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Les traités contemporains

L’Ars cantus mensurabilis de Francon de Cologne

Dans de très nombreux traités du XIIIe siècle, le déchant est classé selon la présence ou l’absence de texte23. L’Ars cantus mensurabilis de Francon de Cologne, écrit vers 1280, reprend cette classification de la polyphonie mesurée et traite de manière plus précise de sa division24. Les différentes « espèces » du

déchant sont classées en fonction de la présence de texte et chaque catégorie avec et sans texte possède elle-même des sous-groupes. Ainsi, les motets sont définis par la présence de plusieurs textes. Cette caractéristique permet de distinguer les motets des autres types de déchant avec un texte :

« Un déchant est fait soit avec texte soit sans et avec texte, cela sous deux formes : avec le même ou avec différents textes. Avec le même texte, on fait un déchant [comme] dans les cantilenis, rondellis et certains chants ecclésiastiques. Avec des textes différents, on fait un déchant comme dans les motets qui ont un triplum ou une teneur, parce que la teneur équivaut à un texte. »25

Ce qui est tout à fait remarquable dans ce traité, c’est que l’auteur définit le motet par la présence de plusieurs textes, diversis litteris, alors même

23REIMER, Erich (éd.), Johannes de Garlandia : De mensurabili musica, kritische Edition mit Kommentar

und Interpretation der Notationslehre, Wiesbaden, Steiner, 1972, vol. 1, p. 44. Et sciendum, quod huiusmodi figurae aliquando ponuntur sine littera, aliquando cum littera; sine littera ut in caudis vel conductis, cum littera ut in motellis. Base de données en ligne TML consultée le 10 avril 2011, <http://www.chmtl.indiana.edu/tml/13th/GARDMM_TEXT.html>.

24Sur la polémique de la datation du traité de Francon : FROBENIUS, Wolf, « Zur Datierung von Franco’s Ars mensurabilis », Archiv für Musiwissenschaft, 27 (1970), p. 122-127 ; PINEGAR, Sandra, Textual and

conceptual relationships, op. cit., p. 200 et suiv. Sur la polémique sur cette datation liée à celle du traité de

Saint-Emmeram : ANDERSON, Gordon A., « Magister Lambertus and Nine Rhythmic Modes », Acta

Musicologica, 45 (1973), p. 57-73 ; YUDKIN, Jeremy, « The Anonymous Music Treatise of 1279: Why St.

Emmeram? », Music and Letters, 72 (1991), p. 177-196 ; CLERCX, Suzanne, « Jacques d'Audenaerde ou Jacques de Liège? », Revue belge de Musicologie, 7 (1953), p. 56 ; PINEGAR, Sandra, Textual and

conceptual relationships, op. cit., p. 179 et HUGLO, Michel, « De Francon de Cologne à Jacques de Liège », op. cit., p. 161 et suiv. ; BESSELER, « Franco von Köln » dans BLUME, Friedrich (dir.), Die Musik in Geschichte und Gegenwart, Kassel-Basel-Paris, Bärenreiter, 1968, vol. 4, p. 692. ; ANDERSON, Gordon A.,

« Magister Lambertus and Nine rythmic Modes », op. cit., p. 58.

25REANEY, Gilbert et GILLES, André (éd.), Ars cantus mensurabilis, André, [Rome], American Institute of Musicology, 1974, p. 69. Discantus autem aut fit cum littera, aut sine et cum littera, hoc est dupliciter : cum

eadem, vel cum diversis. Cum eadem littera fit discantus in cantilenis, rondellis, et cantu aliquo ecclesiastico. Cum diversis litteris fit discantus, ut in motetis qui habent triplum vel tenorem, quia tenor cuidam littere equipollet. Base de données en ligne TML consultée le 19 mars 2011, <http://www.chmtl.indiana.edu/tml/13th/FRAACME_MPBN1666.html>.

que ces pièces ne sont pas nécessairement chantées avec une voix de triple. Selon lui, la teneur équivaut à un texte. La proposition quia tenor cuidam littere

equipollet, « parce que la teneur équivaut à un texte » est fondamentale ici surtout

si l’on pense à la profonde influence de ce traité sur les écrits postérieurs26. Un motet qui serait composé d’une voix de double et d’une teneur serait donc considéré comme une pièce à deux textes à part entière. Il reste alors à savoir si les écrits contemporains évoquent une influence des mots de la teneur sur les poèmes des voix supérieures.

