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Méthodologie : le modèle de sémiotique culturelle de Louis Francoeur comme outil d’analyse

1.2 La représentation du cheval dans les récits québécois

1.2.4 Méthodologie : le modèle de sémiotique culturelle de Louis Francoeur comme outil d’analyse

Nous venons de présenter un vaste ensemble d’approches théoriques complémentaires qui, tels des phares, nous guideront tout au long de notre parcours d’analyse littéraire. En effet, les divers concepts présentés jusqu’à maintenant seront utiles, chacun à sa façon, pour étudier la représentation du cheval dans les récits québécois depuis les origines à nos jours, étude qui servira ultimement à raconter une histoire du Québec, parmi d’autres. Cela dit, la difficulté qui se pose maintenant concerne le passage de la théorie à la pratique. Car, très concrètement, comment parviendrons-nous à faire bon usage de toutes ces notions éclairantes? Il nous faut en somme

un parler vieillot, souvent incorrect. On s’est fait une maladie de la morale. On écrit dans le but de voir ses œuvres distribuées aux enfants à la fin de l’année scolaire. Le vrai roman, on n’a pas voulu le connaître, et, quand il a paru, on a voulu l’étouffer. L’étouffer, pour faire croire qu’en notre pays il n’existe que des écrivains inoocents [sic] et pleins de candeur. On ira dire ensuite que pour l’écrivain canadien, il n’existe pas de public. » Paul Guy, « Roman borgne », Le Jour, 15 octobre 1938, p. 5. Nous remercions Pierre Hébert de nous avoir fait découvrir cet article. 314 V. Jouve, L’effet-personnage dans le roman, p. 181.

81 trouver un moyen opératoire de manipuler les données, une manière d’analyser les œuvres qui soit rentable sur le plan méthodologique.

L’approche que propose Louis Francoeur dans Les signes s’envolent (1985), à la fois théorique et pratique, nous semble être tout indiquée pour parvenir à nos fins. Il s’agit d’une « sémiotique culturelle » appliquée à l’analyse de textes littéraires. Cette approche peut être qualifiée de mixte puisqu’elle se présente comme un condensé de toutes les méthodes présentées jusqu’à maintenant, de l’histoire culturelle315 (qui revendique elle-même une appartenance à divers de champs de savoirs, comme nous l’avons vu) aux théories de la réception, en passant par la sémiotique et la sémiologie. Dans un compte rendu critique paru en 1985, Patrick Imbert en précise l’orientation générale :

Louis Francoeur, ancien président de l'Association canadienne de sémiotique, après de nombreux articles concernant le domaine québécois approfondit, dans Les signes

s'envolent, la théorie des actes de langage et la rapproche de la sémiotique culturelle.

Ainsi, il élargit à la littérature et à ses rapports à la culture et à la culture québécoise en particulier, des recherches liées directement à J. L. Austin, John Searle et Oswald Ducrot. Ces théories reposent, chez ceux-ci, très directement sur des exemples linguistiques restreints et précis. Mais, pour Louis Francoeur, la langue n'est pas un code, au sens restreint que pouvait prendre ce terme pour les post-saussuriens et les structuralistes des années 1950; il ne suffit pas d'analyser les relations signifiantes à l'intérieur du code pour rendre compte de l'acte total de communication316.

Le type d’exégèse que propose Francoeur comporte donc une visée sociocritique puisqu’elle veut traiter autant de la question du texte que du hors-texte. Plus encore, nous pourrions dire qu’elle

315 Rappelons ce que signifie ce concept : « [L]’histoire culturelle est définie par ceux qui la pratiquent comme une "histoire sociale des représentations" (Ory, 2004, p. 13), ou encore comme une histoire visant à comprendre le social "dans l’infini des représentations et des interprétations qui le composent" (Kalifa, 2005, p. 82). Cette démarche suppose l’analyse croisée et transversale d’ensembles discursifs et représentationnels composites, mais tient compte, en même temps, de l’irréductibilité des formes et des types de discours qu’elle étudie. En un mot, l’enquête culturaliste vise à faire l’histoire des ensembles de représentations en rapportant celles-ci aux spécificités génériques qui les déterminent de même qu’aux conditions, matérielles et intellectuelles, de leur production, de leur circulation et de leur réception (Melançon, 2006, p. 114). » A. Gagnon, « Représentation », dans A. Glinoer et D. Saint-Amand (dir.), Le lexique socius [En ligne].

