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2.1. Les sanukitoïdes

2.1.4. Géologie et pétrographie

La plupart des auteurs ont mis en évidence le fait que les sanukitoïdes sont généralement des complexes magmatiques composites où coexistent plusieurs phases magmatiques. Les roches les plus fréquentes sont des monzodiorites, des granodiorites et des monzonites à quartz, dont les textures varient d’équigranulaires à porphyroïdes et la taille de grain de moyen (0.1–1 cm) à grossier (>1 cm) (Figure 2.5). Elles sont généralement méso- à mélanocrates, traduisant leur caractère « mafique » (magnésien, en particulier). Ces deux faciès coexistent avec une large gamme de magmas, depuis des gabbros jusqu’à des leucogranites, qui apparaissent sous forme de petites intrusions, de lentilles ou de filons, parfois intrusifs, parfois comagmatiques avec les phases principales. Par exemple, les sanukitoïdes de la province du Supérieur sont fréquemment associés à des stocks de roches mafiques à ultramafiques comme des gabbros et des clinopyroxénites (Stern et al., 1989 ; Sutcliffe et al., 1990). D’autres sont recoupés par des filons et des masses de magmas mafiques ultrapotassiques comme des lamprophyres ; c’est le cas des complexes de Panozero en Russie (Lobach-Zhuchenko et al., 2008) et de Roaring River au Canada (Stern et al., 1989), du batholite de Closepet en Inde du Sud (Moyen et al., 2001) ainsi que du pluton de Bulai en Afrique du Sud (Chapitre 4).

Une caractéristiques des phases felsiques, en particulier des granodiorites, est la présence systématique d’enclaves microgrenues sombres (Microgranular Mafic Enclaves ou MME ; Figure 2.5) dont la composition est proche de celle des termes plus mafiques auxquelles les granodiorites sont associées. Cette particularité atteste du caractère comagmatique des différentes phases et suggère que celles-ci ont potentiellement interagi, voire se sont hybridées (e.g. Moyen et al., 2001). Ces conclusions sont parfois étayées par la présence de textures typiques de l’hybridation entre deux magmas de compositions différentes, telles que des ocelles de quartz dans les phases mafiques ou des feldspaths présentant une texture rapakivi (manteau de plagioclase autour des phénocristaux de feldspath potassique) dans les phases felsiques. Par ailleurs, la présence occasionnelle d’enclaves de cumulats (e.g. Stern & Hanson, 1999 ; Moyen et al., 2001) indique que les différents faciès magmatiques sont potentiellement apparentés par des processus de différenciation.

Les sanukitoïdes sont généralement intrusifs dans les formations plus anciennes (gneiss de composition TTG ou roches supracrustales typiques des ceintures de roches vertes). Ils

forment ainsi des massifs bien circonscrits, quoique de taille très variable : certains massifs du craton de Pilbara (Smithies & Champion, 2000) ou de la province du Supérieur (Sutcliffe et

al., 1990 ; Sage et al., 1996) ne font que quelques kilomètres de diamètre, alors que le

batholite de Closepet, dans le craton de Dharwar, est long de plusieurs centaines de kilomètres (Jayananda et al., 1995 ; Moyen et al., 2003b). D’autre part, leur intrusion est, en général, syn- à post-tectonique : certains massifs montrent en effet une déformation pénétrative synchrone de la mise en place (Figure 2.5), en particulier, une foliation subverticale soulignée par l’alignement des feldspaths potassiques dans le cas des phases porphyroïdes (Stern, 1989 ; Frost et al., 1998 ; Moyen et al., 2003b ; Halla, 2005 ; Wang et al., 2009). Parfois, l’intrusion suit même un contrôle tectonique très marqué, le long ou à proximité de grandes structures d’échelle crustale ; par exemple, le batholite de Closepet s’est mis en place au niveau d’une zone de cisaillement majeure et pendant l’activité de celle-ci (Moyen et al., 2003b). Enfin, certaines intrusions sont zonées, comme le complexe de Panozero (Lobach-Zhuchenko et al., 2008), qui présente des phases de plus en plus différenciées de la bordure vers le cœur.

