• Aucun résultat trouvé

La transition Archéen-Protérozoïque

1.2. Évolution du régime thermique

1.2.1. Température du manteau

L’énergie cinétique des planétésimaux accumulée lors de l’accrétion terrestre et la chaleur latente de cristallisation du noyau contribuent pour une petite partie (~10%) à la production de chaleur interne de notre planète. La majorité provient en effet de l’énergie fournie par la désintégration d’éléments radioactifs (en particulier les isotopes radioactifs à longue période :

40K, 232Th, 235U, 238U). D’un autre côté, la tectonique des plaques, le magmatisme et l’hydrothermalisme associé (qui ont opéré durant toute l’histoire de la Terre, sous différentes formes) ainsi que le flux de chaleur interne sont des manifestations évidentes de l’évacuation de cette énergie. Ainsi, le bilan thermique terrestre est gouverné par le rapport entre production et perte de chaleur, qui peut être exprimé sous la forme du nombre d’Urey : Ur(0) = Hm(0) / Q(0) (Korenaga, 2008a) où Hm(0) est la production de chaleur du manteau convectif et Q(0) le flux sortant de celui-ci (en Watts). Ce dernier peut être directement mesuré, et la production de chaleur du manteau est simplement calculée en retranchant la production de chaleur de la croûte continentale à celle de la terre totale. De cette manière, on obtient un nombre d’Urey actuel de l’ordre de Ur(0) = 0.23 ± 0.15 (Korenaga, 2008a).

Cette valeur du nombre d’Urey, inférieure à 1, démontre que la Terre perd davantage de chaleur qu’elle n’en produit. Par conséquent, il est raisonnable de considérer que la Terre archéenne était « plus chaude » qu’aujourd’hui, et notamment que la température potentielle du manteau (Tp) était plus élevée (Richter, 1985, 1988). Cette notion peut également être appréhendée très intuitivement : l’activité des radionucléides décroissant de manière exponentielle avec le temps, elle était naturellement plus élevée à l’Archéen qu’à l’heure actuelle et donc, la production de chaleur était plus importante, d’un facteur 2 à 4 (Lambert, 1976 ; Figure 1.6a). La conséquence directe d’une température mantellique plus élevée est représentée par la genèse, à l’Archéen, de magmas beaucoup plus riches en MgO que les basaltes modernes. En effet, la teneur en MgO de magmas d’origine mantellique est une fonction positive de la température ambiante du manteau qui leur a donné naissance (e.g. Langmuir et al., 1992 ; Herzberg et al., 2007). Ainsi, les komatiites archéennes ont, en moyenne, des teneurs en MgO deux fois plus élevées que les MORB (20–30 pds.% contre 10–

13 pds.%, respectivement), et reflétant des températures d’éruption de l’ordre de 1600°C contre 1350°C aujourd’hui (Bickle, 1986 ; Nisbet et al., 1993).

FIGURE 1.6 : (a) Evolution du taux de production de chaleur interne par rapport à aujourd’hui,

d’après Lambert (1976). (b) Modèles d’évolution de la température du manteau au cours de l’histoire de la Terre, pour un nombre d’Urey égal à la valeur actuelle (0.23±0.15) ; compris entre 0.7 et 0.8 et (c) compris entre 0.2 et 0.4 (donc proche de la valeur actuelle) en tenant compte de la croissance des continents. Les températures potentielles du manteau calculées sur la base de la composition de laves

(komatiites et basaltes océaniques) sont aussi représentées. D’après Herzberg et al. (2010) et Korenaga (2008).

Depuis que ce paradigme d’une terre primitive plus chaude est établi, de nombreux auteurs ont cherché à comprendre l’évolution thermique terrestre et, plus particulièrement, l’allure de la courbe de température du manteau en fonction du temps. Celle-ci dépend en grande partie de la valeur du nombre d’Urey (Korenaga, 2007) : en effet, si celui-ci est proche de 0, cela signifie que le manteau se refroidit extrêmement efficacement et donc que sa température dans le passé était potentiellement beaucoup plus élevée qu’aujourd’hui. Ainsi, en extrapolant dans le passé la valeur actuelle du nombre d’Urey (~0.23) et en considérant un transfert de chaleur assuré par des mécanismes similaires à ceux qui opèrent aujourd’hui, les modèles prédisent des températures du manteau totalement irréalistes pour le Protérozoïque et l’Archéen, de l’ordre de plusieurs milliers de degrés (« catastrophe thermique » ; Figure 1.6b ; Christensen, 1985 ; Korenaga, 2003). En fait, ce n’est qu’en considérant un nombre d’Urey bien plus élevé (0.7–0.8) que l’on rend compte d’une évolution thermique « raisonnable », c’est-à-dire une décroissance continue de la température du manteau avec des valeurs archéennes de l’ordre de 1500 à 1600°C (Figure 1.6b), cohérentes avec les données obtenues

