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Au sein des motets du XIIIe siècle, notre attention aurait pu se porter sur deux teneurs : IN SECULUM ou STIRPS JESSE. Ces mélodies ont en effet servi à la composition de nombreux motets.

La teneur IN SECULUM issue du graduel Haec Dies et le répons

Stirps Jesse sont les deux familles de motets les plus importantes du XIIIe siècle. Le graduel Haec Dies provient de la messe de Pâques et évoque directement le Christ114. Le répons Stirps Jesse, attribué à l’évêque Fulbert de Chartres et daté du XIe siècle, a été composé spécialement pour l’office de la Nativité de la Vierge à Chartres, le 8 septembre115. Il résulte du développement sans précédent du culte de la Vierge à cette époque. Le Stirps Jesse, et notamment la dernière partie de son verset, Flos filius ejus, a été repris de très nombreuses fois pour la

114ROESNER, Edward H., Les organa et les clausules à deux voix du manuscrit de Wolfenbüttel, Herzog

August Bibliothek, Cod. Guelf. 628 Helmst. dans ROESNER, Edward H. (dir.), Le « Magnus Liber Organi », op. cit., vol. 7, p. XXVII-XXVIII ; Cantus, base de données en ligne consultée le 20 septembre 2012, <

http://cantusdatabase.org/> ; ROTHENBERG, David J., The Flower of Paradise. Marian Devotion and

Secular Song in Medieval and Renaissance Music, Oxford, Oxford University Press, 2011, p. 58.

115BERNARD, Philippe, « Les répons chartrains pour la fête de la Nativité de la Vierge Marie à l’époque de Fulbert » dans Monde Médiéval et Société Chartraine, Paris, Picard, 1997, p. 138.

composition de motets. Flos filius ejus, « la fleur est son Fils », est une explicitation chrétienne de la métaphore végétale d’Isaïe sur la venue du Sauveur. Porteur d’un sens liturgique fondamental pour le dogme chrétien, le terme Flos est également chargé de riches connotations poétiques. Il est extrêmement propice au développement de commentaires et évoque notamment une représentation célèbre pour les historiens de l’art : l’ « arbre de Jessé ». Pour l’étude des motets de l’Ars

Antiqua, notre choix s’est donc porté sur cette teneur.

En effet, au XIIIe siècle, le répons Stirps Jesse est encore bien connu116. Il a servi de socle à trente-sept familles de motets conservées dans dix- huit manuscrits différents sachant qu’une seule famille peut compter jusqu’à sept pièces. De plus, cette mélodie a servi à la composition de nombreux organa issus du magnus liber organi. Les répétitions motiviques y seraient globalement plus nombreuses que dans les autres polyphonies117. Dans ce réseau de motets, le mélisme de la dernière partie du verset du répons, c’est-à-dire la teneur FLOS

FILIUS EJUS ou EJUS, est la plus répandue. Puisque la teneur est considérée

comme un texte à part entière dans les premiers motets de l’Ars Antiqua, ce corpus va ainsi nous permettre d’étudier les liens éventuels entre les textes de la teneur et des voix supérieures.

Les motets à deux voix dans le manuscrit W

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Dans cette famille, nous avons également décidé d’étudier plus particulièrement les motets à deux voix.

En effet, le plus souvent, les traités évoquent la composition polyphonique du motetus comme l’étape qui suit immédiatement le choix d’une teneur. Dans les motets sur le FLOS FILIUS EJUS ou EJUS, la majorité des compositions à quatre ou trois voix est en réalité issue d’une ou plusieurs pièces à

116Il est notamment prescrit pour les nocturnes de l’Assomption (15 août) dans un bréviaire parisien : Paris, BnF, lat. 15181 et 15182 notamment cité par EVERIST, Mark, French Motets in the Thirteenth Century, op.

cit., p. 45.

117PLANCHART, Alejandro Enrique, « The Flower’s Children », Journal of Musicological Research, 22 (2003), p. 303.

deux. L’exemple de Par un matinet l’autrier (658) / Hé berchier (657) / EJUS (O16) conservé dans le manuscrit Mo est représentatif de cette tendance118. Ce motet a été créé grâce à la fusion de deux pièces autonomes à deux voix : E

bergier (657) / EJUS et Et sire (659) / EJUS. Ces motets sont sans aucun doute

antérieurs à ceux de Mo. D’une part, ils sont conservés dans un manuscrit plus ancien : le codex W2daté du milieu du XIIIe siècle119. D’autre part, la polyphonie

à quatre voix utilise de très nombreux unissons qui trahissent sans équivoque la réunion de plusieurs voix supérieures auparavant indépendantes120. Ce n’est que dans le manuscrit Mo dont la partie la plus ancienne a été compilée vers 1270 ou 1280 que ces pièces ont été assemblées pour former des compositions plus complexes. L’étude des motets à deux voix semble donc idéale pour étudier les différents processus de composition à l’origine de ces pièces et surtout le noyau originel constitué du motetus et de la teneur.

Enfin, pour répondre à notre problématique sur les liens entre texte et musique, nous avons décidé de privilégier une source exceptionnelle : le codex W2. En effet, cet ouvrage est l’un des manuscrits qui contient la plus grande

collection de motets de l’Ars Antiqua avec Mo121. De plus, les pièces à deux voix sur la teneur FLOS FILIUS EJUS et EJUS y sont très nombreuses. Ce recueil conserve dix-sept motets à deux voix sur cette mélodie. Seul Mo en possède autant. En outre, le codex W2est l’un des manuscrits les plus anciens contenant

des motets. Il serait lié au magnus liber organi comme les manuscrits F et W1.

Pour finir, ce codex contient de très nombreux motets accompagnés de leurs

contrafacta. L’étude des pièces à deux voix sur les teneurs issues du Stirps Jesse

semble donc être le corpus le plus adapté pour travailler sur les processus de composition et de réécriture. Avant de présenter notre corpus de façon plus approfondie, il est nécessaire de présenter le Stirps Jesse et ainsi de saisir toutes les implications que sous-tend la reprise de cette mélodie.

118Respectivement dans Mo, f° 195 v° et Ba, f° 23 et Mo, f° 27 v° et Cl, f° 389 ; HUOT, Sylvia, Allegorical

Play, op. cit., p. 44 et suiv.

119Le codex St-V conserve également une clausule correspondant au motet E bergier (657) / EJUS. Nous ne voulons pas généraliser à outrance ici. Il existe des motets composés directement à trois voix mais ce ne sont pas les plus fréquents surtout dans notre corpus.

120DOBBY, Margaret, Le motet au XIIIesiècle à travers l’étude des pièces issues du Stirps Jesse dans le

manuscrit de Montpellier, mémoire de maîtrise, Université de Poitiers, 2005, p. 126 et suiv.

Chapitre II :