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La transition Archéen-Protérozoïque

1.3. L’enregistrement par la croûte continentale

1.3.1. Changements lithologiques

Les différences lithologiques entre l’Archéen et les éons suivants sont bien marquées quand on considère l’enregistrement sédimentaire (e.g. Veizer & McKenzie, 2003). Ainsi, de manière schématique, l’Archéen est caractérisé par des roches sédimentaires détritiques très peu évoluées (conglomérats, grauwackes), portant une forte composante volcanique, ainsi que des sédiments d’origine orthochimique (cherts) (Lowe, 1994). Au contraire, les bassins

post-archéens contiennent de plus larges proportions de roches carbonatées (notamment d’origine biogénique), de roches sédimentaires matures telles que quartzites et pélites (jusqu’à 20 fois plus qu’à l’Archéen ; Engel et al., 1974) et les séquences volcano-détritiques sont plus rares.

En fait, comme on le voit bien sur la Figure 1.9, cette évolution est plutôt progressive, mais ce n’est qu’à partir de la TAP (~2500 Ma) qu’apparaissent et se développent des associations typiques de cycles sédimentaires multiples (Ernst, 2009). De même, la géométrie des bassins sédimentaires a significativement évolué entre l’Archéen et le Protérozoïque (Veizer & Jansen, 1979) : en effet, à l’exception du bassin du Witwatersrand en Afrique du Sud, les dépôts intracratoniques sont généralement discontinus, peu épais et de faible extension géographique par rapport à leurs homologues protérozoïques. Ces observations reflètent clairement une évolution des cycles d’érosion et de dépôt entre l’Archéen et le Protérozoïque, et, plus particulièrement, l’avènement après la TAP des séquences de plate-forme continentale typiques des marges passives actuelles (Windley, 1984a ; Stern, 2008 ; Ernst, 2009).

De plus, il faut noter l’abondance, autour de la TAP (à peu près entre 3000 et 2000 Ma), des gisements de fer rubanés ou BIF (pour Banded Iron Formations ; Figure 1.9). Il s’agit de roches où alternent des lits de quartzite ferrifère (riche en magnétite et hématite), constituant des gisements d’intérêt économique, et des niveaux pélitiques. Un consensus global attribue l’origine de ces roches à une saturation en oxygène des océans, provoquant l’oxydation du fer ferreux (Fe2+) dissous dans l’eau de mer. Ainsi, la formation des BIF semble étroitement liée à l’évolution de la composition chimique des enveloppes externes (océan et atmosphère) autour de la TAP (discutée dans la Section 1.4).

D’autre part, les roches volcaniques archéennes se distinguent par leur nature de celles mises en place à partir de 2500 Ma. Les séries des ceintures de roches vertes archéennes sont généralement bimodales, c’est-à-dire présentant un composant mafique (basaltes) et un composant felsique, généralement peu abondant (dacites, rhyolites), et d’affinité tholéiitique (Condie, 1981). Les andésites, magmas intermédiaires de composition généralement calco-alcaline, y sont rares, alors qu’elles dominent, en termes de volume, le magmatisme d’arc post-archéen (Taylor & McLennan, 1985, 1995). De même, les komatiites, magmas ultramafiques courants dans les ceintures de roches vertes archéennes, ont « disparu » après la TAP, le seul exemple connu après 2500 Ma étant représenté par les komatiites de l’île de Gorgona, au large de la Colombie (~80 Ma ; Echeverría, 1980). Ceci peut d’ailleurs être

considéré comme une conséquence directe du refroidissement du manteau au cours de l’histoire de la Terre (voir Section 1.2.1). Enfin les magmatismes carbonatitique et alcalin au sens large (basaltes intraplaques, complexes annulaires, etc.) sont, quant à eux, quasiment inconnus à l’Archéen.

FIGURE 1.9 : Evolution des proportions de diverses lithologies sédimentaires en fonction du temps,

modifié d’après Veizer & McKenzie (2003) et Ernst (2009).

