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Polyphonie et consonances

L’Anonyme IV

Dans les traités, le motet est défini avant tout comme une espèce du déchant, en d’autres termes, comme un sous-groupe de la polyphonie mesurée5. Il

5 REANEY, Gilbert et GILLES, André (éd.), Ars cantus mensurabilis, [Rome], American Institute of Musicology, 1974, p. 69. Discantus autem aut fit cum littera, aut sine et cum littera, hoc est dupliciter : cum

eadem, vel cum diversis. Cum eadem littera fit discantus in cantilenis, rondellis, et cantu aliquo ecclesiastico. Cum diversis litteris fit discantus, ut in motetis qui habent triplum vel tenorem, quia tenor cuidam littere equipollet. Cum littera et sine fit discantus in conductis, et discantu aliquo ecclesiastico qui improprie organum appellatur. Base de données en ligne TML consultée le 19 mars 2011, <http://www.chmtl.indiana.edu/tml/13th/FRAACME_MPBN1666.html> ; HAMMOND, Frederick F. (éd.),

Summa de speculatione musicae, [Rome], American Institute of Musicology, 1970, p. 42-146, pour

l’utilisation de species en rapport avec le motet, p. 139. Base de données en ligne TML consultée le 25 octobre 2011, <http://www.chmtl.indiana.edu/tml/14th/ODISUM_TEXT.html>

obéit donc aux principes de composition de ce type de musique. Ainsi, le traité De

mensuris et discantu ou Anonyme IV n’évoque pas directement le motet mais les

principes de composition du déchant. L’auteur a sans doute écrit, en Angleterre après 1272, ce texte sur la musique mesurée et son histoire à Paris6. Le théoricien y explique notamment la manière de créer, en déchant, une voix de double au- dessus d’une teneur :

« Le chant ou teneur est le premier chant, créé ou fait en premier. Le déchant est créé ou fait en second au-dessus de la teneur, concordant avec celle-ci. »7

Dans le cas du motet, le compositeur doit donc choisir la teneur avant de créer le double. Ainsi, il est certain que la voix empruntée conditionne le motetus puisque cette voix supérieure serait composée à partir de la teneur. Néanmoins, le point crucial de notre question réside avant tout dans la mesure de cette influence. En effet, quelles possibilités polyphoniques sont laissées au choix du compositeur ? La contrainte est-elle si forte que les répétitions du double ne peuvent résulter que de la teneur ?

Le Discantus positio vulgari

Les traités les plus anciens du XIIIe siècle et notamment le Discantus

positio vulgari peuvent nous donner des réponses. Cet ouvrage, résultat d’un

savoir commun anonyme, est conservé uniquement dans la compilation de Jérôme de Moravie, le Tractatus de Musica, lui-même daté des années 12808. Le théoricien le désigne comme un des plus anciens traités porté à sa connaissance et le plus employé au sein de toutes les « Nations » de l’Université9. Néanmoins,

6Cette date correspond à celle de la mort d’Henry II ; ROKSETH, Yvonne (éd.), Polyphonies du XIIIesiècle :

le manuscrit H 196 de la Faculté de Médecine de Montpellier, Paris, L’Oiseau-Lyre, 1939, vol. 4, p. 86.

L’auteur, probablement un moine anglais, aurait séjourné à Paris pour ses études. PINEGAR, Sandra, Textual

and conceptual relationships among theoretical writings on measurable music of the thirteenth and early fourteenth centuries, PhD, Columbia University, 1991, p. 32-33.

7RECKOW, Fritz (éd.), Der Musiktraktat des Anonymus 4, Wiesbaden, Steiner, 1967, vol. 1, p. 74. Base de données en ligne TML consultée le 18 septembre 2012,

<http://www.chmtl.indiana.edu/tml/13th/ANO4MUS_TEXT.html>. Cantus vel tenor est primus cantus primo

procreatus vel factus. Discantus est secundo procreatus vel factus supra tenorem concordatus.

8PINEGAR, Sandra, Textual and conceptual relationships, op. cit., p. 52. Cette datation repose sur la citation dans le traité de Jérôme de Moravie du commentaire de Thomas d’Aquin sur le De caelo et mundo d’Aristote composé en 1272. Cette date a été prise comme terminus post quem pour le traité de Jérôme.

