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2.4. Les questions en suspens

2.4.1. Nature des interactions au niveau mantellique

Le modèle pétrogénétique le plus souvent invoqué pour expliquer la géochimie « paradoxale » des sanukitoïdes repose sur des interactions entre une péridotite mantellique et un composant riche en éléments incompatibles (voir Section 2.2). Néanmoins, de nombreuses incertitudes planent encore sur la nature du composant enrichi ainsi que sur les modalités de cette hybridation. La compréhension de celles-ci est primordiale pour évaluer le contexte

géodynamique dans lequel les sanukitoïdes se forment et pour appréhender leur signification globale dans les changements géodynamiques à la transition Archéen-Protérozoïque.

Sur la base de la ressemblance entre les spectres multi-élémentaires des sanukitoïdes et ceux des TTG, la plupart des auteurs ont conclu que l’agent métasomatique à l’origine de l’enrichissement du manteau était un magma de composition TTG (e.g. Smithies & Champion, 2000 ; Moyen et al., 2001 ; Martin et al., 2005, 2009). Bien que confirmée par les études expérimentales de Rapp et al. (1999, 2010), cette hypothèse n’explique pas toutes les caractéristiques certains sanukitoïdes. Par exemple, un certain nombre d’entre eux, en particulier les high-Ti sanukitoids, montrent une anomalie négative en Eu assez marquée (EuN/Eu* = 0.4–1.0). Celle-ci est présente même dans les termes les moins différenciés et n’est pas corrélée à la teneur en silice des échantillons (Figure 2.16). Une telle anomalie peut difficilement s’expliquer si les interactions concernent une péridotite mantellique et un magma de composition TTG, qui sont tous deux caractérisés par l’absence d’anomalie (EuN/Eu* ~1 ; Figure 2.16).

FIGURE 2.16 : Diagramme EuN/Eu* vs. SiO2 (Eu*=[SmN+GdN]/2), montrant que certains sanukitoïdes (symboles identiques à la Figure 2.13) présentent une anomalie négative en Eu qui ne peut pas être expliquée par un mélange entre le manteau et un liquide de composition TTG. En effet, un tel mélange

(champ délimité par les pointillés) ne présenterait pas des valeurs de EuN/Eu* inférieures à ~0.8.

1.4 1.2 1.0 0.8 0.6 0.4 0.2 40

E

u

N

/E

u

*

SiO

2

(wt.%)

TTG Mantle 50 60 70 80

Ainsi, dans certains cas, il semble donc qu’un agent métasomatique différent d’un liquide de composition TTG puisse avoir joué un rôle dans la genèse des sanukitoïdes. Afin d’expliquer les compositions reportées dans la Figure 2.16, celui-ci doit présenter une anomalie négative en Eu, ce qui serait par exemple le cas d’un magma issu de la fusion de sédiments détritiques. D’ailleurs, Smithies et al. (2004) évoquent la possibilité d’un composant sédimentaire dans la source de certains basaltes riches en éléments incompatibles du bassin de Mallina, dans le craton de Pilbara (Australie), montrant qu’un processus similaire pourrait avoir son importance dans la genèse des sanukitoïdes. D’autre part, certains termes mafiques de la suite sanukitoïde sont riches en CO2, ce qui a amené certains auteurs à suggérer que le manteau avait interagi avec des fluides carbonés plutôt que des TTG (e.g. Lobach-Zhuchenko et al., 2005, 2008), ces derniers n’étant pas spécialement caractérisés par des teneurs élevées en CO2. Quoi qu’il en soit, ces différentes possibilités reposent essentiellement sur des critères qualitatifs et restent à confirmer.

Par ailleurs, Martin et al. (2009) ont mis en évidence le fait que les interactions entre l’agent métasomatique (quel qu’il soit) et la péridotite mantellique pouvaient avoir lieu selon deux modalités différentes (Figure 2.17) :

Soit en un seul stade, au cours duquel un magma percolant dans le manteau assimile de la péridotite et voit donc sa composition évoluer vers celle des sanukitoïdes ;

Soit en deux stades : le liquide ou le magma métasomatique est entièrement consommé par des réactions avec la péridotite, générant ainsi un assemblage mantellique hybride. Dans un second temps, la fusion partielle de cet assemblage donne naissance aux sanukitoïdes.

