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Le cheval de papier : étude de la représentation du cheval dans la prose narrative québécoise des origines à nos jours

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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DÉPARTEMENT DES ARTS, LANGUES ET LITTÉRATURES Faculté des lettres et sciences humaines

Université de Sherbrooke

LE CHEVAL DE PAPIER

ÉTUDE DE LA REPRÉSENTATION DU CHEVAL DANS LA PROSE NARRATIVE QUÉBÉCOISE DES ORIGINES À NOS JOURS

Par

ISABELLE PROULX Maître ès arts (M. A.)

Thèse présentée pour l’obtention du Doctorat en études françaises (Ph. D.)

Sherbrooke AOÛT 2020

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II Composition du jury

Le jury de cette thèse est composé des personnes suivantes :

Pierre Hébert, directeur de recherche

Professeur émérite au Département des arts, langues et littératures

Marie-Pier Luneau, évaluatrice interne

Professeure au Département des arts, langues et littératures

Anthony Glinoer, évaluateur externe

Professeur au Département des arts, langues et littératures

Georges Desmeules, évaluateur externe

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III La Question c’est le cheval, la Réponse le cavalier. Où va la horde galopante sans réponse?

Alejandro Cervantes, Oracles, Poésie, Saint-Élie-de-Caxton, Éditions de l’Exil,

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IV

REMERCIEMENTS

Il faut dix ans pour avoir une idée bien à soi — dont on puisse parler. Naturellement, c’est un peu décourageant. Mais l’homme y gagne une certaine familiarité avec le beau visage du monde.

Albert Camus, « Le vent à Djémila », Noces suivi de L’Été, Paris, Gallimard, coll. « folio », 1959, p. 28.

Les chevaux de papier sont entrés au galop dans ma vie en janvier 2014. Depuis, je n’ai cessé de les suivre dans leur chevauchée, par monts et par vaux, au sein du vaste univers imaginaire des récits de la littérature québécoise. De nombreuses personnes ont été des témoins privilégiés du long et périlleux parcours à obstacles que constituait cette odyssée doctorale. Sans leur soutien inestimable, il eut été improbable que je parvienne au bout de cette aventure, d’où l’importance de leur offrir des remerciements.

J’aimerais tout d’abord exprimer ma gratitude à mon grand complice et meilleur ami, Sylvain Coulombe, pour le rôle déterminant qu’il a joué dans la genèse et la réalisation de ce projet, lui qui avec humour et amour a toujours accueilli aimablement mes réflexions passionnées sur ce sujet de recherche.

Je tiens ensuite à témoigner toute ma reconnaissance à mon directeur de thèse et mentor, Pierre Hébert, pour son enthousiasme à cette idée d’une recherche sur la représentation du cheval dans les lettres québécoises, pour sa confiance en ma capacité de mener à terme ce projet colossal et pour ses judicieux conseils qui m’ont permis de construire un objet d’études signifiant, valable sur le plan scientifique. Je lui sais gré de m’avoir invitée à travailler à ses côtés dans le cadre de ses propres projets, expériences enrichissantes qui m’ont permis de développer davantage mes compétences en recherche.

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V J’adresse par ailleurs des remerciements aux chercheuses et chercheurs spécialistes en études littéraires qui se sont intéressés à mon sujet et qui m’ont donné l’occasion de publier quelques-unes de mes découvertes. Je remercie également les professeurs Marie-Pier Luneau, Anthony Glinoer et Georges Desmeules d’avoir lu et commenté ma thèse. En plus de nourrir ma réflexion, leurs rétroactions m’ont permis de rehausser significativement la qualité de mon travail. Un grand merci à mes collègues Stéphanie Bernier et Cécile Delbecchi pour leur précieuse aide et leur soutien moral indéfectible.

Sincères remerciements à mes proches, parents et ami.es, pour leur intérêt et pour leurs encouragements maintes fois réitérés au fil des ans. Je salue au passage la bienveillance de mes enfants Jonathan, Émilie et Alexis, premier public à qui j’ai raconté avec joie mes histoires de chevaux.

En terminant, que le Groupe de recherches et d'études sur le livre au Québec (GRÉLQ) et la Faculté des lettres et sciences humaines (FLSH) soient remerciés pour leur soutien.

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VI

RÉSUMÉ

Le cheval est l’un des animaux les plus importants du bestiaire québécois, phénomène sans doute attribuable au rôle important qu’il a joué dans l’histoire du Québec depuis l’époque de la Nouvelle-France jusqu’aux années 1960, période de grands bouleversements sociétaires qui marque la fin de l’« ère du cheval » (Martin Baron). Depuis les origines de la littérature québécoise, la représentation du personnage chevalin dans les récits a connu de nombreuses variations. Ces transformations figuratives reflètent, d’une époque à l’autre, un certain état de l’être québécois, de sa société. Une chevauchée à travers les vastes contrées de l’imaginaire collectif permet d’observer la présence de quatre profils distinctifs de chevaux au sein des fictions. Ces archétypes chevalins correspondent à quatre séries culturelles jalonnant l’histoire de la nation québécoise.

Figure iconique des récits historiques du XIXe siècle marquée au fer par l’Histoire du

Canada de François-Xavier Garneau, le cheval de la conquête est une monture racée. De luttes en

combats, la noble bête et son cavalier cherchent ultimement à vaincre le passé douloureux, celui d’un peuple prétendument « sans histoire et sans littérature » (dixit Lord Durham).

Pour sa part, la Grise est cette bonne vieille jument du terroir qui pendant un siècle nous a conduits sagement, vaillamment, religieusement, de la maison ancestrale à l’église du village, en passant par la terre paternelle. Mais un jour, « notre maître, le passé1 » s’est éteint, et la Grise du chanoine Lionel Groulx, comme celle de tous les écrivains du mouvement régionaliste, nous disant « Adieu2 », s’en est allée.

1 Lionel Groulx, Notre maître, le passé, Montréal, Bibliothèque de l’Action française, 1924, 269 p. 2 Lionel Groulx, « Les adieux de la Grise », Les rapaillages, Montréal, « Le Devoir », 1916, 159 p.

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VII Survient dans les années d’après-guerre ce formidable basculement du Québec dans la modernité qui coïncide avec un changement important dans la manière de représenter l’équidé. D’entité figurative zoomorphe qu’il avait toujours été (cheval de poils et de crins), il apparaît désormais le plus souvent sous la forme d’une entité figurative anthropomorphe (humain aux traits et allures du cheval).

Né de la plume de créateurs téméraires dès les années 1930, mais surtout convoqué durant la période charnière de la Révolution tranquille, le personnage du joual est un cheval « désossé », selon la formule insolente du frère Untel. En faisant de la parole joualisante leur cheval de bataille, les jeunes révolutionnaires de la revue Parti pris dénoncent l’aliénation des Canadiens français causée par une humiliante dépossession politique, économique et culturelle. De leur côté, les écrivains font écho aux intellectuels montés sur leurs grands jouaux en esquissant dans leurs récits des chevaux poussifs, des picouilles malingres, des haridelles ployant sous le poids de leur tragique destin à l’image même du peuple colonisé.

Parallèlement à l’apparition du joual, on voit poindre à l’horizon la grande horde des chevaux lâchés en liberté. Quatrième archétype, le cheval libéré surgit des imaginaires débridés sous la forme de personnages chevalins hybrides d’inspiration mythologique, surréaliste ou autre, des personnages humains également (femme-cheval, homme-cheval). Désormais libéré, comme le peuple canadien-français devenu fièrement « québécois », ce cheval de la modernité ne semble plus vouloir être harnaché à aucune convention littéraire ou idéologique. Mais qui sait ?

[Mots-clés : cheval, grise, joual, personnage, représentation, figure, archétype, sociocritique, histoire culturelle]

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VIII

LISTE DES ABRÉVIATIONS

AA : Ange Amazone AC : Alexandre Chenevert

AG : « Les adieux de la Grise », Les rapaillages APPD : Au pied de la pente douce

AR : Alma-Rose

BO : Bonheur d’occasion

CR : Mon cheval pour un royaume

DÉ : « La dernière étape : le Lac-Saint-Jean », Chroniques I, Humeurs et caprices DPQ : D’Amour, P.Q.