316 Patrick Imbert, « Les signes s’envolent de Louis Francoeur », Lettres québécoises [En ligne], no 39, automne 1985, p. 62, https://id.erudit.org/iderudit/40092ac (page consultée le 25 mars 2019).

82 s’inscrit dans un courant de sociologie du littéraire317. Le défi pour nous consiste à trouver une façon souple et efficace d’analyser les œuvres en tenant compte tant du dedans que du dehors, c’est-à-dire de les traiter à la fois comme un produit de société et comme un fait de culture

produisant un effet sur la société. Ces deux volets complémentaires du texte littéraire

(produit/créateur de produit) sont présents dans l’approche de Francoeur, une approche que nous adapterons à nos besoins comme nous le verrons, mais qu’il importe auparavant de décrire.

La sémiotique culturelle de Francoeur, comme le soulignait Imbert, met à profit un certain nombre de concepts empruntés à la linguistique, plus particulièrement à la pragmatique, un sous- champ d’étude qui envisage le langage comme un « acte », voire un « instrument d’action sociale318 », selon Jean-Marie Klinkenberg. Dans Le dictionnaire du littéraire, Frances Fortier en donne la définition suivante : « La pragmatique désigne d’abord l’étude des actes du langage, des performatifs (où "dire, c’est faire") et plus généralement les actions produites par les discours sur les interlocuteurs, et par les textes sur les lecteurs319. » Cette approche donne lieu à une nouvelle perspective sur la portée des systèmes signifiants de la culture que sont les œuvres littéraires. Elle se résume à l’idée qu’écrire, c’est agir, comme Louis Francoeur le défend avec conviction320. Il

317 Selon la définition usuelle, « [l]a sociologie de la littérature analyse la signification des œuvres en envisageant la vie littéraire comme partie de la vie sociale » R. Amossy, « Sociologie de la littérature », dans P. Aron, D. Saint- Jacques et A. Viala (dir.), Le dictionnaire du littéraire, p. 724. Lucie Robert précise que « [l]a sociologie de la littérature n’étudie pas les œuvres en elles-mêmes. Elle les met en relation avec l’univers social qui les produit et qui les reçoit » Lucie Robert, dans J. Pelletier (dir.), Littérature et société […], p. 268. Enfin, selon Jacques Pelletier, une « approche sociohistorique de la littérature ne désigne pas une méthode, une démarche précise et rigoureuse, un corpus de doctrines constitué et stable possédant un modèle opératoire universel (un « mode d’emploi »), mais bien un questionnement possible parmi d’autres sur la littérature dont la spécificité est de considérer les textes en lien avec le contexte historique dans lequel ils apparaissent et dont ils forment une composante. » J. Pelletier (dir.), Littérature et société […], p. 8.

318 J.-M. Klinkenberg, « Sémiotique », dans P. Aron, D. Saint-Jacques et A. Viala (dir.), Le dictionnaire du littéraire, p. 708.

319 Frances Fortier, « Pragmatique littéraire », dans P. Aron, D. Saint-Jacques et A. Viala (dir.), Le dictionnaire du littéraire, p. 603.

320 Louis Francoeur, « Quand écrire c’était agir : la série culturelle québécoise au XIXe siècle », Voix et Images [En ligne], vol. 6, no 3, printemps 1981, p. 453-463, https://id.erudit.org/iderudit/200285ar (page consultée le 26 mars 2019); Les signes s’envolent, Québec, P.U.L., 1985; Louis Francoeur, « Pour une sémiotique des traces », Études

83 n’est pas superflu de préciser dès à présent le sens de la terminologie que nous emploierons en cours d’analyse. L’excellente explication que propose Paul Ricœur des caractéristiques propres à l’acte de langage mérite d’être citée intégralement :

L’acte du discours, écrit-il, […] est constitué par une hiérarchie d’actes subordonnés, distribués en trois niveaux : 1) niveau de l’acte locutionnaire ou propositionnel : acte

de dire; 2) niveau de l’acte (ou de la force) illocutionnaire : ce que nous faisons en

disant; 3) niveau de l’acte perlocutionnaire : ce que nous faisons par le fait que nous parlons. Si je vous dis de fermer la porte, je fais trois choses : je rapporte le prédicat d’action (fermer) à deux arguments (vous et la porte); c’est l’acte de dire. Mais je vous dis cette chose avec la force d’un ordre, et non d’une constatation, ou d’un souhait, ou d’une promesse; c’est l’acte illocutionnaire. Enfin, je peux provoquer certains effets, telle la peur, par le fait que je vous donne un ordre; ces effets font du discours une sorte de stimulus qui produit certains résultats; c’est l’acte perlocutionnaire321.