De motettis componendis d’Aegidius de Murino

Or, un autre traité fait plus particulièrement allusion à cet aspect du motet : le De motettis componendis d’Egidius de Murino. L’auteur serait un certain Egidius Morini, bachelier à l’Université d’Orléans qui aurait reçu en 1337 une prébende au Mans27. Certes, ce texte plus tardif n’a pas eu la même portée que celui de Francon de Cologne : il est conservé dans quelques manuscrits anglais et italiens28. De plus, il évoque la composition de pièces musicales contemporaines, c’est-à-dire des motets de l’Ars Nova. Néanmoins, il est déterminant pour notre étude. Il explique en effet spécifiquement les différentes étapes de la composition des motets de manière extrêmement concrète et pratique. C’est pour cette raison que nous avons retenu cet ouvrage malgré sa date tardive. Il permet d’apporter une nuance nouvelle sur la teneur :

26Loc.cit.

27HOPPIN, Richard et CLERCX, Suzanne, « Notes biographiques sur quelques musiciens français du XIVe siècle » dans L'Ars nova, recueil d'études sur la musique du XIVesiècle, Paris, Les Belles Lettres, 1959, p. 63-

92.

28 Un manuscrit anglais du XIVe siècle (Londres, British library, cotton Tiberius B. IX, le même que l’anonyme I et IV), plusieurs manuscrits italiens du XIVeet XVesiècle : RISM, The Theory of Music, IV, p. 190 et The Theory of Music, V, p. 114-115.

« Dans un premier temps, prends la teneur de quelque antienne ou répons ou d’un autre chant de l’antiphonaire ; et les mots doivent concorder avec le matériau à partir duquel on fait le motet ; et alors reprends la teneur et tu l’ordonneras et la coloreras selon ce qui serait développé plus bas à propos du mode parfait ou imparfait. »29

Dans cet extrait, le terme color évoque la répétition de la mélodie de la teneur et fait référence à une organisation rythmico-mélodique plus poussée de cette voix typique des motets du XIVe siècle. Néanmoins, il est également écrit que le texte de la voix supérieure n’est pas choisi au hasard. La teneur et le

motetus sont associés parce que leur texte et leur mélodie correspondent. Dans cet

extrait, la formulation est ambigüe et il n’est pas certain que l’auteur conseille le choix d’une teneur avant celui d’un motetus. Nous ne parlerons donc pas de contraintes de la teneur sur le choix des textes des voix supérieures. De plus, l’étude des motets montre que les liens entre ces parties ne sont pas toujours évidents.

Les recherches musicologiques

Contexte et liens textuels entre les voix

D’un point de vue musicologique, l’évaluation du rôle des textes de la teneur et des voix supérieures a été souvent contestée. Cette question est liée à une autre interrogation fondamentale sur le contexte des motets. En effet, les difficultés dans l’analyse des pièces proviennent en partie de la rareté des sources contemporaines évoquant ces compositions. À part les traités, peu de documents font référence aux motets et encore moins à leur contexte. Des informations plus que lacunaires nous sont parvenues sur les compositeurs, les interprètes (s’ils sont différents), sur les auditeurs et les circonstances d’exécution de ces pièces alors qu’un nombre important de motets a été conservé et noté avec soin dans différents

29Aegidius de Murino, Tractatus cantus mensurabilis, CS 3, Hildesheim, Olms, 1963, p. 124. Primo accipe

tenorem alicujus antiphone vel responsorii vel alterius cantus de antiphonario ; et debent verba concordare de materia de qua fecere motetum ; et tunc recipe tenorem, et ordinabis et colorabis secundum quod inferius patebit de modo perfecto vel imperfecto.

manuscrits30. Malgré de nombreux travaux, les circonstances d’exécution de ces compositions restent donc difficiles à déterminer.