DC : Les demi-civilisés

EGP : Les engagés du Grand Portage ÉT : Éthel et le terroriste

GSC : « Le grand Sans Cœur », Le dernier souper HF : L’hiver de force

HP : Un homme et son péché

HPP : Un homme se penche sur son passé IFU : Les insolences du frère Untel JJ : Un Joualonais sa Joualonie JMA : Juana, mon aimée

LAR : L’appel de la race LB : La bagarre

LC : Le cassé

LCC : La lanterne canadienne

LD : « Le déménagement », La route d’Altamont LGT : « Le grand tata », La chair de poule

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IX

LP : Les Plouffe

LR : « Le réveil », Scènes de chaque jour LS : Le Survenant

M : Maryse

MC : Maria Chapdelaine. Récit du Canada français MD : Marie-Didace

MMD : Menaud, maître-draveur

MP : « Mame Pouliche », La fin du voyage NS : Nord-Sud

OR : L’or maudit PÉ : Prochain épisode PV : Poussière sur la ville S : La Scouine

SG : Salut Galarneau!

SO : Sold-out Étreinte/illustration VI : La ville inhumaine

VMC : « La vache morte du canyon », Contes VP : La vie en prose

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X

SOMMAIRE

LE CHEVAL DE PAPIER

ÉTUDE DE LA REPRÉSENTATION DU CHEVAL DANS LA PROSE NARRATIVE QUÉBÉCOISE DES ORIGINES À NOS JOURS

REMERCIEMENTS IV

RÉSUMÉ VI

LISTE DES ABRÉVIATIONS VIII

SOMMAIRE X

1. INTRODUCTION

1

2. LA GRISE

130

3. LE JOUAL

328

4. LE CHEVAL LIBÉRÉ

514

5. CONCLUSION

690

6. ANNEXES

726

CORPUS 897 BIBLIOGRAPHIE 911

TABLE DES ILLUSTRATIONS 933

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1 INTRODUCTION

Le seizième de Juillet, arriva le navire du Havre, portant des chevaux, dont le Roy a dessein de fournir le païs. Nos Sauvages, qui n’en avoient jamais veû, les admiroient, s’estomans que les Orignaux de France (car c’est ainsi qu’ils les appellent) soient si traitables, et si souples à toutes les volontés de l’homme3.

Les Jésuites, « Relation de ce qui s’est passé en la Nouvelle France ès années 1664 et 1665 » Au fond de ces yeux-là, la rivière est profonde et tous les chevaux du roi pourraient y boire ensemble4.

Anne Hébert, Aurélien, Clara, Mademoiselle et le Lieutenant anglais (1995)

1.1 La petite histoire du cheval au Québec 1.1.1 Les chevaux en Nouvelle-France

Le 16 juillet 1665 arrivent en Nouvelle-France les Filles du roi. Venues en cette contrée nouvelle fonder les premières familles du jeune établissement français, elles ne sont pas les seules à débarquer en terre d’Amérique. Il y a au sein du même arrivage des soldats et des bêtes parmi lesquelles on trouve quatorze chevaux5, les chevaux du roi Louis XIV6. Dès ce moment, le sort de ces animaux se trouve scellé à celui d’hommes et de femmes engagés dans une aventure colonisatrice : « Été comme hiver, ils ont défriché les forêts, halé le bois, labouré les terres et tiré les carrioles7. » Isolée dans la vallée laurentienne8, la horde croît rapidement jusqu’au milieu du

3 « Relation de ce qui s’est passé en la Nouvelle France ès années 1664 et 1665 », Relation des Jésuites, t.5, Montréal, Éditions du jour, 1972, p. 25.

4 Anne Hébert, Aurélien, Clara, Mademoiselle et le Lieutenant anglais – récit, Paris, Éditions du Seuil, coll. « Points », 1995, p. 19.

5 Claude Richer et Pearl Duval, en collaboration avec Carolane Grenier, Le cheval canadien. Histoire et espoir, Québec, Les éditions du Septentrion, 2015, p. 31.

6 Quoique la provenance exacte des ancêtres du cheval canadien demeure incertaine, les historiens retiennent aujourd’hui l’hypothèse selon laquelle la Bretagne et la Normandie seraient les lieux d’origine les plus probables. C. Richer et P. Duval, Le cheval canadien […], p. 39 et 45.

7 Radio-Canada, « Le cheval canadien : l’un des secrets les mieux gardés de notre histoire », émission « Samedi et rien d’autre », Ici.Radio-Canada [En ligne], 24 janvier 2015, https://ici.radio-canada.ca/emissions/samedi_dimanche/2014-2015/chronique.asp?idChronique=360954 (page consultée le 26 janvier 2015).

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2 XVIIIe siècle9. Les sujets les plus résistants s’adaptent au climat nordique rigoureux, à l’environnement parfois hostile10, et transmettent à leurs descendants des traits génétiques caractéristiques — taille et poids moyens, forte ossature, poitrine large, ampleur des jointures, solidité des sabots, vivacité de l’allure, agilité et vigueur11. Des douze juments et deux étalons12 arrivés de France en 1665 naît une lignée de chevaux rustiques développée par sélection naturelle, une race souche13 de laquelle seront issues de nombreuses races chevalines nord-américaines14.

8 « [L]es élevages […] de la vallée du Saint-Laurent n’ont aucun contact avec les autres régions sous le Régime français, les voies de circulation terrestre étant limitées. Ils se reproduisent donc entre eux, assez longtemps pour développer des caractéristiques morphologiques distinctes. » C. Richer et P. Duval, Le cheval canadien […], p. 44. 9 « Les chevaux deviennent si nombreux que chaque couche de la société peut en profiter, si bien qu’on peut compter, à un certain moment, jusqu’à un cheval pour cinq habitants. » C. Richer et P. Duval, Le cheval canadien […], p. 54.

10 « Le cheval canadien survit aux rigueurs climatiques, aux longues heures de travail, au manque de nourriture et aux soins vétérinaires quasi inexistants pour se transformer petit à petit. Sa taille se stabilise, une épaisse crinière et une queue touffue le protègent des nuées de mouches l’été et des bourrasques l’hiver. Il devient endurci et d’une force peu commune pour sa taille. » C. Richer et P. Duval, Le cheval canadien […], p. 57-58. Voir aussi p. 46-47. 11 Critères de sélection proposés en 1885 par la Commission d’inspection pour l’identification de chevaux canadiens dits « d’origine » et reproduits par le Dr Couture, vétérinaire en chef du ministère de l’Agriculture, dans ses mémoires. (C. Richer et P. Duval, Le cheval canadien […], p. 101) Le standard du cheval canadien sera ultérieurement révisé en 1907. On y ajoutera de nombreuses précisions, notamment sur la crinière (« abondante en crins fins, longs et ondulés ») et la queue (« longue et fournie »). (Ibid, p. 103)

12 Radio-Canada, « Le cheval canadien : l’un des secrets les mieux gardés de notre histoire ». Cette information se retrouve également dans la très récente publication Le cheval canadien (2015) dans laquelle on peut lire : « Le 16 juillet 1665 débarquent donc à Québec, des cales de la Marie-Thérèse, 14 chevaux, divers bestiaux et un nouvel arrivage de Filles du roi. » (p. 31) Richer et Duval ajoutent : « À partir de ce premier débarquement en 1665, la plupart des navires provenant de France auront à leur bord une quinzaine de chevaux, et ce, jusqu’en 1671. En 1665, 14 chevaux (2 étalons et 12 juments) arrivent vivants en Nouvelle-France. » C. Richer et P. Duval, Le cheval canadien […], p. 31-32.

13 Les chevaux du roi arrivés dans la colonie en 1665 ont été devancés par au moins un autre cheval, selon Mario Gendron : « Le premier cheval à fouler le sol de la Nouvelle-France fut débarqué à Québec le 25 juin 1647. C’était un cadeau de la compagnie des Habitants au gouverneur, Monsieur de Montmagny. Mais on perd rapidement la trace de l’animal dans les sources et il faut attendre presque vingt ans avant d’entendre reparler des chevaux dans la colonie française. Les chevaux qui devaient former le noyau principal de la race canadienne sont importés de France de 1665 à 1671, au rythme de 12 à 14 par année. Environ 60 à 70 chevaux — il s’agit majoritairement de juments (cavales) — furent ainsi introduits dans la jeune colonie pour être distribués aux notables et aux habitants. En 1671, l’intendant Jean Talon met fin aux expéditions, comme l’indique son Mémoire au Roi sur le Canada, daté du 2 novembre. "J’estime que sa Majesté a suffisamment fait passer de bestiaux pour peupler le Canada des espèces qui lui manquoient, vu d’ailleurs que nous pouvons tirer des chevaux des Anglois", affirme-t-il dans ce document. » Mario Gendron, Brève histoire du cheval canadien, Granby (Québec), Société d’histoire de la Haute-Yamaska (SHHY), 2010, p. 9.

