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1.3 Séries culturelles et archétypes chevalins associés

1.3.5 Brève présentation de l’archétype de la première série culturelle, le cheval de la conquête

1.3.5.5 Tableau récapitulatif de la première série culturelle

TABLEAU RÉCAPITULATIF DE LA PREMIÈRE SÉRIE CULTURELLE

NOTIONS Caractérisation

IDÉOLOGIE ET VALEURS Idéologie libérale (dans la première moitié du XIXe siècle surtout, et qui s’estompe dans la seconde moitié)

 Valeurs : émancipation politique, liberté

Idéologie de conservation clérico-nationaliste qui demeurera très prégnante jusqu’au milieu du XXe siècle.

 Valeurs : la religion, la langue, l’agriculture, le culte du passé

COURANTS INTELLECTUELS ET LITTÉRAIRES

 Nationalisme libéral : la création de l’Institut canadien de Montréal en 1844, foyer du libéralisme canadien-français, s’inscrit dans cette mouvance axiologique.

 Nationalisme conservateur : Le « mouvement littéraire en Canada » (1860) instigué entre autres par l’abbé Henri-Raymond Casgrain participe de ce courant.

GENRES NARRATIFS DE

PRÉDILECTION  Roman historique  Roman d’aventures

ARCHÉTYPE CHEVALIN

Le cheval de la Conquête

PRINCIPE CODANT Histoire du Canada depuis sa découverte jusqu’à nos jours, (1845, 1846, 1848, 1852) de François-Xavier Garneau

Preuves à l’appui sur l’influence de ce livre.

 Gilles Marcotte (1994) : « L'Histoire du Canada de François-Xavier Garneau n'est pas, comme on dirait chez Menaud, une histoire comme les autres, écrit- il. Elle est la première. Absolument. Certes, il y eut le père Charlevoix, le compilateur Bibaud, un Anglais nommé Smith, quelques autres, mais l’Histoire de Garneau annule au moins symboliquement ce qui la précède et fait figure d'origine absolue452. »

 M. Biron, F. Dumont et É. Nardout-Lafarge (2007) : « Le mouvement littéraire de 1860 embrasse un ensemble de textes qui ont surtout en commun de donner du poids à l’idée de littérature nationale. Des textes publiés plus tôt, comme l’Histoire du Canada de Garneau, sont réédités. […] De façon générale, les genres privilégiés sont ceux qui font appel au passé, que ce soient

127 les ouvrages proprement historiques, les romans, les contes ou les légendes qui permettent de conserver la mémoire de la tradition canadienne-française453. » ACTES D’ÉNONCIATION

HÉTÉROGÈNES454

CORPUS D’ŒUVRES VARIÉES (voir « Corpus de la première série culturelle ») Chaque œuvre comporte son propre cadre diégétique, ses protagonistes qui vivent des aventures singulières, distinctes de celles des personnages des autres récits de la série ACTES DU CONTENU

PROPOSITIONNEL HOMOGÈNES455 : MÊME RÉFÉRENCE

(même type de

représentation; même type de personnage héroïsé)

PERSONNAGE DU « PEUPLE-HÉROS »

Le héros de la première série culturelle est un personnage historique collectif. Il s’agit du « peuple-héros » mis de l’avant par F.-X. Garneau dans son Histoire du Canada, figure qui lui a été inspirée par Michelet (Révolution française) :

 F.-X. Garneau : « Tout démontre que les Français établis en Amérique ont conservé ce trait caractéristique de leurs pères, cette puissance énergique et insaisissable qui réside en eux-mêmes et qui, comme le génie, échappe à l'astuce de la politique aussi bien qu'au tranchant de l'épée. Ils se conservent, comme type, même quand tout semble annoncer leur destruction. Un noyau s'en forme-t-il au milieu de races étrangères, il se développe, en restant isolé, pour ainsi dire, au sein de ces populations avec lesquelles il peut vivre, mais avec lesquelles il ne peut s'incorporer456. »

 Fernand Ouellet (1994) : « Ainsi un petit peuple, quoi que d'essence supérieure, avait été conquis. Les administrateurs et les fonctionnaires français, surtout au niveau plus élevé, avait été remplacés par des Anglais. Le commerce était tombé entièrement dans les mains des conquérants457. » ACTE ILLOCUTIONNAIRE HOMOGÈNE : MÊME PRÉDICATION Même prédication : AGIR PATRIOTIQUE

 de type NATIONALISTE « CULTUREL » OU « ROMANTIQUE » (par opposition au nationalisme « libéral », « parlementaire », à visée politique

