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Approche interne : le personnage vu à la lumière de concepts d’inspiration sémiotique

1.2 La représentation du cheval dans les récits québécois

1.2.3 Cadre théorique : chevauchée dans l’espace culturel transhistorique québécois

1.2.3.3 Approche interne : le personnage vu à la lumière de concepts d’inspiration sémiotique

Les représentations du cheval dans les récits sont de diverses natures. Un grand nombre d’entre elles prennent la forme de « personnages », d’où l’importance de clarifier ce à quoi renvoie exactement ce type de figuration. Depuis plus d’un siècle, de nombreux théoriciens de la littérature se sont penchés sur la question des êtres de fiction. Pour expliquer succinctement leurs approches à ce sujet, on peut dire qu’il existe grosso modo deux courants de pensée distincts, l’un valorisant une conception de personnage-personne, l’autre, de personnage-signe.

À une époque où plusieurs considéraient l’œuvre littéraire comme un « miroir214 » de la société, l’être fictif était perçu comme une personne réelle. Dans une telle perspective à teneur psychologique ou sociologique, le personnage, selon Jean Milly, se « construit à partir d’éléments de la réalité, empruntés à des personnes, à l’histoire, aux activités pratiques d’une époque, aux arts215 ». Ce qui semble compter avant tout dans une construction textuelle de ce type est la vraisemblance, d’où l’importance accordée aux procédés d’imitation et d’« effets de réel », indique Milly. Selon la seconde approche issue du courant structuraliste216, le personnage est « un

214 Selon Constanze Baethge, « [l]’idée du reflet désigne la manière dont une œuvre d’art reproduit les réalités sociales (ce qui est lié à une conception de la mimèsis). Elle est surtout connue par l’usage qu’en ont fait les romanciers réalistes au XIXe siècle, et les théories marxistes de la littérature. […] L’idée de reflet, poursuit-elle, est usuelle sous les images de l’écrivain "peintre" de la société […] et de l’œuvre comme "miroir" (comme Stendhal le revendique pour son roman dans Le Rouge et le Noir, 1830). […] dès les années 1930, d’Adorno à Brecht, les opposants […] insistent sur les médiations qui s’interposent entre la société et le travail de l’écrivain ainsi que sur le pouvoir de transformation du sens qui tient à la forme de l’œuvre d’art. […] Le développement ultérieur de la sociologie littéraire […] a progressivement contesté et délaissé la catégorie du reflet au profit de manifestations plus éclatées et plus diverses du "réel dans le texte". Plus qu’un "miroir", l’œuvre est envisagée comme un espace ayant ses propres structures, comme un "prisme" en quelque sorte. » Constanze Baethge, « Reflet (Théorie du) », dans P. Aron, D. Saint-Jacques et A. Viala (dir.), Le dictionnaire du littéraire, p. 653-654.

215 J. Milly, Poétique des textes […], p. 161.

216 Julia Kristeva explique la genèse du structuralisme en ces termes : « Orientés vers l’organisation interne de l’"œuvre en soi", découpant des unités dans le récit et posant des relations entre elles, suivant en ceci une démarche déductive inspirée dans ses fondements de Kant et dans ses particularités de la linguistique structurale de la première moitié du siècle, les textes des formalistes ont apporté ce qui manquait à l’histoire littéraire ou à l’essayisme impressionniste propre à la tradition française, à savoir une approche se voulant théorique, tout en trouvant, pour s’implanter, un écho ou une analogie dans le procès de scientifisation de l’"humain" et du "social" couramment