14 À la suite d’une chevauchée à travers le continent nord-américain, depuis le Québec jusqu’au Texas, le producteur québécois Richard Blackburn portait une cinquantaine d’échantillons d’ADN de chevaux canadiens de pure race enregistrés au Québec à l’équipe du Dr Gus Cothran, chercheur en génétique du cheval à l’Université A&M du

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3 Bien que ce cheval se développe « en progression parallèle pendant près de 100 ans15 », c’est-à-dire en marge de la Nouvelle-Angleterre qui importe elle aussi à la même époque des chevaux d’Europe16, des chevaux d’origines diverses viennent petit à petit modifier le portrait du cheptel équin de la Nouvelle-France. Selon l’historienne Louise Dechêne, se trouvaient à Montréal au tournant du XVIIIe siècle « des bêtes importées trente ans plus tôt et surtout des chevaux que les voyageurs et les miliciens ont rapportés des Illinois (stock espagnol) et des colonies anglaises17 ». La diversité des races chevalines augmentera significativement à l’époque de la Conquête alors que, selon Mario Gendron, « [d]es centaines, sinon des milliers, de chevaux en provenance des colonies anglaises seront […] introduits dans la vallée du Saint-Laurent à la fin du régime français, entre 1755 et 176018 »19.

Texas. Selon ses recherches, le cheval canadien serait l’ancêtre de toutes les races chevalines en Amérique du Nord : « The legend of the Canadian horse is a fascinating chapter of North American history. It is the story of North America’s first equine breed that was the foundation bloodstock to many American breeds like the American Saddlebred, Standardbred, (possibly) Appaloosa, Northern Plains Mustang, and the Morgan. The Canadian traces its ancestry to horses sent from Louis XIV’s royal stables to the colony of New France in the mid-17th century (Jones1947). In spite of the colony’s harsh climate and the absence of forage, shelter and pasture, the foundation herd of less than a 100 animals flourished to 30 000 by 1784 (Gendron 1993). The Canadian earned the nickname, "the little iron horse, " for its storied feats of strength and endurance, regularly outclassing more muscular and heavy boned horses (Langelier 1920). The Canadian studbook was established in 1889 and is the oldest active horse breed registry in North America (Gendron 2010). » Gus E. Cothran, Anas Khanshour, Rytis Jutras, Rick Blackburn, "The Legend of the Canadian Horse: Genetic Diversity and Breed Origin", Journal of Heredity [En ligne], vol. 106, no 1, janvier 2015, p. 37, https://doi.org/10.1093/jhered/esu074 (page consultée le 12 mars 2019). Le documentaire La légende du cheval canadien raconte la fabuleuse odyssée transcontinentale de ce cavalier hors du commun et de ses deux compagnons de voyage, les chevaux canadiens Hannah et Galopin. Le film a été diffusée à la télévision de Radio-Canada les 21 et 23 décembre 2012. Nathalie Daragon, « Le petit cheval de fer », Traces magazine [En ligne], 2007, https://www.tracesmagazine.com/index.php/pdf/articles/le-petit-cheval-de-fer.pdf (page consultée le 1er mars 2015).

15 C. Richer et P. Duval, Le cheval canadien […], p. 63. « Selon une opinion généralement admise, le cheval canadien serait né par hybridation interne à partir de ce groupe d’origine, sans apport de sang étranger jusqu’à la Conquête. » M. Gendron, se référant à Paul Bernier, « Le cheval canadien : esquisse historique », Temps libre, vol. 4, no 4, décembre 1980, p. 116.

16 C. Richer et P. Duval, Le cheval canadien […], p. 61.

17 Louise Dechêne, Habitants et marchands de Montréal au XVIIe siècle, Paris et Montréal, Plon, 1974, p. 319, dans

M. Gendron, Brève histoire du cheval canadien, p. 9. 18 M. Gendron, Brève histoire du cheval canadien, p. 9.

19 C’est également ce que rapportent C. Richer et P. Duval : « Après la Conquête, l’importation de chevaux anglais stimule les croisements avec les chevaux locaux. Les habitants qui voient arriver de nouveaux types de chevaux sont tentés de remplacer ou d’échanger leurs chevaux Canadiens contre ceux-ci. » C. Richer et P. Duval, Le cheval canadien […], p. 74-75; « À partir de 1763, les chevaux Canadiens font face à une forte discrimination de la part des nouveaux dirigeants. Dans le but d’"améliorer" la race canadienne et de modifier la conformation du "petit cheval de

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4

1.1.2 Le cheptel du cheval canadien après la Conquête anglaise

Au fil du temps, un ensemble de facteurs contribue à une réduction sensible de l’imposant troupeau canadien20: croisements avec des chevaux d’importation, exportation massive lors de diverses campagnes militaires aux XVIIIe et XIXe siècles21, intensification du commerce de chevaux avec les Américains22, engouement pour d’autres races23 dont la conformation répond mieux aux nouveaux besoins (courses de chevaux, travaux agraires24) 25. Ainsi, de croissante qu’elle était jusqu’au XVIIIe siècle, la horde du « cheval canadien-français26 » — surnommé le « petit cheval de fer » — connaît un déclin majeur au XIXe siècle. Passée de 14 chevaux en 1665 à

fer", de nombreux chevaux anglais sont importés de Grande-Bretagne afin de les croiser avec les petits Canadien. » C. Richer et P. Duval, Le cheval canadien […], p. 77.

20 « Les premiers chevaux importés en Nouvelle-France se multiplient à un rythme incroyable, dépassant de loin tout ce que les autorités auraient pu prévoir. Ils font partie intégrante du façonnement de la colonie. En 1709, leur nombre devient si élevé selon Raudot, que cela commence à déranger on s’inquiète en haut lieu (l’affaire remonte jusqu’au roi) du fait que "les Canadiens ne perdent leur précieuse qualité de marcheurs et qu’ils ne fassent plus usage des raquettes20". » C. Richer et P. Duval, Le cheval canadien […], p. 53-54.

21 « [L’]utilisation du cheval canadien durant les guerres nord-américaines [la guerre d’Indépendance américaine, 1775-1783; la guerre de 1812; les troubles de 1837-1838; la guerre de Sécession aux États-Unis, 1861-1865] lui causera de lourdes pertes sur le plan génétique, compte tenu du nombre important de chevaux disparus en peu de temps. Ce sera l’une des raisons qui contribueront au dépérissement de la race. » C. Richer et P. Duval, Le cheval canadien […], p. 70.

22 « Puis, durant la même période, les Américains achètent de plus en plus de chevaux Canadien. Par conséquent, durant tout le XIXe siècle, le nombre de chevaux de race pure canadien diminue dangereusement. » C. Richer et P. Duval, Le cheval canadien […], p. 78.

23 « Le Clydesdale demeure un choix populaire auprès des agriculteurs, surtout d’origine britannique, qui représentent maintenant la moitié de la population. Mais comme ce cheval n’a aucun lien historique avec le Canadien, d’autres, comme la Société provinciale agronomique, suggèrent d’utiliser le Percheron, prétextant qu’il a la grande qualité de venir de la même région que les ancêtres du Canadien. » C. Richer et P. Duval, Le cheval canadien […], p. 93.

24 « Plusieurs éleveurs désirent avoir le droit d’augmenter le poids et la hauteur des poulains qu’ils produisent, prétextant que l’utilisation des tracteurs, maintenant bien implantés en agriculture, menace l’existence même du cheptel et que les chevaux Canadiens, plus lourds, seraient mieux équipés pour les concurrencer. » C. Richer et P. Duval, Le cheval canadien […], p. 104.

25 C. Richer et P. Duval, Le cheval canadien […], p. 88.

26 « L’expression "petit cheval de fer" est le surnom donné à ces petits chevaux qui se sont développés en Nouvelle-France, costauds, forts et résistants, et ce, bien avant qu’ils ne portent le nom de cheval canadien-français et ensuite de cheval canadien. » C. Richer et P. Duval, Le cheval canadien […], p. 47.

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5 30 146 chevaux en 178427, on réalise avec consternation dans les années 1880 qu’elle est pratiquement éteinte28.

