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La transition Archéen-Protérozoïque

1.5. Évolution de quelques autres paramètres géologiques

Cette partie résume d’autres changements survenus à la TAP et qui n’ont pas été enregistrés par un système géologique dans son ensemble (par exemple, la croûte continentale, le manteau, l’atmosphère…) mais dont l’interprétation va dans le sens d’une évolution des mécanismes géodynamiques à la fin de l’Archéen. Par exemple, les données d’isotopes de l’oxygène dans les zircons extraits de granitoïdes crustaux trahissent des évolutions sensiblement différentes entre les régimes archéens et modernes. Valley et al. (2005) ont ainsi montré que le δ18O (=[18O/16Oech / 18O/16Ostd – 1] × 1000) des zircons archéens étaient globalement compris dans une gamme assez restreinte entre +5‰ et +8‰, proche des valeurs typiques du manteau (5 à 6‰ ; Figure 1.17). En revanche, à partir de ~2500 Ma, les valeurs maximales caractérisant les données montrent une évolution croissante avec le temps jusqu’à des valeurs dépassant +10‰ (Figure 1.17). Les isotopes de l’oxygène étant particulièrement sensibles aux processus d’interactions avec l’hydrosphère, ces variations ont été interprétées comme révélant une augmentation progressive de la proportion de matériaux sédimentaires dans la source des granitoïdes (Valley et al., 2005).

FIGURE 1.17 : Composition isotopique de l’oxygène des zircons (exprimés sous forme de la notation

δ18O) extraits de granitoïdes crustaux pour une large gamme d’âges (Valley et al., 2005). Le champ

vert correspond à la gamme de composition isotopique du manteau terrestre.

Une autre interprétation possible serait que ces variations reflètent non pas une augmentation de la proportion, mais plutôt une évolution de la composition en isotopes de l’oxygène du pôle « sédimentaire » dans la source des matériaux granitiques. En effet, les roches sédimentaires archéennes, du fait de leur immaturité, ont généralement des valeurs de δ18O plus faibles que leurs équivalents modernes (Lowe, 1994 ; Veizer & McKenzie, 2003), ce qui pourrait expliquer cette gamme de δ18O beaucoup plus restreinte à l’Archéen. Toutefois, même si l’évolution séculaire du signal de δ18O reflète celle de la composition des sédiments, un tel modèle n’est pas dépourvu d’implications puisqu’il marque l’avènement de roches sédimentaires de plus en plus évoluées après 2500 Ma et donc, la maturation progressive de la croûte continentale.

Par ailleurs, les données disponibles sur le manteau lithosphérique, quoique beaucoup plus discontinues que l’enregistrement crustal, montrent également une évolution entre l’Archéen et le Protérozoïque. Premièrement, les xénolithes de péridotites cratoniques possèdent des compositions chimiques bien distinctes des péridotites d’âge inférieur à 2500 Ma, que ce soit les xénolithes dans les laves intraplaques, les péridotites abyssales ou orogéniques. En particulier, elles sont très pauvres en Al2O3, CaO, FeO et présentent un Mg# très élevé, compris entre 0.90 et 0.94 (Boyd, 1989, 1997 ; Pearson et al., 2003). Ces caractéristiques

amènent à les considérer comme des résidus de fusion partielle, à partir desquels de grande quantité de liquide ont été extraits (Boyd, 1989) : par exemple, les péridotites échantillonnées par la kimberlite d’Udachnaya, dans le craton sibérien, résultent de l’extraction de 30 à 45% de liquide à des pressions allant de 10 à 50 kbar (Ionov et al., 2010). Ces observations sont très cohérentes avec les conditions thermiques supposées du manteau archéen, beaucoup plus « chaudes » qu’aujourd’hui et donc susceptibles de subir des taux de fusion bien plus importants (voir Section 1.2.1).

Un autre aspect intéressant de la géochimie des xénolithes cratoniques réside dans leur composition isotopique 187Re/187Os. En effet, le 187Re (radioactif) est un élément incompatible qui aura tendance à être incorporé préférentiellement dans le liquide lors d’un épisode de fusion, alors que le 187Os (radiogénique) présente le comportement inverse et sera fortement fractionné dans les phases résiduelles. Ainsi, il est possible de calculer des âges d’appauvrissement en Re (TRD pour Time of Re Depletion) sur la base de la composition isotopique 187Os/188Os. Il est intéressant de noter que beaucoup de xénolithes cratoniques enregistrent des TRD entre 2500 et 2900 Ma (Pearson et al., 2002 ; Carlson et al., 2005 ; Figure 1.18), c’est-à-dire pendant la TAP. Par conséquent, il semblerait que le manteau lithosphérique ait subi un épisode de fusion majeur à la fin de l’Archéen (Condie & O’Neill, 2010). FIGURE 1.18 : Répartition temporelle des âges d’appauvrissement en Re (TRD) de péridotites cratoniques (Condie & O’Neill, 2010, d’après des données de Pearson et al., 2002 et Carlson et al., 2005) 1 1.5 2 2.5 3 3.5 4 4.5 0 5 10 15 20 25 30 35 40

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2.7 Ga Cratonic mantle xenoliths N = 155