Du point de vue pétrographique, les sanukitoïdes sont caractérisés par un assemblage minéralogique remarquablement homogène, quel que soit la région considérée. Ainsi, les minéraux mafiques sont toujours représentées par des phases calciques, clinopyroxène et/ou hornblende magnésienne, coexistant avec la biotite (attestant du caractère potassique de ces roches). La stabilité de ces deux derniers minéraux indique que les sanukitoïdes sont des magmas relativement riches en eau : par exemple, la présence d’amphibole magmatique implique des concentrations en H2O supérieures à ~4% en poids (e.g. Naney, 1983 ; Dall’Agnol et al., 1999 ; Costa et al., 2004 ; Bogaerts et al., 2006). Fréquemment, on observe une évolution de la minéralogie mafique des termes les moins différenciés aux phases les plus acides, avec remplacement du clinopyroxène par l’amphibole, et de cette dernière par la biotite (e.g. Sutcliffe et al., 1990 ; Smithies & Champion, 2000). L’orthopyroxène est parfois présent dans les termes les plus mafiques, mais ne semble pas être systématique.

Ces minéraux sombres forment souvent de petits agrégats, donnant aux sanukitoïdes une texture tachetée très caractéristique. Ces agrégats sont pris dans une matrice quartzo-feldspathique, où le plagioclase a une composition étonnamment constante, non seulement à l’échelle d’une intrusion donnée, mais aussi en ce qui concerne l’ensemble des sanukitoïdes mondiaux. En effet, il s’agit la plupart du temps d’oligoclase ou d’andésine (An15 à An40),

quel que soit le faciès considéré (e.g. Stern, 1989 ; Stern & Hanson, 1991 ; Jayananda et al., 2000 ; Smithies & Champion, 2000 ; Yang et al., 2008). Seuls les cristaux présents dans certaines roches mafiques associées (gabbros, clinopyroxénites), ou certains cœurs de plagioclase dans les termes les plus mafiques, possèdent des compositions plus calciques (>An50).

FIGURE 2.5 : Les aspects pétrographiques principaux des sanukitoïdes : granodiorites et

monzodiorites équigranulaires à grain fin (a = Rio Maria, Brésil ; Oliveira et al., 2008 et b = Mallina, Australie ; photo O.L.) et granodiorites porphyroïdes (c = Closepet, Inde, faciès déformé ; photo J.F.

Moyen et d = Bulai, Afrique du Sud ; photo O.L.). Noter l’abondance des enclaves mafiques.

Les minéraux accessoires sont très abondants dans les sanukitoïdes. Les plus abondants sont également des phases calciques : l’apatite est omniprésente, le sphène fréquent, et, occasionnellement, une épidote d’origine magmatique peut être présente en quantités significatives (e.g. Oliveira et al., 2008). Tous les faciès sont également riches en zircon et en allanite. Enfin, les oxydes de ferro-titanés sont également toujours présents, et l’ilménite coexiste généralement avec la magnétite, indiquant que les sanukitoïdes proviennent

vraisemblablement de la cristallisation de magmas relativement oxydés. Il faut noter que toutes ces phases accessoires sont la plupart du temps associées aux agrégats mafiques décrits ci-avant. Certaines intrusions sont caractérisées par des quantités non négligeables de carbonates, en particulier de calcite, indiquant que la phase fluide à l’équilibre avec le magma était riche en CO2 (e.g. Lobach-Zhuchenko et al., 2005).

2.1.5. Géochimie

La composition en éléments majeurs des sanukitoïdes est résumée dans la Figure 2.6.

FIGURE 2.6 : Quelques aspects de la géochimie des éléments majeurs des sanukitoïdes. (a) Diagramme

A/NK vs. A/CNK [rapports molaires Al2O3/(Na2O+K2O) et Al2O3/(CaO+Na2O+K2O] (Shand, 1943) ;

(b) Triangle Na–K–Ca (Barker & Arth, 1976) ; (c) Diagramme Mg# vs. SiO2 ; (d) Diagramme K2O vs.