Une série de mesures musclées sont alors mises de l’avant pour reconstituer la race et les efforts en ce sens se poursuivent au XXe siècle : inventaire de la race par le Conseil d’agriculture du Québec (1883)29, établissement de registres québécois de la race des chevaux canadiens (1885 et 1907)30, fondation de la Société des éleveurs de chevaux Canadiens (1895)31, prix distribués aux éleveurs de chevaux canadiens performants lors d’expositions agricoles provinciales (1908-1910)32, divers programmes d’élevage du cheval canadien dans des fermes expérimentales fédérales (Cap-Rouge, Saint-Joachim) et provinciales (Deschambault, Sainte-Anne de la Pocatière), loi provinciale pour la mise sur pied de syndicats d’élevage de chevaux pure race subventionnés (création du premier syndicat d’élevage de chevaux canadiens à Montmagny en 1932)33, choix de la race canadienne pour les chevaux de la cavalerie du Service de police de la Ville de Montréal (1995)34, fondation de l’Association québécoise du cheval canadien (1998)35, sanction législative fédérale du projet de Loi S-22 octroyant au cheval canadien le titre de « cheval du Canada » (2002)36, etc.37

27 C. Richer et P. Duval, Le cheval canadien […], p. 170. Cette statistique est en accord avec celle de Mario Gendron (1993) : « 30 000 by 1784. » G. E. Cothran, A. Khanshour, R. Jutras, R. Blackburn, "The Legend of the Canadian Horse […]", p. 37.

28 « En 1880, il faut se rendre à l’évidence : la race est presque éteinte. Trois ans plus tard, en 1883, le Conseil d’agriculture du Québec fait réaliser un inventaire général de la race et, en 1885, le premier ministre du Québec, John Jones Ross, établit le premier registre de la race. » C. Richer et P. Duval, Le cheval canadien […], p. 95.

29 C. Richer et P. Duval, Le cheval canadien […], p. 95. 30 C. Richer et P. Duval, Le cheval canadien […], p. 95, 103. 31 C. Richer et P. Duval, Le cheval canadien […], p. 100. 32 M. Gendron, Brève histoire du cheval canadien, p. 23. 33 M. Gendron, Brève histoire du cheval canadien, p. 28.

34 Service de police de la Ville de Montréal, « Les chevaux », https://spvm.qc.ca/fr/Pages/Decouvrir-le-SPVM/Qui-fait-quoi/Cavalerie-/Les-chevaux (page consultée le 12 mars 2019).

35 C. Richer et P. Duval, Le cheval canadien […], p. 155.

36 Le rôle important que le cheval canadien a joué dans le développement de la nation depuis son importation en Nouvelle-France au XVIIe siècle lui confère un statut particulier dans le patrimoine agricole et culturel du pays,

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6 Fig. 1 — Albert de St Isidore 2663, 5/8/47. Office provincial de publicité, Québec,

Service de ciné-réprographie Négatif 3751238

comme en témoigne le titre de « cheval national du Canada » que lui octroyait le Gouvernement canadien dans une disposition législative entérinée le 30 avril 2002 :

« Attendu :

 que le cheval canadien a été amené au Canada en 1665, lorsque le roi de France a fait parvenir des chevaux de ses propres écuries aux habitants de sa colonie d’Amérique du Nord;

 que les chevaux canadiens se sont multipliés au cours du siècle suivant, de sorte qu’ils sont devenus une aide inestimable pour les colons dans leur volonté de survivre et de prospérer dans leur nouvelle patrie;  que tous les Canadiens qui ont connu le cheval canadien en ont loué les qualités de force, d’endurance et de

capacité de récupération élevées de même que l’intelligence et le calme qui distinguent cette race;

 que le cheval canadien a failli disparaître par croisement ou par exposition aux risques de guerre, mais qu’il a échappé à ces périls;

 que, depuis 1885 jusqu’à nos jours, de plus en plus de mesures ont été mises en œuvre avec succès afin de restaurer et préserver le cheval canadien;

 que le gouvernement du Canada souhaite reconnaître la place exceptionnelle du cheval canadien dans l’histoire du Canada,

Sa Majesté, sur l’avis et avec le consentement du Sénat et de la Chambre des communes du Canada, édicte: 1 Loi sur le cheval national du Canada.

2 Le cheval canadien est reconnu et désigné comme le cheval national du Canada. »

Gouvernement du Canada, Loi sur le cheval national du Canada (L.C. 2002, ch. 11), 2 p., dernière mise à jour : 14 février 2019, https://lois-laws.justice.gc.ca (page consultée le 12 mars 2019).

37 À cela s’ajoute l’effort de particuliers qui, par le biais de divers projets, contribuent à faire découvrir la race du cheval canadien. À titre d’exemples : les aventuriers Frédérick et Pierre Vernay, assistés par le photographe Jean-Yves Lapaix et accompagnés de deux chevaux canadiens (Valentin et Prunelle), font une expédition de 85 jours dans l’Arctique en 1990 et publient le récit de leurs exploits par la suite (Pierre Vernay, Le Grand Nord à cheval. Un raid exceptionnel dans l’Arctique canadien, Albin Michel, 1993); en 2012, le cavalier Richard Blackburn entreprend une longue randonnée depuis les Plaines d’Abraham jusqu’à la Texas A&M University en compagnie de deux chevaux canadiens (Hannah et Galopin). Voir note 10.

38 « À l’endos de l’image de ce cheval canadien, ci-haut, il est simplement écrit : Albert de St Isidore 2663, 5/8/47. Office provincial de publicité, Québec, Service de ciné-réprographie Négatif 37512. » Jean Provencher, « Le millième article », Les Quatre Saisons, blog du 20 janvier 2013, https://jeanprovencher.com/2013/01/20/le-millieme-article/ (page consultée le 23 mars 2019)

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7 Malgré tous les efforts de protection et de reproduction du cheval canadien, son statut demeure précaire. En l’an 1720, on comptait en Nouvelle-France 2000 chevaux canadiens pour une population de 24 951 habitants39. En 2013, au Québec, l’Association québécoise du cheval canadien dénombrait sensiblement le même nombre de sujets, soit 2456 chevaux canadiens40 pour une population totale estimée à 8 115 700 personnes41.

Fig. 2 — Réjean Ducharme, « chevalcanadienhevalanadienevalnadienvaladienaldienlien », Le Lac Tume, présenté par Rolf Puls, Outremont, Les éditions du passage, 2017, p. 25.

39 C. Richer et P. Duval, Le cheval canadien […], p. 54.

40 K. Harrouart, Denis Demars et Claude Richer, Portrait de l’industrie du cheval canadien au Québec, rapport remis au MAPAQ le 1er novembre 2013, 92 p., dans C. Richer et P. Duval, Le cheval canadien […], p. 157.

41 Gouvernement du Québec, Institut de la statistique du Québec, Bilan démographique du Québec, édition 2013 [En ligne], p. 21, https://www.stat.gouv.qc.ca/statistiques/population-demographie/bilan2013.pdf (page consultée le 22 mars 2019).

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1.1.3 Le cheval à l’ère de la modernité : de l’agriculture à la culture

Quelle que soit l’époque, l’histoire du cheval est indissociable de l’histoire du Québec. Dans une étude sur le cheval et la culture populaire au Québec, Martin Baron précise cependant que « l’utilisation du cheval […] atteint son apogée entre 1850 et 196042 ». Au milieu du xxe siècle, « l’ère du cheval43 » tire à sa fin, et pour cause. Les appareils et véhicules motorisés le remplacent graduellement comme outils de travail et moyens de transport44, au grand regret d’individus nostalgiques d’un mode de vie traditionnel désormais révolu, comme en témoigne Adjutor Rivard dans son conte « La route » en 1944 : « Les voitures qui passent ne sont pas, comme celles d’autrefois, honnêtes, lentes et sages. […] Tapageuses, elles sifflent et crachent. […] Elles renversent, écrasent ce qui se trouve sur leur passage; elles tuent parfois45. » Qu’on le veuille ou non, l’avènement de la modernité amoindrit considérablement le partenariat entre l’homme et l’animal.

Néanmoins, tout n’est pas perdu pour le cheval. La transformation du marché du travail et les progrès économiques qui en découlent entraînent une amélioration générale des conditions de vie, favorisant l’émergence d’une culture de consommation46. Dans ce contexte, le nouveau rôle du cheval pour une large part en est un de divertissement, comme le souligne Mario Gendron :

42 Martin Baron, L’éloge de la Grise : le cheval et la culture populaire au Québec (1850-1960), Université de Sherbrooke, mémoire de maîtrise (Histoire), 1997, f. 31.

43 M. Baron, L’éloge de la Grise : le cheval et la culture populaire au Québec (1850-1960), f. 62.

44 « Rejeté définitivement de la ville par l’automobile et le camion, le cheval déserte aussi progressivement les campagnes, remplacé par le tracteur. Alors que les fermes du Québec comptaient 232 863 chevaux en 1951, on n’en recensait plus que 45 543 en 1971. » M. Gendron, Brève histoire du cheval canadien, p. 34.