453 M. Biron, F. Dumont et É. Nardout-Lafarge, Histoire de la littérature québécoise, p. 58.

454 « En premier lieu, il apparaît avec évidence qu'à l'intérieur de cette même série culturelle, les ACTES D'ÉNONCIATION sont protéiformes et obéissent à des lois génériques de structuration diverses. Ainsi apparaissent simultanément au Québec dans le milieu du XIXe siècle des discours romanesques, poétiques et dramatiques qui n'ont de commun au plan de l'acte d'énonciation que d'utiliser une suite de mots, de phrases ou de dialogues en conformité avec les lois de leur genre respectif. » L. Francoeur, « Quand écrire c’était agir : la série culturelle québécoise au XIXe siècle », p. 456. L’auteur souligne.

455 « Cependant on devrait éviter de croire […] que ces actes d'énonciation différents produits par des locuteurs différents sont tout naturellement porteurs de contenus différents. Au contraire, dans cette même série culturelle, tout en effectuant des actes d'énonciation hétérogènes génériquement, les locuteurs semblent avoir accompli des ACTES PROPOSITIONNELS et ILLOCUTIONNAIRES homogènes. À certaines conditions et suivant certaines règles toutefois. » L. Francoeur, « Quand écrire c’était agir : la série culturelle québécoise au XIXe siècle », p. 456. L’auteur souligne.

456 François-Xavier Garneau, dans Fernand Ouellet, dans Marcel Trudel, William J. Eccles, Ramsay Cook et Fernand Ouellet, « Témoignages d’historiens », Études françaises [En ligne], vol. 30, no 3, hiver 1994, p. 127, https://id.erudit.org/iderudit/035956ar (page consultée le 17 octobre 2017).

128 (Même intention

illocutoire; même effet perlocutionnaire recherché)

« émancipatoire »)

Valeur illocutoire de l’acte de langage (c’est-à-dire « l’intention manifestée par l’auteur458 ») identique d’une œuvre à l’autre (autrement dit, même intention du locuteur, même signification du texte) :

 RACONTER : « Je raconte que les héros patriotiques agissent de façon patriotique. »

 INCITER À IMITER L’EXEMPLE :

Louis Francoeur (1981) :

« Les préfaces des romans, par exemple, illustrent à l'envi cette nécessité qu'éprouvent les locuteurs de voir cette autre intention reconnue par leurs allocutaires, comme en témoignent ces lignes qui peuvent résumer tous ces propos liminaires : "Ces pages que j'ai consacrées à (la) mémoire (de nos pères) et que je vous offre (...), si elles peuvent faire verser quelques larmes nouvelles sur les souffrances oubliées (...) si elles servent à retremper nos cœurs dans leur foi et leurs vertus de toutes sortes, et nous engagent à imiter leur exemple dans toutes les circonstances difficiles qui sont encore réservées à notre existence nationale, alors je n'aurai pas entrepris une tâche inconsidérée"459. »

« Écrire étant une forme de comportement régi par des règles, il devenait impérieux pour eux que ces mêmes règles soient respectées afin que la signification de leur acte de langage littéraire soit reconnue. Règles constitutives qui "créent et définissent de nouvelles formes de conduite", que nous pouvons regrouper sous l'appellation de conduite patriotique, règles normatives qui gouvernent des formes de conduite déjà existantes et qui ont trait notamment aune certaine conception et une certaine utilisation des genres littéraires en vigueur dans la série culturelle, comme par exemple le modèle qu'offrait pour le roman historique l'œuvre de Walter Scott. Ainsi le genre romanesque deviendra-t-il "récit historique édifiant" et le genre dramatique "drame historique", se conformant en cela au rejet par l'Institution des œuvres de fiction romanesques et dramatiques toutes aussi "frivoles et scandaleuses" qui avaient cours dans la série culturelle française de la même époque460. » Expression de ces désirs (témoignage et exemple à imiter) par François-Xavier Garneau dans son « Discours préliminaire » (1845) :