Dans le contexte de la présente recherche, notre intérêt se portera non pas sur l’« acte de dire », mais bien sur l’acte d’écrire (acte locutionnaire/propositionnel), ce qui nous amènera à réfléchir à ce qui est fait en écrivant (force illocutionnaire) et ce qui est fait par le fait que c’est écrit (effet perlocutionnaire). Sur le plan de l’analyse littéraire, chercher à comprendre l’« action » posée par l’auteur dans et par l’écriture (c’est-à-dire lorsque ce dernier écrit un texte particulier à une époque donnée et dans un contexte de réception précis) implique d’identifier d’une part l’intention sous-entendue par son acte de langage écrit (force illocutionnaire) et, d’autre part, les effets produits par son texte sur le destinataire (effet perlocutionnaire). Le « langage en action322 » (Frances Fortier), tel qu’il se réalise par écrit dans l’« acte locutionnaire ou propositionnel », est bel et bien « une unité minimale de base de la communication culturelle » (Louis Francoeur). Mais pour que la communication culturelle s’établisse positivement entre le littéraires [En ligne], vol. 21, n° 3, 1989, p. 177-194, https://id.erudit.org/iderudit/500879ar (page consultée le 30 août 2016).

321 P. Ricœur, Du texte à l’action, p. 118. L’auteur souligne.

322 F. Fortier, « Pragmatique littéraire », dans P. Aron, D. Saint-Jacques et A. Viala (dir.), Le dictionnaire du littéraire, p. 603.

84 destinateur et le destinataire du texte, autrement dit, pour que le message « passe », l’intention qui le motive doit être conforme à l’horizon d’attente du public qui le recevra. Ainsi, la production d’un texte littéraire ne peut advenir qu’à « certaines conditions et suivant certaines règles323 ». De ce point de vue, souligne Louis Francoeur, « l'unité minimale de communication n'est pas le symbole, le mot ou la phrase, mais la PRODUCTION du symbole, du mot ou de la phrase au moment où se réalise l'acte de langage324 ». Si la « production » du texte se concrétise en bonne et due forme, en conformité avec ce qui est attendu dans le milieu, alors le public pourra dire de ce texte, comme l’avait fait l’abbé Casgrain au sujet d’une œuvre d’Antoine Gérin-Lajoie, « c'est plus qu'un bon livre, c'est une bonne ACTION325 ». C’est dire que les actes de langage sont toujours réalisés en contexte et qu’en définitive, ils sont nécessairement orientés par ce contexte, l’objectif étant de produire de « bons » actes de langage (« bons » non pas au sens moral du terme, mais au sens de réussite).

Dans le cadre de ses travaux, Louis Francoeur conceptualise la notion de contexte de la production du discours. Ce qu’il nomme « série culturelle » se définit comme

un polysystème composé de plusieurs unités de signification (littérature, peintre [sic], art et tradition populaire, etc.) qui sont elles-mêmes des sous-systèmes du premier et qui ont pour caractéristiques communes (1) d'être en interaction continue, (2) à l'intérieur d'une hiérarchie avec croissance successive, (3) dont le sommet est occupé par une œuvre ou un ensemble d'œuvres qui agit comme principe premier structurant, (4) et dont la durée du rôle structurant et la sphère de prégnance permettent de délimiter les coordonnées spatiotemporelles326.

323 L. Francoeur, « Quand écrire c’était agir : la série culturelle québécoise au XIXe siècle », p. 455.

324 L. Francoeur, « Quand écrire c’était agir : la série culturelle québécoise au XIXe siècle », p. 454. L’auteur souligne. 325 Propos de Henri-Raymond Casgrain dans l’Opinion publique du 26 février 1872, « Silhouettes littéraires », rapportés par Aug. Laperrière dans Les Guêpes canadiennes, vol. 1, Ottawa, Bureau, 1881, p. 226, dans L. Francoeur, « Quand écrire c’était agir : la série culturelle québécoise au XIXe siècle », p. 455.

326 L. Francoeur, « Quand écrire c’était agir : la série culturelle québécoise au XIXe siècle », note de bas de page, p. 462-463.