45 Adjutor Rivard, Contes et propos divers, [Éd. originale : Québec, Librairie Garneau limitée, 1944], dans Jean-Yves Dupuis, La Bibliothèque électronique du Québec, coll. « Littérature québécoise », vol. 168, version 1.0 (Édition de référence : Québec, Librairie Garneau limitée, 1944).

46 « Depuis les années 1920, […] et plus encore à partir des années 1930, c’est dans les villes — et surtout à Montréal — que s’élaborent les nouveaux modèles culturels, en particulier pour tout ce qui touche la culture de grande diffusion, qui tend à devenir rapidement ce qu’elle est dans les autres sociétés industrialisées : une culture de consommation. » Paul-André Linteau, René Durocher, Jean-Claude Robert et François Ricard, Histoire du Québec contemporain, Tome II : Le Québec depuis 1930, éd. révisée, Montréal, Les Éditions du Boréal, coll. « Boréal compact », 1989, p. 171.

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9 « Les sports équestres, pratiqués jusque-là presque exclusivement par les anglophones, prennent graduellement leur place dans l’agenda des loisirs de nombreux francophones, favorisant une reprise de l’élevage du cheval léger47. » Malgré cette revalorisation du cheval, force est d’admettre que sa popularité a régressé considérablement depuis le début du XXe siècle. D’hier à aujourd’hui, tout a changé au pays de Québec48 : autrefois le meilleur ami de l’homme (certainement plus que le chien en vertu des immenses services rendus à l’époque de la colonisation49), le cheval de poils et de crins est devenu difficilement accessible pour qui n’a pas la possibilité de fréquenter le milieu des sports ou des loisirs équestres.

Le noble animal n’est cependant pas disparu de nos vies pour autant. S’il a contribué à améliorer les conditions de vie des premiers habitants de la colonie française et de plusieurs générations de défricheurs et de cultivateurs à leur suite, s’il a agrémenté la vie des cavaliers amateurs et professionnels des temps modernes, le cheval a également façonné l’imaginaire collectif de bien des façons. Progressivement, il est apparu dans la société québécoise sous une autre forme — symbolique en essence —, comme en témoignent ses nombreuses manifestations au sein des productions culturelles (livres, œuvres d’art, films, spectacles, etc.). Il fut notamment un sujet d’inspiration prisé en arts visuels, domaine où de nombreux artistes en ont donné des représentations picturales, contribuant de la sorte à sa mise en valeur. Dans la seconde moitié du XIXe siècle et au début du XXe siècle, des peintres de renom — Cornelius Kriefhoff, Adolphe Vogt, Marc-Aurèle Fortin, William Brymmer, James Wilson Morrice, Maurice Cullen, Clarence

47 M. Gendron, Brève histoire du cheval canadien, p. 34.

48 « "[I]l faut rester dans la province où nos pères sont restés, et vivre comme ils ont vécu […] : Au pays de Québec rien ne doit mourir et rien ne doit changer…" » Louis Hémon, Maria Chapdelaine. Récit du Canada français, [Éd. originale : Montréal, J.-A. LeFebvre, 1916], Montréal, Les Éditions du Boréal, coll. « Boréal compact », 1988, p. 198.

49 Que ce soit dans le domaine de l’agriculture, du transport ou de la foresterie, l’homme met à profit « la force de traction du cheval » pour répondre aux besoins des individus et des entreprises. M. Baron, L’éloge de la Grise : le cheval et la culture populaire au Québec (1850-1960), f. 31.

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10 Gagnon, Marc-Aurèle de Foy Suzor-Côté, Horatio Walker50 — représentent le cheval dans diverses scènes de la vie des Canadiens. Dans les œuvres « En traîneau, sautant vers la rive51 » de Marc-Aurèle de Foy Suzor-Coté et « The Last Crossing52 » de Clarence Gagnon, par exemple, on voit la bête en pleine action lors de la périlleuse traversée d’un cours d’eau gelé, tout juste avant la débâcle printanière.

Fig. 3 — Marc-Aurèle de Foy Suzor-Coté, « En traîneau, sautant vers la rive » […], Musée national des beaux-arts du Québec [En ligne], fusain sur papier, 31.4 x 48.5 cm, 1916,

https://www.mnbaq.org/collections/oeuvre/en-traineau-sautant-vers-la-rive-illustration-pour-maria-chapdelaine-de-louis-hemon-832.pdf (page consultée le 2 mars 2015)

Fig. 4 — Clarence Gagnon, « The Last Crossing, 1928-1933 », The McMichael Canadian Art Collection [En ligne], Mixed media on paper, 21.8 x 21.2 cm, Gift of Col. R.S. McLaughlin, McMichael Canadian Art Collection, 1969.4.6., https://mcmichael.com/exhibitions/mariachapdelaine/mariaimages.cfm (page consultée le 2 mars 2015)

50 M. Baron, L’éloge de la Grise : le cheval et la culture populaire au Québec (1850-1960), f. 144.

51 Illustration du passage « ... et s'en alla vers la rive par bonds, avec de grands coups de collier. » (p. 22), Louis Hémon, Maria Chapdelaine. Récits du Canada français, préface de Émile Boutroux et de Louvigny de Montigny, illustrations de Suzor-Coté, Marc-Aurèle de Foy, Montréal, J.-A. Lefebvre, 1916, 244 p., dans Centre de recherche interuniversitaire sur la littérature et la culture québécoise (CRILCQ), « Louis Hémon / Marc-Aurèle de Foy Suzor-Coté », À la rencontre du régionalisme littéraire et artistique : l’illustration au Québec [En ligne], 15 mai 2007, https://www.crilcq.org/regionalisme/cas_de_figure_hemon-suzor-cote.html (page consultée le 2 mars 2015).

52 Le titre complet de l’œuvre de Marc-Aurèle de Foy Suzor-Coté datant de 1916 est « En traîneau, sautant vers la rive. Illustration pour Maria Chapdelaine de Louis Hémon ». M.-A. de Foy Suzor-Coté, « En traîneau, sautant vers la rive […] », Musée national des beaux-arts du Québec [En ligne], fusain sur papier, 31.4 x 48.5 cm, 1916, https://www.mnbaq.org/collections/oeuvre/en-traineau-sautant-vers-la-rive-illustration-pour-maria-chapdelaine-de-louis-hemon-832.pdf (page consultée le 2 mars 2015).

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11 Dans un article paru dans Les Cahiers des Dix en 2015, « Le cheval canadien et les voitures hippomobiles d’hiver vus par Cornelius Krieghoff53 », Laurier Lacroix relate que ce peintre canadien d’origine hollandaise (1815-1872) « a réalisé à des centaines de reprises des scènes de genre montrant l’habitant avec son cheval pendant l’hiver. En effet, le peintre et ses clients affectionnent les sujets qui montrent le paysan en compagnie du cheval et des différents types de voiture qu’il utilise54 ».

Fig. 5 – C. Krieghoff, Traîneau d’habitant, vue près de la frontière du Canada, détail, v. 1847, 64,1 x 92 cm, coll. Thomson, MBAO, repr. dans REID 1999, p. 1355.

Selon l’analyse de l’historien de l’art, le profil du cheval canadien qui se dégage des toiles de Krieghoff se résume à quelques traits dominants. Tel qu’il est représenté dans les tableaux de sociabilité campagnarde, le cheval paraît docile, patient et sociable56. Dans les scènes de courses attelées, le peintre lui donne l’allure d’un animal rapide, vigoureux et ayant beaucoup

53 Laurier Lacroix, « Le cheval canadien et les voitures hippomobiles d’hiver vus par Cornelius Kreighoff », Les Cahiers des Dix [En ligne], no 69, 2015, p. 281-301, Les Éditions La Liberté, https://id.erudit.org/iderudit/1035603ar (page consultée le 17 octobre 2017).

54 L. Lacroix, « Le cheval canadien et les voitures hippomobiles d’hiver vus par Cornelius Kreighoff », résumé de l’article.

55 L. Lacroix, « Le cheval canadien et les voitures hippomobiles d’hiver vus par Cornelius Kreighoff », p. 290. 56 L. Lacroix, « Le cheval canadien et les voitures hippomobiles d’hiver vus par Cornelius Kreighoff », p. 289.

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12 d’endurance57. Parallèlement, d’autres races de chevaux sont mises en scène, mais leur apparence diffère de celle du petit cheval de l’habitant canadien, reflet de la différence des milieux sociaux dont proviennent les bêtes, comme l’indique Lacroix dans son analyse de l’œuvre Sleigh Race

Near Montreal (1848, lithographie, BAC) :

[L]es quatre chevaux guidés par un cocher tirent un élégant traîneau dans lequel prennent place deux couples. Les pattes et les têtes fines indiquent qu’il s’agit de chevaux pur-sang de race importés d’Angleterre alors que le gouvernement et les dirigeants économiques transposent leur mode de vie dans la colonie58.

