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2.2. Pétrogenèse des sanukitoïdes s.s

2.2.2. L’apport de la pétrologie expérimentale

Afin de contraindre les hypothèses « géochimiques » suggérant l’existence d’un lien génétique entre les TTG, le manteau et les sanukitoïdes s.s., un certain nombre d’études

expérimentales se sont penchées sur différents aspects de l’interaction entre des liquides felsiques et la péridotite mantellique au cours des dernières décennies. Ainsi, Nicholls & Ringwood (1973), Sekine & Wyllie (1982) et Johnson & Wyllie (1989) ont étudié les relations de phase dans des systèmes ternaires hybrides péridotite-granitoïde-eau. Ces auteurs ont globalement démontré que l’interaction entre une péridotite et un magma felsique consommait le liquide et l’olivine pour produire un manteau hybride, à savoir une pyroxénite à grenat et occasionnellement phlogopite. Ce dernier minéral n’est d’ailleurs présent que dans les expériences de Sekine & Wyllie (1982) qui ont utilisé en tant que composant felsique un granite du batholite de la Sierra Nevada (Californie, USA), particulièrement potassique (K2O/Na2O >1).

FIGURE 2.10 : Diagramme Mg# (rapport molaire Mg/[Mg+Fe2+]) vs. SiO2 (en % de poids d’oxyde) où

sont représentés les champs des sanukitoïdes (rouge), des TTG (hachuré) et des compositions de liquides expérimentaux issus de la fusion d’un métabasalte d’une part (Rapp & Watson, 1995 ; Rapp

et al., 1999), et provenant d’interactions entre ces mêmes liquides et une péridotite mantellique (Rapp et al., 1999, 2010). On observe que les premiers se répartissent dans le champ des TTG, alors que la

composition des seconds est plus conforme à celle des sanukitoïdes.

40

M

g

#

SiO

2

(wt.%)

Sanukitoids

TTG

Experimental glasses : Melting of metabasalt AB-1 (1 to 4 GPa) Hybridation between melt and peridotite

0.8 0.6 0.4 0.2 0 50 60 70 80

Plus récemment, les expériences de Rapp & Watson (1995) ont démontré que la fusion du métabasalte AB-1 à des pressions de 1.5 à 3.2 GPa produisait des liquides dont la composition était extrêmement proche de celle des TTG et dont les Mg# étaient compris entre 0.30 et 0.45 (Figure 2.10). Rapp et al. (1999) ont utilisé le même matériel de départ mais ont, en plus, simulé des interactions entre les liquides produits et du matériel péridotitique à 3.8 GPa. Leurs résultats démontrent que l’hybridation du magma de type TTG (résultant de la fusion du métabasalte) avec 10 à 16% de péridotite seulement, contribuait à produire un résidu solide riche en orthopyroxène et grenat à l’équilibre avec un magma dont le Mg# varie entre 0.5 et 0.7 (Figure 2.10). Les liquides hybrides produits sont, de plus, moins riches en SiO2 et présentent des rapports K2O/Na2O beaucoup plus élevés par rapport aux TTG. Sen & Dunn (1994) et Prouteau et al. (2001) ont conduit des expériences assez similaires, mais en appliquant une pression de 1.5 à 2.0 GPa pour les interactions entre la péridotite et le liquide issu de la fusion de matériel basaltique. Par conséquent, dans leurs expériences, le grenat n’est pas stable mais l’hybridation produit par contre des quantités significatives d’amphibole et, dans le cas des expériences de Prouteau et al. (2001), de phlogopite. Ces minéraux sont riches en potassium et ont donc tendance à tamponner la teneur en K2O du liquide hybride (P. Condamine, communication personnelle). De ce fait, les verres analysés par Prouteau et al. (2001) présentent clairement des teneurs plus élevées en MgO et plus faibles en SiO2 que le liquide issu de la fusion des métabasaltes de manière assez similaire à ce qu’observent Rapp

et al. (1999), mais les rapports K2O/Na2O des deux magmas sont globalement similaires (et donc, très faibles).

En ce qui concerne les éléments en traces, Rapp et al. (1999) ont montré que le magma hybride est enrichi en éléments incompatibles vis-à-vis du liquide initial, du fait de la consommation de ce dernier dans les interactions et de la cristallisation de l’orthopyroxène et du grenat, présentant des coefficients de partage faibles pour la majorité de ces éléments. Cette observation explique très bien les concentrations en éléments en traces incompatibles plus élevées dans le cas des sanukitoïdes s.s. que dans le cas des TTG. D’autres expériences plus récentes (Rapp et al., 2010) ont été menées pour préciser les modalités des interactions entre 3.0 et 3.8 GPa. Dans ces conditions, le liquide hybride entre 70% de TTG et 30% de péridotite présente une signature en éléments traces extrêmement proche de celle des sanukitoïdes s.s (Figure 2.11). En particulier, la forme du spectre multi-élémentaire est très

bien reproduite, ainsi que les concentrations élevées en Cr et Ni qui sont l’une des caractéristiques les plus typiques des sanukitoïdes s.s. Qui plus est, ces expériences montrent également que les minéraux produits lors des interactions (orthopyroxène, clinopyroxène, grenat) ont des compositions en éléments majeurs et traces qui coïncident avec celles de ces mêmes minéraux présents dans les xénolithes de péridotites cratoniques. Ceci suggère que la formation du manteau lithosphérique sous-continental au niveau des cratons archéens est fortement influencée par ces interactions entre péridotite et liquides felsiques de composition TTG, qui contribuent aussi à la genèse des sanukitoïdes (Rapp et al., 2010).

FIGURE 2.11 : Spectre multi-élémentaire où les concentrations sont normalisées à celles du manteau

primitif (McDonough & Sun, 1995), comparant les compositions de liquides expérimentaux produits par des interactions entre TTG et péridotite avec celles des sanukitoïdes s.s. (données et figure

d’après Rapp et al., 2010)

Compositions of experimental melts Compositions of natural sanukitoids (with SiO2 < 60 wt.%) 1000 100 10 1 0.1 0.01 0.001 0.0001 C o n ce n tr a ti o n n o rma li z e d t o p ri mi ti v e ma n tl e Rb Ba Th U K Nb Ta La Ce Pb Sr Nd P Zr Hf Sm Ti Gd Dy Er Y Yb Sc V Cr Ni

Ainsi, ces expériences ont clairement démontré qu’il était possible de générer des liquides dont la composition en éléments majeurs et traces était très proche de celle des sanukitoïdes

s.s. par hybridation d’un magma de type TTG avec de la péridotite mantellique, confirmant

ainsi les modèles basés sur des considérations géochimiques. Le magma produit est à l’équilibre avec un résidu constitué de pyroxénite à grenat à des pressions élevées (3.0–4.0 GPa ; Sekine & Wyllie, 1982 ; Johnson & Wyllie, 1989 ; Rapp et al., 1999, 2010) et de pyroxénite à amphibole et phlogopite à plus faible profondeur (1.5–2.0 GPa ; Sen & Dunn, 1994 ; Prouteau et al., 2001).