Le De musica de Jean de Grouchy, théoricien et universitaire actif à Paris autour de 1300, reste une des principales sources citées par les musicologues31:

« Et [le motet] est chanté habituellement pendant leurs jours de fête [des clercs et de ceux qui recherchent les subtilités des arts] pour les orner, de même que la cantilena, qu’on appelle rotundellus, est chantée pendant les fêtes des laïcs ordinaires. »32

Jean de Grouchy compare ici la fonction du motet à celle de la cantilena ou rotundellus chantée pendant les fêtes profanes ou laïques mais aucun élément ne permet de déterminer la nature des célébrations où l’on pouvait chanter ces motets, ni de connaître leur déroulement. Dans son ouvrage Discarding Images, C. Page propose une nouvelle traduction de ce traité. Il reprend tout d’abord les différentes conclusions avancées par ses prédécesseurs sur le traité de Jean de Grouchy et les auditeurs des motets :

« Il y a un consensus qui [dit que] le public des motets médiévaux se composait d’une « élite éduquée », « une élite intellectuelle », de « ceux qui avaient reçu une éducation », ou « des hommes de lettres » et que les motets étaient appréciés dans des « cercles sociaux très exclusifs ».33

30SANDERS, Ernest H. et LEFFERTS, Peter M., « Sources » dans The New Grove Dictionary of Music and

Musicians, éd. Stanley Sadie, 2eédition, Londres, Macmillan, 2001, vol. 23, p. 874 et suiv. 31PERAINO, Judith A., « Re-Placing Medieval Music », op. cit., p. 209.

32ROHLOFF, Ernst (éd.), Der Musiktraktat des Johannes de Grocheo, op. cit., p. 56. Et [motetus] solet in

eorum festis decantari ad eorum decorationem, quemadmodem cantilena, quae dicitur rotundellus, in festis vulgarium laicorum. Base de données en ligne TML consultée le 22 avril 2011, <http://www.chmtl.indiana.edu/tml/14th/GRODEM_TEXT.html>

33PAGE, Christopher, Discarding Images. Reflections on Music and Culture in Medieval France, Oxford, Clarendom Press, 1993, p. 43 et suiv. There is a consensus that the audience for medieval motets comprised

an « educated élite », « the intellectual élite », « the educated », or « men of letters », and that motets were enjoyed in « very exclusive social circles ». C. Page cite HUOT, Sylvia, « Polyphonic Poetry : The Old

French Motet and its Literary Context », French Forum, 14, 1989, p. 262, an educated élite ; HOPPIN, Richard, La Musique au Moyen Âge, trad. fr. de Medieval Music, Liège, Mardaga, 1991 (1ère éd. 1978), vol. 1, p. 341, the educated ; GALLO, Franco A., Music of the Middle Ages II, trad. K. Eales, Cambridge, 1985, p. 25, men of letters ; MATHIASSEN, Finn, The Style of the Early Motet (c. 1200-1250). An

investigation of the Old Corpus of the Montpellier Manuscript, trad. Johanne M. Stochholm, Copenhague,

C. Page critique ce consensus établi par les musicologues. Il réfute même l’hypothèse de l’existence d’une élite culturelle. Il souligne le fait qu’au Moyen Âge une telle notion n’est pas d’ordre artistique mais plutôt juridique. Selon lui, le statut de clerc est défini par la loi et non par des « considérations culturelles ».

Un second traité est habituellement évoqué pour tenter de préciser l’identité des auditeurs des motets sinon de leurs interprètes : le Speculum

Musicae de Jacques de Liège écrit dans le premier tiers du XIVe siècle34. Dans ce texte, les motets sont associés aux valentes cantores et laici sapientes35,

littéralement « des chanteurs valeureux » et « des savants laïcs ». C. Page remet également en cause l’interprétation habituelle de ces écrits par les musicologues. Selon lui, Jacques de Liège s’inscrit dans une polémique et veut démontrer la supériorité des motets de l’Ars Antiqua sur ceux de l’Ars Nova. Une telle démarche serait alors propice à l’exagération36. Ses affirmations seraient donc à prendre avec une grande prudence.

C. Page propose alors une nouvelle hypothèse sur les auditeurs du motet en s’appuyant sur le De musica de Jean de Grouchy. Dans ce dernier, le théoricien classe les principaux genres parisiens de la fin du XIIIe siècle selon des critères musicaux et sociaux. Le commentaire sur le motet se situe dans la deuxième partie de son traité intitulée : Musica composita vel regularis vel canonica quam

appellant musicam mensuratam. C. Page met en perspective la structure de ce titre

avec celui de la deuxième partie : Simplex musica vel civilis quam vulgaris musica

appellamus cantus publicus37. Ce rapprochement lui permet d’expliquer des expressions à première vue obscures. Les termes simplex et compositio font référence respectivement à la musique monodique et polyphonique et le terme vel

regularis ferait référence à la musique mesurée. Les termes vel civilis et vel

34CLERCX, Suzanne, « Jacques d'Audenaerde ou Jacques de Liège? », op. cit., p. 95-101 ; HUGLO, Michel, « De Francon de Cologne à Jacques de Liège », op. cit., p. 59. M. Huglo défend une datation un peu plus tardive vers 1330-1340.

