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La transition Archéen-Protérozoïque

1.2. Évolution du régime thermique

1.2.2. Conséquences sur les gradients métamorphiques

Du fait de l’évolution du régime thermique terrestre décrite dans la section précédente, les terrains d’âge archéen, protérozoïque et phanérozoïque se distinguent également par un enregistrement métamorphique contrasté. Ainsi, les ceintures de roches vertes archéennes enregistrent toujours des conditions de basse à moyenne pression et de moyenne à haute température, généralement dans les faciès amphibolite et granulite (voir par exemple la compilation de Hayashi et al., 2000 et la Figure 1.8), avec des gradients géothermiques apparents équivalents ou supérieurs à ~25°C·km–1 (Percival, 1994). C’est par exemple le cas des amphibolites de la ceinture supracrustale d’Isua, au Groenland, caractérisées par des

conditions P–T comprises entre 5 et 7 kbar pour 380 à 550°C (Komiya et al., 2002), ou encore des granulites du sud du craton de Dharwar, en Inde, équilibrées pour la plupart entre 6 et 8 kbar et 600 à 800°C (compilation dans Moyen, 2001). Certaines provinces métamorphiques enregistrent même des gradients de haute, voire ultra-haute température, cohérentes avec les conditions thermiques extrêmes postulées pour le manteau archéen (voir Section 1.2.1). Par exemple, les granulites de la Zone Marginale Sud de la Ceinture du Limpopo (Afrique du Sud) ont enregistré des conditions de température entre 850°C et 1050°C (Stevens et Van Reenen, 1992 ; Tsunogae et al., 2004) pour une pression inférieure à 9 kbar (Figure 1.8). De manière générale, les données barométriques sur les roches métamorphiques archéennes montrent que les pressions >10 kbar sont très rares, indiquant que l’épaisseur de la croûte continentale archéenne ne dépassait pas 30 à 40 km (Percival, 1994).

Brown (2006) a démontré que l’enregistrement métamorphique changeait clairement à partir de la fin de l’Archéen. En effet, tout au long du Protérozoïque, les ceintures métamorphiques semblent caractérisées par la coexistence de roches de haute pression et température modérée (éclogites « chaudes » ou granulites de haute pression, enregistrant des gradients de 15 à 25°C·km–1), avec des faciès de haute voire ultra-haute température (granulites UHT, représentatives de gradients allant de 30 à 40°C·km–1). Cette dualité semble caractéristique des zones de convergence de plaques actuelles, fournissant des environnements géodynamiques propices à l’établissement de ces deux gradients contrastés (Kelemen et al., 2003 ; Brown, 2006) : la subduction (haute pression) et une croûte continentale épaissie siège d’un magmatisme intense (haute température). D’après Brown (2006), cette dualité serait la « marque de fabrique » de la tectonique des plaques telle qu’on la connaît aujourd’hui.

Enfin, les roches de haute, voire ultra-haute pression (UHP ; P >25 kbar, correspondant à peu près à la transition de phase quartz/coésite) semblent être caractéristiques des zones de subduction–collision très récentes, puisque les plus anciens schistes bleus et éclogites caractérisés par des gradients thermiques <15°C·km–1 sont d’âge Néoprotérozoïque (~700 Ma, groupe d’Aksu au nord-ouest de la Chine ; Liou et al., 1989 ; Nakajima et al., 1990). L’enregistrement métamorphique phanérozoïque est également marqué par la relative rareté des roches granulitiques de haute température par comparaison avec leur abondance au Précambrien. Cependant, ceci pourrait simplement résulter du fait que le niveau d’érosion de

la croûte post-cambrienne est insuffisant pour mettre ces roches à jour. Ainsi, elles formeraient vraisemblablement une grande partie de la croûte inférieure, comme en attestent directement leur présence sous forme de xénolithes dans des laves alcalines intraplaques (Rudnick & Presper, 1990) ou, indirectement, les données de vitesses d’ondes sismiques caractéristiques de roches anhydres à feldspaths et pyroxènes (Rudnick & Fountain, 1995). De même, ces granulites forment potentiellement la racine des grands orogènes cénozoïques, comme par exemple l’Himalaya ou les Andes (Brown, 2006). On retrouverait donc, au Phanérozoïque, cette dualité du métamorphisme Protérozoïque entre des roches de « moyenne à haute pression » et des roches de « moyenne à haute température », mais en beaucoup plus contrastée. FIGURE 1.8 : Diagramme Pression (Profondeur)– Température représentant les conditions P–T de provinces métamorphiques pour une large gamme d’âges (les conditions du pic métamorphique sont considérées), d’après les compilations de Komiya et

al. (2002) pour l’Archéen

et Brown (2006, 2007) pour le Protérozoïque et le

Phanérozoïque. Les

symboles marqués 1 et 2 représentent les conditions P–T d’équilibration des « éclogites archéennes » (Moyen et al., 2006 et Mints et al., 2010, respectivement).