9CSERBA, Simon M. (éd.), Hieronymus de Moravia. Tractatus de Musica, Regensburg, Pustet, 1935, vol. 2, p. 194. Dans le traité, le terme « Nation » désigne les étudiants de l’Université regroupés par origine

malgré de nombreux travaux, la datation du Discantus positio vulgari reste conjecturale. Les musicologues ont proposé plusieurs hypothèses mais sans certitude codicologique. En se fondant sur le contenu théorique de ces écrits, S. Pinegar le daterait ainsi des années 1220 ou du début des années 1230 tandis que C. Meyer le considère comme un peu plus tardif, c’est-à-dire des années 1230-124010.

Pour autant, ce qui est crucial pour nous dans ce traité est que ce texte apparaît comme l’écriture a posteriori de règles pratiques sur la composition polyphonique et notamment sur la création du déchant. L’auteur anonyme énumère ainsi un certain nombre de mouvements polyphoniques à suivre pour produire les consonances voulues comme par exemple :

« De même si [le cantus firmus] monte d’un ton, de do à ré, et que le déchant est à l’octave, il doit descendre d’une tierce par une seconde, et inversement le déchant monte si le cantus descend d’un ton. »11

L’auteur anonyme rappelle ainsi les relations qui unissent les voix de la polyphonie en énumérant précisément les mouvements obligés et les intervalles consonants. Or, même avec ces règles, les possibilités restent nombreuses. La teneur conditionne la voix supérieure jusqu’à un certain point seulement. Elle laisse de nombreuses possibilités contrapuntiques au compositeur. Selon ces règles, un même motif à la teneur peut entraîner une dizaine de solutions mélodiques différentes au double au moins. Certes, dans le Discantus positio

vulgari, l’auteur préconise l’utilisation des mouvements contraires. Néanmoins,

l’étude des motets de l’Ars Antiqua souligne également un emploi important des mouvements parallèles. Les registres, les mouvements ascendants ou descendants

géographique. Jérôme de Moravie ne cite pas explicitement l’institution mais l’utilisation du terme « Nation » dans un tel contexte fait référence à l’Université sans qu’il y ait de doute réel. Base de données en ligne TML consultée le 20 septembre 2012, <http://www.chmtl.indiana.edu/tml/13th/DISPOVU_TEXT.html>

10MEYER, Christian, Les traités de musique, Turnhout, Brepols, 2001, p. 166. PINEGAR, Sandra, Textual

and conceptual relationships, op. cit., p. 93.

11CSERBA, Simon M. (éd.), Hieronymus de Moravia, op. cit., vol. 1, p. 191 et suiv. Item si ascendat per

tonum, puta de C in D, et discantus sit in diapason, in semiditonum per secundam debet descendere, et e converso discantus ascendat si cantus per tonum descendat. Base de données en ligne TML consultée le 10

du motetus comme les répétitions mélodiques de cette voix ne sont donc pas nécessairement déterminés par la teneur.

Polyphonie rythmique

Le De musica de Jean de Grouchy

L’empreinte rythmique de la voix empruntée sur la polyphonie semble plus contraignante. Comme l’explique le traité De musica de Jean de Grouchy, la teneur est le fondement de la polyphonie. Ce texte, description aristotélicienne de la musique parisienne aux alentours de 1300, explique, dans l’extrait suivant, les étapes de la composition du déchant12:

« Or, qui veut composer ceci [un déchant] doit d’abord organiser la teneur ou la composer et donner son mode et sa mesure. […] Or, je dis « organiser » puisque, dans les motets et l’organum, la teneur vient d’un chant ancien et qu’il est composé auparavant, mais il est réglé davantage par un mode et une mesure régulière par l’artifex. »13

Cette citation fait ici appel à un sens pratique de la composition comme le montre le terme artifex. À travers cette définition, l’auteur nous donne une méthode pour la création du déchant. Dans le cas du motet, le compositeur doit d’abord « organiser » la teneur, c’est-à-dire donner une mesure et un mode rythmique. Cette étape est essentielle dans la composition de tout déchant. L’ordonnancement strict en petites unités rythmico-mélodiques sert à quantifier le discours mélodique de la teneur et permet de créer des carrures régulières nécessaires à la composition.