35 BRAGARD, Roger (éd.), Jacobi Leodiensis Speculum musicae : liber septimus, [Rome], American Institute of Musicology, 1973, p. 95. Base de données en ligne TML consultée le 10 avril 2011, <http://www.chmtl.indiana.edu/tml/14th/JACSP7_TEXT.html>

36PAGE, Christopher, Discarding Images, op. cit., p. 71 et suiv.

37ROHLOFF, Ernst (éd.), Der Musiktraktat des Johannes de Grocheo, op. cit., p. 47. Base de données en ligne TML consultée le 22 avril 2011, <http://www.chmtl.indiana.edu/tml/14th/GRODEM_TEXT.html>

canonica recouvrent une réalité plus complexe que C. Page explique en ces

termes :

« La vérité est sûrement que Grouchy emploie les termes musica

civilis et musica canonica comme les hommes de lois de son époque

utilisaient « lex civilis » (la loi civile, qui gouverne les laïcs) et « lex canonica » (la loi canon, qui gouverne le clergé). »38

Le motet, classé dans la musica canonica, serait donc chanté par ceux qui suivent le droit canon, c'est-à-dire, les clercs. L’identité cléricale des compositeurs de motets se confirme dans la suite du traité de Jean de Grouchy où, selon ses termes, ces pièces seraient appréciées par les litterati :

« Mais, cette musique ne doit pas être chantée devant des invités laïcs, parce qu’ils ne font pas attention à sa subtilité ni ne sont charmés par cette écoute, mais [elle doit] être chantée [devant des] membres du clergé et [devant] ceux qui recherchent les subtilités des arts. »39

Selon C. Page, les vulgares désignent les laïcs conformément à l’interprétation du titre de la première partie du De Musica tandis que coram

litteratis désigne le clergé (comme le terme letré en ancien français par opposition

aux laïcs)40. Grâce à ses observations et à ses nouvelles traductions, C. Page nuance ainsi les propos de ses prédécesseurs. Certes, la formulation de Jean de Grouchy implique une sorte d’élitisme pour les auditeurs des motets. Toutefois, ce serait, selon C. Page, un sentiment de supériorité des clercs vis-à-vis des laïcs. L’expression « cercles sociaux très restreints » proposée par F. Mathiassen implique l’idée d’une élite sociale. Ce concept supposerait l’existence d’une notion de classe anachronique dans un tel contexte. D’autre part, la formulation

men of letters proposée par F. Gallo implique nécessairement un intérêt littéraire

38PAGE, Christopher, Discarding Images, op. cit., p. 80. The truth is surely that Grocheio is employing the

terms musica civilis and musica canonica exactly as the lawyers of his dry used « lex civilis » (civil law, governing the laity) and « lex canonica » (civil law, governing the clergy). »

39ROHLOFF, Ernst (éd.), Der Musiktraktat des Johannes de Grocheo, op. cit., p. 50. Cantus autem iste non

debet coram vulgaribus propinari, eo quod eius subtilitatem non animadvertunt nec in eius auditu delectantur, sed coram litteratis et illis, qui subtilitates artium sunt quaerentes. Base de données en ligne TML consultée le 22 avril 2011, <http://www.chmtl.indiana.edu/tml/14th/GRODEM_TEXT.html>

des auditeurs qui est, du point de vue de C. Page, une exagération du sens du terme litterati.Néanmoins, de notre point de vue, associer ce terme uniquement à des clercs est peut-être également réducteur. Certains laïques pouvaient sans doute appartenir à ce groupe. Pourtant, l’assimilation des compositeurs de motets aux clercs semble la plus vraisemblable à cause notamment de l’emploi de teneurs issues d’offices liturgiques.

