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Contexte

Le magnus liber organi

W2 est l’un des plus anciens manuscrits conservé à ce jour contenant

des motets de l’Ars Antiqua1. Les musicologues le considèrent comme

représentant une part du magnus liber organi. Les chercheurs emploient ainsi ce

1 Pour une bibliographie plus complète : RISM, B, IV, 1, p. 171 et suiv. DITTMER, Luther A. (éd.),

Publications of Medieval Musical Manuscripts II : Wolfenbüttel 1099, New York, Institute of mediaeval

music, 1969, 506 p. ; ANDERSON, Gordon A. (éd.), The Latin Compositions in Fascicules VII and VIII of

the Notre Dame Manuscript Wolfenbüttel Helmstedt 1099 (1206), New York, Institute of Mediaeval Music,

1968-76, 2 vol. ; TISCHLER, Hans (éd.), The Earliest Motets (to circa 1270). A Complete Comparative

Edition, New Haven and London, Yale University Press, 1982, 3 vol. ; EVERIST, Mark, Polyphonic Music in Thirteenth-Century France. Aspects of Sources and Distribution, New York and London, Garland Publishing,

1989, p. 97-109 ; PAYNE, Thomas B. (éd.), Les organa à deux voix du manuscrit de Wolfenbüttel, Herzog

August Bibliothek, Cod. Guelf. 1099 Helmst dans ROESNER, Edward H. (dir.), Le « Magnus Liber Organi » de Notre-Dame de Paris, Monaco, Éd. de l'Oiseau-lyre, 1996, vol. 6A ; Wolfenbüttel Digital Library, base de

terme pour qualifier les polyphonies liturgiques mesurées chantées dans la région de Paris pendant la seconde moitié du XIIe et les premières décennies du XIIIe siècle2. Ces polyphonies auraient été conservées dans un ouvrage aujourd’hui perdu. Pour les musicologues, le contenu de cette source pourrait alors être reconstitué à partir des manuscrits W1, W2, F et St-V qui conservent une partie de

ce « répertoire » dit parisien3. Ce dernier contiendrait l’ensemble des polyphonies mesurées de cette période, c’est-à-dire les organa, clausules, conduits et sans doute les premiers motets.

Le terme magnus liber organi est utilisé par les musicologues en référence à deux mentions médiévales provenant de traités de la deuxième moitié du XIIIesiècle : le De mensurabili musica de Jean de Garlande et le De mensuris

et discantu ou Anonyme IV. Dans son traité De mensurabili musica, Jean de

Garlande évoque un magnum volumen, c’est-à-dire un ouvrage physique4. L’auteur de l’Anonyme IV fait quant à lui référence à un magnus liber organi de

gradali et antifonario, « un grand livre d’organum pour les chants de la messe et

de l’office ». Ce dernier aurait été « fait » par Léonin et « abrégé » par Pérotin5.

Pour les musicologues, le terme magnus liber organi évoque donc un livre physique et par extension, son contenu c’est-à-dire le « répertoire » de la cathédrale de Notre-Dame. En effet, celui-ci a fait l’objet d’âpres discussions de la part des musicologues notamment à cause de l’interdépendance de la datation des différentes sources qui le représentent. Dans un premier temps, F. Ludwig pensait

2ROESNER, Edward H., « Magnus Liber » dans The New Grove, vol. 15, p. 593-597. 3 W

1, Wolfenbüttel, Herzog August Bibliothek, Guelf. 628 Helmst. ; W2, Wolfenbüttel, Herzog August Bibliothek, 1099 (Helmst. 1206) ; St-V, Paris, BnF, lat. 15139 ; F, Firenze, Biblioteca Laurenziana, Pluteus 29. 1 ; HUSMANN, Heinrich et REANEY, Gilbert, « The Origin and Destination of the Magnus Liber Organi », The Musical Quarterly, 49 (1963), p. 311-330.

