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2.2. Pétrogenèse des sanukitoïdes s.s

2.2.1. L’apport de la géochimie

La richesse des sanukitoïdes de Rainy Lake en Mg et en éléments de transition, ainsi que leurs compositions isotopiques proches de celles du manteau, ont amené Shirey & Hanson (1984) à les interpréter comme des liquides provenant directement de la fusion partielle d’une péridotite mantellique. Cette interprétation est cohérente avec le fait que les sanukitoïdes s.s. ont des Mg# globalement compris entre 0.45 et 0.65, et que ceux de liquides issus de la fusion de matériel crustal, même de nature basaltique, ne dépassent que rarement 0.45 (e.g. Beard & Logfren, 1991 ; Rapp & Watson, 1995 ; Rapp et al., 2003 ; Sisson et al., 2005). Cependant, les sanukitoïdes sont également très riches en éléments incompatibles, en particulier Sr, Ba et les terres rares, des éléments normalement concentrés dans la croûte continentale et nettement appauvris dans le manteau supérieur (voir l’Introduction générale et la Figure 1.2). Stern et al. (1989) ont démontré quantitativement que ces teneurs très élevées ne pouvaient pas provenir

140 120 100 80 60 40 20 0 0

(L

a

/Y

b

)

N

K

2

O/Na

2

O

A rch ae an T TG Post-Archaean granitoids 0.5 1.0 1.5 2.0 2.5

de la contamination d’un magma mantellique par de la croûte préexistante. En effet, il faudrait invoquer des taux de contamination totalement irréalistes pour expliquer ces concentrations, qui résulteraient, le cas échant, en un magma hybride bien plus felsique que les monzodiorites représentatives des sanukitoïdes s.s. De plus, ces auteurs ont également montré qu’il était physiquement et chimiquement impossible de générer des magmas présentant les signatures en éléments traces des sanukitoïdes par fusion partielle d’une péridotite non enrichie, de composition identique au manteau primitif par exemple. Enfin, les suites sanukitoïdes présentent en général une corrélation négative entre la teneur en silice (ou d’autres indices de différenciation) et la concentration en éléments en traces incompatibles, indiquant que les magmas les plus « primitifs » sont aussi les plus « enrichis ». Ces différentes observations ne peuvent s’expliquer que si cette signature riche en éléments incompatibles est d’origine primaire ; ainsi, la source des sanukitoïdes s.s. est clairement un manteau enrichi, issu de l’interaction entre la péridotite d’une part, et un composant riche en éléments incompatibles d’autre part (Shirey & Hanson, 1984 ; Stern et al., 1989 ; Stern & Hanson, 1991).

L’identification de ce composant « enrichi » a posé davantage de problèmes. Initialement, Stern et al. (1989) ont proposé qu’il s’agisse d’un fluide riche en LILE percolant dans la péridotite mantellique, de manière assez similaire à ce qu’il se passe au niveau du manteau sub-arc à l’aplomb des zones de subduction modernes. Une telle interprétation a été plus récemment reprise par Halla (2005) qui a proposé que certains sanukitoïdes du craton Karélien provenaient d’un manteau enrichi en éléments incompatibles par des fluides issus de la déshydratation de sédiments subduits, sur la base de leur signature isotopique en Pb. De même, Lobach-Zhuchenko et al. (2008) ont proposé que les magmas primitifs du complexe de Panozero (Russie) dérivent d’une péridotite hybridée avec des fluides riches en CO2. Ces hypothèses expliquent bien la ressemblance entre les sanukitoïdes s.s. et les andésites magnésiennes de la ceinture volcanique de Setouchi, dans l’arc du Japon. De même, des processus similaires sont invoqués pour rendre compte de la géochimie des suites magmatiques BADR, typiques des zones de convergence de plaques (e.g. Wyllie & Sekine, 1982 ; Tatsumi, 1986, 1989 ; Pitcher, 1987 ; McCulloch & Gamble, 1991 ; Schmidt & Poli, 1998), qui partagent un certain nombre de points communs avec les sanukitoïdes (voir Section 2.1.5). Cependant, les spectres de terres rares des sanukitoïdes sont beaucoup plus fractionnés que ceux des andésites de Setouchi et des autres magmas d’arc en général (e.g. Yogodzinski

et al., 1995 ; Smithies & Champion, 2000), et leurs teneurs en éléments traces incompatibles

globalement plus élevées. Qui plus est, ces hypothèses ne permettent pas d’expliquer la similitude entre les spectres multi-élémentaires des TTG et ceux des sanukitoïdes s.s. (voir Figure 2.7).