Fig. 5 – C. Krieghoff, La carriole bleue, vers 1849, 35,6 x 53,2 cm, coll. Power Corporation du Canada.

Les disparités sociales et ethniques caractéristiques du milieu du XIXe siècle au Québec se reflètent également dans les types de véhicules dépeints dans les saynètes. Aux traîneaux de promenade sophistiqués de la classe dirigeante anglophone (sleigh59) s’opposent les attelages plus modestes des habitants francophones (traîneau à bâtons, traîne)60.

57 L. Lacroix, « Le cheval canadien et les voitures hippomobiles d’hiver vus par Cornelius Kreighoff », p. 291. 58 « Un bel exemple montrant des chevaux de race importés figure dans la lithographie Sledge Race near Montreal (1848, repr. R. Harper, Krieghoff, [Toronto, University of Toronto Press, 1979], p. 42). On y voit quatre bêtes tirant une carriole aux élégants patins formés d’ovales. Le cocher protégé par un pare-neige mène quatre personnages chaudement vêtus. Krieghoff reçoit en 1854 la commande pour faire le portrait de Fraser, cheval de course gagnant sur la piste des Plaines d’Abraham. L’animal pose avec son jockey, Fraser, monté par Monsieur Miller (MBAC, D. Reid, [Krieghoff. Images du Canada, Toronto, Musée des beaux-arts de l’Ontario, 1999], p. 127), dans L. Lacroix, « Le cheval canadien et les voitures hippomobiles d’hiver vus par Cornelius Kreighoff », p. 293.

59 « Ce type de traîneau, importé par les Loyalistes, est adapté pour la vitesse en raison de leur hauteur et il permet de bien apercevoir la route. Le chic des vêtements chauds des passagers ajoute à la distinction qu’affirme déjà le

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13 En définitive, en sélectionnant certains éléments parmi d’autres de la vie quotidienne des Canadiens français comme source d’inspiration — les chevaux et les voitures hippomobiles en l’occurrence —, le peintre Cornelius Krieghoff racontait à sa façon l’histoire du pays au XIXe siècle61. Cet exemple démontre qu’il existe bien des façons de raconter l’histoire des peuples. Les historiens ne sont pas les seuls détenteurs du pouvoir de la mise en récit du passé. « On soupçonne bien […], souligne Yvan Lamonde, que la discipline historique ne peut être la seule "science" humaine à avoir accès au "réel" […]. […] Il faut voir autre chose : l'objet de l'histoire "n'est pas le réel, mais les manières dont les hommes le pensent et le transposent"62. »

1.2 La représentation du cheval dans les récits québécois

1.2.1 Problématique et état de la question : la signification de l’image du cheval en littérature québécoise

Selon Marcelle Ferron, cosignataire du manifeste Refus global, le peintre est « un historien qui écrit une histoire parallèle63 » en marge de l’« histoire académique ». À ce chapitre, nous l’avons bien vu, le cas « Krieghoff » est exemplaire. Dans le Mythe de Sisyphe, Albert Camus écrit : « Il n’y a pas de frontières entre les disciplines que l’homme se propose pour comprendre et aimer. Elles s’interpénètrent et la même angoisse les confond64. » Souscrivant à cette thèse de la complémentarité épistémologique des champs disciplinaires, l’idée nous est venue de raconter le Québec en présentant une autre « histoire parallèle » inspirée par la figure véhicule. » L. Lacroix, « Le cheval canadien et les voitures hippomobiles d’hiver vus par Cornelius Kreighoff », p. 299.

60 L. Lacroix, « Le cheval canadien et les voitures hippomobiles d’hiver vus par Cornelius Kreighoff », p. 294. 61 L. Lacroix, « Le cheval canadien et les voitures hippomobiles d’hiver vus par Cornelius Kreighoff », p. 300-301. 62 Yvan Lamonde « Quelle histoire nous racontons-nous? : Fiction littéraire et histoire », Les Cahiers des Dix [En ligne], no 55, 2001, p. 109, https://id.erudit.org/iderudit/1008080ar (page consultée le 25 mars 2019). La citation est de Roger Chartier, Au bord de la falaise. L’histoire entre certitudes et inquiétudes, Paris, Albin Michel, 1998, p. 58. 63 Marcelle Ferron, dans Patricia Smart, Les femmes du Refus global, Montréal, Les Éditions du Boréal, 1998, p. 7. 64 Albert Camus, Le mythe de Sisyphe, Paris, Gallimard, coll. « folio essais », [1942] 2005, p. 133.

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14 du cheval, celle que dépeignent les artistes de la plume. Autrement dit, faire le récit d’une histoire culturelle du Québec fondée sur les représentations littéraires de « la plus noble conquête65 » du peuple québécois, le cheval. Mais avant de construire et de circonscrire un tel objet d’étude, encore faut-il voir ce qui a été fait en recherche dans ce domaine, dresser en quelque sorte un état des lieux des études réalisées sur cette portion congrue du bestiaire66 québécois, « bestiaire » entendu au sens de vaste réservoir d’imageries animales propre au fonds littéraire québécois symbolisant non pas tant des traits de caractère humain généraux que des aspects de la culture.

Dans Ève et le cheval de grève (1988) où elle a étudié cette figure animale dans l’œuvre d’Anne Hébert, France Nazaire Garant souligne à la fin de son ouvrage que « le symbole du cheval se rencontre ailleurs, dans la littérature québécoise, chez d’autres écrivains67 » et, à ce propos, elle s’interroge : « Que signifie donc l’image du cheval au Québec68? » Cet angle mort de la recherche l’amène à conclure que sa « lecture de l’univers imaginaire d’Anne Hébert laisse poindre de nouveaux horizons69 ». Une trentaine d’années se sont écoulées depuis cette invitation à poursuivre les travaux sur la représentation du cheval en littérature québécoise et ce sujet n’a suscité jusqu’à présent que des études parcellaires.

65 L’expression « Le cheval est la plus noble conquête que l’homme ait jamais faite » est du naturaliste et écrivain français Georges-Louis Leclerc, comte de Buffon (1707-1788), auteur de l’Histoire naturelle (1749-1804).

66 Le bestiaire est un genre littéraire issu de la Grèce antique se présentant sous la forme d’un « recueil de fables, de moralités sur les bêtes » (Le Nouveau Petit Robert, 2008, p. 244), à ne pas confondre avec les ouvrages d’histoire naturelle. Selon Christopher Lucken, « [o]n peut faire remonter les bestiaires au Physiologus, anonyme et rédigé en grec, vraisemblablement entre le IIe et le IVe siècle, à Alexandrie. » Christopher Lucken, « Bestiaires », dans Paul Aron, Denis Saint-Jacques et Alain Viala (dir.), Le dictionnaire du littéraire, 2e éd., Paris, Quadrige/Presses Universitaires de France, [2002] 2010, p. 63. En vogue au Moyen Âge, on trouvait dans ce type de traité didactique deux éléments distincts : une description d’un trait remarquable d’un animal (réel ou imaginaire) suivi d’une interprétation symbolique. La révélation de la signification cachée de la représentation animalière visait en outre à « mettre en question la nature même de l’homme, créé à l’image et à la ressemblance de Dieu, mais toujours menacé de s’apparenter aux bêtes » Ibid, p. 63-64.

67 France Nazaire Garant, Ève et le cheval de grève : contribution à l’étude de l’imaginaire d’Anne Hébert, Québec, Nuit blanche éditeur, coll. « Essais », Université Laval, Centre de recherche en littérature québécoise, no 7, 1988, p. 165.

68 F. Nazaire Garant, Ève et le cheval de grève : contribution à l’étude de l’imaginaire d’Anne Hébert, p. 166. 69 F. Nazaire Garant, Ève et le cheval de grève : contribution à l’étude de l’imaginaire d’Anne Hébert, p. 168.

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15 Si l’on considère le champ littéraire québécois dans son ensemble, on observe que la vaste majorité des analyses portant sur la représentation du cheval émanent des études hébertiennes. Comment expliquer un tel engouement de la part des commentateurs de l’œuvre? D’une part, la vaste majorité des textes hébertiens — narratifs, dramatiques et poétiques — mettent en scène le cheval70; de ce fait, l’objet devient incontournable. D’autre part, et plus encore sans doute, ces animaux chez l’écrivain, au-delà de leurs propriétés discursives contribuant à l’effet de réel, constituent « de véritables actants qui déterminent des fonctions narratives essentielles comme "aimer" ou "tuer"71 », selon la formule de Marc Gontard. Il serait fastidieux de résumer ici tous les commentaires critiques portant sur cette figure dans l’œuvre d’Anne Hébert tant ils sont nombreux. Pour cette raison, nous n’aborderons que deux cas de figure en guise d’illustration.

