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Des femmes favorisées et qualifiées

Préambule : des premiers travaux muets sur les caractéristiques sociologiques des Mompreneurs

A. Un entrepreneuriat loin d’être populaire

1. Des femmes favorisées et qualifiées

Le recours à une enquête par questionnaire a permis de confirmer le premier profilage établi par observation162. Si l’ensemble des mesures en faveur de la création d’entreprise ont avant tout consisté à démocratiser l’initiative économique individuelle (Levratto & Serverin, 2009; Richevaux, 2002), et tout particulièrement le régime de l’auto-entrepreneur (Abdelnour, 2012), chez les

162

Des éléments plus complets sont détaillés en annexe 1 sur l’enquête quantitative : je précise toutefois ici que 417 femmes ont été interrogées, et que 64% d’entre elles ont répondu à l’enquête. L’échantillon obtenu paraît représentatif sur les variables stables que j’ai pu comparer entre le fichier d’adhésions et le fichier de répondantes, ce qui n’exclut pas toutefois de considérer avec précaution les données présentées ici.

Mompreneurs, l’accès à l’entrepreneuriat concerne en majorité des femmes des classes moyennes et supérieures163, assises sur une situation salariale antérieure bien située, répondant elle-même à un bon niveau de qualifications.

Signalons d’abord que 268 répondantes à l’enquête disent avoir déjà exercé une activité professionnelle. Dans leur emploi précédent, les répondantes à l’enquête se déclarent à 55 % comme faisant partie des catégories supérieures à moyennes supérieures (ingénieure, cadre, directrice et indépendante) ; 23 % relèvent plutôt des classes moyennes (agent de maîtrise et technicienne ou assimilé) et 22 % des milieux plus populaires (ouvrière ou assimilé et employée de bureau, de commerce, personnel de services). On compterait ainsi trois fois plus de membres des catégories les plus aisées que dans l’ensemble de la population féminine nationale (17 % d’après le recensement de 2008 — voir Tableau 9, p. 143).

Tableau 6. CATÉGORIE PROFESSIONNELLE OCCUPÉE PAR LES MOMPRENEURS AVANT LA CRÉATION D'ACTIVITÉ

Dans le dernier emploi salarié occupé, étiez-vous :

Base= réponses complètes (n=268) Eff. %

Ouvrière ou assimilé 6 2%

Employée de bureau, employée de commerce, personnel de services (y.c. agent de catégorie C

ou D de la fonction publique) 53 20% Agent de maîtrise, maîtrise administrative ou commerciale, VRP (non cadre), y.c. agent de

catégorie B de la fonction publique 44 17% Technicienne ou assimilé (non cadre) 17 6%

Ingénieur, cadre (à l’exception des directeurs généraux ou de ses adjoints directs), (y.c. agent de

catégorie A de la fonction publique) 131 49% Directrice générale, adjointe directe 8 3%

Vous étiez indépendante ou à votre compte 8 3%

Vous n'avez jamais exercé d'activité professionnelle 1 0% Source : enquête Mompreneurs Landour. Champ : collectif des Mompreneurs au 31/08/13

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Les opérations de classement qui constituent ce chapitre s’appuient sur une appréhension par « classe » construite à partir des catégories socio-professionnelles de l’INSEE, que j’ai intégrées au questionnaire adressé à l’ensemble des adhérentes de l’association. Si cette terminologie a fait et continue de faire débat, elle constitue à mon sens, et à la suite des travaux qui en plaident la réhabilitation (Bouffartigue, 2004) une clé de lecture déterminante du monde social, pour les milieux populaires comme pour les plus bourgeois. Cette première classification permet de saisir le positionnement sociologique des Mompreneurs, et notamment leur appartenance à un ensemble qui s’étend des classes moyennes (intégrant les professions intermédiaires telles que les agents de maîtrise ou les technicien.ne.s et une partie des cadres et professions intellectuelles) aux classes supérieures (intégrant une autre partie des cadres et professions intellectuelles jusqu’aux élites dirigeantes). Inspirée des propositions d’Olivier Schwartz s’agissant plus particulièrement des classes populaires(Schwartz, 1998), j’ai complété ce premier cadrage positionnel, troublé par à la position ambigüe des cadres (Bouffartigue, et al., 2011), par d’autres données quantitatives, telles que le niveau de diplôme, les positions parentales et conjugales, ou celles liées à la morphologie des entreprises créées, mais également par des traces plus culturelles recueillies grâce aux méthodes plus qualitatives de ma recherche (comme les consommations dites culturelles (intégrant les programmes regardés à la télévision) ou encore les pratiques parentales) que sera affiné le positionnement des Mompreneurs. Mon objectif est de préciser à quelle(s) strate(s) de ce premier classement par classe elles appartiennent, redonnant alors toute sa complexité à l’enchâssement des rapports sociaux qui s’y jouent. Au-delà du terme de classe, qui désigne ici un regroupement de plusieurs catégories socio-professionnelles, j’emploierai le terme de strate, pour désigner des sous-groupes à l’intérieur de ces classes, et de frange, pour évoquer des sous-groupes qui peuvent de leur côté, compte-tenu de la variable par laquelle ils sont saisis, circuler entre plusieurs classes, dans une dialectique du conflit dont il s’agit de déterminer les contours et enjeux.

