• Aucun résultat trouvé

La transition Archéen-Protérozoïque

1.3. L’enregistrement par la croûte continentale

1.3.2. Évolution des styles orogéniques

La comparaison des orogènes « modernes » d’une part, et précambriens d’autre part, a toujours été matière à débat, celui-ci étant centré sur l’existence ou non de la tectonique des plaques à l’Archéen, et le cas échant, du moment où elle a commencé à opérer. Dans cette optique, de nombreux auteurs ont interprété des structures archéennes comme résultant de processus similaires à la tectonique des plaques telle qu’on l’observe aujourd’hui, suscitant souvent des controverses intenses (e.g. Cawood et al., 2006). Ainsi en est-il de l’exemple célèbre de la Province du Supérieur au Canada, où une partie du profil sismique « Lithoprobe » (Figure 1.11) a révélé l’existence de nombreux réflecteurs sismiques sub-horizontaux (Calvert et al., 1995). Certains auteurs ont interprété ceux-ci comme étant des chevauchements accommodant l’accrétion de nombreux sous-ensembles crustaux de petite taille (Figure 1.11), dont la nature lithologique et géochimique rappelle des arcs insulaires modernes (Kerrich & Polat, 2006). Ce processus est assez similaire à celui qui a accommodé l’assemblage des blocs crustaux de l’ouest américain durant le Mésozoïque, montrant qu’une tectonique proche du régime actuel pouvait avoir lieu à l’Archéen. De même, la signature géochimique « d’arc » qui caractérise de nombreuses laves archéennes amène souvent à les interpréter comme s’étant formées dans un contexte de subduction (e.g. Polat, 2009 ; Jenner et

al., 2009). Néanmoins, Willbold et al. (2009) reportent la présence de dacites calco-alcalines

avec des signatures géochimiques « d’arc » (en particulier, des teneurs élevées en Rb, Sr, Ba et des anomalies négatives en Nb et Ti) en Islande, où ces auteurs attribuent leur présence à des processus de différenciation des basaltes océaniques et non de subduction. Bien que très controversé, car ces laves ne montrent pas toutes les caractéristiques chimiques typiques des TTG (e.g. Martin et al., 2010), cet exemple démontre que les interprétations géodynamiques de l’enregistrement géologique archéen sont souvent ambivalentes.

FIGURE 1.11 : Profil sismique Lithoprobe au travers des sous-provinces de l’Abitibi, Opatica et

Nemiscau dans la province du Supérieur au Canada (haut) et son interprétation (bas) en termes de structures principalement horizontales, avec reliques d’un « slab » d’âge archéen (modifié d’après

Calvert et al., 1995).

Si certaines structures archéennes sont ambigües au regard des processus mis en œuvre lors de leur formation, il en est d’autres qui ne trouvent aucun équivalent moderne et définissent donc l’Archéen comme une période « à part » de l’histoire de la Terre. Ainsi, l’une des caractéristiques les plus marquantes de la croûte archéenne, et que l’on ne retrouve pas en proportions comparables chez son homologue moderne, est la structure en dôme et bassins (Figure 1.12a) observée dans plusieurs cratons (en particulier : les cratons de Dharwar en Inde, de Pilbara et de Yilgarn en Australie, le bouclier Baltique ainsi que le craton du Zimbabwe ; voir Chardon, 1997 et références associées). Celle-ci est définie par des corps circulaires ou ellipsoïdaux de grande taille (jusqu’à 100 km de diamètre), de nature granito-gneissique, caractérisés par une foliation en dôme, c’est-à-dire dont le pendage augmente lorsqu’on approche du bord de la structure. Ces dômes sont séparés les uns des autres par des ceintures de roches vertes, autrement dit des formations supracrustales de nature volcano-sédimentaire, formant des structures synclinales assez profondes (jusqu’à ~10 km aujourd’hui et ~20 km en paléo-profondeur ; Bouhallier et al., 1995). Un consensus global attribue ces structures à un phénomène essentiellement gravitaire, où le gradient de densité inverse entre

les granitoïdes et les roches supracrustales qui les recouvrent (très denses car riches en laves ultramafiques et BIFs) provoque la subsidence de ces dernières sous forme de « diapirs inverses » (Bouhallier et al., 1995 ; Chardon et al., 1996 et références associées ; Van Kranendonk et al., 2004 ; Figure 1.12b). Ce processus serait facilité par des mécanismes de type « pop-down », où le raccourcissement horizontal et la transpression jouent un rôle prépondérant (Parmenter et al., 2006 ; Cagnard et al., 2006b), et favorisé par le réchauffement de la croûte occasionné par le sous-placage de magmas mafiques (Chardon, 1997 ; van Kranendonk et al., 2004). Quoi qu’il en soit, ces structures et les mécanismes responsables de leur genèse sont rares au sein des terrains post-archéens, où ils restent difficiles à interpréter dans le cadre de la tectonique des plaques telle qu’elle opère aujourd’hui.