Nous évoquions plus tôt l’ouvrage Ève et le cheval de grève (1988) de France Nazaire Garant, la seule étude d’envergure consacrée à la figure du cheval dans une œuvre québécoise. Le livre est structuré en trois parties, chacune renvoyant à « trois grandes catégories de chevaux ainsi que la tradition symbolique à laquelle ils se rattachent : les bêtes du travail quotidien, celles du jeu et du rêve, celles du chaos72 ». Adoptant une approche bachelardienne, Nazaire Garant précise que son intention n’était pas de présenter les résultats d’une recherche académique, mais plutôt de partager la rêverie qu’a suscitée en elle ce contact avec l’œuvre hébertienne, « [ce] voyage, [cette] exploration au cœur même de l’écriture par l’entremise de la thématique du cheval73 ».

70 Bien qu’il s’agisse dans quelques cas d’une allusion au cheval, cette figure apparaît dans toutes les œuvres narratives du corpus hébertien, recueil de nouvelles, récits et romans confondus : Le torrent (1950), Les chambres de bois (1958), Kamouraska (1970), Les enfants du sabbat (1975), Héloïse (1980), Les fous de Bassan (1982), Le premier jardin (1988), L’enfant chargé de songes (1992), Aurélien, Clara, Mademoiselle et le Lieutenant anglais (1995), Est-ce que je te dérange? (1998), Un habit de lumière (1999).

71 Marc Gontard, « Noir, blanc et rouge : le chromo-récit d’Anne Hébert dans Kamouraska », dans Madeleine Ducrocq-Poirier (dir.), Anne Hébert, parcours d’une œuvre. Actes du colloque de la Sorbonne, Montréal, l’Hexagone, 1997, p. 251.

72 F. Nazaire Garant, Ève et le cheval de grève : contribution à l’étude de l’imaginaire d’Anne Hébert, p. 18-19. 73 F. Nazaire Garant, Ève et le cheval de grève : contribution à l’étude de l’imaginaire d’Anne Hébert, p. 61. La prochaine citation se trouve à la même page.

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16 Quels types de chevaux trouve-t-elle chez Anne Hébert au cours de ce « voyage »? Tout d’abord, il y a « [l]es chevaux du travail quotidien » qui « rejoignent, par leurs fonctions, les chevaux traditionnels du labour et du transport » et agissent en « fidèles compagnons de l’homme dans sa conquête de la terre74 ». Nazaire Garant ne manque toutefois pas de souligner au passage, par un parallélisme évocateur, le trait d’union tragique qui unit l’humain et l’animal dans cette difficile quête : « Les êtres de peine, les bêtes de somme75. » Ce rapport renvoie à un univers non problématisé qui, malgré la « peine » qu’il inflige, ne souffre jamais d’être remis en question. À ce monde bien en ordre assuré par la vaillance et la docilité des premiers chevaux rencontrés chez Anne Hébert succède « un univers imaginaire où tout peut être possible76 » et dans lequel on retrouve « les chevaux du jeu et du rêve ». La quête ici se veut « une plongée dans le tourbillon des fantasmes et dans le monde de l’enfance ». Les chevaux empruntent désormais « une route qui mène au cœur, à la mémoire77 » et nous conduisent petit à petit vers « un monde infernal où l’ordre n’existe que pour être renversé ». Ce sera le monde des « chevaux du chaos », infiniment plus transgressifs que leurs prédécesseurs, qui parviendront à « [e]xorciser, briser les images néfastes, détruire les mythes aliénants78 ».

L’approche de Daniel Marcheix diffère de celle de Nazaire Garant. Dans une partie de chapitre intitulé « Le cheval et la révélation de la vie profonde » de son ouvrage Le mal

d’origine : temps et identité dans l’œuvre romanesque d’Anne Hébert (2005), ce dernier met à

profit la mythocritique (Gilbert Durand) afin de décoder l’interrelation des motifs du cheval et de l’eau dans certains textes hébertiens (FB, LT, ECS). Puis, sollicitant les ressources de la

74 F. Nazaire Garant, Ève et le cheval de grève : contribution à l’étude de l’imaginaire d’Anne Hébert, p. 64. 75 F. Nazaire Garant, Ève et le cheval de grève : contribution à l’étude de l’imaginaire d’Anne Hébert, p. 21.

76 F. Nazaire Garant, Ève et le cheval de grève : contribution à l’étude de l’imaginaire d’Anne Hébert, p. 67. La prochaine citation se trouve à la même page.

77 F. Nazaire Garant, Ève et le cheval de grève : contribution à l’étude de l’imaginaire d’Anne Hébert, p. 92. La prochaine citation se trouve à la même page.

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17 sémiologie (Philippe Hamon), il livre une analyse détaillée sur la mécanique narrative et modale à l’œuvre dans un épisode déterminant du « Torrent »79 qui débute par l’évocation de fantasmes mortifères par le protagoniste et qui se clôt par un passage à l’acte meurtrier. Le critique souligne dans un premier temps l’admiration de François pour le cheval Perceval qui offre une résistance farouche à la marâtre (mère de François), ce qui se traduit au plan formel par la présence d’une focalisation interne et du champ lexical de la fascination et, de manière concomitante, par l’identification de François à la bête, révélant du coup son désir profond de lui ressembler, voire d’être lui. En deuxième lieu, Marcheix met en lumière la prise de conscience douloureuse du protagoniste quant à son incapacité d’incarner la bête et l’avènement du transfert identitaire, faisant du cheval l’arme meurtrière. Marcheix conclut que « la libération de Perceval est une manière à la fois métaphorique et métonymique de dire la libération de François lui-même, livré désormais à des instincts enracinés dans les profondeurs de son inconscient, suggéré ici par le non-dit du texte80 ».

Dans le domaine de l’historiographie, Martin Baron a rédigé un mémoire de maîtrise intitulé L’éloge de la Grise : le cheval et la culture populaire au Québec (1850-1960) où il convoque près d’une trentaine d’œuvres de la littérature du terroir (romans, récits brefs régionalistes81) et de la tradition folklorique (contes et légendes)82 afin de montrer l’influence de

79 Cet extrait choisi par Marcheix pour sa valeur exemplaire au niveau du lien qui unit le motif de l’eau à celui du cheval rappelle l’analyse faite à ce propos par André Brochu dans Anne Hébert. Le secret de vie et de mort : « Le torrent, conformément à sa dynamique impétueuse, faite de mouvements et de contre-mouvements, va donc exprimer simultanément la révolte du fils et la puissance maternelle, cible (et cause) de cette révolte. Or un animal aussi impérieux que le torrent, aussi brutal que Claudine qui l’acquiert pour le vaincre, le cheval Perceval, va mener la révolte de François à son aboutissement. François, en effet, libère le cheval, qui écrase sous ses sabots la mère détestée. » André Brochu, Anne Hébert. Le secret de vie et de mort, Ottawa, Les Presses de l’Université d’Ottawa, coll. « Œuvres et auteurs », 2000, p. 39.

80 Daniel Marcheix, « Le cheval et la révélation de la vie profonde », Le mal d’origine : temps et identité dans l’œuvre romanesque d’Anne Hébert, Québec, L’instant même, 2005, p. 206.

81 Œuvres littéraires consultées par Martin Baron dans le cadre de sa recherche :

 Philippe Aubert de Gaspé fils, Le chercheur de trésor ou L’influence d’un livre (1837)  Philippe Aubert de Gaspé père, Les anciens Canadiens (1863)

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18 l’animal sur un ensemble de pratiques socioéconomiques et culturelles aux XIXe et XXe siècles83. Croisant les approches de l’histoire culturelle et de l’histoire de l’environnement, il poursuit un objectif précis, soit découvrir le sens que revêt la praxis humaine : « Derrière l’animal, nous cherchons des comportements, des attitudes, des sensibilités d’hommes et de femmes. Nous entrons dans l’univers des conceptions du monde, dans la façon dont les gens organisent leur environnement84. » Son étude se divise en trois parties : l’utilisation du cheval et l’environnement, le code du cheval et les représentations collectives du cheval.