Enfin, des données géophysiques apportent également des informations intéressantes sur la TAP. Par exemple, en ce qui concerne la géométrie globale de la croûte : Durrheim & Mooney (1991) ont ainsi montré qu’en moyenne, la croûte archéenne était ~20% moins épaisse que son homologue protérozoïque (35 et 45 km, respectivement) et ne présentait pas, à sa base, de couche caractérisée par des vitesses d’ondes P supérieures à 7 km·s–1. Ces auteurs interprètent ces différences comme résultant soit de processus primaires, acquis lors de la genèse de la croûte (la croûte archéenne serait un produit direct de la fusion du manteau, sans passer par un intermédiaire basaltique) ou secondaires (le manteau lithosphérique cratonique est très peu fertile et ne peut donc pas générer de liquides basaltiques susceptibles d’être sous-plaqués). D’autre part, les propriétés magnétiques d’échantillons provenant du craton du Kaapvaal et de la province du Supérieur, âgés de 2700 à 2100 Ma, montrent une modification significative de l’intensité du champ magnétique terrestre à cette période. Ainsi, de globalement similaire à celle d’aujourd’hui pendant l’Archéen (voire plus faible), cette intensité a augmenté jusqu’à 4 fois la valeur actuelle dans cet intervalle de temps (Hale, 1987), avant de décroître à nouveau. Ces données indiquent que la dynamique du noyau terrestre, source du champ magnétique, a également connu des perturbations majeures autour de la TAP.

FIGURE 1.19 : Evolution de l’intensité du champ magnétique terrestre en fonction du temps (modifié

d’après Breuer & Spohn, 1995 et Hale, 1987). En jaune : mesures ; en rouge : extrapolation. 0 1 2 3 4 0 1 2 3 4

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Hadean A r c h a e a n P r o t er o z o ic Phan.

1.6. Synthèse

A la lumière des données présentées ci-dessus, il apparaît clairement que le régime thermique terrestre ainsi que de nombreux paramètres caractérisant la croûte continentale (conditions métamorphiques, style de déformation, nature lithologique et composition chimique), mais aussi le manteau, les enveloppes externes et même le noyau, ont évolué significativement à la fin de l’Archéen. Si, pour certains d’entre eux, l’évolution est plutôt continue (c’est le cas par exemple de l’évolution des gradients métamorphiques ou des styles orogéniques), d’autres en revanche ont brutalement changé autour de la TAP. C’est typiquement le cas de la nature et de la composition des granitoïdes crustaux, cible de cette étude et qui reflète directement les mécanismes d’extraction et de différenciation interne de la croûte continentale. Ainsi, il apparaît sans équivoque que ces mécanismes ont rapidement changé à la fin de l’Archéen.

Il est notable que les processus d’extraction de la croûte continentale archéenne, en particulier des séries de type TTG qui en constituent l’essentiel du volume, sont encore matière à controverse. Comme décrit dans la Section 1.3.3, les données géochimiques et expérimentales s’accordent pour conclure que les TTG proviennent de la fusion d’une source métabasaltique hydratée, laissant un résidu sans plagioclase mais contenant grenat, amphibole et, éventuellement, rutile. En revanche, le contexte géodynamique dans lequel ces TTG se forment est toujours un sujet très débattu. Sur la base de leur affinité géochimique avec les adakites, des conditions P–T nécessaire à leur genèse ainsi que leur évolution de composition au cours de l’Archéen, certains auteurs suggèrent que les TTG proviennent de la fusion de croûte océanique dans des zones de subduction plus « chaudes » qu’aujourd’hui (Martin, 1986, 1994 ; Defand & Drummond, 1990 ; Foley et al., 2002 ; Martin & Moyen, 2002 ; Rapp

et al., 2003 ; Martin et al., 2005). D’autres, en revanche, proposent que les TTG sont issus de

la fusion ou de la cristallisation de matériel basaltique à la base d’une croûte mafique épaissie, par exemple analogue à un plateau océanique moderne, à l’aplomb de panaches mantelliques (Kröner, 1991 ; Smithies, 2000 ; Whalen et al., 2002 ; Bédard et al., 2003 ; Smithies et al., 2005 ; Bédard, 2006 ; van Kranendonk et al., 2007 ; Willbold et al., 2009). En fait, les deux hypothèses ne sont pas mutuellement exclusives et il ne semble pas y avoir de contexte géodynamique « typique » pour la genèse de la croûte archéenne, chaque craton présentant ses

spécificités. De même, Halla et al. (2009) et Moyen (2011) ont démontré que la géochimie des TTG était plus complexe qu’elle n’y paraît au premier abord et reflète en réalité une assez large gamme de sources (quoique toujours constituées de roches mafiques ignées) et de profondeurs de fusion.

Quoi qu’il en soit, cette controverse n’a pas de conséquence directe sur la conclusion principale de cette synthèse, puisque quel que soit le modèle qu’on retiendra pour expliquer la croissance crustale durant l’Archéen, celle-ci sera clairement différente de celles invoquées pour extraire la croûte continentale du manteau depuis le Protérozoïque. En effet, comme nous l’avons discuté dans la Section 1.3.3, la majorité des granitoïdes plus récents (mis en place depuis 2500 Ma) montrent des caractéristiques géochimiques bien distinctes des TTG, suggérant une fusion à plus faible profondeur et une source plus enrichie en éléments incompatibles qu’à l’Archéen.