• Aucun résultat trouvé

Néanmoins, ces articles sur les relations structurelles entre texte et musique dans le motet restent des analyses isolées. En effet, dans les travaux musicologiques, un certain scepticisme est de mise à propos des liens entre poème et mélodie ou encore sur l’emploi des répétitions mélodiques structurantes dans ces pièces. Le plus souvent, les répétitions mélodiques amplement utilisées dans les autres genres contemporains ne sont pas reconnues comme significatives dans les motets75. Elles ne permettraient pas de structurer le discours de la voix supérieure et ne seraient pas utilisées dans la composition des textes. H. Tischler par exemple convient qu’il existe des répétitions plus nombreuses dans les premiers motets mais sans étudier les possibilités qu’elles entraînent76.

Définition du terme motif

La question de savoir si des motifs structurants peuvent exister dans ces pièces reste ouverte. L’utilisation d’une teneur liturgique a été et est encore souvent considérée comme incompatible avec la présence de répétitions mélodiques ayant une cohérence linéaire interne à la voix supérieure. Or, admettons que pour qu’il y ait un motif reconnu, il faut qu’il y ait une répétition d’au moins deux notes77. Dans ces pièces littéraires, il est également nécessaire d’accorder toute son importance au texte. Le motif pourra être considéré comme tel s’il coïncide avec un mot ou groupe grammatical lors de la première occurrence du motif et de ses reprises. Ainsi, pour accorder un tel nom, la répétition mélodique devra concorder avec un placement du texte identique ou au moins similaire. Il en sera de même pour la notation. L’emploi d’au moins deux

75EVERIST, Mark, French Motets in the Thirteenth Century, op. cit., p. 173.

76 TISCHLER, Hans, The Style and Evolution of the Earliest Motets (to Circa 1270), Henryville-Ottawa- Binningen, Institute of Medieval Music, 1985, p. 62-63.

77CHAILLOU, Christelle, Faire le mot et le son : une étude sur l’art de Trobar entre 1180 et 1240, thèse de doctorat, Université de Poitiers, 2007, p. 74. La répétition d’une note isolée sans rythme ne peut être considérée comme une réitération motivique surtout dans les motets de l’Ars Antiqua où nombre de voix supérieures sont conservées sans rythme.

de ces critères permettra de donner le nom de motif avec certitude. Cette démarche permet de ne pas considérer avec trop de zèle la présence de répétitions mélodiques dans les motets. Un motif peut donc être la conséquence directe de contraintes contrapuntiques de la teneur. Il peut également résulter de la volonté du compositeur de créer une répétition sans absolue nécessité contrapuntique.

Dans le cas où la répétition est uniquement mélodique et ne coïncide pas nécessairement avec une unité grammaticale, un mot ou groupe de mots, nous utiliserons le terme de formule au double. Ce mot sera également employé pour la teneur si la répétition mélodique ne coïncide pas avec un ordo rythmique. Dans tous les autres cas de répétitions mélodiques associées à la réitération d’une cellule rythmique, nous emploierons le terme ordo comme dans les traités contemporains78.

Présence de répétitions structurantes dans les motets

Les répétitions structurantes

Selon ces critères, il existe bien des motifs mélodiques dans certains motets. En effet, les travaux les plus récents mettent en lumière des procédés structurants de répétition dans ces pièces79. Certes, ces analyses portent sur des motets particuliers dont au moins une des voix est ordonnée selon un cadre formel strict : la forme AAX. Néanmoins, G. Saint-Cricq n’arrête pas son travail à l’étude des répétitions de phrases. Il explore un aspect méconnu du motet : l’utilisation de formes répétitives dans des pièces réputées dépourvues de répétitions structurantes. Cette démarche nous paraît très intéressante puisqu’elle veut explorer l’étude de la composition, de la « fabrication » du motet selon ses propres dires80.

Du point de vue de G. Saint-Cricq, le processus répétitif AAX représente la convergence de deux traditions : celle de Notre-Dame et de la lyrique profane.

78Notamment dans REIMER, Erich (éd.), Johannes de Garlandia, op. cit., vol. 1, p. 91 ; Base de données en ligne TML consultée le 22 septembre 2012,

<http://www.chmtl.indiana.edu/tml/13th/GARDMM_TEXT.html>.

79SAINT-CRICQ, Gaël, Formes types dans le motet du XIIIesiècle : étude d’un processus répétitif, thèse de

doctorat, Université de Southampton, 2009, 2 vol. 80Ibid., p. 30.

La présence de colores, figures de répétitions mélodiques, le rattache aux polyphonies parisiennes du XIIe et XIIIe siècle et la forme AAB aux monodies de trouvères.

Dans son étude, G. Saint-Cricq démontre également que la forme AAX est générée par l’emploi des citations81. Il mène une réflexion très pertinente sur la définition de l’emprunt et du refrain. Selon lui, expliquer ce dernier terme est une tâche ardue à cause de la multiplicité des fonctions qui lui sont attribuées dans les différents genres. La difficulté de la définition du refrain dans le motet tient essentiellement au problème de la reconnaissance de ce dernier. En effet, le motet intègre de façon dynamique les citations, les registres, les formes, etc. Reconnaître un refrain est donc extrêmement difficile sauf s’il existe une concordance. Si ce n’est pas le cas, il emploie donc le terme citation dans le sens de « deux matériaux exogènes et bien distincts, dont l’un deux préexiste à l’autre »82. Comme M. Everist, il propose ainsi d’appeler refrain uniquement les emprunts qui possèdent une autre occurrence connue. Selon J. Peraino, le refrain est « la partie émergente d’une autre œuvre qui vient dialoguer avec la nouvelle œuvre citée »83. G. Saint-Cricq reprend donc cette définition et démontre que le refrain permet de renvoyer aux genres et aux codes qu’il cite.

Réévaluation du rôle de la teneur

Ses différentes analyses l’amènent également à réévaluer le rôle de la teneur dans le motet. Selon lui, les chercheurs en ont une vue « hypertrophiée » à cause des traités :

81Ibid., p. 149 et suiv. 82Ibid., p. 153

83PERAINO, Judith, « Et pui conmencha a canter » : Refrains, Motets and Melody in the Thirteenth-Century Narrative Renart le nouvel », Plainsong & Medieval Music, 6 (1997), p. 1-16 cité par SAINT-CRICQ, Gaël,

« Elle ne sert que très marginalement d’impulsion à la structure répétitive ; au contraire, elle est souvent sujette à des amendements mélodiques, rythmiques, ou tout simplement à des recompositions ou des créations, qui la rendent dépendante de la complexion métrique, mélodique et formelle des voix supérieures. »84

Il faut nuancer ces propos. La présence d’une forme dans une des voix entraîne un niveau supplémentaire de contrainte qui amène sans doute les compositeurs à faire des concessions sur la teneur. En effet, la représentativité de ce corpus avancée par G. Saint-Cricq nous semble un peu excessive85. Certes, l’utilisation d’une forme type dans une des voix des motets représente un nombre important de réseaux de pièces, à savoir vingt-huit motets. Néanmoins, ces compositions ne sont pas pour autant représentatives des motets du XIIIe siècle. L’utilisation d’une forme type est loin d’être répandue dans ces pièces et entraîne des contraintes compositionnelles supplémentaires spécifiques à ces compositions.