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2.1. Les sanukitoïdes

2.1.1. Définition historique

Shirey & Hanson (1984) ont étudié la suite magmatique de Rainy Lake, dans la province du Supérieur au Canada (Figure 2.1), constituée de roches plutoniques (diorites, granodiorites) et volcaniques (trachyandésites, rhyodacites) d’âge archéen (2680–2750 Ma) mais qui ne pouvaient en aucun cas être rattachées au groupe des TTG au regard de leur pétrographie et de leur géochimie. En effet, leur nature, leur minéralogie et, dans une certaine mesure, leur composition en éléments majeurs rappelaient davantage des andésites magnésiennes mises en place au Miocène dans la ceinture volcanique de Setouchi, au sud-ouest du Japon, et connues sous le nom de sanukites (Tatsumi & Ishizaka, 1982). Toutefois, les roches identifiées dans la province du Supérieur s’en distinguent, non seulement de par leur âge archéen, mais aussi par leur occurrence principalement plutonique et par des compositions en éléments majeurs et traces différentes (en particulier des concentrations beaucoup plus élevées en potassium et autres éléments incompatibles). Ceci amena Shirey & Hanson (1984) à les qualifier de « sanukitoïdes ».

Il faut noter que ce ne sont pas Shirey & Hanson (1984) qui ont « découvert » ces roches, connues depuis longtemps dans les terrains archéens comme étant bien différentes des TTG, notamment en raison de leur nature potassique et de leur caractère intrusif dans celles-ci. En effet, des sanukitoïdes avaient déjà été décrits en Finlande, dans le craton Karélien : il s’agit d’un ensemble de granitoïdes mis en place autour de ~2500 Ma et regroupés sous la terminologie de « granodiorites de type Arola » (Blais et al., 1977 ; Vidal et al., 1980 ; Martin

et al., 1983a,b). Ces roches ont été interprétées, sur la base de leur composition isotopique,

comme provenant du recyclage de croûte continentale préexistante (Martin et al., 1983a,b). Plus particulièrement, ce recyclage serait lié à la fusion partielle de gneiss de type TTG, avec entraînement partiel du résidu pour expliquer la composition relativement mafique des granodiorites de type Arola (Querré, 1985). A l’inverse, Shirey & Hanson (1984) ont démontré que les sanukitoïdes de Rainy Lake provenaient d’une source mantellique, variablement enrichie en éléments incompatibles juste avant la fusion. En cela, leur étude a été pionnière dans le domaine puisqu’ils ont été les premiers à envisager l’existence de granitoïdes archéens dont l’origine était directement mantellique.

FIGURE 2.1 : Localisation, dans la province du Supérieur au Canada, des suites sanukitoïdes de Rainy

Lake et Roaring River à partir desquelles la définition historique de la série a été établie (Shirey & Hanson, 1984 ; Stern et al., 1989). Modifié d’après Stern et al. (1989).

A partir de l’étude du complexe de Roaring River, toujours dans la province du Supérieur au Canada, Richard Stern et ses collaborateurs (Stern, 1989 ; Stern et al., 1989 ; Stern & Hanson, 1991) ont précisé la définition essentiellement comparative de Shirey & Hanson (1984) en une typologie basée sur la composition chimique. D’après ces auteurs, les roches les plus proches des sanukitoïdes miocènes du Japon sont des monzodiorites caractérisées par les critères suivants :

Des teneurs en SiO2 comprises entre 55 et 60% en poids d’oxyde et des concentrations en K2O et MgO supérieures à 1% et 6% en poids, respectivement ;

Un Mg# (Mg/[Mg+Fe2+]) supérieur à 0.6 ;

Des teneurs élevées en éléments de transition et plus particulièrement plus de 100 ppm de Ni et plus de 200 ppm de Cr ;

Des teneurs élevées en éléments lithophiles à grande rayon ionique (LILE pour

Large Ion Lithophile Elements), en particulier Sr et Ba dont les concentrations respectives

doivent dépasser 500 ppm ; Un rapport Rb/Sr inférieur à 0.1 ; CANAD A U.S.A. Wawa Subp.

Quetico Subp.

Wabigoon Su

bp.

Winnipeg River Subp.

Rainy Lake Suite Roaring River Suite Rainy Lake Ca n a da 50 km N Felsic gneisses (mostly TTG) Supracrustal sequences Sanukitoid suites Post-Archaean cover Subprovince boundary Rainy Lake Rainy Lake Suite Roaring River Suite

Winnipeg River Subp.