En ce qui concerne les roches plutoniques, les granitoïdes mis en place de part et d’autre de la TAP sont clairement différents sur le plan minéralogique (Figure 1.10). Ainsi, les matériaux les plus caractéristiques des cratons archéens (70 à 80% en volume ; Goodwin, 1991) sont des granitoïdes riches en plagioclase (40–60%) et contenant très peu (<5%) de feldspath potassique, donc essentiellement des tonalites et des trondhjémites, appartenant à la série TTG (e.g. Martin, 1994). Ceci les oppose aux granitoïdes post-archéens qui sont, pour la plupart, des « granites vrais » et des granodiorites, c’est-à-dire des roches riches en feldspath potassique : le rapport des proportions modales entre plagioclase et feldspath alcalin y est généralement inférieur ou égal à 1. Ces différences minéralogiques traduisent directement des compositions chimiques contrastées, qui sont détaillées dans la Section 1.3.3.

0 20 40 60 80 100 0 1 2 3 4 Volcanogenic Greywacke Qu art zite Shales BIF, Chert Jaspilite Dolomite Limestone Evaporite Arkose

Age (Ga)

V

o

lu

me

(

%

)

A r c h a e a n P r o t e r o z o i c Phan. Hadean

FIGURE 1.10 : Diagramme ternaire

des feldspaths Ab–An–Or (O’Connor, 1965) modifié par Barker (1979) où sont reportées les compositions normatives des TTG archéennes (en jaune ; Moyen, 2011) et de granitoïdes post-Archéens (en vert) représentés par des granitoïdes du Massif Central français (base de données non publiée de J.F. Moyen).

Enfin, les terrains archéens et post-archéens sont également distincts de par la présence ou l’absence de certaines associations lithologiques. On a longtemps pensé que les ceintures de roches vertes ainsi que les ceintures granulitiques étaient des objets typiquement archéens, mais Windley (1984a) a démontré que de nombreuses associations lithologiques protérozoïques leur étaient équivalentes en tous points. En revanche, il existe des structures typiquement « modernes » qui ne trouvent pas leur équivalent à l’Archéen. L’exemple le plus évident est celui des ophiolites : il s’agit de fragments allochtones de lithosphère océanique, mis en place tectoniquement sur un substrat continental et préservant tout ou partie de la succession lithostratigraphique typique de cette lithosphère océanique (basaltes en coussins, complexe filonien, intrusions de gabbros, cumulats lités, péridotites plus ou moins serpentinisées). Dans la mesure où les ophiolites se sont formées lors de l’extension océanique et qu’elles se sont mises en place en contexte de convergence de plaques, souvent associées à la subduction, elles sont considérées comme des témoins univoques de la présence de tectonique des plaques (Stern, 2008) et sont donc au cœur du débat sur l’environnement géodynamique de l’Archéen. Certaines lithologies d’âge archéen ont été interprétées comme des ophiolites : il s’agit de complexes filoniens et de laves en coussins au sein de la ceinture supracrustale d’Isua au Groenland, âgés de ~3800 Ma (Furnes et al., 2007), ainsi que des amphibolites du groupe de Lentiraa en Finlande, âgées de 2740 à 2860 Ma et dont la composition est très proche de celle des MORB actuels (Blais et al., 1997). Toutefois, ces « ophiolites archéennes » ne présentent qu’une petite partie de l’ensemble lithostratigraphique

Trondhje mite Gra nod iori te Qz-Monzonite

Ab

An

Or

Tona lite Granite Archaean TTG Post-Archaean granitoids (French Massif Central) Post-Archaean granitoids

(French Massif Central)

Gra nod iori te Qz-Monzonite Granite rondhjem ite Tona lite Gra nod iori te

propre aux ophiolites modernes (à savoir, la partie la plus superficielle). Ainsi, elles représentent vraisemblablement des portions de croûte océanique, mais il est possible d’expliquer leur présence sans avoir recours à des processus d’obduction. En ce sens, les plus anciennes associations lithologiques pouvant être qualifiées d’ophiolites sans ambigüité n’ont que 2 milliards d’années (ophiolites de Purtuniq au Canada, Scott et al., 1992 et de Jormua en Finlande, Peltonen et al., 1996).