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Chapitre 1. Le management de l’innovation

1.3. Variété des points du vue sur le processus d’innovation

1.3.7. L’innovation comme processus de conception innovante

Partant du fait que l’innovation contemporaine est devenue intensive (La Masson, Weil et

Hatchuel, 2006 ; Benghozi, Charue-Duboc et Midler, 2000), Hatchuel et Weil (2003) ont

développé un cadre théorique original du raisonnement de l’innovation nommé la théorie

C-K. D’après les auteurs, la théorie C-K rend compte du foisonnement de connaissances

nouvelles, de surprises créatives, de concepts nouveaux, de la variété des alternatives. Elle

« permet de dépasser les apories de la conception considérée comme de la résolution de

problèmes, fût elle créative » (La Masson, 2008), clarifie les formes de raisonnement

conduisant à l’innovation, permet d’expliquer comment il est possible de concevoir de

l’inconnu avec du connu, en expliquant les processus menant à la créativité et à

l’apprentissage dans la conception.

Cette théorie considère que tout acteur s’engageant dans un processus de conception dispose

d’une base de connaissances (K : Knowledge). Ces connaissances concernent l’ensemble de

savoirs hétérogènes détenues par un acteur (objets, faits, règles,…). Les processus de

conception démarrent lorsqu’un acteur est conffronté à une question qu’il ne peut pas

résoudre grâce à l’état de ses savoirs. Dès lors, Hatchuel et Weil (2003) mobilisent la notion

de « concept » comme élément déclencheur de ce processus. Le postulat de base de cette

approche consiste à séparer les espaces des concepts (C) et des connaissances (K).

Selon les auteurs, « un concept » représente le « point de départ » de tous les concepteurs. Il

ne représente pas une réalité mais un potentiel d’expansion et exige la suspension de tout

jugement. Travailler sur un « concept » nécessite donc la suspension de tout jugement sur le

préciser grâce à un ensemble d’attributs et le valider à l’aide des connaissances existantes ou

créées. Pour Le Masson et al, (2006) l’espace des connaissances contient les propositions

validées qu’elles soient techniques, commerciales, règlementaires ou sociales. Ces savoirs et

connaissances (K) vont permettre d’explorer le concept initial (C) et de le spécifier. Par

génération d’alternatives, on voit se constituer un arbre de conception qui retrace la

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généalogie de la conception. En même temps, les concepts interrogent les savoirs et les

connaissances disponibles. Ils révèlent des lacunes dans les savoirs et les connaissances des

acteurs qui les explorent et déclenchent ainsi le développement de nouvelles connaissances.

Le processus de conception est le résultat d’une interaction continue entre l’espace des

concepts et celui des savoirs et des connaissances développés.

La théorie C-K se définit au travers de quatre notions de base : l’expansion, la partition, les

concepts et les connaissances. Dans cette théorie, le processus de conception est formalisé par

un aller-retour entre deux espaces différents, celui des concepts (C) et celui des connaissances

(K).

 Expansion : repose sur le principe de repousser les limites d’un espace connu. S’il

n’existe pas d’expansion, la conception serait réduite à une sélection dans une liste

d’objets ou de règles, c’est-à-dire à la décision. L’identité expansive d’un objet est sa

capacité à posséder d’autres priorités que celles qui sont habituellement connues.

 Partition : est l’opération de division élémentaire dans un raisonnement de conception.

On distingue entre deux types de partitions : la partition restrictive qui consiste à

diviser un espace fini selon des critères de choix ou des règles connues et la partition

expansive qui construit progressivement du « nouveau » dans l’espace de départ. Elle

apporte de nouvelles propriétés, pose de nouvelles questions, définit des catégories qui

n’existaient pas au départ du raisonnement. Les partitions expansives peuvent donner

lieu à des sacrés surprises par rapport au concept initial.

 Connaissance (K) : les connaissances sont des propositions ayant un statut logique

pour le concepteur ou le destinataire de la conception. Cela signifie qu’une

connaissance peut être évaluée pour elle-même par les experts de cette connaissance.

Il y a derrière les bases de connaissance des métiers, des histoires professionnelles, des

groupes professionnels. Ces experts détiennent les critères de la preuve de la vérité de

des connaissances c’est-à-dire celles-ci « sont des « choses » connues et peuvent être

utilisées pour agir sur des « choses » inconnues. La connaissance donne aux

concepteurs une capacité d’action légitime » (Garel et Mock, 2012).

 Concept (C) : sont « des propositions novatrices à partir desquelles un travail de

conception peut s’engendrer » (Garel et Mock, 2012). Lors du commencement du

raisonnement de conception, ces propositions sont indécidables c’est-à-dire que ces

propositions correspondent à des concepts n’ayant pas de statut légitime dans l’espace

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des connaissances. Cela nous mène à dire que lorsqu’un nouveau concept est formulé,

il est impossible de prouver a priori que cette proposition est vraie ou fausse dans

l’espace des connaissances. Ainsi, le concept ne renvoie pas à une notion clairement

définie mais plutôt à une notion en élaboration, possible, potentielle. Dans cette

acception, l’espace des concepts permet aux concepteurs de penser, imaginer, rêver,

etc. et de travailler sur de l’intangible, du virtuel ou du potentiel en s’affranchissant au

préalable à des critères de faisabilité technique ou à des études de marchés

préexistantes. N’ayant pas de statut logique, les concepts sont des propositions dont on

ne peut pas affirmer si elles sont vraies ou fausses au début de la conception. De ce

fait, un concept ne doit pas être jugé, évalué ou apprécié a priori.

Munis des définitions qui viennent d’être présentées, nous pouvons dire que le processus

de conception est une interaction continue dans l’espace des concepts, qui peu à peu se

précise, et celui des connaissances qui se développe et s’enrichit concomitamment. Les

concepts interrogent et produisent des connaissances, celles-ci à leur tour interrogent et

produisent des nouveaux concepts. Il s’agit d’une boucle fonctionnant en passes successives

dans la mesure où les concepts font apparaître des lacunes dans les connaissances des acteurs

qui les explorent ce qui déclenche le développement de nouvelles connaissances, qui en

retour, réinterrogent les concepts pouvant d’étendre à des nouvelles partitions. Dans cette

acception, toute conception peut être considérée comme une co-expansion de C et de K, selon

quatre actions interdépendantes dont les interactions se représentent dans un carré de la

conception.

Figure 2 : Le carré de la conception Source : Hatchuel et Weil, 2003

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