FIGURE 1.12 : Structure en dômes et bassins dans le craton de Pilbara, en Australie Occidentale. (a)

Image satellite et carte géologique associée ; (b) Mécanisme de formation. Modifié d’après Van Kranendonk et al. (2004).

Outre cette singularité archéenne que constituent les structures en dômes et bassins, la géométrie d’ensemble des terrains archéens est très différente de ceux qui résultent de processus tectoniques gouvernés par la tectonique des plaques. Dans le cadre de celle-ci, les zones de convergence sont marquées par des chaînes de collision linéaires d’ampleur continentale (plusieurs centaines, voire milliers de km de long ; système des Andes, des Cascades, Alpes, Himalaya, etc.). Elles sont caractérisées par un épaississement crustal

important (>40 km) accommodé par des zones de chevauchement sub-horizontales qui « focalisent » la déformation (Gapais et al., 2009 et références associées). Enfin, on y retrouve toujours une « polarité » systématique des structures et des associations lithologiques (bassins d’avant-pays, zones externes peu métamorphiques, zones internes métamorphiques et ceinture magmatique, bassin d’arrière-pays), témoignant de la succession des évènements ayant contribué à construire ces orogènes dans le cadre de la tectonique des plaques (Windley, 1984a). De telles structures sont rares avant 2500 Ma, pour ne pas dire inexistantes. En effet, les terrains granito-gneissiques archéens montrent souvent une déformation pénétrative sous la forme d’une foliation sub-verticale, d’une remarquable homogénéité à grande échelle. De même, de grandes zones de cisaillement ductile de même orientation sont associées au collage transpressif de petits blocs continentaux sans que celui-ci engendre un épaississement crustal significatif (Bouhallier et al., 1995 ; Choukroune et al., 1995 ; Cagnard et al., 2007 ; Chardon

et al., 2009).

Ces deux types orogéniques semblent constituer deux cas extrêmes (Figure 1.13) comme l’ont proposé Ellis et al. (1998) et Chardon et al. (2009) : les orogenèses « froides » (CO pour

Cold Orogens) et les « ultra-chaudes » (UHO pour Ultra-Hot Orogens). Les différences entre

les deux types seraient liées à la température globale de la croûte, très chaude donc « ductile », résistant moins à la déformation et incapable de s’épaissir dans le cas des UHO (Rey & Coltice, 2008). La distinction apparaît également quant aux mécanismes d’exhumation de roches profondes, accommodés par des processus principalement tectoniques dans le cas des CO, et principalement gravitaires dans le cas des UHO (Gapais et

al., 2009 ; Thébaud & Rey, 2012). Il existe plusieurs intermédiaires entre ces deux cas

extrêmes (voir la discussion dans Chardon et al., 2009, et la Figure 1.13), mais tous les auteurs s’accordent à dire que les orogenèses « chaudes » prédominaient à l’Archéen alors que les chaînes de collision développées depuis le Protérozoïque sont principalement de type « froides ». En fait, Cagnard et al. (2011) estiment que la transition a eu lieu entre 2100 et 1700 Ma (donc au Protérozoïque), période où les deux types orogéniques (et leurs intermédiaires) coexistent à la surface du globe. En particulier, ces auteurs ont montré que la ceinture Protérozoïque du Lapland (qui sépare le craton d’Inari du craton Karélien, au nord de la Finlande) présentait des caractéristiques communes aux deux cas susmentionnés, en particulier des zones de focalisation de la déformation en bordure de l’orogène

(chevauchements et zones de cisaillement à faible pendage) et une déformation pénétrative au cœur. Il faut cependant noter que la ceinture granulitique du Limpopo, marquant la collision des cratons du Kaapvaal et du Zimbabwe en Afrique australe, présente des caractéristiques structurales similaires, mais un âge tardi-archéen (~2700 Ma ; e.g. Roering et al., 1992). L’existence de trajets P–T très semblables entre les granulites du Lapland et du Limpopo va dans le sens de cette observation (Perchuk et al., 2000b), suggérant que la « transition » entre orogenèses « chaudes » et « froides » a peut-être commencé dès la fin de l’Archéen.

FIGURE 1.13 : Les deux cas extrêmes de styles orogéniques (UHO et CO) et leurs intermédiaires,

d’après le modèle de Chardon et al. (2009).