Le premier chapitre porte sur le cheval comme force de travail. Que ce soit dans le domaine de l’agriculture, du transport ou de la foresterie, l’humain met à profit « la force de

 Georges Bouchard, Vieilles choses, vieilles gens. Silhouettes campagnardes (1929)

 Guy Boulizon, Contes et récits canadiens d’autrefois (1961)  Pierre J. O. Chaveau, Charles Guérin (1846)

 Ernest Choquette, Claude Paysan (1899)

 Laure Conan, Angéline de Montbrun ([1882]1967)  Françoise (Robertine Barry), Fleurs champêtres (1895)

 Louis Fréchette, Honoré Beaugrand et Paul Stevens, Contes d’autrefois (1946)

 Antoine Gérin-Lajoie, Jean Rivard, le défricheur, suivi de Jean Rivard, l’économiste (1862 et 1864)  Rodolphe Girard, Marie-Calumet (1904)

 Claude-Henri Grignon, Un homme et son péché (1933)  Lionel Groulx, Les rapaillages (1916)

 Louis Hémon, Maria Chapdelaine (1916)  Albert Laberge, La Scouine (1918)

 Patrice Lacombe, La terre paternelle (1846)  Pamphile Le May, Picounoc le maudit (1878)  L. Pamphile Le May, Tonkourou (1888)  Joseph Marmette, Charles et Éva (1866)

 Édouard-Zotique Massicotte, Anecdotes canadiennes suivies de Mœurs, coutumes et industries d’autrefois. Mots historiques et miettes de l’histoire (1913)

 Édouard-Zotique Massicotte, Conteurs canadiens-français du XIXe siècle (1908)  Ringuet (Philippe Panneton), Trente arpents (1938)

 Adjutor Rivard, Chez nous. Chez nos gens, 4e édition (1924)  Félix-Antoine Savard, Menaud, maître draveur (1937)

 Société Saint-Jean-Baptiste, La corvée : concours littéraire (1917)  Jules-Paul Tardivel, Pour la patrie, roman du XXe siècle (1895)

82 Archives parmi lesquelles on trouve « Les lutins d’écuries », « Diable constructeur d’église », « Diable à la danse », « Diable beau danseur », « Diable enlève la danseuse » et « Lieux où les chevaux s’arrêtent ». M. Baron, L’éloge de la Grise : le cheval et la culture populaire au Québec (1850-1960), f. 151-154.

83 M. Baron, L’éloge de la Grise : le cheval et la culture populaire au Québec (1850-1960), f. 3. 84 M. Baron, L’éloge de la Grise : le cheval et la culture populaire au Québec (1850-1960), f. 7.

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19 traction du cheval [pour répondre] adéquatement aux besoins des individus et des entreprises85. Ces diverses activités économiques engendrent « un grand nombre d’occupations reliées au cheval ». Parmi les « hommes de chevaux », on trouve entre autres l’agriculteur, le charretier, le guérisseur, l’agronome, le vétérinaire, le forgeron et le maquignon — ce commerçant de chevaux au statut ambivalent, tantôt vendeur, tantôt voleur86. Pour le chercheur, « [l]’utilisation du cheval s’insère dans un environnement complexe fait de relations économiques, sociales, culturelles et religieuses87 » et influence le mode de vie de la population. Afin d’illustrer les conditions de vie des colons-défricheurs88, Baron cite un extrait de Maria Chapdelaine (1916) où Louis Hémon évoque l’utilisation du cheval pour le débusquage en forêt89.

Le second chapitre porte sur le « code du cheval90 » que Baron définit comme « un ensemble de gestes, indéfiniment répétés comme allant de soi, imprégnés de significations et d’obligations, qui influencent les comportements personnels et collectifs envers cet animal91 ». Une citation de Jean Rivard, le défricheur […] (1862) lui permet de souligner le lien d’attachement qui unit l’homme à la bête dans la société : « [L]e cheval est en quelque sorte l’enfant gâté du cultivateur; on ne lui ménage ni le foin ni l’avoine, on l’étrille, on le nettoye [sic] tous les jours. » Marques d’affection, de compassion, de préférence par rapport aux autres

85 M. Baron, L’éloge de la Grise : le cheval et la culture populaire au Québec (1850-1960), f. 31. Les deux prochaines citations se trouvent à la même page.

86 M. Baron, L’éloge de la Grise : le cheval et la culture populaire au Québec (1850-1960), f. 44. 87 M. Baron, L’éloge de la Grise : le cheval et la culture populaire au Québec (1850-1960), f. 63. 88 M. Baron, L’éloge de la Grise : le cheval et la culture populaire au Québec (1850-1960), f. 26.

89 « […] lorsque l’arbre [abattu] n’était pas trop lourd pour leurs forces jointes, ils le prenaient chacun par un bout, croisant leurs fortes mains sous la rondeur du tronc, puis se redressaient, raidissant avec peine l’échine et leurs bras craquaient aux jointures et s’en allaient le porter sur un des tas proches […] Quand ils jugeaient le fardeau trop pesant Tit’Bé s’approchait, menant le cheval […] qui traînait le bacul auquel était attachée une forte chaîne; la chaîne était enroulée autour du tronc et assujettie, le cheval s’arc-boutait, et avec un effort qui gonflait les muscles de ses hanches, traînait sur la terre le tronc qui frôlait les souches et écrasait les jeunes aunes. » L. Hémon, Maria Chapdelaine, p. 51, dans M. Baron, L’éloge de la Grise : le cheval et la culture populaire au Québec (1850-1960), f. 26 et 28.

90 M. Baron, L’éloge de la Grise : le cheval et la culture populaire au Québec (1850-1960), f. 64. 91 M. Baron, L’éloge de la Grise : le cheval et la culture populaire au Québec (1850-1960), f. 66.

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20 animaux, voilà autant d’exemples de comportements illustrant l’amour des chevaux que l’on retrouve dans la société à l’ère du cheval. Parmi d’autres gestes signifiants à l’égard de l’animal, on note la tendance à l’anthropomorphisation de la bête qui consiste à projeter sur le cheval des caractéristiques ou valeurs humaines (la raison, par exemple, ou encore les qualités et les défauts, ce qui se traduit souvent par le nom qu’on leur attribue), l’association du cheval aux « âges de la vie92 » (le cheval participe autant que les humains aux événements importants de l’existence : la naissance et le baptême, les fréquentations amoureuses et le mariage, la mort et les funérailles, etc.), l’identification de l’humain au cheval (on reconnaît bien et vite l’agriculteur, le notable bourgeois ou le curé du village par son cheval, nous dit Baron)93 et enfin, le cheval et la justice populaire, c’est-à-dire l’animal associé à « un comportement charivarique94 » (intimidation faite aux détracteurs, punition infligée aux éléments indésirables de la société par le biais du cheval, etc.)95.

Le troisième et dernier chapitre du mémoire de M. Baron concerne « [l]es représentations collectives du cheval96 ». L’auteur explique qu’« [à] travers le procédé d’écriture, l’environnement du cheval est utilisé pour exprimer une pensée, des sentiments, une physionomie97 ». Dans la tradition orale par exemple, il y a le cheval héroïque du conte (« La jument qui crotte de l’argent », « Les trois chevaux »), ou encore le cheval diabolique des légendes (cheval du diable beau-danseur, cheval constructeur d’églises, les lieux où les chevaux s’arrêtent, le cheval-garou et les lutins d’écurie). Par ailleurs, on retrouve de nombreuses représentations iconographiques du cheval, notamment dans les publicités qui émergent au

92 M. Baron, L’éloge de la Grise : le cheval et la culture populaire au Québec (1850-1960), f. 83. 93 M. Baron, L’éloge de la Grise : le cheval et la culture populaire au Québec (1850-1960), f. 94-100. 94 M. Baron, L’éloge de la Grise : le cheval et la culture populaire au Québec (1850-1960), f. 103. 95 M. Baron, L’éloge de la Grise : le cheval et la culture populaire au Québec (1850-1960), f. 104-108. 96 M. Baron, L’éloge de la Grise : le cheval et la culture populaire au Québec (1850-1960), f. 109. 97 M. Baron, L’éloge de la Grise : le cheval et la culture populaire au Québec (1850-1960), f. 112.

Figure

Fig. 2 — Réjean Ducharme, « chevalcanadienhevalanadienevalnadienvaladienaldienlien »,  Le Lac Tume, présenté par Rolf Puls, Outremont, Les éditions du passage, 2017, p
Fig. 3 — Marc-Aurèle de Foy Suzor-Coté, « En traîneau, sautant vers la rive » […], Musée national des beaux-arts  du Québec [En ligne], fusain sur papier, 31.4 x 48.5 cm, 1916,
Fig. 5 – C. Krieghoff, Traîneau d’habitant, vue près de la frontière du Canada, détail, v
Fig. 5 – C. Krieghoff, La carriole bleue, vers 1849, 35,6 x 53,2 cm, coll. Power Corporation du Canada
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