54 signe à l’intérieur d’un système de signes, un effet — de procédés techniques, un nœud de relations d’ordre linguistique, rhétorique, thématique, sémiotique217 ». Au milieu du XXe siècle, le modèle psychologique a été frappé d’un certain discrédit à cause de son manque de rigueur, contrairement à l’approche d’ascendance formaliste qui, elle, pouvait prétendre à une interprétation plus rigoureuse et donc plus crédible de l’être de fiction. À ce sujet, Roland Barthes écrit : « L’analyse structurale, très soucieuse de ne point définir le personnage en termes d’essences psychologiques, s’est efforcé jusqu’à présent, à travers des hypothèses diverses, de définir le personnage non comme un "être", mais comme un "participant"218. » C’est dans cette mouvance que sont apparus les modèles de Vladimir Propp (chez qui la « morphologie » du conte se réduit à trente et une fonctions) et, plus tard, de A. J. Greimas (le schéma actantiel). Dans les deux cas, le personnage est avant tout saisi à travers un rôle : « L’important, dans le récit, résume Vincent Jouve, ce n’est pas ce que sont les personnages (leur identité, variable, n’influe pas sur la structure narrative), mais ce qu’ils font219. » Héritier de ces approches structuralistes, Philippe Hamon a conçu pour sa part un modèle du personnage fondé sur la linguistique (personnage- référentiel, personnage-embrayeur, personnage-anaphore)220.

Ces trois approches apparues en France dans les années 1960, à « l’ère du soupçon221 » (Nathalie Sarraute), ont en commun une conception immanentiste du personnage, ce dernier étant désigné comme structuralisme. » Julia Kristeva, « Une poétique ruinée », dans Mikhaïl Bakhtine, La poétique de Dostoïevski, trad. fr. Isabelle Kolitcheff, Paris, Éditions du Seuil, coll. « Points », 1970, p. 5-6. L’auteur souligne. 217 J. Milly, Poétique des textes […], p. 161. La prochaine citation se trouve à la même page.

218 Roland Barthes, « Introduction à l’analyse structurale des récits », dans R. Barthes, W. Kayser, W. C. Booth et P. Hamon, Poétique du récit, p. 34, dans V. Jouve, L’effet-personnage dans le roman, p. 8.

219 Vincent Jouve, La poétique du roman, 2e éd., Paris, Armand Colin, 2001, p. 177. L’auteur souligne. 220 V. Jouve, L’effet-personnage dans le roman, p. 9.

221 Concernant cette mouvance de « l’ère du soupçon » qui coïncidait avec l’apparition d’une vision immanentiste du personnage, Vincent Jouve écrit : « Une telle formalisation, au-delà de son intérêt méthodologique incontestable, est le produit du contexte intellectuel de la fin des années 1960. Elle a reçu une justification idéologique dans des travaux comme ceux d’Alain Robbe-Grillet ou de Nathalie Sarraute : l’intention, dans ces textes de l’"ère du soupçon", était de déjouer l’illusion idéaliste du roman traditionnel […]. » V. Jouve, L’effet-personnage dans le roman, p. 9.

55 considéré comme un « "être de papier" strictement réductible aux signes textuels222 », un « tissu de mots », ou encore, selon la formule originale de Valéry, un « vivant sans entrailles223 ». Il va sans dire que dans cette mouvance, le concept d’« œuvre » lui-même est la plupart du temps remplacé par celui de « texte » qui correspond beaucoup mieux à l’idée d’un objet construit224.

Puis l’on assiste à un retour du balancier. Plusieurs critiques remarquent que les méthodes structuralistes, qui font fi du sujet, s’avèrent largement inadéquates pour l’analyse de pratiques culturelles signifiantes complexes, tel le roman. Par conséquent, la tendance à souscrire à des approches théoriques moins « mécaniques225 » s’accentue. On reconnaît l’œuvre à la fois comme univers textuel et comme fait de société, ce qui change le regard porté sur le personnage. En effet, on cesse de le considérer strictement comme un « "porteur d’états" ou "support" de certaines transformations ou conservations sémantiques226 », comme l’explique Vincent Jouve : « Au cours des années 70, l’essoufflement du Nouveau Roman et le retour en force du sujet et du récit classique (rénové) militent en faveur d’une renaissance du personnage : ce dernier, tant par son être que par son faire, semble consubstantiel au genre romanesque227. »