FIGURE 2.9 : Sélection de diagrammes illustrant les similitudes entre les compositions des TTG et des

adakites riches en silice (HSA) d’une part, et les sanukitoïdes et les adakites pauvres en silice (LSA) d’autre part. D’après Martin et al. (2005).

Afin de résoudre ce problème, certains auteurs ont invoqué que le composant riche en éléments incompatibles interagissant avec le manteau était un liquide de composition TTG. Cette hypothèse repose notamment sur le parallélisme entre les spectres multi-élémentaires

Late-archaean sanukitoids Archaean TTG High-Silica Adakites (HSA) Low-Silica Adakites (LSA)

14 12 10 8 6 4 2 0 45 M g O ( w t. % ) SiO2 (wt.%) 3500 3000 2500 2000 1500 1000 500 0 S r (p p m ) 0 CaO + Na2O (wt.%) SiO2 (wt.%) 30 25 20 15 10 5 0 N b ( p p m ) 5 4 3 2 1 0 C r / N i 0 TiO2 (wt.%) 50 55 60 65 70 75 45 50 55 60 65 70 75 0.5 1.0 1.5 2.0 2.5 3.0 2 4 6 8 10 12 14

des TTG et des sanukitoïdes (Figure 2.7), qui laisse à penser que les premiers ont joué un rôle dans la genèse des seconds (Smithies & Champion, 2000 ; Moyen et al., 2001 ; Martin et al., 2005). De plus, la géochimie des sanukitoïdes s.s. est plus proche de celle des adakites pauvres en silice (ou LSA pour Low-Silica Adakites ; Martin et al., 2005, 2009) que des andésites magnésiennes et autres sanukites (Figure 2.9). Ces LSA, analogues modernes des sanukitoïdes, sont des magmas d’arc au même titre que les andésites et les sanukites, mais sont censées provenir de l’interaction entre de la péridotite mantellique et des magmas adakitiques riches en silice (ou HSA pour High-Silica Adakites ; Kay, 1978 ; Kelemen et al., 1993 ; Yogodzinski et al., 1995 ; Martin et al., 2005). Or, ces HSA sont, quant à elles, très proches en composition des TTG archéennes (Martin, 1999 ; Martin et al., 2005 ; Figure 2.9). Par conséquent, il est vraisemblable que le lien génétique entre TTG et sanukitoïdes soit le même qu’entre HSA et LSA ; les sanukitoïdes représenteraient donc les produits de l’interaction entre un magma de composition TTG d’autre part, et le manteau d’autre part. Ce modèle a été confirmé par Martin et al. (2009) qui ont reproduit avec succès les compositions en éléments traces des sanukitoïdes (à la fois compatibles et incompatibles) en modélisant l’interaction entre des liquides de composition TTG et de la péridotite mantellique à des taux variables.

Ce modèle pose en apparence des contraintes très fortes sur le contexte géodynamique dans lequel les TTG et les sanukitoïdes sont formés. En effet, pour que l’interaction entre un liquide de composition TTG et le manteau ait lieu, il faut nécessairement que la source des TTG soit géométriquement située sous une certaine épaisseur de manteau, la situation la plus favorable étant naturellement la subduction (Martin, 1986, 1999 ; Smithies & Champion, 2000 ; Martin et al., 2005). Vue sous cet angle, l’occurrence des sanukitoïdes est dans la continuité de l’évolution séculaire de la composition des TTG au cours de l’Archéen : en effet, ceux-ci montrent un enrichissement en Sr d’une part, Mg, Ni et Cr d’autre part, qui reflèteraient respectivement l’augmentation de la profondeur de fusion et des interactions de plus en plus intenses avec le manteau (Smithies, 2000 ; Martin & Moyen, 2002).