Wabigoon Su bp.

Quetico Subp.

Wawa Subp.

CANA

DA

Un spectre de terres rares très fractionné et pas d’anomalie négative en Eu.

Au regard du premier critère, les sanukitoïdes sont donc des roches de composition intermédiaire, et plus précisément monzodioritique, d’où leur appellation usuelle de diorites magnésiennes (« high-Mg diorites »), voire de diorites magnésio-potassiques. Il est intéressant de noter que la majorité des roches décrites comme étant des « sanukitoïdes » depuis la publication de cette définition (entre 1991 et 2012) appartiennent en fait à la « suite sanukitoïde » et sont, pour la plupart, des granodiorites. En effet, comme on le voit sur la Figure 2.2, seulement 18 échantillons sur ~600 répondent strictement à la définition géochimique donnée ci-dessus en ce qui concerne les teneurs en silice et magnésium ! Cet exemple illustre notamment le fait que les sanukitoïdes s.s. sont toujours associés, d’une part à des roches ultramafiques, et surtout, d’autre part, à des termes plus différenciés (granodiorites, granites), ces derniers étant souvent bien plus abondants en termes de volume que les monzodiorites.

FIGURE 2.2 : Diagramme MgO vs. SiO2 présentant les compositions de tous les sanukitoïdes décrits comme tels dans la littérature (ronds gris), en comparaison de ceux répondant strictement à la définition donnée par Stern et al. (1989) (ronds rouges). Moins de 5% des échantillons tombent dans le champ correspondant aux critères donnés par cette définition ! Par contre, la majorité d’entre eux

sont décrits par la définition de la suite sanukitoïde introduite par Heilimo et al. (2010).

40 45 50 55 60 65 70 75 10 15 5 M gO ( w t. % ) SiO2 (wt.%) Field of sanukitoids s.s. as defined by Stern et al. (1989) Field of sanukitoid suite

as defined by Heilimo et al. (2010)

Ce problème a été abordé par Stern (1989) : il a introduit le terme de « sanukitoid suite » (suite sanukitoïde), qui comprend des roches dont les concentrations en SiO2 varient entre 55 et 73% en poids et présentant les mêmes caractéristiques géochimiques que les sanukitoïdes

s.s., avec cependant des Mg# plus faibles (0.43–0.59) et des teneurs moindres en Ni et Cr

(maximum 80 et 135 ppm, respectivement). Stern & Hanson (1991) ont ensuite déterminé que ces magmas dérivaient des sanukitoïdes s.s. par cristallisation fractionnée, mais sans conserver la nomenclature de « suite sanukitoïde », ce qui peut expliquer cette confusion apparente entre les deux terminologies. Heilimo et al. (2010) ont récemment remanié la définition de manière à englober non seulement les sanukitoïdes s.s., mais aussi tous leurs produits de différenciation, en se basant sur l’exemple du bouclier Baltique, en Finlande. La définition proposée par ces auteurs est comparée à la définition historique dans le Tableau 2.1. D’après cette comparaison, il apparaît que la définition proposée par Heilimo et al. (2010) englobe à la fois les sanukitoïdes s.s. et leurs produits de différenciation (suite sanukitoïde), et peut donc être considérée, à l’heure actuelle, comme la classification géochimique du groupe des sanukitoïdes la plus pertinente.

Critère de classification Sanukitoïdes s.s. (Stern et al., 1989) Suite sanukitoïde (Stern, 1989) Série sanukitoïde (Heilimo et al., 2010) SiO2 55–60 % pds. 55–73 % pds. 50–70 % pds. K2O >1 % pds. 1–4 % pds. 1.5–5 % pds. MgO >6 % pds. 0.5–6 % pds. 1.5–9 % pds. Mg# >0.6 0.4–0.6 0.45–0.65 Cr >200 ppm 10–135 ppm 20–400 ppm Ni >100 ppm 5–80 ppm 15–200 ppm Sr >500 ppm >500 ppm Sr + Ba > 1400 ppm Ba >500 ppm >500 ppm

Rb/Sr >0.1 Non spécifié Non spécifié

Fractionnement REE Important (critère qualitatif) Important (critère qualitatif) (Gd/Er)N = 2–6

EuN/Eu* ~1 ~1 Non spécifié

TABLEAU 2.1 : Comparaison entre les définitions historiques des sanukitoïdes et de la suite

sanukitoïde (Stern, 1989 et Stern et al., 1989) avec la définition récente proposée par Heilimo et al. (2010).