À ce sujet, Julia Kristeva explique qu’en vertu de l’approche adoptée par les formalistes russes au début du XXe siècle, « [l]’objet "littéraire" s’évanouissait ainsi sous le poids des catégories de la langue qui construisait un "objet scientifique" interne au discours formaliste, et se logeant bien dans son non-dit, mais n’ayant rien ou très peu à voir avec l’objet réel : la littérature

222 V. Jouve, L’effet-personnage dans le roman, p. 9. La prochaine citation se trouve à la même page.

223 Paul Valéry, Tel Quel, Paris, Gallimard, coll. « Idées », t. I, 1941, p. 221, dans V. Jouve, L’effet-personnage dans le roman, p. 9.

224 Jacques Dubois, L’Assommoir de Zola. Société, discours, idéologie, Paris, Librairie Larousse, coll. « Thèmes et textes », 1973, p. 7.

225 J. Kristeva, « Une poétique ruinée », p. 6.

226 Nathalie Sarraute, « Ce que je cherche à faire », Nouveau Roman, hier, aujourd’hui, Paris, UGE, 1972, t. II, « Pratiques », p. 35, dans P. Hamon. « Pour un statut sémiologique du personnage », note 22, p. 171.

56 comme mode de signifier particulier, pris dans l’espace du sujet, sa topologie, son histoire, son idéologie228… »

Dans le cadre de la présente étude, nous recourrons à l’occasion à des concepts issus des théories structuralistes qui, selon nous, ont l’avantage d’être le plus souvent fort efficaces sur le plan analytique. C’est pourquoi nous nous attarderons maintenant à définir quelques notions sémiotiques et sémiologiques incontournables en matière d’étude du personnage perçu non pas comme fait de psychologie, mais plutôt comme instance de discours.

1.2.3.3.1 Le personnage selon l’approche greimassienne

La sémiotique est, au sens large, une « [s]cience dont l’objet est l’ensemble des processus de signification — processus dont le signe est l’instrument […]229 ». Cette discipline transcende les frontières de nombreux champs de savoir230. Dans le contexte des études littéraires, elle consiste en une approche complémentaire à la narratologie. Tandis que celle-ci s’attache à mettre au jour les structures du récit, la sémiotique, en l’occurrence la sémiotique narrative, de son côté, interroge les structures de l’histoire. Les sémioticiens s’entendent pour dire que toutes les histoires utilisent les mêmes schémas qui sont, en définitive, universels231 ou, en tout cas, transindividuels.

Puisqu’il ne peut y avoir d’histoire sans personnages (les intrigues n’étant rendues possibles que par leur présence), les sémioticiens ont consacré beaucoup d’efforts à comprendre

228 J. Kristeva, « Une poétique ruinée », p. 7.

229 Jean-Marie Klinkenberg, « Sémiotique », dans P. Aron, D. Saint-Jacques et A. Viala (dir.), Le dictionnaire du littéraire, p. 706.

230 J.-M. Klinkenberg, « Sémiotique », dans P. Aron, D. Saint-Jacques et A. Viala (dir.), Le dictionnaire du littéraire, p. 706.

57 le fonctionnement de ces derniers à l’intérieur des schémas narratifs. Car il s’agit bien, en l’occurrence, de « fonctions » à décortiquer. En effet, tous les modèles conceptuels permettant d’appréhender sémiotiquement le personnage ont ce trait commun qui est de l’étudier « à travers son "faire", comme un acteur remplissant une fonction et suivant un programme narratif232 ». Dans ce contexte, la notion de « personnage » — qui, nous l’avons vu, ne renvoie pas à l’idée de « personne », mais bien à celle d’un construit textuel au service de la mécanique narrative — est remplacée par trois concepts correspondant à des niveaux de description du récit233 : l’acteur, l’actant et le rôle thématique.