SiO2 où sont représentées les différentes séries définies par Peccerillo & Taylor (1976). Les sanukitoïdes sont représentés par les points rouges, le champ hachuré correspond aux compositions

des TTG archéennes (données de Moyen, 2011) et le champ en pointillés à une compilation de

Peraluminous Tholeiite Series Calc-Alkaline Series 0 40 A /N K A/CNK Na Ca K M g # SiO2(wt.%) SiO2(wt.%) K2 O ( w t. % ) Metaluminous Peralkaline Peraluminous Tholeiite Series Calc-Alkaline Series High-K Calc-Alk. Series Shoshonite Series Differentiation trends : Calc-Alkaline Trondhjemitic (a) (b) (c) (d) 3.0 2.5 2.0 1.5 1.0 0.5 0 1.4 1.2 1.0 0.8 0.6 0.4 0.2 50 60 70 80 40 50 60 70 80 0.8 0.6 0.4 0.2 0 7 6 5 4 3 2 1 0

Les sanukitoïdes sont des magmas métalumineux (A/CNK <1.1, avec A/CNK = rapport molaire Al2O3 / [CaO+Na2O+K2O]) (Figure 2.6a), évoluant majoritairement selon une lignée de différenciation calco-alcaline (Figure 2.6b), et d’affinité magnésienne au sens de la nomenclature préconisée par Frost et al. (2001). Celle-ci est d’ailleurs confirmée par des valeurs de Mg# comprises globalement entre 0.45 et 0.65 (Figure 2.6c), quelque soit le niveau de saturation en silice. D’autre part, une grande partie des échantillons se répartit dans le champ des séries calco-alcaline potassique et shoshonitique dans le diagramme K2O vs. SiO2

de Peccerillo & Taylor (1976) (Figure 2.6d). Ces deux dernières caractéristiques mettent clairement en évidence l’affinité « magnésio-potassique » des magmas de la suite sanukitoïde. Même si on remarque un certain recouvrement entre leurs champs de composition respectifs, les sanukitoïdes se distinguent assez nettement des TTG archéennes, qui présentent une affinité trondhjémitique très nette, couvrent une gamme de composition en SiO2 plus faible et présentent des Mg# et des teneurs en K2O moindres pour une teneur en silice équivalente. Par contre, il apparaît que la composition en éléments majeurs des sanukitoïdes est plus proche de celle des granitoïdes calco-alcalins post-archéens, notamment ceux mis en place en contexte de convergence de plaques (série BADR pour Basalt–Andesite–Dacite–Rhyolite) ou à la fin des épisodes de collision continentale. Par exemple, ils sont comparables à certains plutons tardi-orogéniques tels que les granitoïdes magnésiens de l’hercynien des Alpes et de Corse décrits par Debon & Lemmet (1999) et Bonin (2004), ou les granites phanérozoïques d’Écosse récemment étudiés par Fowler & Rollinson (2012).

La signature en éléments traces de la suite sanukitoïde est quelque peu paradoxale. En effet, ce sont des magmas qui, en plus d’être magnésiens, sont généralement riches en éléments de transition (Ni, Cr, V, Co), mais également très riches en éléments incompatibles, que ce soit les LILE (Rb, Ba, Sr), les terres rares (La–Lu) ou les éléments à fort potentiel ionique (High Field Strength Elements ou HFSE : Y, Zr, Nb, Hf, Ta, Th, U). De plus, leur spectre de terres rares est généralement très fractionné, comme ceux des TTG (LaN/YbN = 10– 100), et tout comme ces derniers, ils présentent des anomalies négatives marquées en Nb et Ti. Ainsi, leurs spectres multi-élémentaires et de terres rares sont globalement parallèles à ceux des TTG archéennes, mais à des concentrations plus élevées (Figure 2.7). Cependant, tout comme les granitoïdes post-archéens, les membres de la suite sanukitoïde montrent des anomalies plus ou moins marquées en Eu (0.4 < EuN/Eu* < 1).

FIGURE 2.7 : Spectre multi-élémentaire (à gauche) de concentrations normalisées au manteau primitif

(McDonough & Sun, 1995) et spectre de terres rares (à droite) de concentrations normalisées aux chondrites (McDonough & Sun, 1994) pour les sanukitoïdes et les TTG archéennes. Noter le parallélisme des spectres (sauf pour Cs et U), à des concentrations plus élevées pour les sanukitoïdes.

Pour résumer, en plus de présenter des caractéristiques transitionnelles en termes d’âge, les sanukitoïdes sont aussi intermédiaires en termes de composition chimique entre les séries TTG archéennes et les granitoïdes mis en place après 2500 Ma. Typiquement, leur signature en éléments en traces les rapprochent globalement des TTG, alors que leur composition en éléments majeurs est clairement plus proche des granitoïdes calco-alcalins post-archéens. Ce caractère transitionnel est bien illustré par un diagramme où le fractionnement des terres rares (rapport La/Yb normalisé à la valeur chondritique) est exprimé en fonction du rapport K2O/Na2O (Figure 2.8).