85 Autrement dit, la série culturelle consiste en un regroupement de textes propres à un contexte d’énonciation/de production particulier qui souscrit à un principe d’unité pendant un temps historique donné. Cela dit, il importe de ne pas réduire la notion de série culturelle à celle d’« époque » ou de « période » qui, pour leur part, s’organisent strictement selon un principe de temporalité. La série culturelle constitue un phénomène beaucoup plus riche sur le plan herméneutique puisqu’il s’agit d’un ensemble mouvant de textes réunis en vertu d’un principe définitoire essentiel : la série culturelle n’existe que si elle s’affiche comme « l'ensemble des actes illocutionnaires littéraires achevés dans les actes perlocutionnaires et leurs effets327 ». Franco Moretti appelle de tous ses vœux un nouveau rapport à l’histoire littéraire qui tiendrait davantage compte d’un contexte englobant fonctionnant à la manière de la série culturelle, comme on peut l’observer dans le passage suivant :

If the history of literature ever transforms itself into a history of rhetorical forms, the latter will in turn have to start from the realization that a form becomes more comprehensible and more interesting the more one grasps the conflict, or at least the difference, connecting it to the forms around it. And this should not be understood […] as a diachronic criterion: or at least not only, and not primarily. As well as grasping the succession of different and mutually hostile forms, literary history must aim at a synchronic periodization which is no longer ‘summed up’ in individual exemplary forms, but is set up for each period, through a kind of parallelogram of rhetorical forces, with its dominant, its imbalances, its conflicts and its division of tasks328.

Nous avons donné la définition de la série culturelle. Quelques précisions s’imposent au sujet de ses quatre éléments caractéristiques. Au sein d’une même série culturelle, des systèmes signifiants sont « en interaction continue329 » les uns avec les autres, nous dit Francoeur. Que sont ces systèmes et que veut-on dire par interaction continue? Les théories du discours social sont

327 L. Francoeur, « Quand écrire c’était agir : la série culturelle québécoise au XIXe siècle », p. 461.

328 F. Moretti, « The Soul and the Harpy. Reflections on the Aims and Methods of Literary Historiography » [En ligne].

329 L. Francoeur, Les signes s’envolent, p. 128, dans P. Imbert, « Les signes s’envolent de Louis Francoeur », p. 62. La prochaine citation se trouve à la même page.

86 utiles ici pour mieux comprendre ce que Francoeur entend par « polysystème composé de plusieurs unités de signification330 ». Nous avions déjà évoqué la notion de discours lorsque nous posions les bases de tout projet littéraire entendu comme œuvre singulière, comme parole sur le monde et ouvrant sur d’autres mondes, au-devant (Paul Ricœur). Cependant, le discours littéraire ne fait jamais cavalier seul331. Il cohabite au sein de la société avec une multitude d’autres discours, l’ensemble formant ce que l’on appelle communément le « discours social ». Pour Marc Angenot, ce dernier renvoie à « tout ce qui se dit et s’écrit dans un état de société332 ». Jacques Pelletier explique :

Pour rendre compte de manière synthétique de la multiplicité complexe des discours qu’une société tient sur elle-même, [Marc] Angenot les considère en fonction de leur appartenance à l’un ou l’autre des cinq grands champs suivants : 1) le journalisme; 2) la politique; 3) la littérature; 4) la philosophie; 5) les sciences. S’inspirant de [Pierre] Bourdieu, il signale l’autonomie de chacun des champs comme lieu de pratiques et de discours spécifiques, mais également les liens qui se tissent entre eux, les connexions qui s’opèrent, l’unification et l’homogénéisation qui les caractérisent, renvoyant à une sorte d’« esprit du temps », de commune appartenance à une manière très générale, universelle de penser et de parler333.

À la suite de Robert Fossaert, Micheline Cambron souligne le caractère duel de la notion de discours social qui renvoie à la fois à « une collection d’objets334 », certes, mais également à l’ensemble des « règles matricielles de ces objets ». Si on peut le qualifier de grand « murmure discursif335 » (Micheline Cambron), le discours social n’est pas pour autant synonyme de chaos

330 L. Francoeur, Les signes s’envolent, dans P. Imbert, « Les signes s’envolent de Louis Francoeur », p. 62.

331 Lucie Robert évoque sensiblement la même idée lorsqu’elle écrit : « […] le texte littéraire n’existe pas seul : d’une part, il est constamment lié à d’autres textes dont il s’inspire et auxquels il répond et, d’autre part, il est soumis à diverses opérations de lecture qui lui donnent sens. » Lucie Robert, dans J. Pelletier (dir.), Littérature et société […], p. 268.

332 R. Amossy, « Sociologie de la littérature », dans P. Aron, D. Saint-Jacques et A. Viala (dir.), Le dictionnaire du littéraire, p. 725.