La distinction entre l’un et l’autre, d’un point de vue physique, reposerait essentiellement sur le rapport des proportions entre l’agent métasomatique et le manteau (Figure 2.17) : c’est l’influence du « melt:rock ratio » proposée par Rapp et al. (1999). Si ce rapport est très faible (<<1), le liquide ou le fluide sera consommé très rapidement et résultera en une métasomatose cryptique du manteau. Si il est un peu plus élevé, mais toujours inférieur à 1 (typiquement compris entre 0.2 et 1 ; Rapp et al., 2006), la consommation de l’agent métasomatique résultera cette fois en une hybridation modale, avec cristallisation de phases secondaires résultant de l’interaction. Enfin, si le rapport est supérieur à 1, le magma ou le fluide ne sera pas totalement consommé mais simplement hybridé par la péridotite au travers de laquelle il

percole. Ainsi, selon que le « melt:rock ratio » sera inférieur ou supérieur à 1, on obtiendra respectivement une interaction en deux stades ou en un seul stade (Rapp et al., 1999).

FIGURE 2.17 : « Diagramme de phase » conceptuel illustrant la nature des interactions entre une

péridotite mantellique et un liquide de composition TTG. La nature des interactions est contrôlée par la valeur du melt:rock ratio (rapport liquide/péridotite ; Rapp et al., 1999). Si celui-ci est supérieur à

1, le magma assimile de la péridotite tout en cristallisant pyroxène et grenat, mais survit aux interactions à l’état partiellement liquide (« Path 1 ») et peut atteindre la croûte sous forme de sanukitoïdes pauvres en Ti. Si le melt:rock ratio est inférieur à 1, le liquide est totalement consommé par l’hybridation : on passe sous la température du solidus (« Path 2 »), cristallisant un assemblage métasomatique dont la fusion ultérieure donnera naissance à des sanukitoïdes riches en Ti. Modifié

d’après Martin et al. (2009).

Martin et al. (2009) ont proposé que ces deux processus distincts pouvaient être à l’origine de la distinction géochimique entre les deux groupes de sanukitoïdes (low-Ti et high-Ti, respectivement ; voir Section 2.3.1). Toutefois, la validité de cette hypothèse n’est toujours pas vérifiée, dans la mesure où, d’après Martin et al. (2009), ces deux mécanismes ne sont pas différenciables du point de vue de la modélisation géochimique, si l’on considère qu’ils se déroulent tous deux à l’équilibre. D’autre part, la plupart des expériences d’hybridation entre une péridotite et un liquide felsique ont pour le moment été conduites à des « melt:rock

500 1000 1500 0 0.5 1 500 1500 0 1 8 1 Step 2 Steps

Hybrid mantle, source of high-Ti sanukitoids

Low-Ti sanukitoid Value of the melt:rock ratio

Mass fraction of TTG liquid

T(°C) T(°C) Liquidus Solidus Path 1 Path 2

ratio » supérieurs ou égaux à 1 (entre 10% et 50% de péridotite ; Sen & Dunn, 1994 ; Rapp et al., 1999, 2010 ; Prouteau, 1999 ; Prouteau et al., 2001). De ce fait, la nature des interactions

lors d’une hybridation en deux stades reste relativement spéculative, puisque non étayées par des résultats expérimentaux à ce jour. Par conséquent, même si cette distinction dans les mécanismes d’hybridation est une hypothèse prometteuse pour expliquer des différences chimiques au sein du groupe des sanukitoïdes, rien ne permet pour le moment de la confirmer. A l’occasion de ce travail, des éléments de réponse ont été apportés concernant ces deux questions (nature de l’agent métasomatique et des interactions). Ceux-ci sont présentés dans le Chapitre 4, consacré à l’étude des sanukitoïdes.