L’acteur se situe au niveau de surface, c’est-à-dire au niveau de l’histoire que nous lisons de manière linéaire. Il s’agit d’une « entité figurative animée, susceptible d’individuation234 », autrement dit, précise Jean Milly, c’est le personnage tel que nous le concevons habituellement (par exemple, Maria Chapdelaine). À un niveau plus abstrait se trouvent les deux autres concepts, l’actant et le rôle. Les actants, au nombre de six (sujet/objet, opposant/adjuvant, destinateur/destinataire), sont des « abstractions non figuratives et anonymes235 », qui visent avant tout à rendre compte de la logique des actions déployées au fil de l’histoire. Philippe Hamon explique le concept en ces termes : « L’actant, écrit-il, […] est une classe d’acteurs, de

personnages, définie par un groupe permanent de fonctions et de qualifications original et par sa distribution le long d’un récit236. » Il s’agit bien sûr, on l’aura compris, d’une notion construite par l’analyste (et non donnée par le texte) pour l’aider à conceptualiser le fonctionnement du

232 V. Jouve, La poétique du roman, p. 45.

233 Nous résumons ici les explications de Jean Milly (Poétique des textes […], p. 107-108) et de Vincent Jouve (La poétique du roman, p. 51).

234 J. Milly, Poétique des textes […], p. 108. 235 J. Milly, Poétique des textes […], p. 108.

58 personnage et, par ricochet, celui de l’histoire237. Vincent Jouve résume le schéma actantiel tel que conçu par A. J. Greimas : « Tout récit se présente […] comme la quête d’un objet par un

sujet. […] Les obstacles, inévitables dans toute quête, font surgir des opposants que le sujet

affronte avec l’aide d’adjuvants. […] La quête a, en outre, une origine (le destinateur) et une finalité qui, outre le sujet, peut concerner différents personnages (les destinataires)238. » À un niveau plus concret, et donc plus facile à conceptualiser, les rôles thématiques sont des « entités figuratives animées, anonymes aussi, et sociale239 » (par exemple, la mère, l’habitant, le prêtre, etc.). Selon Greimas, à chaque acteur sont associés minimalement un rôle actantiel et un rôle thématique240; le premier assure la bonne marche du récit, le second véhicule du sens et des valeurs241.

En résumé, nous dit Vincent Jouve, dans une optique sémiotique greimassienne « [l]e personnage est étudié à travers son "faire", comme un acteur remplissant une fonction et suivant un programme narratif 242». Dans le cadre de notre analyse littéraire, nous n’aborderons pas la question du programme narratif243 de nos personnages chevalins, du moins pas dans les termes précis de Greimas ni selon son approche méthodologique rigoureuse. Cependant, nous convoquerons à l’occasion les concepts d’acteur, d’actant et de rôle thématique qui nous serviront à circonscrire leur « faire ». À ce sujet, quelques remarques s’imposent.

237 V. Jouve, La poétique du roman, p. 52; P. Hamon, « Pour un statut sémiologique du personnage », p. 137. 238 V. Jouve, La poétique du roman, p. 52-53. L’auteur souligne.

239 J. Milly, Poétique des textes […], p. 108.

240 Algirdas Julien Greimas, Du sens, II, dans V. Jouve, La poétique du roman, p. 53. 241 V. Jouve, La poétique du roman, p. 53.

242 V. Jouve, La poétique du roman, p. 45.

243 Selon Vincent Jouve, « [l]a notion de "programme narratif" […] permet d’appréhender la logique qui sous-tend le comportement d’un acteur » et elle se présente sous la forme d’« une séquence de quatre phases — manipulation, compétence, performance, sanction — que l’on peut repérer grâce à l’analyse des modalités (pouvoir, savoir, devoir, vouloir) ». V. Jouve, La poétique du roman, p. 184.