Pour résumer, même si l’évolution de l’enregistrement métamorphique semble globalement continu au cours de l’histoire de la croûte continentale, il apparaît que les roches

0 10 20 30 40 50 0 200 400 600 800 1000 1200

P

re

ss

u

re

(

k

b

a

r)

Temperature (°C)

50 100 150

D

e

p

th

(

k

m

)

~5°C ·km ~1 km ~25°C· km Archaean (>2500 Ma) Mostly Proterozoic (750-2500 Ma) Mostly Phanerozoic (<750 Ma) 1 2 H2O-saturated solidus of granite Eclogite Blueschist Granulite Am ph. Gree nsch .

archéennes sont caractérisées par des conditions P–T plus restreintes que leurs homologues formées après 2500 Ma. En particulier, cette dualité des gradients géothermiques apparents ne semble pas être la norme pendant l’Archéen, dans la mesure où les conditions de pression n’y dépassent que rarement 10 kbar. Ces affirmations sont à nuancer par les découvertes récentes d’éclogites archéennes, en particulier dans la ceinture de roches vertes de Barberton en Afrique du Sud (Moyen et al., 2006) à ~3200 Ma et dans la péninsule de Kola, en Russie (Mints et al., 2010), à ~2870 Ma. Toutefois, il convient de noter que dans les deux cas, il ne s’agit pas d’éclogites « vraies », c’est-à-dire comparables à celles exhumées à l’issue d’un cycle de subduction–collision moderne. En particulier, les conditions P–T enregistrées pour ces roches sont de l’ordre de ~12–15 kbar et ~600–700°C, en-deçà de la réaction de déstabilisation du plagioclase (albite = jadéite + quartz). Elles se retrouvent ainsi dans le champ E–HPG (Medium-temperature Eclogite–High-Pressure Granulite) défini par Brown (2006), ce qui les rapproche davantage des roches de « haute pression » protérozoïques que des éclogites formées dans les zones de subduction actuelles (Figure 1.8). D’ailleurs, les gradients géothermiques obtenus sur ces roches (~15°C·km–1) sont plus élevés que ceux enregistrés par les éclogites phanérozoïques, ce qui traduirait les conditions thermiques plus chaudes du manteau archéen (Mints et al., 2010).

Par contre, on peut également suggérer que l’absence de roches de haute et ultra-haute pression à l’Archéen (et dans une moindre mesure au Protérozoïque) ne signifie pas forcément que ces roches n’ont jamais existé. Par exemple, elle pourrait refléter l’absence d’un mécanisme d’exhumation efficace susceptible de remonter ces roches en surface après leur formation (Brown, 2007). Alternativement, il est également envisageable que même si ces roches ont été exhumées, elles ont depuis été érodées, ce qui semble compatible avec leur observation actuelle dans des chaînes de montagne à haute altitude (par exemple : Mont Viso et Dora Maira dans les Alpes, Tso Morari dans l’Himalaya), relativement instables à long terme.

Quoi qu’il en soit, il apparaît clairement que l’enregistrement métamorphique archéen est dominé par des conditions de haute température. Ces conditions existent aussi au Protérozoïque et au Phanérozoïque, mais les températures atteintes y sont en moyenne plus faibles, et elles résultent vraisemblablement de causes bien distinctes. En effet, les granulites post-archéennes reflèteraient davantage un métamorphisme thermique consécutif à un

épaississement crustal important (dans les racines orogéniques) et/ou du sous-placage d’un large volume de magmas mantelliques (au niveau des marges continentales actives). A l’Archéen, l’origine de ces gradients géothermiques très « chauds » ne peut s’expliquer que par un flux thermique provenant du manteau beaucoup plus important qu’à l’heure actuelle. En effet, la croûte archéenne, du fait de sa ductilité, ne pouvait quasiment pas subir d’épaississement significatif (e.g. England & Bickle, 1984 ; Chardon et al., 2009). De plus, même si on invoque un magmatisme intense en zone de convergence, sous la forme d’intrusions de type TTG, comme étant la source des gradients thermiques élevés de l’Archéen, ce magmatisme provient de la fusion de la croûte océanique et non du manteau sus-jacent, nécessitant donc un régime thermique beaucoup plus intense qu’aujourd’hui (Martin, 1986 ; Defant & Drummond, 1990).