4REIMER, Erich (éd.), Johannes de Garlandia : De mensurabili musica, Wiesbaden, Steiner, 1972, vol. 1, p. 96 ; base de données en ligne TML, consultée le 5 mai 2012,

<http://www.chmtl.indiana.edu/tml/13th/GARDMM_TEXT.html>. Sed proprietas praedicta vix tenetur in

aliquibus, quod patet in quadruplicibus magistri Perrotini per totum in principio magni voluminis, quae quadrupla optima reperiuntur et proportionata et in colore conservata, ut manifeste ibidem patet.

5Léonin et Pérotin étaient des maîtres parisiens affiliés à la cathédrale Notre-Dame de Paris dans la deuxième moitié du XIIesiècle voire au début XIIIe. ROESNER, Edward H., « Leoninus » et « Perotinus » dans The

New Grove, vol. 14, p. 565-567 et vol. 19, p. 446-451. Pour Léonin : WRIGHT, Craig, « Leoninus : poet and

musician », JAMS, 39 (1986), p. 1-35 et RECKOW, Fritz (éd.), Der Musiktraktat des Anonymus 4, Wiesbaden, Steiner, 1967, vol. 1, p. 46. TML, base de données en ligne consultée le 6 mai 2012, <http://www.chmtl.indiana.edu/tml/13th/ANO4MUS_TEXT.html>. Et nota, quod magister Leoninus,

secundum quod dicebatur, fuit optimus organista, qui fecit magnum librum organi de gradali et antifonario pro servitio divino multiplicando.

que chacun des manuscrits F, W1 et W2 représentait un stade d’évolution de ce

répertoire6. Le premier aurait été une compilation de l’œuvre de Léonin, le second, de celle de Pérotin. Par la suite, H. Husmann a souligné l’inadéquation de ces concepts7. D’une part, ces sources ne sont pas contemporaines de Léonin et de Pérotin mais beaucoup plus tardives. Elles ne peuvent donc pas avoir été directement écrites par ces deux « organistes » ou rassemblées de leur vivant. D’autre part, ces manuscrits sont des compilations. Elles résultent donc d’un choix humain et ne sont pas nécessairement le résultat de différentes strates chronologiques. Pourtant, H. Husmann n’abandonne pas toute idée temporelle. Dans son esprit, un chercheur pouvait retrouver, dans ces trois sources, différentes couches chronologiques représentatives de l’évolution du répertoire du magnus

liber. Selon lui, les pièces communes aux trois sources représentaient ainsi un

stade originel. Puis, les organa présents uniquement dans F et W2 auraient été

créés après la consécration du nouvel autel de Notre-Dame de Paris en 1182. Enfin, les organa communs à F et W1 auraient été un stade ultérieur de ce

répertoire chanté dans des églises parisiennes autres que celle de Notre-Dame8.

Cette hypothèse a été elle-même critiquée par C. Wright9. Dans son ouvrage, il démontre que chacune des sources citées auparavant possède son caractère liturgique propre. Ces manuscrits ne permettent donc pas de fonder une chronologie mais représentent un choix des compilateurs10. F intègre des polyphonies pour les Nocturnes et les Vêpres ainsi que des pièces pour certaines

6 LUDWIG, Friedrich, Repertorium organorum recentioris et motetorum vetustissimi stili, New York / Hildesheim, éd. Institute of Medieval Music - Georg Olms, 1910, p. 57, p. 7 et p. 157 et « Die liturgischen Organa Leonins und Perotins », Riemann-Festschrift : gesammelte Studien, Leipzig, Hesses Verl., 1909, p. 200-213.

7HUSMANN, Heinrich et BRINER, Andres P., « The enlargement of the « Magnus liber organi » and the Paris Churches St. Germain l’Auxerrois and Ste Geneviève-du-Mont », JAMS, 16 (1963), p. 176-180. 8H. Husmann indique toutefois les églises de St-Germain-l’Auxerrois, l’église paroissiale du roi Philippe Auguste quand il était au Louvre, celles des collèges de la rive gauche et notamment le monastère augustinien de Ste-Geneviève. HUSMANN, Heinrich et BRINER, Andres P., « The enlargement of the « Magnus liber organi », op. cit., p. 198 et p. 202. HUSMANN, Heinrich et REANEY, Gilbert, « The Origin and Destination of the Magnus Liber Organi », op. cit., p. 322, 326 et 327.

