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La tentation du gender mainstreaming

La mention des femmes dans les diverses productions parlementaires et législatives dédiées à la création d’entreprise en France commence à émerger légèrement à partir des années 1990, ce qui est à rapprocher de l’influence grandissante des productions internationales dans la formulation des politiques publiques nationales. En 1999, le rapport Besson mentionne, timidement, l’aide spécifique apportée aux femmes qui créent des entreprises aux États-Unis. Cette référence intervient en écho du rapport de l’OCDE de 1997, intitulé “Small businesses, job creation and growth: facts, obstacles and best practices”, qui démontre le rôle important que jouent les petites entreprises dans un tissu économique national. Ce rapport souligne également que la création des femmes a augmenté deux fois plus vite que celle des hommes aux États-Unis (OCDE, 1997, p. 38) et que la valorisation de l’activité économique des femmes est un vecteur de croissance à prendre dorénavant en compte. Plus largement, les incitations au développement de la création d’entreprise, telles qu’on peut les observer en France, ont été fortement portées par les institutions internationales et européennes. En 2000, la Charte de Bologne reconnaît « l’importance grandissante des petites et moyennes entreprises pour la croissance économique, la création d’emplois, le développement régional et local, et la cohésion sociale »131. Du côté de l’Union Européenne, l’influence est plus directe, même si peu révélée dans les débats parlementaires de l’époque et des années suivantes. Le Traité d’Amsterdam de 1997 instaure ainsi pour la première fois une stratégie coordonnée pour l’emploi, visant notamment un niveau d’emploi élevé (tout particulièrement pour les jeunes, les séniors et les femmes). Une première directive de 1998 (98/347.CE) relative à l’assistance aux petites et moyennes entreprises innovantes et créatrices d’emploi place déjà la création d’entreprise dans le cadre des mesures destinées à réduire le chômage, en valorisant notamment certains mécanismes financiers pour le montage des projets (comme le capital-risque) et dédiant un fond spécifique, le Fond Européen d’Investissement (FEI).

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Initiée dans les années 70 par des expertes féministes implantées dans les institutions communautaires, la prise en compte des inégalités hommes/femmes est d’abord construite à travers un cadre contraignant qui s’institutionnalise peu à peu, de façon large et solide (Barnard, 2001; Cram, 1997). Connaissant diverses évolutions et redéfinitions de l’égalité et de ses enjeux, à la fin des années 90, c’est la notion de gender mainstreaming qui s’impose comme norme d’action publique (Jacquot, 2008) : « C’est un instrument d’action publique par lequel la question particulière de l’égalité entre les femmes et les hommes est intégrée de façon horizontale et systématique à l’ensemble des « autres » politiques publiques et prise en compte à toutes les étapes du processus politique ». (Jacquot, 2009, p. 258).

131 Cette liste d’assertions et d’engagements a été édictée par les ministres et représentants de 47

gouvernements ayant pris part à la 1re Conférence des ministres responsables des PME et des ministres de l’Industrie organisée conjointement par l’OCDE et l’Italie le 15 juin 2000 à Bologne, disponible sur le site :

http://www.oecd.org/document/29/0,2340,fr_2649_34197_1809117_1_1_1_1,00.html, consulté le 3/11/2011.

Cette optique européenne va se renforcer dans les années suivantes, tout particulièrement avec l’élaboration en mars 2000 de la « Stratégie de Lisbonne », destinée à définir les lignes directrices des politiques économiques des États-Membres pour la décennie. Cette stratégie cherche à faire de l’Union Européenne « l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde, capable d’une croissance économique durable accompagnée d’une amélioration quantitative et qualitative de l’emploi et d’une plus grande cohésion sociale »132. Elle compte notamment un volet

en faveur des PME, où l’un des quatre défis est d’accroître le taux de création des start-ups, notamment parmi les femmes, les jeunes et les chômeurs. L’Union Européenne favorise donc des mesures dites actives, plus situées du côté de la création que de la pérennisation des entreprises et nettement inspirée de la situation anglo-saxonne, et plus particulièrement américaine en matière de création d’entreprise. Les femmes y apparaissent, mais plus en tant que cible spécifique : elles sont alors intégrées dans une lutte globale contre les discriminations, inscrite à la croisée de différents chantiers pour favoriser la démographie européenne et préserver l’ensemble des mécanismes de protection sociale qui y sont en place (Jacquot, 2009). C’est ce qui participe, sans doute, à leur apparition dans les débats autour de la loi Dutreil de 2005 ; mais ne constituant dès lors plus une cause à part entière des politiques européennes, la cause des femmes devient d’autant moins susceptible d’être défendue dans les politiques nationales, y compris françaises.