12PERAINO, Judith A., « Re-Placing Medieval Music », JAMS, 54 (2001), p. 209 et 220.

13 ROHLOFF, Ernst (éd.), Der Musiktraktat des Johannes de Grocheo, Leipzig, Kommissionsverlag Gebrüder Reinecke, 1943, vol. 2, p. 57. Volens autem ista componere primo debet tenorem ordinare vel

componere et ei modum et mensuram dare. […] Dico autem ordinare, quoniam in motellis et organo tenor ex cantu antiquo est et prius composito, sed ab artifice per modum et rectam mensuram amplius determinatur.

Base de données en ligne TML consultée le 30 mai 2010,

Le Speculum musicae de Jacques de Liège

Un autre traité un peu plus tardif évoque également les étapes de la composition du déchant et l’organisation rythmique de la teneur : le Speculum

musicae de Jacques de Liège14. Selon S. Clercx, le théoricien aurait écrit ce texte dans le premier tiers du XIVe siècle. En effet, au chapitre VI du septième livre, celui-ci reproduit le texte d’un théoricien contemporain pour le réfuter. Cet auteur n’est autre que Jean de Murs, l’un des plus célèbres penseurs de l’Ars Nova. Puisque nous savons que ce dernier traité a été écrit en 1323, l’écriture du texte de Jacques de Liège doit être proche de cette date15. Néanmoins, le propos de l’auteur se veut une somme encyclopédique sur la musique mesurée du XIIIe siècle. L’emploi de ce texte est donc tout à fait justifié pour traiter des motets de l’Ars

Antiqua.

Or, dans son traité, Jacques de Liège revient plus longuement sur les raisons de la mise en ordre de la teneur. En effet, le théoricien compare la polyphonie rythmique et la voix empruntée à un édifice qui repose sur des fondations :

« On peut dire que déchant [vient] de « dy » c’est-à-dire de « de » et de « cantu », parce qu’il est pris d’un chant, c’est-à-dire de la teneur sur lequel le déchant est fondé, comme un édifice sur se[s] fondation[s] ; c’est pourquoi on appelle le chant teneur parce qu’il tient et fonde le déchant. En effet, qui fait du déchant sans teneur ? Qui construit sans fondation ? »16

Cette métaphore a été reprise de nombreuses fois par les musicologues. Elle implique une idée cruciale : la teneur est l’assise mélodique et rythmique des

14 BRAGARD, Roger (éd.), Jacobi Leodiensis Speculum musicae, [Rome], American Institute of Musicology, 1973, livre VII, 111 p.

15HUGLO, Michel, « De Francon de Cologne à Jacques de Liège », Revue Belge de Musicologie, 20 (1980), p. 59. M. Huglo défend une datation un peu plus tardive vers 1330-1340. Il faut selon lui laisser à l’auteur le temps matériel de rédiger le livre VII.

16BRAGARD, Roger (éd.), Jacobi Leodiensis, op. cit., p. 9. Vel potest dici discantus a "dy" quod est "de" et « cantu », quasi de cantu sumptus, idest de tenore supra quem discantus fundatur sicut aedificium aliquod

supra suum fundamentum; unde ille cantus tenor dicitur quia discantum tenet et fundat. Quis enim sine tenore discantat, quis sine fundamento aedificat? TML, base de données en ligne consultée le 10 juin 2012,

voix supérieures. La suite de la citation précise l’idée du théoricien qui poursuit la métaphore filée :

« Et comme l’édifice, il doit être proportionné au[x] fondation[s] afin que l’édifice ne soit pas fait selon la fantaisie de l’ouvrier mais fondé selon l’exigence de la fondation et ainsi qui fait du déchant ne doit pas proférer des notes selon sa fantaisie mais selon l’exigence et la proportion des notes de la teneur elle-même afin qu’elles concordent avec celles-ci. Donc, le déchant dépend de la teneur, et doit être régulé par elle, il doit s’accorder avec elle et ne pas être discordant. La teneur n’est pas soumise au déchant mais l’inverse. »17

