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À Chartres, l’héritage liturgique marial est d’autant plus crucial que la cathédrale abrite depuis 876 une relique du voile de la Vierge offert par Charles le Chauve29. Avant l’an 1000, les lectures des nocturnes de la Nativité étaient tirées de l’Évangile de Matthieu et du Pseudo-Matthieu. L’ascendance du Christ et l’enfance de la Vierge étaient donc évoquées dans une certaine proximité30.

Fulbert, évêque de cette ville de 1006 à 1028, s’est alors servi de circonstances exceptionnelles pour justifier la recréation de l’office de la Nativité. En 1020, la veille de cette célébration, un incendie a totalement ravagé l’église31. Fulbert a alors débuté la reconstruction de la cathédrale et s’est servi de ce bouleversement pour y renouveler et affermir le culte de Marie. Il s’est appuyé

29DEREMBLE, Colette, « Chartres » dans VAUCHEZ, André (dir.), Dictionnaire Encyclopédique du Moyen

Âge, Paris, Éditions du Cerf, 1997, vol. I, p. 309.

30FASSLER, Margot E., « Mary’s Nativity », op. cit., p. 399.

31MERLET, René, et CLERVAL, Jules A. (éd.), Un manuscrit chartrain du XIesiècle, Chartres, Garnier,

1893, p. 56-57 et CLERVAL, Jules A., « Translationes S. Aniani Carnotensis episcopi annis 1136 et 1264 factae », Analecta Bollandiana, 7 (1888), p. 321-35.

notamment sur la liturgie de l’Avent pour recréer un office complet32. La fête de la Nativité est devenue la fête patronale de la cathédrale. C’est pour cette occasion particulière que le répons Stirps Jesse aurait été composé. À partir du XIe siècle, les nocturnes de cette célébration se déroulent donc suivant l’ordonnancement évoqué ci-après33. Malheureusement, un très grand nombre de manuscrits chartrains ont été détruits lors de la Seconde Guerre mondiale. Certains éléments de cet office demeurent hypothétiques. Les répons chantés à la fin de chacun des nocturnes sont ordonnés suivant la proposition de M. Fassler. Nous expliquerons ce choix par la suite. Voici donc le déroulement de l’office des nocturnes34 :

32FASSLER, Margot E., The Virgin of Chartres, op. cit., p. 55 et suiv. 33FASSLER, Margot E., « Mary’s Nativity », op. cit., p. 418.

34Loc. cit. Le déroulement des nocturnes a été retranscrit d’après le manuscrit Chartres, ms 162 aujourd’hui détruit. Les notes du chanoine Y. Delaporte sur ce codex ont permis de connaître et reconstituer l’organisation de cette célébration.

Antienne invitatoire : Adoremus Christum, avec Ps. 94 Hymne : Ave Maris Stella

PREMIER NOCTURNE : Trois psaumes avec antiennes

Les lectures sont tirées du sermon de Fulbert, Approbatae consuetudinis35. Lecture 1 : Approbate ... patrocinari desistit.

Répons : Hodie nata est (6854)

Lecture 2 : Propositionem sequatur ... singulariter

intimabat.

Répons : Beatissime virginis (6184)

Lecture 3 : Expedito quam ... ad portam quietis aeternae. Répons : Stirps Jesse (7709)

SECOND NOCTURNE : Trois psaumes avec antiennes

Lecture 4 : Hic si quis ... salutis accipere. Répons: Gloriose (6781)

Lecture 5 : Tali ergo ... pacta cassare. Répons : Nativitas tua (7119)

Lecture 6 : His quoque ... unus Deus in aeternum. Répons : Ad nutum Domini (6024)

TROISIÈME NOCTURNE : Trois psaumes avec antiennes

Les lectures sont tirées de Matthieu (I, 1-18) divisé en trois sections. Lecture 7 :

Répons : Corde et animo (6339) Lecture 8 :

Répons : Nativitas gloriose (7198) Lecture 9 :

35DAHAN, Gilbert (trad.), « Fulbert de Chartres, Sermon IV », op. cit., p. 25 et MIGNE, Jacques-Paul (éd.),

Patrologia Cursus Completus, Series Latina, PUF, Presses Universitaires de France, 1800-1875, vol. 141,

Répons : Solem justitiae (7677)

Chacun des nocturnes de l’office se terminaient par un répons composé pour l’occasion, Stirps Jesse, Ad nutum et Solem justitiae36:

Stirps Jesse uirgam produxit, uirgaque florem, Et super hunc florem requiescit spiritus almus ; v. Virgo Dei genitrix uirga est ; flos filius ejus

La souche de Jessé a donné un rameau et le rameau a produit une fleur.

Et sur cette fleur repose l’Esprit bienfaisant.

v. Le rameau, c’est la Vierge, mère de Dieu, la fleur, c’est son Fils.