333 J. Pelletier (dir.), Littérature et société […], p. 184.

334 M. Cambron, Une société, un récit […], p. 35. La prochaine citation se trouve à la même page. 335 M. Cambron, Une société, un récit […], p. 36.

87 énonciatif. Bien au contraire, précise André Belleau, cet « ensemble des ensembles336 » fonctionne sous la régie d’un code, c’est-à-dire « ce qui […] se signale comme opérant des choix, comme imposant des contraintes de divers ordres à divers niveaux337 », et la littérature en tant que sous-ensemble ne peut aucunement s’y soustraire. À ce propos, Belleau écrit :

Que se passe-t-il dans l’acte d’écrire? Le sujet écrivant transporte, transpose et transforme dans l’espace de sa propre écriture, dans un nouvel ensemble textuel en voie de formation, des éléments déjà codés dans et par une multitude d’autres discours : sont mis à contribution ici aussi bien les discours non-littéraires [sic] qu’une grande variété de discours littéraires (l’intertexte, qu’on me permette de le rappeler, c’est effectivement tout ce qui a été écrit avant le texte et qui sert de matière à celui-ci sous forme de reprise, de modulation, de citation, etc.). On le voit déjà, l’acte d’écrire implique une sélection non seulement de mots et d’énoncés, mais aussi et peut-être surtout de codes. C’est ici que nous avons besoin du concept d’institution littéraire338.

Cette dernière remarque nous permet de faire la transition du premier élément caractéristique de la série culturelle (polysystème composé de plusieurs unités de signification en interaction continue dans un contexte d’intertextualité339 et sous l’égide d’un code d’énonciation à connaître et à respecter) aux suivantes (2 et 3). Ainsi, précise Francoeur, les systèmes signifiants (littéraires et autres) évoluent « à l'intérieur d'une structure hiérarchisée avec croissance successive, […] dont le sommet est occupé par une œuvre ou un ensemble d'œuvres qui agit comme principe

336 André Belleau, « Le conflit des codes dans l’institution littéraire québécoise », [Éd. originale : Liberté, no 134, mars-avril 1981], Surprendre les voix. Essais, Montréal, Les Éditions du Boréal Express, 1986, p. 167.

337 A. Belleau, « Le conflit des codes dans l’institution littéraire québécoise », p. 167. 338 A. Belleau, « Le conflit des codes dans l’institution littéraire québécoise », p. 168.

339 « [D]ans son acception première, et d’un point de vue historique, la notion d’intertextualité est associée aux travaux du formalisme russe, et en particulier à l’œuvre du sémioticien russe Mikhaïl Bakhtine. Elle a été importée dans le discours critique ouest-européen puis anglo-saxon dans les années 1960, lors de la traduction de ces travaux, et, surtout, de leur application par J. Kristeva et les théoriciens du groupe Tel Quel. Kristeva définit le concept, en affirmant qu’un " "mot littéraire" n’est pas un point (un sens fixe), mais un croisement de surfaces textuelles, un dialogue de plusieurs écritures : de l’écrivain, du destinataire (ou du personnage), du contexte culturel actuel ou antérieur" ([Séméiotikè : recherches pour une sémanalyse, Paris, Le Seuil], 1969, p. 144). » Jean-Francois Chassay, « Intertextualité », dans P. Aron, D. Saint-Jacques et A. Viala (dir.), Le dictionnaire du littéraire, p. 392. Dans le cadre du présent travail, le terme « intertextualité » est employé dans le sens que lui donne Kisteva : « [T]out texte se construit comme mosaïque de citations, tout texte est absorption et transformation d’un autre texte ». J. Kristeva, Séméiotikè [: recherches pour une sémanalyse], Paris, Seuil, coll. « Points », 1969, p. 85, dans V. Jouve, L’effet- personnage dans le roman, p. 47.

88 codant340 ». Autrement dit, si chacun des textes d’une même série culturelle contribue à la fois « à l’intertexte et au contexte, donc à l’histoire, de tous les autres341 » (Laurent Mailhot), certains textes ont une ascendance plus forte que d’autres, ce qui les place dans une position dominante au sein de la série culturelle. Nous reprendrons à notre compte l’expression « principe codant » de Francoeur pour désigner ces textes à valeur hégémonique qui agissent comme étalon pour tous les textes de la série (littéraires ou non). Cependant, il ne s’agit là que du niveau de surface du principe de codification normatif de la série. À un niveau plus profond, on retrouve un ensemble de forces souterraines structurantes, influençant d’une manière certaine, mais quasi imperceptible la ou les manifestations codantes de surface. Ainsi, avant de traiter de la notion de principe