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2.3. La diversité du magmatisme tardi-archéen

2.3.2. Des sanukitoïdes « marginaux »

Un certain nombre d’études reportent également la présence de magmas tardi-archéens, en général associés aux sanukitoïdes, mais qui n’en sont pas pour autant au sens de la classification introduite par Heilimo et al. (2010). Il s’agit notamment de complexes magmatiques calco-alcalins, présentant des caractéristiques pétrographiques très semblables aux sanukitoïdes : une gamme de roches plutoniques allant des diorites aux granites, porteurs d’une minéralogie mafique à amphibole, biotite et parfois clinopyroxène dans les termes mafiques. Ces roches se distinguent néanmoins des sanukitoïdes par des teneurs plus faibles en LILE (Rb, Sr, Ba, K), Mg, Ni et Cr pour une concentration en SiO2 donnée, des anomalies négatives en Eu systématiques, et un spectre de terres rares nettement moins fractionné en raison de teneurs plus élevées en HREE. Ces différences restent toutefois minimes, de sorte que ces objets se placent généralement sur la bordure du champ des sanukitoïdes dans différents diagrammes binaires (Figure 2.14), d’où l’appellation de « sanukitoïdes marginaux ». Celle-ci se justifie d’autant plus qu’ils sont souvent indiscernables des « sanukitoïdes vrais » pour la plupart des autres éléments majeurs et en traces.

Des associations magmatiques présentant cette composition particulière ont été recensées dans plusieurs cratons archéens. Sage et al. (1996) ont étudié plusieurs petites intrusions autour de la ceinture de roches vertes de Michipicoten, au Canada (province du Supérieur).

Certains de ces massifs appartiennent clairement à la suite sanukitoïde et sont d’ailleurs interprétés par ces auteurs comme dérivant de la différenciation d’un magma de type sanukitoïde s.s.. Par contre, d’autres présentent les caractéristiques mentionnées ci-avant, notamment des teneurs en LILE plus faibles que les sanukitoïdes et des spectres de terres rares moins fractionnés. Certaines phases du batholite de Bridger, dans la province du Wyoming aux USA, présentent elles aussi des compositions légèrement différentes des sanukitoïdes, représentés dans la région par le batholite de Louis Lake (Frost et al., 1998). Récemment, Mikkola et al. (2011b) ont décrit, au sein du craton Karélien, en Finlande, des « diorites à quartz » qui sont géométriquement associées à des sanukitoïdes « vrais » mais s’en distinguent par des concentrations plus faibles en Sr, Ba, LREE, K2O, Cr, Ni et plus élevées en HREE. Il est intéressant de noter que ces diorites à quartz sont aussi riches en MgO que les sanukitoïdes, mais possèdent un Mg# moindre, indiquant qu’il s’agit de magmas particulièrement riches en fer. En plus de ces termes relativement mafiques, des magmas acides présentent également ce genre de composition (et pourraient simplement représenter les produits de différenciation de ces « diorites à quartz »). Toujours dans le craton Karélien, Kovalenko et al. (2005) et Käpyaho et al. (2006) reportent la présence de « granodiorites leucocrates » et de granites potassiques, assez différents des sanukitoïdes sur le plan pétrographique mais néanmoins associés à ceux-ci et, comme pour ces derniers, dont les compositions isotopiques suggèrent qu’un composant mantellique a joué un rôle dans leur genèse. Enfin, ce genre de granitoïdes est également présent dans la province du Supérieur (Whalen et al., 2004) et le craton Amazonien (Almeida et al., 2010), et dans les deux cas, toujours intimement en relation avec des sanukitoïdes.

L’origine de tels magmas n’a été discutée que par Mikkola et al. (2011b), qui, reconnaissant leur affinité avec les sanukitoïdes à de nombreux points de vue, suggèrent qu’ils dérivent également d’un manteau enrichi. D’après ces auteurs, les hétérogénéités géochimiques observées entre les deux groupes reflèteraient différents degrés de métasomatose ou de fusion du manteau, une interprétation proposée par Moyen (2009) pour expliquer de telles différences au sein du groupe des adakites. Ainsi, selon ce modèle, les diorites à quartz proviendraient de taux de fusion du manteau plus élevés, ou d’un taux de métasomatose plus faible, expliquant leurs concentrations peu élevées en éléments incompatibles (LILE, LREE). Cependant, si un tel scénario était correct, leurs teneurs en

éléments de transition devraient être plus élevées que celles des sanukitoïdes, alors que c’est l’inverse (Mikkola et al., 2011b). De plus, cette hypothèse ne permet pas de rendre compte de leur caractère ferreux, avec un Mg# plus faible que celui des sanukitoïdes. Il apparaît donc que les mécanismes de genèse de ces « sanukitoïdes marginaux » sont très mal contraints à ce jour. Dans la plupart des cratons, l’intrusion de ces magmas suit celle des sanukitoïdes de quelques dizaines de Ma tout au plus (Whalen et al., 2004 ; Käpyaho et al., 2006 ; Almeida et

al., 2010 ; Mikkola et al., 2011b), renforçant encore l’éventualité d’un lien génétique entre les

deux séries, mais la nature de ce lien reste à déterminer.