59 En tant qu’acteur, le cheval de nos récits sera considéré comme une incarnation zoomorphe chargée d’exécuter un certain nombre de rôles actantiels et thématiques essentiels au déroulement de l’histoire. Parmi les rôles actantiels qu’il assumera, on peut déjà prévoir que l’un des plus importants sera celui d’adjuvant, du moins au sein des œuvres produites à « l’ère du cheval » (Baron), et plus particulièrement au temps du régionalisme. La Grise, pour illustrer le concept par un exemple concret, se présentera comme une entité au service du sujet (le fermier, dans bon nombre de cas), l’aidant au quotidien dans sa quête d’un objet (produire et récolter les fruits de sa terre), sous l’influence du destinateur (le clergé, qui l’encourage à perpétuer la tradition de ses aïeux, colonisateurs et agriculteurs) et dans le but de servir les destinataires (sa famille, sa paroisse, la nation canadienne-française).

Fait particulièrement intéressant pour nous, les « auxiliaires » que sont les adjuvants du personnage, nous dit Philippe Hamon, « ne sont bien souvent que la concrétisation de certaines de ses qualités psychologiques, morales, ou physiques […]244». Ainsi, nous emploierons tout au long de l’étude l’expression « personnage-doublet245 » pour désigner le cheval assumant le rôle actantiel d’un adjuvant du personnage anthropomorphe auquel il est associé positivement dans l’histoire. On peut envisager qu’il y aura également des personnages-doublets chevalins dont la fonction narrative sera de s’opposer en quelque manière au programme que s’est fixé le personnage « humain », mais on présume d’emblée qu’ils se feront plus rares que les auxiliaires hippomorphes.

Par ailleurs, poursuit Hamon, parmi les actants de toute histoire, il en existe une catégorie qu’il nomme « figures actantielles-types » qu’il définit comme

244 P. Hamon, « Pour un statut sémiologique du personnage », p. 164.

245 Cette expression est employée par P. Hamon (« Pour un statut sémiologique du personnage », p. 178, note 74) qui réfère le lecteur à Lévi-Strauss : « Sur les personnages-doublets, voir par exemple C. Lévi-Strauss : Mythologie II, Du miel aux cendres, p. 138-156, Paris, Plon, 1968. »

60 des nébuleuses-types, dont on s’efforcera de cerner la fréquence et la distribution à l’intérieur d’un roman ou d’un groupe de roman (la confrontation, l’échange, l’épreuve, le contrat, etc.), nébuleuses qui définiront des trajets plus ou moins fixes, et constitueront les invariants narratifs (les séquences-types) d’un système romanesque, sa syntaxe246.

Nous avons déjà dit que nous ne voulions pas faire l’analyse des programmes narratifs dans lesquels sont impliqués les chevaux de papier. Cependant, sans aller dans le détail d’une analyse scrupuleuse des séquences-types d’actions dans lesquelles sont impliqués les personnages chevalins, nous retiendrons deux aspects. Premièrement, que cette notion implique la « mise en relation relativement stable et permanente de plusieurs actants247 », ce qu’illustre bien l’exemple que nous avons vu, la Grise-ajduvant accompagnant l’habitant-sujet dans sa quête agricole (au programme d’année en année, semailles-fenaison-labours, dans un cycle sans fin). Deuxièmement, le fait d’avoir accès à la structure actantielle d’une séquence (ou encore mieux, de tout le système du récit) permet d’apprécier le degré de cohérence du personnage en vertu de deux axes, l’un paradigmatique (la classe auquel appartient le personnage-type), l’autre syntagmatique (les lois implicites régissant son agir dans un déroulement séquentiel)248. En cours d’analyse, nous référerons donc à l’occasion à cette notion en précisant, par exemple, que nous avons affaire à un cheval de travail (un cheval de trait, pour une large part) destiné à l’agriculture (ou de travail/transport, de travail/débardage en forêt pour fins de colonisation, etc.) associé à un programme d’actions prédéterminé et relativement fixe (cheval de travail/agriculture = cycle semailles-fenaison-labours). Comme le souligne Hamon, les avantages des séquences-types au sein d’un récit sont importants :

La non-perturbation de cette structure est […] un élément important de sa lisibilité, lisibilité liée au fait que le lecteur peut non seulement situer un personnage dans une

246 P. Hamon, « Pour un statut sémiologique du personnage », p. 139. L’auteur souligne. 247 P. Hamon. « Pour un statut sémiologique du personnage », p. 139.