9 WRIGHT, Craig, Music and Ceremony at Notre Dame of Paris 500-1500, Cambridge, Cambridge University Press, 1989, p. 265-272.

10 H. TISCHLER avance les mêmes propos dans son article : TISCHLER, Hans, « The evolution of the « Magnus Liber Organi », The Musical Quarterly, 70 (1984), p. 170.

processions et octaves des fêtes les plus importantes11. Au contraire, dans W1 et

W2, l’origine liturgique des compositions est beaucoup plus difficile à déterminer.

Une analyse codicologique est donc nécessaire à la présentation de cette dernière source.

Origine et provenance de W2

Le manuscrit W2 est un ouvrage d’un petit format (175 par 130 mm

environ) mais volumineux. Certains folios sont manquants mais il reste encore 255 feuillets réunis en dix fascicules de trente-trois cahiers. Ces derniers sont composés pour l’essentiel de quaternions12.

Ce manuscrit serait d’origine parisienne et daté du milieu du XIIIe siècle13. Cette hypothèse semble confirmée par la présence d’initiales filigranées typiques qui alternent le rouge et le bleu. Le manuscrit parcourt également l’année liturgique en intégrant des éléments spécifiques au calendrier parisien organisés pour l’office, la messe, les processions et les Benedicamus Domino. Les voix supérieures des motets dans W2 sont écrites en notation carrée : la longue n’est

pas différenciée de la brève. Cette écriture correspondrait donc à un stade antérieur à celui de l’ancien corpus de Mo14. Ce dernier est lui-même rédigé en notation dite pré-franconienne et daté de 1270 environ.

Même s’il a été considéré comme contenant une partie du répertoire du magnus liber organi, W2 a été beaucoup moins étudié que F ou W1. Définir

l’origine liturgique en fonction des organa et fêtes qui le composent est plus

11ROESNER, Edward H., « Magnus Liber », op. cit., vol. 15, p. 595 et Antiphonarium, seu, Magnus liber de

gradali et antiphonario : Color Microfiche Edition of the Manuscript Firenze, Biblioteca Medicea Laurenziana, Pluteus 29. 1, München, H. Lengenfelder, 1996, p. 27.

12Il manque les folios 5, 46 et 133. Une erreur s’est glissée dans la foliotation moderne : après le feuillet 218, il est écrit 218a puis 219a. Puis la foliotation continue. La mise en ligne du manuscrit corrige cette erreur. Nous donnerons cependant la foliotation la plus couramment acceptée.

13EVERIST, Mark, Polyphonic Music, op. cit., p. 100. RISM, B, IV, 1, p. 171 et suiv.

14Montpellier, Bibliothèque de la Faculté de médecine, H 196. ROKSETH, Yvonne (éd.), Polyphonies du

XIIIesiècle : le manuscrit H 196 de la Faculté de Médecine de Montpellier, Paris, L’Oiseau-Lyre, 1939, 4

difficile que dans ces autres sources15. De plus, les travaux effectués sur W2 se

sont plus souvent attachés à l’édition des pièces qu’à la codicologie.

Il n’y a aucune information précise sur la provenance du manuscrit, sur sa conception ou sur son histoire entre le XIIIe et le XVIe siècle. On sait ensuite que le codex W2 a appartenu à Flacius Illyricus, célèbre universitaire et

théologien humaniste : ses initiales sont inscrites au folio 122 v°16. Après sa mort en 1575, la bibliothèque fut vendue au Comte Heinrich Julius de Brunswick- Wolfenbüttel (1597) qui en fit don à l’Université de Helmstedt. En 1810, lors de sa dissolution, le manuscrit a réintégré la bibliothèque ducale de Wolfenbüttel et n’a plus été déplacé depuis. L’histoire du codex est donc bien connue après le XVIe siècle. Néanmoins, son origine demeure obscure et le contenu de W2 ne

permet pas de combler ces lacunes.