Roy de France, II de ce nom, en douze langues.

A treshault et trespuissant prince Philippe Roy d'Espaigne. Au/tres epitaphes par plusieurs Auteurs sur le trespas du mesme Roy. Plus, les epitaphes sur le trespas de Joachim du Bellay Angevin, Poete Latin et Francois, Paris, Robert Estienne, 1560 (B.N. Res. m Yc 118). Ce recueil est constitué de 28 pièces dont neuf françaises, six latines, une grecque, une allemande, deux flamandes, une espagnole, deux italiennes, une anglaise, une écossaise, une polonaise, deux hébraïques et une chaldaïque.

(34)

valeur symbolique et son prestige sur l'universalité de l'hommage que la pluralité des participants, des formes poétiques et des langues permet d'inférer. Ce qui distingue le genre des autres types de discours commémoratifs contemporains ne concerne donc ni

la matière de l'éloge ni la manière de le composer, mais bien son caractère choral,

rassembleur. À la différence de la plainte individuelle inscrite dans l'épitaphe ou de la

déploration signée par un seul auteur, c'est littéralement un concert de voix qui s'élève d'un Tombeau poétique.

L'élaboration collective de ce type d'hommage commande cependant qu'on l'analyse comme un dispositif complexe dont les enjeux dépassent de loin la seule mise en place d'un appareil commémoratif. Dans la mesure où la rhétorique de

l'éloge funèbre s'assortit d'un nombre limité de topai" laissant peu de place à

l'originalité, la rencontre en un même lieu de plusieurs auteurs aux prises avec le devoir de chanter un même défunt a pour effet de transformer le Tombeau en un espace où les participants, disposant au départ d'un thème identique et d'un fonds commun de motifs pour le traiter, se livrent officieusement à une sorte de joute poétique:

[Le Tombeau] met en scène la rivalité des discours comme sa dynamique même: développement d'un corpus restreint d'idées, de motifs et d'images, séries de variations sur un même énoncé, traductions d'un texte en plusieurs langues

instituent son écriture comme système de différences32•

Ainsi, dans ce système de concurrence interne, le discours vise-t-il peut-être moins à célébrer la mémoire d'un mort qu'à se comparer à d'autres discours de même nature,

(35)

à se mesurer à eux, le but étant finalement de fonder sa propre autorité par la démonstration de sa virtuosité stylistique:

Inscrit dans un réseau de participations crOlsees, chaque élément du Tombeau tire son sens de la relation qu'il entretient avec les textes qui l'entourent; son référent n'est pas la personne du mort, objet désigné de la commémoration, mais toujours d'autres textes33,

Réécriture, variation, traduction et paraphrase sont les mots clés d'une mécanique intertextuelle où brille, d'une façon peut-être encore plus évidente que dans les autres types de discours commémoratif, l'esthétique de l'imitation; l'objectif pour chaque auteur n'est pas tant ici de se distinguer par l'originalité de sa louange - notion pour le moins anachronique à la Renaissance34 - que de témoigner de sa compétence

poétique et de sa maîtrise des lieux du discours funéraire.

Certaines correspondances d'auteurs, tout en nous offrant d'inestimables renseignements sur la façon dont étaient rassemblées les contributions pour un recueil, nous apprennent également que les poètes pouvaient prendre connaissance des écrits de leurs collègues avant même la parution publique du Tombeau poétique. Les participants avaient donc bel et bien l'occasion de confronter leurs vers à ceux des autres et, quand cela s'imposait, de les retravailler à la lumière de cette lecture comparée. Une lettre de Nicolas Rapin adressée à Scévole de Sainte-Marthe (deux poètes mobilisés par Claude Binet pour collaborer au Tombeau de Ronsard) nous

33 Ibid, p. 110.

34 « Dans l'esthétique de l'imitation, la visée de l'idéal compte plus que l'affirmation de la

différence ». (Jean Lecomte, L'Idéal et la différence. La perception de la personnalité littéraire à la

(36)

montre un exemple d'une demande d'« appréciation professionnelle» avant publication :

