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La transition Archéen-Protérozoïque

1.7. Les causes probables

Cette partie résume les hypothèses principales qui ont déjà été avancées pour rendre compte des changements géodynamiques de la TAP. Certaines d’entre elles seront reprises et discutées tout au long de cette thèse et plus particulièrement dans le Chapitre 7. Globalement, deux styles d’hypothèses s’opposent, celles invoquant des processus à court terme (hypothèses « discrètes ») et d’autres mettant en jeu des mécanismes globaux évoluant tout au long de l’histoire de la Terre (hypothèse « continues »).

1.7.1. Hypothèses « discrètes »

Les hypothèses « discrètes » invoquent principalement une réorganisation de la dynamique du manteau terrestre. La plus populaire est celle qui considère un phénomène de « mantle

overturn », c’est-à-dire une restructuration globale du manteau par l’action conjuguée

d’avalanches froides et de panaches mantelliques (Stein & Hofmann, 1994 ; Davies, 1995 ; Condie, 1998 , Yale & Carpenter, 1998). L’accumulation de matériel éclogitique provenant de croûte océanique subduite, au niveau de la discontinuité à 670 km, provoquerait une « chute » périodique et transitoire de ce matériel dans le manteau profond, initiant des instabilités gravitaires sources de panaches remontant vers la surface (Figure 1.20). Ce modèle a

l’avantage de bien expliquer le caractère épisodique de la croissance crustale, révélé par les distributions statistiques des âges U–Pb de matériaux juvéniles, ainsi que le cycle des supercontinents (Condie, 1998 ; Condie & Aster, 2010). Toutefois, l’absence de « pics » de croissance crustale avant la fin de l’Archéen (le premier survient à 2700 Ma) reflèterait le recyclage abondant du matériel subduit dans la genèse des TTG et donc, son incapacité à s’accumuler à la transition de phase des 670 km (Kemp & Hawkesworth, 2003). Dans cette optique, le premier épisode d’« avalanches froides » n’est pas la cause des changements géodynamiques de la fin de l’Archéen, mais en est plutôt la conséquence. En effet, elle traduirait dans ce cas la transition entre un régime d’extraction de la croûte dominé par les TTG et un régime dominé par des granitoïdes formés en contexte de subduction mais sans invoquer la fusion de la croûte océanique.

FIGURE 1.20 : Le modèle d’ « avalanche froide » : pendant la première phase (à gauche), du matériel

éclogitique dense (d >3.3) est subduit et s’accumule à la transition de phase de 670 km (base du manteau supérieur). Passé un certain seuil, ce matériel « coule » dans le manteau inférieur au cours

de la seconde phase (à droite), provoquant l’assemblage d’un supercontinent en surface et, en profondeur, une instabilité qui génère la remontée de panaches mantelliques chauds. D’après les

modèles de Stein & Hofmann (1994), Davies (1995), Condie (1998) et Yale & Carpenter (1998).

Une autre alternative consiste à considérer une réorganisation de la convection mantellique et, en particulier, le passage d’une convection à deux couches à une convection à une seule couche (Breuer & Spohn, 1995). A noter que ce modèle est finalement assez proche du précédent, dans le sens où la réorganisation de deux à une couche implique un transfert de matériel depuis le manteau supérieur vers le manteau profond, et vice versa. Cependant, la différence majeure est que ce phénomène n’est pas provoqué par la dynamique lithosphérique (accumulation de matériel éclogitique provenant de croûte subduite ou délaminée) mais

km 0 670 2900 Welding of supercontinent "Cold avalanche" Hot Plume Accumulation of eclogitic material

Lower mantle Upper mantle

s’explique dans le cadre de l’évolution thermo-mécanique globale du manteau (Breuer & Spohn, 1995). Quoi qu’il en soit, cette hypothèse explique assez bien le pic de production de croûte continentale à ~2700 Ma ainsi que l’évolution séculaire de certains paramètres, notamment le taux de croissance crustale et l’intensité du champ magnétique.