Jacques de Liège explique donc que l’organisation rythmique de la teneur sert à donner un cadre rigide nécessaire à la composition de la voix supérieure à plusieurs niveaux. Le mode rythmique de la teneur ordonnée en périodes régulières ou ordines détermine celui de la voix supérieure. Ainsi, dans les motets, les périodes données par les ordines de la teneur coïncident très souvent avec ceux du motetus, c’est-à-dire avec les phrases mélodico-rythmiques du double.

D’autre part, les consonances et dissonances du double par rapport à la teneur sont encadrées par les perfections. L’organisation rythmique de la voix empruntée détermine la disposition des consonances et dissonances comme l’indique l’avant-dernière phrase « Donc, le déchant dépend de la teneur, et doit être régulé par elle, il doit s’accorder avec elle et ne pas être discordant. ». En effet, les notes impaires sont consonantes tandis que les paires peuvent être dissonantes18.

17Loc.cit. Et sicut aedificium debet proportionari fundamento ut fiat aedificium non ad libitum operatoris sed

secundum exigentiam fundamenti, sic nec discantans ad libitum suum notas proferre debet sed secundum exigentiam et proportionem notarum ipsius tenoris ut concordent cum illis. Discantus igitur a tenore dependet, ab eo regulari debet, cum ipso concordare habet, non discordare. Non tenor de discantu sumitur, sed e converso.

18Si l’on se réfère au traité De mensuris et discantu ou Anonyme IV édité par RECKOW, Fritz (éd.), Der

Musiktraktat des Anonymus 4, op. cit., vol. 1, p. 43, les notes impaires du premier mode doivent être

consonantes et concorder avec la teneur. Unde regula : omnia puncta imparia primi modi sunt longa et cum

tenore concordare debent. Base de données en ligne consultée le 2 septembre 2012, <http://www.chmtl.indiana.edu/tml/13th/ANO4MUS_TEXT.html>.

Ainsi, la teneur exerce de fortes contraintes mélodiques et rythmiques sur les voix supérieures. Néanmoins, ces dernières n’empêchent pas la constitution de répétitions motiviques cohérentes aux voix supérieures. Comme nous le verrons plus tard, les périodes rythmiques régulières ainsi créées servent également à donner un cadre poétique au motetus et délimitent souvent la longueur des vers de la voix supérieure.

Les recherches musicologiques

Au début du XXe siècle, Y. Rokseth avait déjà observé un « synchronisme » entre les différentes voix des motets les plus anciens du manuscrit H 196 de Montpellier ou Mo. En d’autres termes, une « période » mélodico-rythmique de la teneur coïncide fréquemment avec une même « période » à la voix supérieure. De notre point de vue, les réflexions d’Y. Rokseth sont cruciales pour une idée simplement esquissée :

« Les unités mélodico-rythmiques qui en composent les éléments embrassent souvent deux mesures de six temps chacune, soit quatre « perfections ». En sorte que leur succession se produit à peu près selon le rythme d’une respiration humaine, rythme qui donne sans doute à la pensée musicale son cadre le plus simple et le plus naturel. »19

Les fins de ces « périodes » marquées par des silences seraient alors des points de rencontre, une norme temporelle qui servirait à la composition. Considérée comme une convention naturelle par Y. Rokseth, la simultanéité des « périodes » de chaque voix serait un mode de composition musicale à l’origine de la polyphonie. Y. Rokseth ne considère donc pas le rythme imposé à la mélodie préexistante de la teneur comme un principe numérique abstrait qui fait partie des conventions du genre. Elle considère l’unité rythmique de la « période » comme une unité temporelle qui sert à la composition. Elle permet de faire correspondre

19 ROKSETH, Yvonne (éd.), Polyphonies du XIIIe siècle, op. cit., vol. 4, p. 206. [les motets pérotiniens]

Y. Rokseth utilise ici le terme de période de manière tout à fait réfléchie : « Si nous gardons le nom de cellule au groupe le plus petit qui forme une unité indissoluble, et si nous appelons période le groupe supérieur réunissant deux cellules qui se correspondent nous trouvons que les motets issus de clausules pérotiniennes sont souvent composés de périodes régulières. » Dans sa pensée, un ordo correspond donc au terme cellule utilisé plus couramment dans les analyses musicologiques.

les voix entre elles. Le nombre existant grâce aux modes rythmiques serait une délimitation temporelle, condition sine qua non de la création de la polyphonie dans le motet.