Monsieur,

J'ay presenté vos recommandations aux seigneurs mentionnez par votre lettre, qui vous tous vous resaluent &

vous desirent icy pour ayder à celebrer la memoyre de Monsieur de Ronsard, duquel les obseques furent solennellement faictes lundy dernier, à Boncourt, en tres notable as semblee [ .. .]. On presenta quelques vers faictz par le deffunct comme ils en portent la marque qui ne se peut contrefaire par personne vivant. Vous en jugerez. Je vous les envoie avec une meschante elegie que les prieres de Monsieur Binet & l'exhortation publique qui anime chacun à ce travail a extorqué de moy plustost qu'aulcune allegresse ou esperance de faire rien pour moy. Vous m'en manderez s'il vous plaist vostre adviz & y passerez la douce lime dont polissez vos escripts; à la charge du contre-eschange, c'est à dire de me fayre veoyr ce qu'aurez faiet sur mesmes suget comme vous y estes obligé. [ ... ]

De Paris, ce 2e de Mars 1586.

V ostre serviteur & tres obeissant amy

Nicolas RAPIN35•

Ces dernières lignes mettent en évidence l'intérêt réciproque dont pouvaient faire preuve les poètes dans le processus d'élaboration d'un Tombeau. Cet intérêt, qu'on peut bien sûr imputer à la curiosité intellectuelle, au plaisir de goûter et de faire goûter des vers en exclusivité, suggère néanmoins du même coup l'existence de conditions favorables à l'instauration d'un réel rapport d'émulation entre les collaborateurs.

(37)

À l'image de la cérémonie des funérailles, le Tombeau offre donc le spectacle d'une collectivité, pour ne pas dire d'une communauté, réunie pour pleurer son mort.

n

constitue à ce titre un objet discursif idéal pour étudier les similitudes, récurrences et différences dans l'usage des motifs rhétoriques de la parole funéraire. Cette pratique, que l'on peut à bon droit qualifier d'unique dans le paysage de la littérature commémorative de la Renaissance, n'en finira cependant pas moins par être victime de son statut de « pièce de circonstance ». Lié par ses origines à une tradition de la poésie encomia&tique considérée surannée, accusé de se scléroser par un usage systématique des mêmes formules, le Tombeau collectif perdra peu à peu de son prestige à mesure que mourront les poètes qui, entre 1550 et 1585, lui auront donné ses plus beaux jours. Il disparaîtra presque totalement du champ littéraire dans les premières années du XVlr siècle, laissant le champ libre à un autre genre funéraire dont Bossuet allait si brillamment exploiter les richesses, l'oraison funèbre.

(38)

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IDEM LATINE, CAMILLA

Morelia Ïllterprete •

C omegor hoc mmulo gener~fa fiirpe parcnmm C rctus, &: :lmiquis dams imaginibus.

1 am reo1' dfe meum fo10 tibi nomine notum, Et genus,&: generis nobile fiemma mei.

N

omineBellaïus,{edab ane,Poëtafalutor,

N efdo iam quis me non bene noŒe queat .. Canninibus fcdenim liquido cognoCcere nofiris,

A oniafuerim daros im anc, potes.

Hoc mihi fedfolumliceàuibi aicel.'c de mC3

M e coluHfe pios,méque fuHre pium 5J

N cc l::di{fe pios : vera: pietatis amator

Tu modo fis, manes lxdere parce rneos •

.,:'~; ...

A

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(40)

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(41)

L 'œuvre lyrique et les promesses d'immortalité

Ne pilier, ne terme Dorique D'histoires vieilles decoré, Ne marbre tiré de l'Afrique En colonnes elabouré, Ne te feront si bien revivre Apres avoir passé le port, Comme les plumes et le livre Te feront vivre apres ta mort!.

La période faste du Tombeau poétique correspond, dans l'histoire des

représentations de la mort, à une époque où la notion d'immortalité eschatologique et

chrétienne se voit concurrencée, ou du moins complétée, par l'idée d'une survivance

par la gloire et un éternel renom. Les travaux d'Erwin Panofsky2 et de Kathleen

1 Pierre de Ronsard, Odes, I, 8, « Usure, à luy-même », dans Œuvres complètes, Jean Céard, Daniel

Ménager et Michel Simonin (éd.), Paris, Gallimard, 1993, « Bibliothèque de la Pléiade », t. I, p. 622.

2 Erwin Panofsky, Tomb Sculpture. Four Lectures on Its Changing Aspects from Ancient Egypt to

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