Enfin, d’autres auteurs proposent que ce n’est pas le manteau qui est le siège d’une réorganisation, mais le noyau, comme l’indique les variations du champ magnétique terrestre à la fin de l’Archéen (voir Section 1.5). Plus particulièrement, la nucléation de la graine (c’est-à-dire du noyau interne solide) serait responsable de ces perturbations magnétiques (Hale, 1987). Ce modèle a été précisé par Kumazawa et al. (1994), qui suggèrent que ces changements dans la stratification du noyau ont induit des perturbations de la couche D’’, source des panaches mantelliques. Ainsi, la formation du noyau interne a probablement été accompagnée d’une recrudescence temporaire de l’activité des panaches, conduisant à une fusion partielle importante du manteau supérieur et la production de larges volumes de croûte continentale. Cette hypothèse est, elle aussi, en bon accord avec la présence d’un pic de croissance crustal à ~2700 Ma (Condie, 1998), qui coïncide également avec l’âge d’appauvrissement médian du manteau lithosphérique sous-cratonique (Pearson et al., 2002 ; Carlson et al., 2005 ; voir Section 1.5).

1.7.2. Hypothèses « continues »

Les modèles impliquant une évolution continue et globale se basent sur un seul et même phénomène : le refroidissement terrestre (e.g. Ernst, 2009). Celui-ci explique l’évolution de la nature et de la géochimie des laves, ainsi que les changements dans les enregistrements lithologiques, métamorphiques et structuraux de la croûte continentale. Un des inconvénients de ce modèle est qu’il ne rend pas bien compte, a priori, de la brutalité dans l’évolution géochimique et pétrographique des granitoïdes crustaux. Néanmoins, celle-ci n’est qu’apparente, dans la mesure où des magmas intermédiaires entre TTG et granitoïdes modernes se mettent en place durant plus de 500 Ma à la TAP (les sanukitoïdes). De plus, les TTG eux-mêmes montrent une évolution séculaire pendant l’Archéen, avec notamment un enrichissement progressif en Sr d’une part, Mg, Ni et Cr d’autre part, ce qui traduirait une augmentation de la pression de fusion et des interactions avec le manteau de plus en plus intenses (Martin & Moyen, 2002). Si on considère que les TTG se forment par fusion de

croûte océanique subduite, cela démontre que la fusion a lieu de plus en plus profondément du fait d’un refroidissement global du système.

Alternativement, on peut aussi avoir recours à des origines plus « locales ». Ainsi, Blake & Groves (1987) ont montré, sur la base de l’étude de séquences tardi-archéennes du craton ouest-australien, que la suite d’évènements qui caractérise la fin de l’Archéen est fondamentalement diachrone d’un endroit à un autre. Ces auteurs attribuent ainsi les changements géodynamiques de la TAP à des causes principalement locales, liées à la stabilisation et la cratonisation finales de portions de croûte continentale. D’autres arguments vont dans le sens de cette hypothèse : ainsi, selon les cratons, les sanukitoïdes se mettent en place entre 3000 et 2500 Ma, mais pendant un laps de temps n’excédant jamais 100 Ma. Ainsi, chaque craton archéen aurait sa « propre » transition Archéen-Protérozoïque, correspondant au moment où la croûte continentale est stabilisée.

Malgré tout, en dépit de son caractère diachrone, l’apparition des sanukitoïdes et roches associées est un processus relativement court, à l’échelle des temps géologiques, et l’origine de ces granitoïdes contraste nettement avec la relative homogénéité des processus archéens (voir les Chapitres 2 et 4 à ce sujet). De même, l’occurrence de ces produits magmatiques bien particuliers est suivie, dans chaque craton, par une période de quiescence relativement longue (plusieurs centaines de Ma) avant le début des épisodes protérozoïques (Condie et al., 2009), ce qui atteste de la nature assez radicale des changements géodynamiques de la fin de l’Archéen. Enfin, même si la TAP ne correspond en fait qu’à la stabilisation finale de chaque craton, il reste à comprendre pourquoi cette stabilisation a lieu, à l’échelle du globe, pendant cette période de temps relativement courte. De ce fait, si un processus « continu » tel que le refroidissement terrestre est à l’origine de l’ensemble de ces changements, il faut invoquer un effet de seuil qui brise la continuité de ce processus, ou alors des conséquences de l’évolution continue qui, elles, présentent un caractère ponctuel dans le temps. Cette discussion est plus largement développée dans le Chapitre 7, et nous y proposerons également des éléments de réponse aux problèmes soulevés dans ce paragraphe.

Chapitre 2

Les sanukitoïdes tardi-archéens et les granites