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Le répons Stirps Jesse, qui clôt le premier nocturne, est la pièce qui a servi de teneur aux motets de notre corpus. Elle est sans doute également la composition musicale la plus célèbre de cet office. Le texte de ce répons se réfère à la prophétie d’Isaïe (XI, 1-2) :

« Une branche sortira de la racine de Jessé et une fleur montera de sa racine,

2 Sur lui reposera l’Esprit de Yahvé, esprit de sagesse et

d’intelligence, esprit de conseil et de force, l’esprit de connaissance et de crainte de Yahvé. »41

Le Stirps Jesse est formé de trois hexamètres : deux pour le corps du répons (chanté une deuxième fois à la fin du verset) et le troisième pour le verset mélismatique chanté par le soliste42:

Stirps Jesse uirgam produxit, uirgaque florem, Et super hunc florem requiescit spiritus almus ; V. Virgo Dei genitrix uirga est ; flos filius ejus.43

« La souche de Jessé a donné un rameau et le rameau a produit une fleur.

Et sur cette fleur repose l’Esprit bienfaisant.

V. Le rameau, c’est la Vierge, mère de Dieu, la fleur, c’est son Fils. »

Les versets bibliques annoncent la venue du Sauveur, descendant de Jessé et de son fils David. Le répons Stirps Jesse composé à partir de cette prophétie est une glose de cet extrait biblique. Dans cette pièce, le Sauveur qui n’était pas nommé par Isaïe est reconnu par le compositeur et les commentateurs chrétiens comme étant Jésus-Christ symbolisé par une fleur. Il est le fils d’une Vierge, elle-même assimilée à la branche. Le répons est donc une interprétation de l’Ancien Testament à la lumière du Nouveau conformément à l’approche typologique.

41Livre d’Isaïe (XI, 1-2). Biblia sacra, op. cit., vol. 2, p. 1108. Et egredietur virga de radice Iesse et flos de

radice eius ascendet / et requiescet super eum Spiritus Domini / spiritus sapientiae et intellectus / spiritus consilii et fortitudinis / spiritus scientiae et pietatis. La version de la Bible de Jérusalem fondée sur les textes

hébreux et grecs des Septante est très différente. Aucune fleur n’y est évoquée. La Bible de Jérusalem, op.

cit., p. 1302.

42BERNARD, Philippe, « Les répons chartrains », op. cit., p. 138. 43Fulbert de Chartres, Œuvres, correspondance, op. cit., p. 514-515.

Cette interprétation n’est pas nouvelle. Il existe de très nombreux commentaires dans ce sens depuis le Haut Moyen Âge44. L’une de ces interprétations provient d’un commentaire de Jérôme :

« Pour les Juifs, le rejeton aussi bien que la fleur signifie le Christ […] Quant à nous, nous voyons dans le rejeton l’image de la sainte Vierge Marie […] et dans la fleur, celle du Sauveur, qui s’est appelé dans le Cantique des Cantiques la fleur des champs et le lis des vallées. »45

L’originalité du répons attribué à Fulbert vient surtout de sa mélodie. Le mot Stirps est le seul à être fondé sur un centon du deuxième mode : c’est l’unique formule employée dans la mélodie46. Le mélisme est donc nouvellement créé.

Néanmoins, un accès direct au répons du XIe siècle est aujourd’hui impossible à cause de la destruction de nombreuses sources. Le chanoine Y. Delaporte avait toutefois déjà transcrit le répons grâce à ces travaux sur les sources chartraines47. D’autre part, des manuscrits plus tardifs conservent le répons. Notre transcription s’appuie sur le codex Paris, BnF, lat. 15182. La pièce est employée pour célébrer les nocturnes de l’Assomption48:

44Pour un relevé plus complet de ces interprétations littéraires : WATSON, Arthur, The Early Iconography of

the Tree of Jesse, op. cit., p. 2 et suiv.

45Virgam et florem de radice Iesse, ipsum Dominum Iudaei interpretantur : quod scilicet in virga regnantis

potentia, in flore pulchritudo monstretur. Nos autem virgam de radice Iesse, sanctam Mariam Virginem intelligamus. PL, XXIV, p. 144. Pour la traduction : DELAPORTE, Yves et HOUVET, Étienne, Les Vitraux

de la cathédrale de Chartres, op. cit., p. 144.

46Un centon dans un mode donné est une formule mélodique que l’on peut réutiliser indifféremment pour tout chant dans ce mode. BERNARD, Philippe, « Les répons chartrains », op. cit., p. 145.

47DELAPORTE, Yves, « Fulbert de Chartres », op. cit., p. 64-65. 48f° 304.

Exemple musical 1

Dans ce répons, la mélodie souligne le sens du texte. Les mélismes le ponctuent et accentuent certains mots fondamentaux49. Ainsi, cette pièce a

clairement été dédiée à Marie. En effet, les mots Deus ou Filius, qui désignent les figures centrales du christianisme, sont à peine ornés. Ils sont chantés respectivement sur trois et cinq notes. Ces mélismes sont quasiment inexistants par rapport à l’ornementation d’ejus à la fin du verset chanté par le soliste (vingt- huit notes pour ce seul mot à la septième portée). Ce pronom désigne la Vierge et fait référence au lien qui l’unit à son Fils. La musique souligne ainsi le sens du texte : si la fleur est le Christ, c’est avant tout le fils de la Vierge, en d’autres termes, Dieu qui s’est incarné sur terre.

L’analyse de M. Fassler souligne un autre niveau de sens. Dans la liturgie gallicane, après avoir chanté le répons avec son verset, il était d’usage de reprendre seulement une partie du corps du répons comme suit :

« La souche de Jessé a donné un rameau et le rameau a produit une fleur.

Et sur cette fleur repose l’Esprit bienfaisant.

v. Le rameau, c’est la Vierge, mère de Dieu, la fleur, c’est son Fils. Et sur cette fleur repose l’Esprit bienfaisant. »50

Après avoir chanté « La Vierge mère de Dieu est la tige, la fleur est son Fils », le chantre reprenait donc « Et sur cette fleur l’Esprit divin s’est reposé ». La répétition gallicane crée ainsi un parallèle et souligne les liens qui existent entre le Christ, la Vierge et l’Esprit saint, ce dernier reposant sur la fleur christique.