61 échelle de personnages-types et de relations d’oppositions ou de ressemblances, mais aussi prévoir certains déroulements-types. Cette lisibilité (cette prévisibilité) sera sans doute renforcée si le personnage, en plus de sa fonction actantielle stable (tel personnage qui serait toujours sujet agissant, ou toujours Destinataire de savoir, ou

toujours opposant tout au long d’un chapitre ou d’un roman tout entier) se présente

comme également très spécialisé dans la série de ses actes professionnels249.

Bien entendu, nous bénéficierons pour notre part largement des avantages que procurent les figures actantielles-types et les séquences-types qui y sont associées. Par exemple, avant même d’ouvrir un roman de la terre du début du XXe siècle, nous prévoirons d’y retrouver la figure d’une ou plusieurs « Grise » (dont nous connaissons déjà le profil) impliquée(s) dans une série d’actions typiques prévisibles liées au mode de vie agriculturiste. En outre, c’est dans ce contexte que nous parlerons de ce type de cheval surdéterminé sémiologiquement en termes d’archétype

chevalin. Nous y reviendrons.

L’acteur, nous l’avons vu, aura en plus de son rôle actantiel (type ou ponctuel) un rôle thématique. Donnons à ce sujet quelques précisions supplémentaires qui pourront nous aider à décoder le faire des personnages chevalins. Les commentaires des spécialistes sur ce sujet nous permettent de tracer une brève typologie des rôles thématiques que peuvent jouer les personnages des récits. Selon Philippe Hamon, par là sont désignés les « rôles professionnels (un docteur, un cultivateur, un forgeron, un prêtre, etc.), psycho-professionnels (l’arriviste, le velléitaire, le mondain) ou rôles familiaux (le père, l’oncle, la marâtre, la sœur aînée, l’orphelin) […]250 ». Jacques Dubois présente la chose un peu différemment. Selon lui, « par "rôle" on peut entendre […], d’une part, le statut social qu’incarne le personnage (rôle de blanchisseuse, de mère, de voisine, etc.) et, d’autre part, l’emploi qu’il remplit dans une certaine typologie mythico-littéraire

249 P. Hamon, « Pour un statut sémiologique du personnage », p. 140. L’auteur souligne. Pour illustrer son propos, Philippe Hamon donne l’exemple suivant : « Ainsi un cultivateur sera défini par une série pré-programmée et relativement stéréotypée d’actes technologiques orientés, série latente qui pourra être plus ou moins actualisée exhaustivement dans le récit : labourer semer vendre, etc. » (Ibid, p. 140)

62 (le traître, le surhomme, etc.), typologie si composite qu’elle fait entrer les deux autres critères (statut social et force actantielle) dans ses définitions251 ». Pour sa part, Vincent Jouve envisage les « catégories psychologiques (la femme infidèle, l’hypocrite, le lâche, etc.) ou sociales (le banquier, l’ouvrier, l’instituteur, etc.) qui permettent d’identifier le personnage sur le plan du contenu252 ».

Comment appliquer cette typologie au monde des chevaux de papier? Nous avons déjà esquissé un premier type de rôle thématique d’un cheval de notre corpus en soulignant ce qui pourrait être considéré comme le « rôle professionnel » de la Grise : le travail agricole. Cette jument pourra également se voir attitrer un rôle familial puisqu’en de nombreuses occasions, elle accompagne la famille dans ses sorties (la messe dominicale, les fréquentations amoureuses, etc.)