 « Mais quoiqu'on fasse, la destruction d'un peuple n'est pas chose aussi facile qu'on pourrait se l'imaginer et la perspective qui se présente aux Canadiens, est, peut-être, plus menaçante que réellement dangereuse. Néanmoins, il est des hommes que l'avenir inquiète, et qui ont besoin d'être rassurés ; c'est pour eux que nous allons entrer dans les détails qui vont suivre. L'importance de la cause que nous défendons nous servira d'excuse auprès du lecteur. […] nous croyons à l'existence future de ce peuple dont l'on regarde l'anéantissement, dans un avenir plus ou moins éloigné, comme un sort fatal, inévitable461. »  « Non, homme d'espérance, l'on n'entendra jamais ma voix prédire le malheur;

homme de mon pays ; l’on ne me verra jamais, par crainte ou par intérêt,

458 V. Jouve, L’effet-personnage dans le roman, p. 14.

459 Napoléon Bourassa, Jacques et Marie, Montréal, Eusèbe Sénécal, 1866, dans L.Francoeur, « Quand écrire c’était agir : la série culturelle québécoise au XIXe siècle », p. 458.

460 L. Francoeur, « Quand écrire c’était agir : la série culturelle québécoise au XIXe siècle », p. 459. La citation est de Searle.

129 calculer sur sa ruine supposée pour abandonner sa cause. […] Mais, dans le vrai, cette existence du peuple canadien n'est pas plus douteuse aujourd'hui, qu'elle ne l'a été à aucune époque de son histoire. Sa destinée est de lutter sans cesse […]462. »

 « En effet, ce qui caractérise la race française, par-dessus toutes les autres, c'est " cette force secrète de cohésion et de résistance, qui maintient l'unité nationale à travers les plus cruelles vicissitudes et la relève triomphante de tous les obstacles."463 »

 « Rien ne prouve que les Français établis en Amérique aient perdu, au contraire, tout démontre qu'ils ont conservé, ce trait caractéristique de leurs pères, cette puissance énergique et insaisissable qui réside en eux-mêmes, et qui, comme le génie, échappe à l'astuce de la politique comme au tranchant de l'épée. Il se conserve, comme type, même lorsque tout semble annoncer sa destruction464. »

EFFET

PERLOCUTIONNAIRE465

Il s’agit pour chaque œuvre produite au sein de la série d’évaluer « sa capacité à agir sur le lecteur466 ». Dans le cas de l’Histoire de Garneau, l’effet a été attesté a posteriori par la critique universitaire :

 Louis Francoeur (1981) : « Pratiquement, nous possédons de nombreux témoignages que des effets perlocutionnaires ont été produits dans notre série culturelle, témoignages que nous regrouperons sous les trois objectifs chers au romantisme nationaliste : CONVAINCRE de la mission providentielle de la nation, ÉDIFIER par l'exaltation de la race, ÉCLAIRER par le culte du héros. De telle façon qu'à l'acte illocutionnaire unique d'exhortation patriotique correspond dans la série culturelle un acte perlocutionnaire unique qui est celui de former la conscience nationale par la connaissance du passé467. »

462 F.-X. Garneau, « Discours préliminaire », p. 23. 463 F.-X. Garneau, « Discours préliminaire », p. 24. 464 F.-X. Garneau, « Discours préliminaire », p. 24-25.

465 Effets perlocutionnaires : « [E]ffets qu'il peut produire sur les pensées, les actions, les comportements des allocutaires. […] de façon théorique, nous devons prendre en compte que les actes illocutionnaires peuvent être aussi des actes perlocutionnaires. » L. Francoeur, « Quand écrire c’était agir : la série culturelle québécoise au XIXe siècle », p. 461.

466 V. Jouve, L’effet-personnage dans le roman, p. 14.

2 LA GRISE

[E]lle avait une histoire, la Grise. Elle était née là, il y avait vingt-six ans, sur cette quatrième terre du rang des Chenaux de la paroisse de Saint-Michel. Elle y avait grandi, avait brouté dans tous les prés, labouré, hersé, fauché, râtelé, charrié dans toutes les pièces; elle avait été le cheval pour sortir, le cheval pour travailler, la jument pour rapporter. Sa vie s’était mêlée à celle de la ferme, à la vie de ses maîtres, à la vie des enfants. La Grise, autant le dire, était regardée comme de la maison1.

Lionel Groulx, « Les adieux de la Grise » (1916)

2.1 Présentation de « l’inventeur de la Grise », Lionel Groulx, et du contexte