Le niveau de diplôme confirme un positionnement du groupe au sein des strates les plus dotées économiquement et culturellement : 75 % se disent ainsi titulaires d’au moins un diplôme de deuxième cycle. Sur les 202 femmes concernées, 42 (16 %) disent posséder un titre d’ingénieur ou d’une grande école. A titre indicatif, on ne compte en France métropolitaine en 2011 que 22 % de titulaires d’un diplôme supérieur au bac parmi les 15 ans et plus164.

Tableau 7.NIVEAU DE DIPLÔME DES MOMPRENEURS

Quel(s) diplôme(s) possédez-vous ? *

Base = ensemble (n=268) Eff. %

Aucun diplôme 2 1%

CAP, brevet de compagnon, BEP 24 9%

Baccalauréat 50 19%

Diplôme technique de 1er cycle (BTS, DEUST, DUT,...) 56 21%

Diplôme universitaire ou général de 1 er cycle, diplôme des professions sociales ou de la

santé, infirmier(ère) 5 2% Diplôme universitaire de 2ème cycle (licence, maîtrise, tout diplôme de niveau bac + 3 et bac + 4) 85 32%

Diplôme universitaire de 3ème cycle (DEA, DESS, doctorat, diplôme de niveau bac + 5 et plus y.c.

médecine, pharmacie, dentaire,...) 75 28% Diplôme d’ingénieur, d’une grande école 42 16% * Réponses multiples autorisées, le total est supérieur à 100%

Source : enquête Mompreneurs Landour Champ : collectif des Mompreneurs au 31/08/13

La mise en rapport des qualifications obtenues (à nuancer toutefois compte-tenu des possibilités de réponses multiples) avec les emplois antérieurement occupés atteste d’un rendement relativement bon des formations initiales : 79 % des femmes détentrices d’un diplôme d’ingénieur ou d’une grande école disent avoir occupé un poste de cadre ou d’ingénieur, ce qui est le cas de 69 % des titulaires d’un diplôme de troisième cycle. À l’autre extrémité, les femmes sans diplômes (deux seulement) ou celles qui sont titulaires d’un CAP/ BEP ou seulement du baccalauréat étaient plus régulièrement employées ou agent de maîtrise. La correspondance entre le « titre et le poste », pour reprendre le titre de l’article de Pierre Bourdieu et Luc Boltanski (Bourdieu & Boltanski, 1975), n’est toutefois pas totale et laisse transparaître des insertions compromises pour certaines sur le marché de l’emploi : 14 % des titulaires d’un titre d’ingénieur ou de grandes écoles disent avoir occupé des postes d’employée ou d’agent de maîtrise. On observe également une part non négligeable de dé- corrélations positives (4 % des titulaires d’un CAP ou d’un BEP se déclarant cadres), qui doivent sans doute être reliées à des opportunités de promotion interne.

164 Source : Insee, enquête Emploi, http://www.insee.fr/fr/themes/tableau.asp?reg_id=0&ref_id=nattef07232,

Tableau 8.CATÉGORIE SOCIOPROFESSIONNELLE CROISÉE PAR LE TYPE DE DIPLÔME OBTENU Aucun diplôme CAP, compagnon, BEP Baccalauréat Diplôme technique de 1er cycle Diplôme universitaire ou général de 1 er cycle Diplôme universitaire de 2ème cycle Diplôme universitaire de 3ème cycle Diplôme d’ingénieur, d’une grande école Base : ensemble (n=268)

Eff. % Eff. % Eff. % Eff. % Eff. % Eff. % Eff. % Eff. %

Ouvrière ou assimilé 0% 3 13% 2 4% 2 4% 1 17% 3 4% 0% 0% Employée 1 50% 9 38% 15 30% 14 25% 2 33% 17 20% 8 11% 3 7% Agent de maîtrise, 1 50% 8 33% 13 26% 14 25% 1 17% 20 24% 5 7% 3 7% Technicienne ou assimilé (non cadre) 0% 3 13% 5 10% 9 16% 1 17% 5 6% 1 1% 0% Ingénieur, cadre 0% 1 4% 12 24% 16 29% 1 17% 34 40% 50 69% 33 79% Directrice générale, adjointe directe 0% 0% 1 2% 0% 0% 3 4% 4 6% 2 5% Indépendante 0% 0% 1 2% 0% 0% 2 2% 4 6% 1 2% Sans activité professionnelle 0% 0% 1 2% 0% 0% 0% 0% 0% TOTAL vs ensemble 2 0% 24 9% 50 19% 55 21% 6 2% 84 31% 72 27% 42 16%

*Rappel : Réponses multiples autorisées pour la question du diplôme, le total est supérieur à 100% Source : enquête Mompreneurs Landour

Champ : collectif des Mompreneurs au 31/08/13

* * *

Les Mompreneurs sont ainsi plutôt positionnées individuellement dans les strates les mieux dotées de la société française, en raison d’abord d’un haut niveau de qualifications qu’elles ont, pour la majorité d’entre elles, réussi à transformer sur le marché du travail. Avec toutefois un petit quart individuellement positionné dans des strates plus basses des catégories socio-professionnelles, elles forment sur la base de ces premières variables un ensemble socialement hétérogène, qui renvoie plus généralement au caractère hétéroclite de la catégorie des « indépendants » (Bessière & Gollac, 2014; Desrosières & Thévenot, 2002 [1988]). L’examen de la situation de leurs parents permet d’atténuer cette hétérogénéité.

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