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Sous les feux de la rampe : le chevalier conquérant Lionel Groul

2.1 Présentation de « l’inventeur de la Grise », Lionel Groulx, et du contexte de l’époque

2.1.1 Sous les feux de la rampe : le chevalier conquérant Lionel Groul

Dans son premier roman paru en 1922, L’appel de la race6, Alonié de Lestres (pseudonyme de Lionel Groulx) met en scène plusieurs figures de chevalier : le « chevalier de Saint-Louis » (LAR, 27), noble ancêtre venu de France, le héros Jules de Lantagnac, qui fréquente « la chevalerie de Colomb » (LAR, 140), le « chevalier aux bottes évasées, au large feutre ancien, […] Samuel de Champlain [statufié], un héros de race française, le fondateur de la Nouvelle- France » (LAR, 49), et tous ceux encore qui peuplent les « histoires de chevalerie » de l’enfant de Lantagnac :

Je retrouve là mes chansons de geste les plus belles, dit-elle à son père. Les guerres iroquoises, l’exploit de Dollard, de Madeleine de Verchères, la découverte du Mississippi, celle de l’Ouest, les randonnées de nos chevaliers à la baie d’Hudson, les actes de nos martyrs, c’est de l’épopée toute pure, n’est-il pas vrai? De la grande

épopée chevaleresque, avec de la matière chrétienne et en quel cadre! Il y a mieux!

ces lectures me ramènent aussi je ne sais quel souvenir, quelle résurrection d’une vieille âme héréditaire. (LAR, 65-66. Nous soulignons.)

À l’image de ses personnages, le romancier se fera lui-même grand chevalier. Deux phares, deux « principes » le guideront tout au long de son odyssée donquichottesque : « La Religion et la Patrie! Tels seront les deux amours constants de ma vie, écrit-il le 15 septembre 1898. À quelque

6 Lionel Groulx, L’appel de la race. Roman, [Éd. originale : Montréal, Bibliothèque de l’Action française, 1922], Montréal, Groupe Fides inc., coll. « Biblio Fides », 2015, 230 p. Désormais, les références à cet ouvrage seront indiquées par le sigle LAR, suivi du folio, et placées entre parenthèses dans le texte.

133 carrière que Dieu me destine, mon cœur, mon âme, ma vie est à ces deux grands noms7. » Et toute une carrière ce fut.

Dans son enfance, rien ne prédisposait Lionel Groulx à un avenir aussi riche sur le plan intellectuel8. L’historien, éducateur, homme d’action et écrivain né à Vaudreuil le 13 janvier 1878 dans une famille de cultivateurs est avant tout un « [f]ils de paysan ». Il le demeurera d’ailleurs toute sa vie, comme le soulignent les auteurs de l’Histoire de la littérature québécoise : « Groulx reste profondément attaché, en tant qu’intellectuel et prêtre, à la vie rurale et aux valeurs familiales9. » Cela transparaît notamment dans L’appel de la race (1922). S’adressant à son ami le Père Fabien, Jules de Lantagnac se confie :

Père, vous êtes un fils de la terre comme moi. Donc vous avez dû goûter, une fois ou l’autre, aux bonnes rêveries du soir, au bout du champ? […] Moi, presque chaque jour, quand venait six heures, je partais, j’allais m’asseoir, comme au temps de mon enfance, sur la clôture du trait-carré, au bout du dernier cintre. Sans jamais m’en fatiguer, je contemplais les longues étendues de labour et de verdure. J’avais là, devant moi, le champ de bataille de mes ancêtres, les vieux défricheurs, les

vainqueurs des forêts vierges. Effort obstiné, violent qui absorba la vie de cinq

générations. Et pourtant, par quelle merveille, ce peuple d’une vie si rude est-il resté de visage si serein, d’âme si joyeuse? (LAR, 39-40. Nous soulignons.)

Selon Anne Courtemanche, Lionel Groulx est un « [h]omme de fidélité — soldat, croisé, comme il aimait à l’écrire10 ». En 1912, il signe son premier ouvrage, Une croisade d’adolescents11, qui relate sous la forme de l’essai une expérience vécue auprès d’étudiants de Valleyfield. Il s’agit en

7 Fondation Lionel Groulx, Spicilège 1898-1899, dans Anne Courtemanche, Édition critique des Rapaillages de Lionel Groulx, M.A. (Études françaises), Université de Montréal, 1973, f. 1.

8 « Dans le climat de pauvreté intellectuelle qui règne alors et qu’il déplorera vivement, Lionel Groulx travaille avec application, lit beaucoup et rêve d’écrire. Déjà se dessine le maître à penser, le chef et l’homme d’action. » A. Courtemanche, Édition critique des Rapaillages de Lionel Groulx, f. 1.

9 M. Biron, F. Dumont et É. Nardout-Lafarge, Histoire de la littérature québécoise, p. 195. 10 A. Courtemanche, Édition critique des Rapaillages de Lionel Groulx, f. 1.

134 quelque sorte d’un « projet de régénération de la race canadienne-française12 » fondé sur les deux principes énoncés plus haut, le catholicisme et le nationalisme, ainsi que le résume Laurier Renaud : « L'auteur invite la jeunesse au dépassement patriotique, à la fidélité envers les valeurs chrétiennes, à l'accomplissement humain sous toutes ses formes13. » Ce qui frappe dans ce discours, c’est la tonalité épique que l’auteur lui confère. Ainsi référera-t-il aux étudiants comme à des « petits Percevals [sic] [...] à l'âme vierge et claire », « partis à la conquête de tous les saints Graals14 ». Mais il se défend bien de chercher, par le biais de son essai, à embrigader les esprits. « Si j'ai parlé de < chanson de geste > et de < cantilène >, écrit l’abbé Groulx, ce n'est ni le poème, ni le roman de l'apostolat, que j'ai voulu écrire; c'est une histoire15. » Selon Renaud, il s’agit bien d’une fausse prétention à l’histoire puisqu’en définitive, le prosélytisme l’emporte de loin. Marie-Pier Luneau est du même avis : « [L]’œuvre, par l’exemple de la croisade qui a eu lieu à Valleyfield, est un vigoureux coup de fouet, un appel à l’action. Tout l’enseignement de Groulx au début du siècle s’y trouve en quelque sorte résumé16 ». C’est dire à quel point Lionel Groulx « possède […] une sensibilité exacerbée et un penchant pour le combat, pour les luttes chevaleresques au nom de grands idéaux17 ».

Cela dit, l’œuvre de Groulx s’inscrit dans le cadre de la deuxième série culturelle. Le survol de la période historique associée nous permettra d’examiner les enjeux auxquels sera

12 Laurier Renaud, « Une croisade d’adolescents », dans Maurice Lemire (dir.), avec la coll. de Gilles Dorion, André Gaulin et Alonzo Le Blanc, Dictionnaire des œuvres littéraires du Québec, Tome II : 1900-1939, 2e éd. revue, corrigée et mise à jour, Montréal, Fides, 1987, p. 1109.

13 L. Renaud, « Une croisade d’adolescents », p. 1109.

14 L. Groulx, Une croisade d’adolescents, dans L. Renaud, « Une croisade d’adolescents », p. 1110. 15 L. Groulx, Une croisade d’adolescents, dans L. Renaud, « Une croisade d’adolescents », p. 1110. 16 M.-P. Luneau, Lionel Groulx. Le mythe du berger, p. 38.

135 confronté l’abbé Groulx tout au long de sa grande aventure clérico-nationaliste, lui qui a à cœur d’écrire « un récit aux dimensions épiques18 » : « le grand récit de l’Amérique française ».