Ad nutum Domini nostrum ditantis honorem, Sicut spina rosam, genuit Judaea Mariam v. Ut vitium virtus operiret, gratia culpam.

Parce que le Seigneur l’a voulu pour embellir notre dignité d’hommes,

tel l’épine produisant une rose, le peuple juif a produit Marie, v. pour que la vertu mette un voile sur le vice et que la grâce couvre la faute.

36Fulbert de Chartres, Œuvres, correspondance, controverse, poésie, Société archéologique d’Eure-et-Loir, 2006, p. 514-515. Pour une autre traduction : CLERCK, Paul de, « La liturgie au temps de Fulbert » dans dans ROUCHE, Michel (dir.), Fulbert de Chartres, précurseur de l'Europe médiévale ?, Paris, PUPS, 2008, p. 98-99. Pour la restitution des mélodies des trois répons du XIesiècle : DELAPORTE, Yves, « Fulbert de Chartres et l’école chartraine de chant liturgique au XIesiècle », Études Grégoriennes, 2 (1957), p. 64-65. Le chanoine a pu consulter des manuscrits aujourd’hui détruits. Pour une traduction anglaise : FASSLER, Margot E., The Virgin of Chartres, op. cit., Appendice D, p. 414 et suiv.

Solem justitiae Regem paritura supremum, Stella Maria maris hodie processit ad ortum ; v. Cernere divinum lumen gaudete fideles.

Elle doit enfanter le Soleil de justice et le plus haut des rois ! Marie, l’étoile de la mer,

en ce jour est parvenue à son lever.

v. Réjouissez-vous, fidèles, d’apercevoir la lumière divine.

La création de ces pièces est tout à fait exceptionnelle puisque aucun chant distinct, propre à cette célébration n’était utilisé au XIesiècle dans les autres églises37. Les chantres employaient généralement des pièces issues du Commun de la Vierge, c’est-à-dire, des mélodies utilisées indifféremment pour tous les offices et messes de chacune des principales célébrations dédiés à Marie.

Toutefois, l’ordre des répons à la fin de chaque nocturne n’est pas certain. Aucune source liturgique contemporaine de Fulbert ne peut attester directement de la disposition de ces pièces. Dans son argumentation, le chanoine Y. Delaporte s’appuie notamment sur un recueil non liturgique des œuvres de Fulbert pour déterminer l’organisation des répons dans les nocturnes : le manuscrit lat. 14167 conservé à la BnF et compilé après la mort de l’évêque38. Cet ouvrage ne conserve que les textes des trois répons sans mélodie. Ces pièces sont accompagnées des sermons et autres écrits attribués à Fulbert. Les trois compositions y sont classées selon l’ordre des modes mélodiques de l’octoechos alors même qu’elles sont notées sans musique. En d’autres termes, Solem justitiae en ré authente est suivi de Stirps Jesse, en deuxième mode ou ré plagal puis du dernier répons Ad nutum, en troisième mode. Nous avons retenu ici la disposition défendue par M. Fassler qui suit l’ordre suivant : Stirps Jesse, Ad nutum et Solem

Justitiae39. Cette dernière appuie son argumentation sur les notes du chanoine présentes aux archives diocésaines de Chartres. Y. Delaporte avait travaillé sur le codex Chartres ms. 162 aujourd’hui détruit. Ce codex rassemblait une collection

37BERNARD, Philippe, « Les répons chartrains pour la fête de la Nativité de la Vierge Marie à l’époque de Fulbert » dans Monde Médiéval et Société Chartraine, Paris, Picard, 1997, p. 143.

38Paris, BnF, lat. 14167. DELAPORTE, Yves, « Fulbert de Chartres », p. 64 et L’Ordinaire chartrain du

XIIIesiècle, Chartres, Société archéologique d'Eure-et-Loir, 1953, p. 174-175.

de lectures et de chants pour la célébration des fêtes de la Vierge utilisée à Chartres du XIe au XIIe siècle. La position de M. Fassler est donc étayée par des sources liturgiques contrairement à celle d’Y. Delaporte. Ces notes donnent l’ordre des sermons de Fulbert pour les célébrations de la Vierge. Puisque les lectures et les répons ont été créés pour cette célébration, M. Fassler émet l’hypothèse que l’ordre des pièces musicales doit correspondre à l’organisation et aux significations des lectures. Dans son sermon Approbatae consuetudinis composé pour cet office40, Fulbert débute par une présentation des révélations de

l’Ancien Testament pour expliquer celles du Nouveau. Il est donc tout à fait plausible voire probable que le Stirps Jesse soit chanté à la fin du premier nocturne. Ce dernier est en effet un commentaire des versets d’Isaïe sur la venue du Sauveur.

40DAHAN, Gilbert (trad.), « Fulbert de Chartres, Sermon IV », op. cit., p. 25 et PL, vol. 141, p. 320-331 et FASSLER, Margot E., The Virgin of Chartres, op. cit., p. 83 et suiv.