Dans une même perspective, M.-L. Martinez-Göllner s’est interrogée dans les années 1990 sur la manière dont les compositeurs pouvaient faire coïncider la teneur et les voix supérieures20. Malgré la diversité des motets et leur capacité à intégrer des éléments étrangers, elle part du principe qu’une norme doit exister dans leur composition. De façon tout à fait remarquable, elle observe, d’une part, que les vers de la voix supérieure sont souvent composés de sept syllabes. D’autre part, elle démontre que cette longueur de vers (que ce soit en ancien français ou en latin) correspond la plupart du temps à une même durée rythmique de la teneur, à savoir un temps équivalent à quatre longues. La répétition de cette unité temporelle poético-musicale servirait à la composition des motets du XIIIe siècle. Elle permettrait de créer une carrure, c’est-à-dire de

répartir une phrase musicale en sections égales, pour que les voix coïncident entre elles. Elles se retrouveraient ainsi à la fin de ces unités. Ces dernières seraient donc délimitées la plupart du temps par le vers et un ordo à la voix supérieure alors que la teneur aurait chanté deux ordines dans le même temps. Ici, le nombre n’est pas simplement une abstraction qui permet la création d’une unité absente comme le soutenait E. Sanders21. Il est la manifestation mathématique de l’existence des carrures qui servent à la composition des vers.

M.-L. Martinez-Göllner souligne également le fait que les traités de musique du XIIIe siècle restent assez allusifs sur la composition du motet et traitent plus souvent et longuement du déchant sans texte. Puisque les motets sont définis comme du déchant avec des textes différents, elle s’appuie donc sur les traités de poésie, plus aptes à aborder le travail poétique. Ainsi, elle met en

20MARTINEZ-GÖLLNER, Marie-Louise, « Poetic Line and Musical Structure in The 13th-Century Motet »,

Anuario Musical, 54 (1999), p. 3-24.

21 SANDERS, Ernest H., « The Medieval Motet » dans ARLT, Wulf (dir.), Gattungen der Musik in

lumière les relations qui existent entre le motet et les traités de poésie rythmique comme le célèbre ouvrage de Jean de Garlande, Parisiana Poetria (1225-1230)22.

Par conséquent, selon les traités et les recherches musicologiques, l’organisation rythmique de la teneur conditionne celle des voix supérieures. Les consonances et dissonances sont ordonnées en fonction du mode rythmique de la voix empruntée et des perfections. De plus, l’organisation en ordines permet de créer des carrures pour faire coïncider les voix entre elles. Les périodes créées serviraient de cadre à la composition des vers. Par conséquent, les contraintes rythmiques que la teneur exerce sur les voix supérieures semblent plus importantes que celles mélodiques et consonantiques même si ces deux aspects sont étroitement liés.

Le choix d’une teneur paraît également conditionner la thématique des poèmes des voix supérieures. Dans les manuscrits les plus anciens comme F, ce rôle important du texte de la teneur est d’autant plus flagrant qu’il est souligné par l’organisation des pièces dans le codex. Comme pour les clausules, les motets sont classés en fonction de l’origine liturgique de la pièce dans le calendrier religieux. Dans F, les copistes ont choisi de conserver la même organisation que pour les clausules. Ce n’est plus le cas dans le codex W2où les motets sont classés par

ordre alphabétique.

Néanmoins, les musicologues n’ont pas toujours considéré comme dignes d’intérêt les quelques mots de la teneur. La question cruciale est donc : comment les contemporains considéraient-ils le texte de la teneur ? Et quelle influence ou contrainte la voix empruntée exerce-t-elle sur la création des poèmes aux voix