Même si C. Page apporte des précisions sur les compositeurs des motets, leur identité reste peu précise. Le statut des clercs recèle une grande diversité. Ce terme vient du grec kleros et signifie ceux qui sont choisis par le « sort » par opposition aux laïcs, laïos, le peuple41. À partir du XIIe siècle, un clerc doit connaître le latin mais sans plus de précisions sur l’état de ses connaissances. Ce statut n’implique donc pas nécessairement un intérêt littéraire. Selon l’étude de R. Genestal, il doit porter des vêtements sombres, ne pas toucher d’armes, ne pas jouer ni pratiquer les métiers de bouchers, taverniers ou jongleurs, et surtout il doit être tonsuré42. La fréquentation de prostituées est également proscrite. Le clergé est donc un groupe hétérogène du point de vue géographique, social et culturel. Certains de ces clercs étaient peut-être membres de l’Université comme l’affirmait F. Mathiassen43. Néanmoins, les éléments dont nous disposons ne nous paraissent pas suffisants pour affirmer une telle chose de manière exclusive. La « fonction récréative » supposée du motet chez les maîtres et les étudiants de l’Université proposée par F. Mathiassen est en effet loin d’être évidente. Faute de sources plus précises, les hypothèses sur les auditeurs et les compositeurs des motets ainsi que les circonstances d’exécution de ces pièces demeurent donc assez mal connues. Même s’il est tout à fait plausible que les auditeurs fussent des clercs, il est difficile de parvenir à une conclusion plus précise en s’appuyant sur les seuls traités de Jean de Grouchy et de Jacques de Liège.

Les nouvelles considérations de C. Page sur le contexte du motet lui permettent néanmoins de critiquer certaines analyses des motets. Selon lui,

41 SCHMITT, Jean-Claude, « Clercs et Laïcs » dans LE GOFF, Jacques et SCHMITT, Jean-Claude (dir.),

Dictionnaire raisonné de l’Occident médiéval, Paris, Fayard, 1999, p. 215 et suiv. J.-C. Schmitt cite ici une

lettre du Pape Clément de la fin du Iersiècle.

42 LUSIGNAN, Serge, La construction d’une identité universitaire en France (XIIIe-XIVesiècles), Paris,

Publications de la Sorbonne, 1999, p. 124.

puisque leurs auditeurs n’appartenaient pas à une élite artistique ou littéraire, le rôle des textes doit être relativisé. Les sonorités seraient plus importantes que le sens et que le contenu du texte :

« De tous les genres musicaux connus du Moyen Âge, c'est le motet qui reconnaît le plus clairement l'importance du son du verbe sur le sens du verbe en plaçant deux ou même trois textes ensemble, minimisant leur intelligibilité mais maximisant leur contraste phonique. »44

Pour prouver ses propos, C. Page évoque les allusions entre les différentes voix de la polyphonie dans un même motet, c’est-à-dire les évocations entre la teneur et les voix supérieures ou entre les seules voix supérieures. Il affirme que les chercheurs vont trop loin dans leur interprétation. Certes, il concède que des allusions sont possibles entre une teneur et son double dans un motet latin et même parfois dans certaines pièces plus anciennes en langue vernaculaire45. Cependant, il considère ce lien comme marginal et excessivement mis en exergue par les chercheurs. De son point de vue, ces relations ne sont pas constitutives de la composition des motets mais plutôt un ajout facultatif et ludique. Les chercheurs ont tendance à surestimer ce procédé et à le souligner trop souvent par des italiques dans les différentes éditions proposées. Il fait notamment référence à celle du codex de Montpellier de H. Tischler46:

44PAGE, Christopher, Discarding Images, op. cit., p. 85. Of all the musical genres known to the middle ages,

it is the motet which most candidly acknowledges the importance of verbal sound over verbal sense by placing two or even three texts together, minimizing their intelligibility but maximizing their phonic contrast.

45Ibid., p. 88.

46 TISCHLER, Hans (éd), STAKEL, Susan (trad.) et RELIHAN, Joel C. (trad.), The Montpellier codex, Madison, A-R éd., 1978-1985, 4 vol.

« Il est difficile de concevoir où un tel procédé peut s’arrêter, et une fois encore nous doutons des revendications concernant des motifs intertextuels dans les motets au niveau des seuls mots et expressions. »47

Pour le prouver, il reprend une analyse proposée par B. J. Evans48. Cette dernière souligne dans son article l’apparition du terme « fleur » dans les deux voix supérieures du motet Quant repaire la verdor (438)/Flos de spina rumpitur

(437) /REGNAT (M34). Ce mot créerait un lien sémantique entre les voix.

C. Page oppose à cette analyse le caractère presque nécessaire de l’utilisation du