D’autre part, Steenfelt et al. (2005) présentent des données concernant un certain nombre de massifs dioritiques du craton Nord-Atlantique (Groenland), dont la composition en éléments majeurs les rattache tous au groupe des sanukitoïdes (Figure 2.14). Toutefois, si certaines de ces diorites présentent des compositions en éléments traces justifiant cette appartenance, d’autres en revanche sont clairement différentes. Par exemple, les diorites de Nordlandet et les « diorites calco-alcalines » de la région de Disko Bugt sont nettement moins riches en tous les éléments en traces incompatibles que les sanukitoïdes et présentent des spectres de terres rares quasiment plats. Ceci suggère qu’elles proviennent d’un manteau non enrichi (Steenfelt et al., 2005) et montre qu’elles ne peuvent en aucun cas être qualifiées de sanukitoïdes (même marginales). A l’inverse, d’autres (les monzodiorites de Nag) sont nettement plus riches que les sanukitoïdes en Sr, P et REE (Figure 2.14), et présentent des spectres de terres rares particuliers, dominés par l’influence de l’apatite ; d’après Steenfelt et

al. (2005), ces magmas sont issus de la fusion d’un manteau métasomatisé par des liquides

carbonatitiques plutôt que silicatés. Mikkola et al. (2011a) invoquent un processus similaire pour expliquer la géochimie du complexe alcalin de Likämannikö, intrusif dans le craton Karélien en Finlande. Ce complexe est constitué de syénites à quartz, de carbonatites et de roches ultramafiques, et en ce sens, est bien différent des autres suites sanukitoïdes du craton Karélien, mais il possède le même âge qu’elles (~2740 Ma).

Pour résumer, le magmatisme tardi-archéen est aussi caractérisé par la présence de magmas présentant d’indiscutables affinités avec les suites sanukitoïdes, mais ne pouvant pas leur être strictement affiliés du fait de différences sur le plan géochimique. La ressemblance entre les deux groupes est probablement liée à un mécanisme pétrogénétique commun : l’interaction entre le manteau et un agent métasomatique riche en éléments incompatibles.

Toutefois, des variations dans la nature des composants en présence ainsi que des modalités de cette interaction semblent être à l’origine des différences géochimiques observées dans les magmas finaux. Des exemples de ces « sanukitoïdes marginaux » ont fait l’objet d’une partie de ce travail et sont présentés dans le Chapitre 5. Il s’agit d’ailleurs de magmas assez particuliers qui ne peuvent être comparés à aucun de ceux cités au cours de cette Section, soulignant encore un peu plus la complexité du magmatisme tardi-archéen.

FIGURE 2.14 : Sélection de diagrammes binaires illustrant les différences de composition subtiles

entre sanukitoïdes « vrais » (champ rouge) et « marginaux » (points bleus ; source des données : A11 = Almeida et al., 2011 ; M11 = Mikkola et al., 2011b ; S96 = Sage et al., 1996 ; W04 = Whalen et al., 2004 ; S05 = Steenfelt et al., 2005). Pour indication, le champ en grisé correspond au domaine de

composition couvert par la définition de la suite sanukitoïde proposée par Heilimo et al. (2010).

Amazonian Craton (A11) Karelian Craton (M11) Superior Province (S96 & W04) Greenland (S05)

6 5 4 3 2 1 0 10 8 6 4 2 0 0 40 100 200 500 1000 2000 5000 10000 0 10000 5000 2000 1000 500 200 100 1000 500 100 50 10 5 1 K2 O ( wt .% ) MgO (wt.%) N i + C r (p p m ) Ba (p p m ) Sr (ppm) La (ppm) SiO2 (wt.%) (G d /Y b )N

Field of sanukitoids as expected from the definition

Nordlandet diorites Nag diorites

Nag diorites

Field of natural sanukitoids

2 4 6 8 10 12 14 50 60 70 80