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1.2 La représentation du cheval dans les récits québécois

1.2.3 Cadre théorique : chevauchée dans l’espace culturel transhistorique québécois

1.2.3.1 Deux objectifs, un cadre théorique général

Nous avons déjà abordé indirectement la question du cadre théorique. Il s’agit maintenant de rendre le tout explicite, définir clairement les approches et les moyens techniques à employer lors de l’analyse. Mais pourquoi, au juste, chercher à arrimer notre réflexion à un quelconque socle conceptuel? Pour la simple raison, indique Vincent Jouve, qu’« [i]l n’est pas d’autre moyen de penser la littérature et même, disons-le de penser tout court148 ». Il s’explique :

Pourfendre pêle-mêle (et un peu naïvement) idéologies, systèmes et structures au nom d’un retour à la réflexion personnelle est, sans nul doute, médiatiquement porteur, mais n’est, à tout prendre, qu’un refus de l’analyse. Sans catégories, comment penser l’expérience? La médiation est indispensable : les scientifiques le savent depuis toujours149.

D’où l’importance de définir un certain nombre de concepts clés qui nous permettront de déverrouiller les œuvres, de donner accès à une signification plausible, parmi d’autres, des textes. En somme, l’enjeu consiste à construire à partir de faits littéraires épars un objet de connaissance qui puisse servir à « la révélation d’un inconnu », pour reprendre l’expression de Jean-Charles Falardeau, but qu’à elles seules nos expériences de vie ou nos observations de la société, aussi profondes puissent-elles être, ne pourraient atteindre.

Comme nous l’évoquions précédemment, l’objectif de la présente recherche consiste à raconter une histoire culturelle du Québec fondée sur l’étude de la « mise en texte » de représentations chevalines (directes ou indirectes) au sein des récits littéraires. Autrement dit, cerner au plus près la signification historique et sociale de l’objet culturel qu’est le cheval littérarisé. Cet objectif comporte deux volets distincts : raconter l’histoire/analyser les représentations du cheval. Comment peut-on envisager concrètement le procès de ces deux

148 Vincent Jouve, L’effet-personnage dans le roman, Paris, PUF, coll. « Écriture », [1992] 2001, p. 259. 149 V. Jouve, L’effet-personnage dans le roman, p. 259.

38 composantes hétérogènes (le sociohistorique/le littéraire) dans le cadre d’un projet unifié, cohérent? Les propos de Jean-François Chassay sont éclairants à ce chapitre :

Immergé dans un contexte sociolinguistique singulier, écrit dans un espace social et historique propre à une communauté spécifique, le texte littéraire, production fictionnelle d’un auteur, est aussi une pratique sociale, et les formes qu’il prend sont indissociables de l’univers culturel dans lequel il apparaît150.

Par conséquent, poursuit le critique, la tâche qui incombe au chercheur consiste à « montrer que la forme a un sens social et comment celle-ci parvient à signifier la société ». C’est dire qu’il faut nous attarder autant à la forme littéraire de nos chevaux qu’au contexte de leur création, d’où la nécessité de recourir à deux approches complémentaires, l’une permettant de convoquer le hors-

texte, soit l’« espace social et historique » matriciel, l’autre permettant d’aborder le texte en tant

qu’univers autonome ayant ses règles de fonctionnement, son code esthétique.

Si l’étude du personnage chevalin repose pour une large part sur une analyse interne, notre travail d’analyse ne s’y limitera pas. Nous souhaitons en effet élargir notre compréhension de la signification de cette figure animale en nous appuyant également sur des notions théoriques qu’offrent d’autres systèmes signifiants, notamment ceux de l’histoire et de la sociologie (analyse externe). Diamétralement opposées, ces diverses perspectives théoriques exploitées conjointement nous permettront d’atteindre un juste milieu, de prévenir en quelque sorte les dérives exégétiques qu’une utilisation exclusive de l’une ou l’autre approche pourrait engendrer : éviter d’un côté le piège d’une lecture immanente menant à une fétichisation du texte et à des analyses de contenu plutôt mécaniques; de l’autre, celui d’une saisie de l’œuvre comme un simple document historique ou sociologique.

150 Jean-François Chassay, « Introduction. II. Études de sociocritique », dans J. Pelletier (dir.), Littérature et société […], p. 166. La prochaine citation se trouve à la même page.

39 Ainsi, le choix d’un cadre théorique de type sociocritique semble tout indiqué. Jacques Pelletier voit dans l’approche sociohistorique de la littérature le traitement de l’œuvre à la fois

comme une production de la société et comme une intervention génératrice d’effets à prendre en compte. Cela implique une démarche dans deux directions différentes, mais complémentaires : de la société comme condition de production de l’œuvre, de celle-ci en tant qu’univers second, parallèle, à la société. L’analyse, en tant que processus dialectique, prend en considération ces deux variables dans leur interaction151.

Autrement dit, il s’agit bien d’une question posée au langage qui ne peut faire abstraction d’une connaissance du contexte, c’est-à-dire de cette réalité où il est profondément enraciné et de laquelle il tire les nutriments nécessaires à sa croissance et à sa survie, comme le souligne Jean- François Chassay : « Que sait la littérature de la société dans laquelle elle est plongée? se demande la sociocritique, tout en étant consciente que la réponse est indissociable des différents processus de textualisation qui fondent son existence152. » Bernard Andrès, en d’autres mots, résume la chose bellement. « C’est qu’au fond, écrit-il, le discours littéraire ne renvoie qu’à lui- même, certes, mais il le fait différemment d’une époque à l’autre. Exprimer son immanence, c’est aussi se situer dans l’histoire des systèmes de signification. Une façon comme une autre de désigner, ou plutôt de "faire signe" au social (Belleau)153. »

Avant d’entreprendre cette double quête de la connaissance qui tiendra compte à la fois du « dedans » et du « dehors » des textes littéraires, il faut définir quelques concepts, jeter les bases d’un lexique et d’une grammaire propre à bien nous guider tout au long des analyses interne et externe des œuvres.

151 J. Pelletier (dir.), Littérature et société […], p. 10. L’auteur souligne.

152 J.-F. Chassay, « Introduction. II. Études de sociocritique », dans J. Pelletier (dir.), Littérature et société […], p. 167.

153 Bernard Andrès, Écrire le Québec : de la contrainte à la contrariété. Essai sur la constitution des Lettres, Montréal, YXZ éditeur, coll. « Études et documents », 1990, p. 18.

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