1200 1400 1600 1800 2000 1 2 3 1 2 3 4 5 0 1 2 3 4 1 2 3 4 Total heat production Heat production by long-lived radionuclides P r o t e r o z o i c A r c h a e a n P h a n e ro z o ic In te rn a l h e a t p ro d u c ti o n re la ti v e t o p re se n t-d a y v a lu e

Age (Ga) Age (Ga) Age (Ga)

M a n tl e p o te n ti a l te m p e ra tu re ( Tp ) in ° C Present-day Tp ~ 1350°C Abitibi Barberton KOMATIITES Ur(0) = 0.23 Ur(0) = 0.7-0 .8 OCEANIC BASALTS Ur(0) = 0.2-0.4 + growth of continents (a) (b) (c)

par le biais des komatiites (e.g. Schubert et al., 1980 ; Davies, 2009). Néanmoins, ces valeurs du nombre d’Urey ne sont pas en accord avec le bilan thermique terrestre à l’heure actuelle, et il semble donc que ce modèle ne soit pas viable.

Ce « paradoxe du nombre d’Urey » a été récemment résolu en construisant des modèles de l’évolution thermique terrestre basés sur des paramétrisations plus réalistes. Ainsi, en considérant une production et une perte de chaleur reproduisant le nombre d’Urey actuel (0.23 ± 0.15) ainsi qu’une rhéologie du manteau terrestre influencée par la croissance des continents (Labrosse & Jaupart, 2007 ; Korenaga, 2008a ; Lenardic et al., 2011), on obtient des courbes d’évolution de Tp plus réalistes (Figure 1.6c). Il est intéressant de noter que ces courbes montrent une augmentation de la température du manteau durant l’Archéen et non pas une diminution : Tp atteint un maximum à 1600–1800°C entre 2.5 et 3.2 Ga (selon la valeur du nombre d’Urey) avant de diminuer jusqu’à la valeur actuelle de 1350°C. Dès lors, il faut noter que les valeurs de Tp prédites par l’étude de certaines komatiites sont un peu trop élevées par rapport à l’évolution thermique modélisée (Figure 1.6c). Ceci pourrait s’expliquer par le fait que les komatiites ne proviennent pas d’un manteau « normal » mais de panaches mantelliques plus chauds que le manteau environnant (Nisbet et al., 1993 ; Grove & Parman, 2004 ; Herzberg et al., 2007 ; Arndt et al., 2008). Aussi, en calculant les températures du manteau à partir de magmas mafiques et ultramafiques plus « classiques » que les komatiites et mis en place entre 3.5 Ga et aujourd’hui, Herzberg et al. (2010) ont démontré que ces températures coïncidaient très bien avec celles prédites par les modèles décrits précédemment (Figure 1.6c).

Ces différents résultats démontrent sans ambigüité qu’une transition dans le régime thermique terrestre semble avoir eu lieu durant la fin de l’Archéen. Ceci étant dit, deux visions s’opposent quant au mode d’évacuation de la chaleur avant 2.5 Ga. La première à avoir été proposée, d’un point de vue historique, consiste à considérer une convection mantellique plus vigoureuse qu’aujourd’hui, permettant d’évacuer un flux thermique plus important, et associée à des plaques lithosphériques plus petites et se déplaçant plus rapidement qu’à l’heure actuelle (Bickle, 1986 ; Hargraves, 1986 ; de Wit & Hart, 1993 ; Lagabrielle et al., 1997 ; Figure 1.7). Toutefois, cette vision implique qu’à l’Archéen, la chaleur interne est évacuée par des mécanismes identiques à ceux qui opèrent aujourd’hui ce qui, comme on l’a vu, implique une « catastrophe thermique ». Les paramétrisations récentes

de l’évolution du régime thermique ont montré que la température du manteau avait plutôt tendance à augmenter pendant l’Archéen (Figure 1.6). Pour expliquer ce résultat a priori contre-intuitif, on peut considérer que le manteau, produisant plus de chaleur, a pu subir davantage de fusion partielle (ce qui est cohérent avec l’idée d’une croûte océanique archéenne plus épaisse ; Bickle, 1986 ; Abbott et al., 1994 ; Foley et al., 2003) générant ainsi une lithosphère déshydratée très épaisse, ce qui aurait ralenti la tectonique des plaques et donc l’évacuation de la chaleur (Korenaga, 2003). Quel que soit le modèle considéré, celui-ci sera toujours bien différent du régime actuel, indiquant que l’évolution thermique du manteau terrestre et les mécanismes géodynamiques qui en résultaient ont changé à la fin de l’Archéen.

FIGURE 1.7 : Un des modèles invoqués pour accommoder l’évacuation d’un flux de chaleur plus

important à l’Archéen : des plaques plus petites, se déplaçant plus rapidement et induisant une longueur de ride médio-océanique (en pointillés) plus importante qu’aujourd’hui. D’après Martin

(2005).