En 2003, l’adoption des Grandes Orientations de Politique Économique et des Lignes Directrices pour les Politiques d’Emploi des États-Membres133 continue d’« encourager l’esprit d’entreprise et promouvoir la création d’emploi (dont la simplification administrative) ». Y disparaît toutefois la mention spécifique des femmes, en écho aux reculs et transformations du gender mainstreaming au niveau européen : si l’égalité entre les hommes et les femmes reste perçue comme un facteur de croissance et de compétitivité, elle se dilue peu à peu en étant fondue aux impératifs liés au fonctionnement du marché économique (Jacquot, 2009). Cette édulcoration progressive évacue finalement le cas des femmes dans les questions d’emploi, à un moment où celles-ci peinent à exister comme problème public en France. En outre, à partir de 2005 et des révisions de la Stratégie de Lisbonne, adoptées dans la lignée du rapport Wim Kok de 2004, les Lignes Directrices pour l’Emploi accorderont une moindre importance à la création d’entreprise, sans remettre pour autant en cause les principes édictés jusqu’alors.

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Source : Document E1454 de l’Assemblée Nationale, déposé le 23 mai 2000 et livrant la décision du Conseil Européen pour la mise en place d’un programme pluri-annuel (2001-2005) pour les entreprises et l’esprit d’entreprise.

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L’examen de la première période encadrant les mesures en faveur de la création d’entreprise a permis de souligner la dimension néo-libérale de ces politiques publiques et des dispositifs qui y sont associés. Cette dimension reste « gender blind » : en dehors des améliorations apportées au statut d’un conjoint-collaborateur qui maintient les femmes à l’écart de responsabilités économiques prises en propre, la cause des femmes dans les politiques promulguées en faveur de la création d’entreprise est absente. Il faut y voir un effet de la configuration politique nationale sur la période, mais également l’influence inachevée des intentions internationales et européennes : progressivement noyé dans l’impératif de la croissance, le principe et l’outil de progrès que constituait le gender mainstreaming n’a plus eu que des effets collatéraux. Ses reflux observés dans l’ensemble des politiques européennes suggèrent que cette absence se prolonge par la suite. C’est ce qui est interrogé à partir de 2005 dans la continuité de ce chapitre.

2. L’avènement de l’initiative économique individuelle

Jusqu’à la fin des années 90, les politiques actives de retour à l’emploi par la création d’entreprise n’ont pas été pensées de façon genrée : malgré la loi Roudy de 1983 en faveur de l’égalité professionnelle, les inégalités hommes/femmes en matière d’emploi et le rôle de l’État n’ont globalement pas été posées comme un problème public (Blanchard, 2012). La question du chômage des femmes, qui est pourtant déjà saillante134, peine à émerger : le travail des féministes au sein des instances communautaires ne commence à redescendre au niveau des espaces nationaux qu’à partir de la fin des années 90 (Jacquot, 2009), période à partir de laquelle l’instrument d’action publique que constitue le gender mainstreaming voit son efficacité se diluer. En outre, en France, ces mesures ont jusque là été essentiellement portées par des acteurs et actrices éloignées de la cause féministe, et les quelques figures qui ont tenté d’infléchir cette tendance ont été minoritaires et peu soutenues. À la fin des années 2000, à l’arrivée au pouvoir de Nicolas Sarkozy, l’entrepreneuriat pour tous connaît une nouvelle inflexion, incarnée par la loi de modernisation de l’économie du 4 août 2008. Il y est notamment question de démocratiser l’initiative économique individuelle. Cette thématique fait écho à la création par Maria Nowak de l’ADIE, Agence pour le Développement de l’Initiative Économique. Portée par une femme, on pourrait s’attendre à ce que cette thématique défende notamment les intérêts de cette catégorie de sexe. Pour envisager cette hypothèse, je présente Maria Nowak et ses éventuels engagements en faveur de la cause des femmes. C’est ensuite qu’est sondée la dimension genrée de cette nouvelle législation en faveur de la création d’entreprise.

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Il est au 4ème trimestre 1979 déjà trois points au dessus de celui des hommes (6.9 % contre 3.6 % chez les hommes, avec un taux moyen de 4.9%). Source : INSEE, enquêtes emploi annuel, chômage sens BIT. Champ : France métropolitaine, population des ménages, personnes de 15 ans ou plus). Disponible

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